En juillet dernier (épisode 1523, classé à la 16ème place dans notre rétrospective 2023) , je vous relatais la découverte d'un possible effet d'avant plan pouvant expliquer les anomalies de température du fond diffus cosmologique. J'annonçais alors la parution ultérieure d'un article qui serait consacré exclusivement à la zone particulière du Cold Spot dans la carte du fond diffus cosmologique (CMB). Ce nouvel article vient de paraître fin décembre, et c'est toujours aussi attrayant!
Le "Cold Spot" est une région du CMB dite "non gaussienne", qui est entourée d'une sorte d'anneau chaud. C'est l’une des caractéristiques les plus frappantes du CMB. Pour expliquer l'existence d'un tel trou de température, il a notamment été émis l'hypothèse de l'effet Sachs-Wolfe intégré qui serait induit par la présence d'un grand vide cosmique à cet endroit de la voûte céleste mais à un redshift relativement élevé. Vielva et al. avaient montré en 2010 que les propriétés morphologiques du Cold Spot se manifestent différemment selon que l'on le regarde dans l'espace réel ou dans l'espace mathématique des ondelettes. Dans l'espace des ondelettes, il a une forme plus ou moins symétrique (lorsqu'on utilise des ondelettes elliptiques), alors que dans l’espace réel, il ressemble à un groupe de petits points froids, le plus important atteignant une valeur proche de −350 μK et avec des tailles d’environ 1°. Globalement, il se caractérise par une diminution remarquable d'environ 150 μK par rapport à la température moyenne du CMB, couvrant une zone d'environ 5° de rayon. Cruz et al. avaient montré en 2005 que cette chute de température extrême ne peut être expliquée que dans moins de 0,2 % des cas simulés par une fluctuation statistique gaussienne dans le cadre du modèle standard ΛCDM.
Il faut dire qu'au fil des années, diverses caractéristiques anormales du fond diffus cosmologique ont été identifiées, notamment des écarts par rapport à l'isotropie statistique ou à la gaussianité, ainsi que d'autres caractéristiques inattendues par rapport aux simulations basées sur les modèles ΛCDM les mieux adaptées. Dans leur article de juillet, Hansen et ses collaborateurs donnaient une explication possible à ces anomalies, basée sur la découverte de Heliana Luparello et al. publiée quelques mois plus tôt, qui montrait un effet refroidissant des halos galactiques sur les photons du CMB. Hansen et son équipe trouvaient une corrélation croisée entre les positions des galaxies proches et les cartes du CMB de Planck et WMAP. Bien que la cause physique de cette diminution de température reste très mal comprise, une modélisation phénoménologique de ses propriétés conduit à un scénario dans lequel la plupart des anomalies du CMB peuvent être remarquablement expliquées.
Diego Garcia Lambas (université de Cordoba, Argentine), Frode Hansen et leur équipe poursuivent aujourd'hui cette étude en se concentrant sur le Cold Spot. Ils explorent un scénario dans lequel une concentration de grandes galaxies de type tardif dans l’Univers local fournirait une explication au Cold Spot. Les chercheurs notent en effet que le plus grand complexe de galaxies de l'Univers local, le supergroupe d'Eridanus et ses groupes voisins, se trouve justement dans la zone du Cold Spot. Ils ont donc analysé les données d'observation de ces galaxies pour caractériser le voisinage du Cold Spot, explorer les propriétés de ces galaxies et prédire quelle serait la diminution de la température du CMB induite par les galaxies dans cette région.
Garcia Lambas et ses collaborateurs ont utilisé les cartes du CMB de Planck et, comme traceurs de premier plan, des galaxies provenant des catalogues d'observation accessibles au public (2MRS, 6dF et HIPASS), qui incluent des informations sur les redshifts, les positions, les magnitudes et d'autres caractéristiques astrophysiques. Ils ont ensuite appliqué les mêmes formes de profil de température moyenne qu'ils avaient précédemment explorés pour modéliser la diminution de température attendue par l'effet du halo des galaxies tel que l'avaient révélé Luparello et al. .
Après correction de la température moyenne basse de la région du Cold Spot, Garcia Lambas et son équipe constatent que la diminution de température autour des galaxies y est trois fois plus forte que la diminution moyenne dans d’autres parties du ciel. En modélisant le profil de température qui est principalement associé aux galaxies spirales de premier plan à cet endroit, Garcia Lambas et ses collaborateurs trouvent une diminution de température particulièrement forte en raison de la présence du plus grand groupe de galaxies de type tardif dans l'univers proche. Une forme de point froid qui chevauche largement le Cold Spot est observée. Garcia Lambas et ses collaborateurs s'amusent même à corriger la carte du CMB dans cette région du Cold Spot en prenant en compte leur modèle d'avant plan, et miracle! le Cold Spot se réduit alors comme peau de chagrin, ressemblant plus à une zone de fluctuation gaussienne entre points chauds et froids... Appliqué au complexe de galaxies qui se trouvent là, le modèle prédit en effet une diminution de la température du CMB qui ressemble étonnamment au Cold Spot, tant par sa forme que par ses températures réelles.Le fait que le point froid puisse être remarquablement bien reproduit en modélisant la diminution de température induite par les galaxies et en considérant que la plupart des anomalies à grande échelle du CMB surviennent naturellement lorsqu'un tel modèle est appliqué au ciel complet comme il avait été montré dans l'article de juillet, est une nouvelle preuve pour l’existence d’une composante de premier plan inconnue qui viendrait perturber le CMB. Diego Garcia Lambas, Frode Hansen, Facundo Toscano, Heliana Luparello, et Ezequiel Boero concluent humblement leur article en disant que ce scénario (qui remettrait gravement en question les paramètres du modèle ΛCDM qui sont déterminés grâce à la carte du CMB) justifie une enquête plus approfondie sur les propriétés de ce phénomène d'avant-plan et l'éventuelle contamination importante du CMB.
Source
The CMB Cold Spot as predicted by foregrounds around nearby galaxies
Diego Garcia Lambas et al.
Astronomy & Astrophysics Volume 681 (20 december 2023)
https://doi.org/10.1051/0004-6361/202347805
Illustrations
1. Cartographie du CMB par le satellite Planck et zoom sur le Cold Spot (Planck Collaboration)
2. Comparaison de la carte du Cold Spot dans le CMB (à gauche), de refroidissement induit par les galaxies présentes (au centre) et de la densité des galaxies (à droite)
3. La zone du Cold Spot dans la carte de Planck (à gauche) et corrigée de l'avant-plan galactique (à droite)
4. Diego Garcia Lambas
4 commentaires :
Bonjour Dr Simon,
J'aimerais poser à l'occasion de ce post deux questions de néophyte auxquelles je n'arrive pas à trouver de réponse.
La première est pourquoi observe-t-on toujours des photons issus de cette période? Avons-nous été plus "vite" qu'eux et qu'ils nous rattrapent toujours aujourd'hui? Sinon, cette surface de dernière diffusion devrait logiquement se situer à notre horizon cosmologique, hors de notre vue.
Ma seconde question concerne un paradoxe (pour moi) sur les premiers instants de l'univers. De nos jours, lorsqu'une masse se trouve contenue dans un rayon suffisamment petit (pour faire court), elle s'effondre en un trou noir. Dans ces premiers instants de l'univers, sa masse devait inévitablement être suffisamment dense pour s'effondrer. Qu'est-ce qui fait que l'univers n'a pas formé un gigantesque trou noir?
J'en profite pour vous remercier chaudement pour vos romans palpitants que j'ai dévoré avec délectation durant l'été dernier. Vivement le prochain!
Jean-Michel Rousseau
Bonjour et meilleurs voeux,
j'ai un peu de mal à saisir la diminution de température du CMB "derrière" les groupes de galaxies (est-ce juste la concentration de matière à un endroit qui induit la diminution des K autour ?)
Oui, c'est un effet des halos de galaxie, dont la nature exacte est encore inconnue
Bonjour Jean-Michel,
Pour bien comprendre l'expansion de l'Univers, il ne faut pas imaginer qu'on s'éloigne d'un point central d'où émanerait le CMB. Au contraire, il faut imaginer que nous sommes au centre d'une sphère, qui grandit depuis 13,8 milliards d'années. Le CMB provient dans cette image (plus réaliste) de la surface de la sphère, qui semble s'éloigner de nous inéluctablement. Cette surface de dernière diffusion sera toujours là, mais de plus en plus éloignée de nous.
Concernant votre deuxième question, c'est peut être pire que ce que vous pensez... La masse totale de l'Univers observable a été estimée à 10^23 masses solaires (100 000 milliards de milliards de masses solaires). A partir de cette masse, on peut calculer quel est le rayon de Schwarzschild correspondant (=3 km pour 1 masse solaire). Le calcul donne une valeur égale à 32 milliards d'années-lumière. Le fait troublant est que le rayon de l'univers observable est de 43 milliards d'années-lumière. Aux incertitudes près, on à la même valeur. Cela signifie en gros qu'on a toujours été dans un trou noir depuis le début...
Le fait que l'univers soit en expansion depuis un Big Bang n'est d'ailleurs pas complètement incohérent avec l'idée d'un trou noir qui serait dans sa phase de rebond, comme le prédit la théorie de la gravitation quantique à boucle... Vous avez dit troublant ? A ce propos, je conseille la lecture du petit livre de Carlo Rovelli qui s'intitule "Trous blancs", où il décrit ce concept de rebond des trous noirs.
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