mercredi 28 avril 2021

Vous avez dit anti-étoiles ?


Si il existe des étoiles faites entièrement d'antimatière, peut-on savoir combien il y en aurait autour de nous ? Des astrophysiciens français se sont posé la question et y répondent positivement grâce à des observations. Des sources pouvant être des étoiles émettant des rayons gamma compatibles avec une annihilation de protons/antiprotons ont en effet été observées et permettent d'apporter des informations cruciales. Une étude publiée dans Physical Review D.

Ne vous arrêtez pas aux gros titres des médias mainstream qui vont clamer une "incroyable détection d'anti-étoiles!". Nous n'en sommes en vérité pas là, mais les analyses qu'ont effectuées Simon Dupourqué, Luigi Tibaldo, et Peter von Ballmoos de l'IRAP à Toulouse (Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie) ont un petit caractère surprenant qui mérite que l'on s'y arrête pour expliquer de quoi il s'agit. L'existence d'objets astrophysiques ou de zones entières constituées d'antimatière est généralement exclue par les astrophysiciens. Mais la collaboration AMS-02 (détecteur installé sur l'ISS)  qui détecte tous types de rayons cosmiques sous forme de noyaux d'atomes (matière comme antimatière) a annoncé en 2018 la détection potentielle de 8 noyaux d'anti-hélium (parmi une masse de 100 millions de noyaux d'hélium). Parmi ces huit noyaux d'anti-hélium se trouveraient 6 anti-hélium-3 et 2 anti-hélium-4. Or selon certains spécialistes, le fait de trouver ne serait-ce qu'un seul noyau d'antihélium serait une preuve de l'existence d'anti-étoiles, voire d'anti-galaxies... Une équipe française a part ailleurs démontré en 2019 que des noyaux d'anti-hélium ne pourraient pas provenir d'autres processus comme de la spallation de rayons cosmiques ou de l'annihilation de particules de matière noire. Ils ne pourraient provenir que de nuages d'antimatière ou bien d'anti-étoiles proches, des étoiles constituées entièrement d'antimatière, avec des antiprotons, des antiélectrons, et des anti-noyaux d'atomes... 
On attend encore la publication officielle de la collaboration AMS-02 qui doit certainement chercher à obtenir plus de robustesse statistique sur ces détections potentielles d'anti-noyaux, on peut le comprendre vu l'enjeu qu'elles représentent... C'est dans ce contexte que Simon Dupourqué et ses collaborateurs se sont intéressés à un traceur potentiel de l'existence de telles anti-étoiles.
Il faut tout de suite noter qu'une étoile constituée entièrement d'antimatière serait indistinguable d'une étoile normale lorsqu'on regarde la lumière qu'elle produit. Tous les processus nucléaires et thermodynamiques qui ont lieu dans une étoile de matière sont strictement identiques à ceux de la même étoile constituée d'antiparticules. L'unique façon de déceler si on est en présence d'une masse d'antimatière c'est de la faire interagir avec de la matière. Car lorsqu'une particule rencontre son antiparticule, il se passe un phénomène d'annihilation : les deux particules disparaissent en se transformant en deux photons qui emportent l'énergie de masse des deux particules, émis à 180° l'un de l'autre. C'est le principe qui est utilisé dans les scanner médicaux de type PET (tomographie à émission de positrons) dans lequel on injecte au patient une substance radioactive béta+ (du Fluor-18 qui émet un positron à chaque désintégration), le positron s'annihile très vite avec un électron de l'organe cible, et la détection des deux photons gamma de 511 keV permet de savoir exactement où se trouvait la molécule injectée à l'intérieur du patient (le plus souvent dans une tumeur).
Mais revenons aux étoiles. Si de la matière normale se trouve à proximité d'une anti-étoile et finit par tomber dessus. Que devrait-il se passer ? Et bien, cette matière s'annihilerait à la surface de l'anti-étoile en produisant des photons gamma tout simplement, et ces photons gamma ne sont pas trop énergétiques ni trop peu pour nos détecteurs actuels. On doit pouvoir les détecter avec un télescope gamma comme Fermi-LAT (en orbite depuis 2008). Voilà le signal distinctif entre une étoile est une anti-étoile! Vous avez compris que ça fonctionne également dans l'autre sens : si une masse d'antimatière tombe sur une étoile normale, on aurait exactement le même signal gamma. 
Simon Dupourqué et ses collègues ont donc fouillé dans les données archivées du télescope Fermi-LAT (son 4ème catalogue de sources gamma qui a été publié) à la recherche de sources gamma qui ne correspondent à rien de connu par ailleurs qui serait susceptible de produire des rayons gamma (comme des pulsars, des résidus de supernova ou des trou noirs).
Pour identifier ces sources a priori anormales parmi les 5787 sources gamma du catalogue, les astrophysiciens français ont sélectionné des sources ayant une géométrie très ponctuelle ainsi qu'un spectre gamma compatible avec une annihilation de proton/antiproton. Et ils ont trouvé 14 sources gamma inconnues qui pourraient donc être des étoiles émettant des photons gamma d'annihilation de paires baryon/antibaryons : des anti-étoiles candidates... 
A partir de ces 14 candidates, les astrophysiciens calculent statistiquement quelle serait la fraction des anti-étoiles par rapport aux étoiles dans notre galaxie, en distinguant ce qui se passe dans le disque galactique et dans le halo. Ils font ce calcul en fonction de plusieurs paramètres comme la masse, la vitesse et de la densité de matière environnante de l'étoile. 
Pour une population aux propriétés équivalentes à celles des étoiles normales concentrées dans le disque galactique, la fraction d'anti-étoiles s'avérerait inférieure à 25 pour 10 million d'étoiles. Cette limite supérieure avait été déterminée en 2014 par l'un des co-auteurs et était alors 20 fois plus élevée.
Pour une population d'anti-étoiles distribuée dans le halo galactique, en revanche, c'est très différent, elles seraient beaucoup plus nombreuses (les 14 sources détectées sont en effets majoritairement dans le halo galactique...) : pour des anti-étoiles de 1 M⊙, la fraction doit être inférieure à 20 anti-étoiles pour 100 étoiles (!), et pour des anti-étoiles de 10 M⊙, elle serait au maximum de 16 anti-étoiles pour 100 000 étoiles.
Les chercheurs évaluent ensuite le nombre d'anti-étoiles qui seraient présentes par unité de volume dans le halo galactique, cette densité varie comme on l'a vu en fonction de la masse des anti-étoiles : elle est comprise entre 10-5 antiétoiles.pc-3 et 10-2 antiétoiles.pc-3
Dupourqué et ses collègues concluent ainsi qu'en faisant l'hypothèse que les anti-étoiles ont les mêmes propriétés que les étoiles dans le disque galactique, il ne devrait y en avoir aucune dans un rayon de 100 pc (326 années-lumière) autour du Soleil. Cela permet d'apporter des contraintes importantes sur l'origine des noyaux d'antihélium qui auraient pu être détectés par AMS-02. Mais les astrophysiciens notent que même si une population d'anti-étoiles du halo galactique pourraient produire les noyaux d'antihélium de AMS-02, il faudrait aussi déterminer quel est le mécanisme d'éjection et d'accélération de ces anti-noyaux à partir de ces anti-étoiles, ce qui n'est pas encore établi avec robustesse. Ils évoquent brièvement quelques hypothèses : collisions astéroïde-anti-étoile, accélération dans des amas d'anti-étoiles, fusion anti-étoile-naine blanche... Ces probables futures investigations bénéficieront largement des calculs d'abondance effectués ici. 

En conclusion, les auteurs appuient sur la nécessité de produire de nouvelles observations notamment à d'autres longueurs d'ondes pour clarifier la nature exacte des 14 candidates anti-étoiles révélées ici. Ils incitent également à enrichir encore d'avantage les relevés du ciel gamma, que ce soit avec le vénérable télescope Fermi ou bien ses futurs remplaçants optimisés pour détecter des photons à l'énergie de l'annihilation des baryons avec les antibaryons. 

Source

Constraints on the antistar fraction in the Solar System neighborhood from the 10-year Fermi Large Area Telescope gamma-ray source catalog
Simon Dupourqué, Luigi Tibaldo, and Peter von Ballmoos
Physical Review D 103, 083016 (20 April 2021)


Illustration

Cartographie des 14 candidates antiétoiles répertoriées dans cette étude (Dupourqué/IRAP)

6 commentaires :

Youx a dit…

Bonjour Eric,
Il n'y avait-il pas une question de savoir si l'anti matière interagissait gravitationnellement positivement ou négativement avec la matière ordinaire?
Si on observe que de la matière tombe sur une anti étoile, cette question est résolue.

Dr Eric Simon a dit…

c'est pas faux ;-)

Youx a dit…

C'est tout de même que la question de la gravité de l'antimatière a été résolue depuis...???
Comment sinon peut-on imaginer que de la matière tombe sur une anti-étoile?
...Et que ferait une anti étoile dans le halo galactique?
On devrait plutôt les trouver perdues au milieu des grands vides cosmologiques.

Dr Eric Simon a dit…

Non la gravité de l'anti-matière n'a toujours pas été observée par les 3 expériences du CERN (AeGIS, ALPHA et GBAR) mais on nous promet des résultats dans quelques mois ou l'année prochaine ! (il fallait attendre la remise en service du LHC après son upgrade).

Que ferait une antiétoile dans le halo galactique ? Elle aurait pu être capturée par la galaxie par exemple, après avoir été éjectée de la sienne (une anti...).

Nick a dit…

Qu’arriverait-il si une étoile entrait en collision avec une anti-étoile ? Est-ce que ça produirait un genre de supernovae gamma ?

Jean-Paul a dit…

Ce qui parait carrément mystérieux, c'est comment à partir d'ne soupe primitive de particules, d'antiparticules et de photons, de très gros agrégats d'antiparticules auraient pu se former en dépit du bain de particules omniprésentes. Sauf si globalement il existait un certain excès de celles-là sur celles-ci, de sorte que notre univers ne serait fait que d'antiparticules. C'est juste la théorie usuelle inversée de l'inexistence de l'antimatière à l'échelle macroscopique, notre univers étant dû à un léger excès de la matière sur l'antimatière.