Des chercheurs chinois évaluent le taux de production d'un isotope de l'aluminium (26Al) dans les supernovas à effondrement de coeur par interaction des neutrinos électroniques produits au cours de l'explosion. Cette étude de la production d'aluminium radioactif permet d'investiguer de nombreux facteurs importants, tels que le rayon de la coquille O/Ne des étoiles massives, la vitesse du choc de la supernova, le spectre des neutrinos, mais aussi la distribution de la masse et de la métallicité galactiques. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal.
Le 26Al est un isotope radioactif à courte durée de vie (à l'échelle des processus astrophysiques), avec une demi-vie de 0,72 million d'années. L'26Al se désintègre en 26Mg, produisant un photon γ caractéristique de 1809 keV. La détection de rayons γ de 1809 keV en provenance de notre galaxie depuis les années 1990 ainsi que dans l'analyse des sédiments des grands fonds marins (Feige et al. 2013, 2018) ou dans des météorites datant du début du système solaire (Bizzarro et al. 2004 ; Jacobsen 2008) indiquent que le 26Al doit être abondant dans la Voie Lactée. Et comme la durée de vie de 26Al est beaucoup plus courte que l'âge de la Galaxie, la présence abondante de 26Al est la preuve d'une nucléosynthèse qui est en cours au sein de la Galaxie. De plus, les images du ciel γ à 1809 keV fournies par l'imageur gamma COMPTEL à bord du satellite CGRO (Compton Gamma Ray Observatory) et par le spectromètre SPI à bord du satellite INTEGRAL (International Gamma-Ray Astrophysics Laboratory) ont montré que l'émission de 26Al s'étend le long du plan de la Galaxie, ce qui a mené à la conclusion que les étoiles massives dans toute la Galaxie dominent la production de 26Al (Diehl et al. 2006).
Les étoiles massives passent généralement par la combustion de H, He, C, Ne, O et Si, pour aboutir aux éléments proches du fer. Lorsque la masse du noyau de fer dépasse la masse effective de Chandrasekhar, le noyau commence à s'effondrer et une étoile à neutrons ou un trou noir se forme. L'énergie de liaison gravitationnelle de la proto-étoile à neutrons est alors convertie en un puissant flux de neutrinos pendant la phase de refroidissement. Dans cette phase, le 26Al peut être produit directement, via la réaction neutrino-noyau sur le 26Mg : 26Mg (νe, e-) 26Al, dans laquelle le neutrino est absorbé par un neutron du noyau, qui se transforme alors en proton en émettant un électron. Le magnésium-26 (stable) devient de l'aluminium-26 (radioactif) qui redeviendra plus tard du magnésium-26 par capture électronique et en émettant le fameux photon de 1809 keV. Les neutrinos peuvent aussi, via une diffusion inélastique sur des noyaux atomiques, conduire à des noyaux excités qui se désintègrent par émission de protons et fournissent une source de protons qui peuvent au final également produire de l'26Al par la réaction de capture radiative sur le 25Mg : 25Mg (p, γ) 26Al.
Bien que la section efficace de la réaction directe neutrino-noyau soit très faible, le processus fournit toujours une contribution importante à la production de 26Al, du fait de l'intensité énorme du flux de neutrinos. En 2006, la masse totale de 26Al dans la Voie Lactée avait été déterminée à 2,8 ± 0,8 M⊙ à partir d'observations en rayons γ par Roland Diehl et al. Aujourd'hui, les observations la contraignent à se situer entre 1,7 et 3,5 M⊙, avec une meilleure estimation de 2 M⊙ (Diehl et al. 2021).
Les théoriciens Timmes et al. avaient estimé en 1995 que la production de 26Al pouvait être augmentée de 40 % grâce au processus nucléaire des neutrinos. Mais ils avaient supposé des énergies relativement importantes pour les neutrinos de supernova, qui ne sont pas étayées par les résultats des simulations actuelles. La contribution du processus neutrino-26Mg dans la production de 26Al est en fait considérablement réduite à environ 10 % lorsque des énergies de neutrino plus faibles sont adoptées. Ainsi, des études théoriques précédentes ont suggéré qu'environ 0,2 M⊙ de 26Al est présente dans la Galaxie par le processus neutrino-26Mg.
Cependant, il existe encore des incertitudes importantes dans les prédictions du processus neutrino-26Mg. Les calculs complets de réactions nucléaires et les modèles d'évolution chimique sophistiqués donnant des résultats plus précis et quantitatifs ne sont pas forcément plus utiles pour une compréhension intuitive des effets de certains facteurs importants, en raison des hypothèses implicites qui sont enfouies. Et les calculs complets consomment de très grandes quantités de ressources informatiques, ce qui entrave l'exploration des contributions des différents facteurs. C'est pour pallier à ces difficultés que Gexing Li et Zhihong Li (Institut de l'Energie Atomique chinois) ont construit un modèle simple pour étudier efficacement le 26Al produit par la réaction neutrino-noyau des supernovas à effondrement de cœur. Ils ont tout d'abord calculé les sections efficaces moyennes du processus νe-26Mg à partir de données expérimentales. Ensuite, en les combinant avec un modèle simplifié des explosions de supernovas de type II, du rayonnement de neutrinos associé et de l'évolution de la température, les chercheurs calculent les paramètres optimaux pour la production de 26Al puis ils déterminent le rapport final 26Al /26Mg pour obtenir une limite supérieure de la production de 26Al. Pour l'estimation du taux de production en 26Mg, Gexing Li et Zhihong Li établissent une relation analytique entre la production de 26Mg et la masse initiale et la métallicité des étoiles massives, en ajustant les taux de production.
Les rendements en 26Mg et 26Al peuvent facilement être estimés avec cette relation analytique. La distribution actuelle et le rendement total de 26Al sont obtenus par les chercheurs chinois en considérant la distribution de la masse et de la métallicité galactiques et le taux de formation des supernovas de type II. Comme leur modèle ne nécessite pas de calculs intensifs, ils peuvent alors se concentrer sur l'étude des effets de certains facteurs importants qui entrent en jeu, comme par exemple le rayon de la coquille O/Ne des étoiles massives progénitrices, la vitesse du choc, le spectre des neutrinos, ou encore la distribution de la masse et de la métallicité dans la galaxie, mais aussi la fonction de masse initiale et le taux de formation des supernovas à effondrement de coeur. Les incertitudes du rendement en 26Al dues à ces facteurs sont discutées en détail dans leur article.
Gexing Li et Zhihong Li trouvent que la masse totale de 26Al produite par le processus νe-26Mg est de 0,16 ± 0,08 M⊙ lorsque l'on considère que la métallicité est homogène et égale à la métallicité solaire dans toute la galaxie. Mais quand ils considèrent la vraie distribution de la métallicité galactique, ils obtiennent alors une augmentation de 50% de la production de 26Al : 0,23 ± 0,13 M⊙. Il remarquent que ces valeurs sont des limites supérieures, car seul un nombre très limité de canaux de destruction de l'aluminium-26 est inclus dans leur calcul et le rayon optimal de la coquille O/Ne ainsi que la vitesse de choc dans la supernova sont choisis. En analysant les influences des différents facteurs, les chercheurs chinois concluent que la plus grande incertitude provient du spectre de neutrinos et que les incertitudes les plus importantes en second lieu proviennent de la fonction de masse initiale des étoiles et du taux de formation des supernovas de type II. Mais malgré ces incertitudes résiduelles, la valeur que les chercheurs chinois trouvent à partir des différents paramètres physiques qui entrent en jeu (0,23 masses solaires), est très proche de la valeur qui est déduite des observations et de considérations théoriques (10% de 2 masses solaires). Le modèle a le gros avantage d'être relativement simple et ne requiert pas de gros calculs nucléaires, ce qui offre la possibilité au final de mieux connaître de nombreux paramètres astrophysiques sur les supernovas et sur notre galaxie.
Source
The 26Al Production of the νe-process in the Explosion of Massive Stars
Gexing Li and Zhihong Li
The Astrophysical Journal, Volume 932, Number 1 (15 june 2022)
Illustration
Carte du ciel gamma à l'énergie caractéristique de 1809 keV de l'aluminium-26 (collaboration COMPTEL)
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