samedi 11 mars 2017

Sgr A* à l'origine des bulles de Fermi il y a 6 millions d'années


En août 2016, je vous racontais la découverte de l'activité passée de Sgr A*, le trou noir supermassif de notre galaxie qui aurait été actif il y a 6 millions d'années. Une nouvelle étude vient aujourd'hui confirmer cette découverte par une méthode très différente et montre que les "bulles de Fermi" s'étendant de part et d'autre du disque galactique ne sont autres que les résidus des jets de matière du trou noir.




Ce n'est plus cette fois-ci en observant le gaz chaud galactique en rayons X mais en observant des sources lointaines dans l'ultraviolet, que les astrophysiciens ont pu caractériser l'une des deux bulles de Fermi, ces vastes régions qui ont été détectées pour la première fois en 2010 par leur émission gamma avec le télescope Fermi. Dans cette étude, Rongmon Bordoloi (MIT) et ses collaborateurs ont utilisé le télescope Hubble et son instrument COS (Cosmic Origins Spectrograph) pour observer la lumière de 47 quasars lointains, dont la lumière traverse la bulle Nord
La bulle ayant un mouvement supposé d'expansion, ses bordures composées de gaz plus froid (environ 10 000 K, contre 10 millions de kelvins à l'intérieur) vont donc absorber la lumière des quasars différemment selon qu'il s'agit du bord le plus proche de nous (qui doit se rapprocher) ou le bord opposé de la bulle (qui doit s'éloigner). En mesurant le décalage spectral des raies d'absorption dans les spectres des quasars judicieusement sélectionnés, il est donc possible de déterminer la vitesse d'expansion de la bulle tout entière.
Les bulles de gaz chaud s'étendent jusque 23 000 années-lumière au-dessus et en-dessous du plan galactique, l'équivalent de la distance qui sépare la Soleil de Sgr A*. Les astrophysiciens peuvent même estimer la masse de gaz contenue dans ces bulles de Fermi : au moins 2 millions de masses solaires. Quant à leur vitesse d'expansion mesurée par les décalages spectraux des quasars, celle-ci est de l'ordre de 900 km/s (soit 0,3% de la vitesse de la lumière).

Connaissant la vitesse d'expansion et la taille actuelle des bulles de Fermi, les astronomes remontent ensuite à la date d'origine de l'événement très énergétique en cause. Bordoloi et ses collègues trouvent une date similaire à celle qu'avait trouvée l'équipe de Fabrizio Nicastro en 2016 : entre 6 et 9 millions d'années dans le passé.
Pour expliquer cette activité intense de Sgr A* il y a environ 6 millions d'années, les spécialistes évoquent l'accrétion d'un gros nuage de gaz par le trou noir, qui aurait produit alors des jets intenses de particules accélérées le long de son axe de rotation dans les deux directions, et qui produisent ensuite l'apparition de ces deux lobes de gaz échauffé qui s'étendent toujours aujourd'hui. 

En plus d'avoir pu cartographier la vitesse d'expansion des bulles de Fermi, les données obtenues avec Hubble fournissent également des indications sur la nature des atomes qui y sont présents, du silicium et du carbone notamment, ce qui donne de précieuses données aux astrophysiciens. Cette nouvelle estimation indépendante de la date de dernière activité de Sgr A* confirme que notre galaxie était un mini-quasar au moment où l'Humanité descendait de son arbre. 


Référence 

Mapping The Nuclear Outflow Of The Milky Way: Studying the Kinematics and Spatial Extent of the Northern Fermi Bubble
Rongmon Bordoloi et al.
The Astrophysical Journal, Volume 834, Number 2 (13 janvier 2017)


Illustration

Schéma du principe de la mesure de la vitesse d'expansion par les décalages spectraux des raies d'absorption sur des quasars lointains (NASA, ESA, Z. Levy (STScI))

11 commentaires :

Unknown a dit…

Très intéressant ton article Eric, mais pourrais tu m'en dire plus sur " la galaxie était un mini quasar lorsque l'humanité descendait de son arbre"
Si l'on considère que l'humain date entre 2 et 1 millions d'années, la galaxie ne pouvait se résoudre à un mini quasar!
Merci pour ta réponse.

Dr Eric Simon a dit…

Lucy date déjà de 3,2 millions d'années, mais surtout, Toumaï date d'environ 7 millions d'années et il est estimé par certains paléoanthropologues être le point de bifurcation qui a mené au genre Homo...

Unknown a dit…

Mais tu ne précise pas ma demande, "la galaxie était un mini quasar lorsque l'humanité descendait de son arbre" donc il y a entre 2 et 7 millions d'années !

Dr Eric Simon a dit…

notre galaxie était un mini quasar il y a 6 millions d'années, que dire de plus ?

Pascal a dit…

Que tirer de l'étude spectrale des éléments lourds ? Dans l'abstract référentié, est précisée la métallicité du gaz de la bulle : [O/H]= -0.54+/-0.15, soit une teneur en O environ 3 fois moindre que celle du soleil ; est-ce représentatif du nuage gazeux initial, et qu'en conclure ?

Dr Eric Simon a dit…

Les auteurs n'en concluent rien de particulier, si cela vous intéresse, vous pouvez retrouver le texte intégral sur arxiv : https://arxiv.org/pdf/1612.01578.pdf

Pascal a dit…

Effectivement les auteurs ne tirent pas de conséquences de leur estimation de la métallicité. Merci !

Anonyme a dit…

Je trouve la question de Pascal intéressante. Les auteurs ne concluent rien mais peut être avez vous un avis (ou un éventail de possibilités) M. Simon? Cela peut-il donner des indications sur une soupe plus vieille que celle qui a formé notre bon vieux soleil?

Au plaisir de vous lire!

Dr Eric Simon a dit…

N'étant pas un spécialiste des abondances du gaz du halo galactique, je ne m'avancerais pas à émettre un avis... Il me semble juste "normal" que la métallicité soit moins forte au dessus du plan galactique là où il y a peu d'étoiles, que dans le plan galactique où sont formés les métaux (Z>3) dans les étoiles...

Pascal a dit…

Eric, je ne comprend pas bien votre dernier commentaire : vous dites dans votre billet " les "bulles de Fermi" s'étendant de part et d'autre du disque galactique ne sont autres que les résidus des jets de matière du trou noir" ; donc la métallicité mesurée n'est-elle pas celle du gaz initialement (il y seulement 6 millions d'années) proche de Sagitarius A*, centrogalactique, ensuite éjecté ? Ou bien y a-t-il eu mélange avec du gaz du halo, pas complètement éjecté par l'onde de choc ?

Dr Eric Simon a dit…

Ok, c'est le terme "résidu" que j'ai mal choisi. Les bulles de Fermi ne sont pas remplies du gaz éjecté par notre cher Sgr A*, mais la matière qui a été éjectée (sur un cône très petit) a produit une onde de choc qui s'étale sur les côtés et vers le haut, et cette onde de choc échauffe le gaz du halo galactique. Les bulles sont ce gaz chaud, avec des bordures plus froides. Remplacez "résidus" par "traces"... désolé pour la confusion générée, et merci de votre remarque qui m'aura permis de préciser.