06/06/22

Un deuxième neutrino énergétique coïncident avec une destruction d'étoile par un trou noir


Des chercheurs ont trouvé une nouvelle preuve que des neutrinos de haute énergie sont émis lorsqu'un trou noir détruit une étoile qui passait trop près de lui. Un neutrino de haute énergie a été détecté par IceCube en coïncidence avec une destruction maréale d'étoile nommée AT2019fdr... L'étude est publiée dans Physical Review Letters.

Les neutrinos de haute énergie, c'est-à-dire ceux qui se situent dans la gamme d'énergie du TeV et au-delà, fournissent aux astrophysiciens des informations sur certains des événements les plus violents de l'Univers, dont beaucoup se produisent bien au-delà de notre Galaxie. Comme les neutrinos interagissent très faiblement avec la matière, ils voyagent sans être altérés sur de très grandes distances depuis leur site de production initial. Des modèles théoriques, étayés par des observations, les ont associés à une grande variété de sources potentielles, notamment les noyaux actifs de galaxie, des trous noirs supermassifs qui produisent des faisceaux de particules énergétiques en absorbant le gaz environnant et des destructions maréales d'étoiles par des trous noirs supermassifs (TDE, tidal disruption event). Les TDE offrent une possibilité intéressante, car de nombreux neutrinos devraient être générés dans ce processus de destruction complète d'une étoile. Les noyaux galactiques actifs sont beaucoup plus courants que les TDE, mais ces derniers pourraient émettre un pourcentage très élevé de leur énergie sous forme de neutrinos. 
Jusqu'à aujourd'hui, le détecteur géant IceCube situé en Antarctique n'a identifié que 3 sources de neutrinos astrophysiques : le blazar  TXS 0506+056 en 2017, le TDE AT2019dsg en 2019 et le noyau actif galactique NGC 1068 en 2020. Cette coïncidence entre la détection d'un neutrino astrophysique et l'observation d'une destruction stellaire est donc seulement la deuxième du genre, mais elle permet déjà à Simeon Reusch et à ses plus de 50 collaborateurs internationaux de faire une première estimation grossière du nombre de neutrinos qui peuvent être produits par ce mécanisme.
Le neutrino énergétique a été détecté le 30 mai 2020 par IceCube. Les chercheurs ont ensuite découvert l'association avec AT2019fdr en utilisant des moyens informatiques pour trier la base de données d'observations astronomiques recueillies par le Zwicky Transient Facility, en Californie, qui utilise une caméra à large vue pour balayer l'ensemble du ciel boréal tous les deux jours à la recherche d'événements transitoires. Dans sa recherche, l'équipe a découvert l'événement AT2019fdr qui datait de novembre 2019, qui était étroitement associé à la direction la plus probable du neutrino de haute énergie. En exploitant les données d'autres télescopes, ils ont également identifié des signatures radiatives spécifiques qui sont attendues pour un TDE. Selon les chercheurs, cette association est une preuve solide que ce neutrino a été créé au cours d'une éruption radiative qui a duré des années et qui a été déclenchée par l'interaction entre une étoile et un trou noir.  La première association TDE-neutrino qui avait été observée avait donné du crédit aux TDE en tant que sources de neutrinos de haute énergie, mais il était encore difficile d'être sûr avec un seul événement. Avec cette deuxième association neutrino-TDE, les bases sont désormais beaucoup plus solides. Sur la base d'une analyse statistique préliminaire, ils estiment qu'il n'y a qu'une probabilité de 0,034 % pour que la direction du neutrino corresponde par hasard à celle du TDE. L'association d'un deuxième TDE entraîne une réduction
de la probabilité de hasard par un facteur 75 par rapport à une seule association, d'après le calcul de Reusch et son équipe. Mais ils précisent que d'autres travaux sur la localisation de la direction du neutrino pourraient modifier cette estimation. 
Cette deuxième détection ne fait pas que renforcer la confiance dans la première, elle rend également possible une estimation grossière de la contribution des TDE à la production de neutrinos de haute énergie détectés par IceCube. En comparant les deux observations avec le catalogue complet des neutrinos cosmiques détectés par l'observatoire IceCube, les chercheurs concluent qu'au moins 7,8 % des neutrinos de haute énergie qui ont été détectés (sans avoir pu identifier leur source) doivent provenir de TDE. Et comme les destructions maréales d'étoiles sont assez rares, ces résultats indiquent qu'elles sont probablement des usines à neutrinos extrêmement efficaces. 

Les chercheurs ont remarqué que AT2019fdr et AT2019dsg partagent d'autres similitudes au-delà de leur association potentielle avec un neutrino de haute énergie. AT2019fdr, comme son prédécesseur montre également un signal d'écho de poussière inhabituellement fort, ce qui indique la présence de grandes quantités de matière et donc d'un taux élevé de formation d'étoiles dans l'environnement. Cela pourrait être une signature commune pour les neutrinos à haute énergie dans de tels systèmes. Une recherche dédiée à d'autres associations basées sur cette signature fournirait des preuves supplémentaires de la production de neutrinos dans les TDE.
Comme pour AT2019dsg, divers sites plausibles d'accélération des rayons cosmiques issus des débris de l'étoile disloquée (sources des neutrinos) ont été identifiés par les astrophysiciens, tels que ce qu'ils appellent la couronne, le vent subrelativiste, ou le jet relativiste. Ils montrent que le nombre de neutrinos muoniques prévu par les modèles de couronne et de jet est cohérent avec les contraintes observationnelles dérivées des deux associations TDE-neutrinos. Tous les modèles exigent en tous cas une production efficace de neutrinos. Le retard des neutrinos peut être lié selon eux à la taille du système nouvellement formé (modèle de jet) ou à la formation d'une couronne sans collision (modèle de couronne).

Reusch et ses collaborateurs rappellent en conclusion que, même en considérant toute la gamme d'énergie d'IceCube, le nombre attendu d'événements neutrinos provenant du TDE AT2019fdr reste inférieur à un. La détection de AT2019fdr par les neutrinos n'était donc pas attendue. Les TDE apparaissent finalement comme des sources très efficaces de neutrinos de haute énergie même si leur processus de production détaillé reste incertain. La compréhension complète du rôle des TDE en tant qu'accélérateurs de particules ne sera possible qu'avec des données plus riches, à multi-longueurs d'onde et multi-messagers. 

Source

Candidate Tidal Disruption Event AT2019fdr Coincident with a High-Energy Neutrino
Simeon Reusch et al.
Phys. Rev. Lett. 128, 221101 (3 June 2022)


Illustration

Vue d'artiste d'un phénomène de destruction maréale d'étoile (TDE) (DESY, Science Communication Lab)

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