22/06/22

Jupiter a une enveloppe inhomogène qui révèle le scénario de sa formation


Une équipe d'astronomes a exploité les données de la sonde Juno en orbite de Jupiter pour modéliser l'intérieur de la planète géante et comprendre pourquoi elle contient autant d'éléments lourds révélés par Juno. Ils en arrivent à la conclusion que Jupiter aurait grossie en absorbant de grosses roches de l'ordre de 1 km de diamètre lors de sa formation. L'étude est parue dans Astronomy&Astrophysics.

Il y a des milliards d'années, alors que le système solaire se formait, Jupiter a rapidement grandie. Pour comprendre les processus qui ont eu lieu, rien de tel que d'ausculter les couches internes de la planète géante. Mais jusqu'à récemment, les planétologues n'avaient pas été en mesure de scruter l'intérieur de Jupiter pour déterminer de quoi il est fait. Mais la sonde Juno, qui est en orbite autour de Jupiter depuis 2016 a changé la donne. Elle a permis de révéler la composition des couches internes de Jupiter grâce à des mesures des variations de son champ gravitationnel. Ces mesures sont obtenues indirectement en analysant les décalages spectraux par effet Doppler des ondes radio transmises par la sonde vers la Terre. Ces mesures ont notamment montré la présence très probable d'éléments plus lourds que l'hélium dans le coeur de la géante. 
Yamila Miguel (Institut néerlandais de recherche spatiale SRON) et ses collègues ont utilisé ces données de mesures des harmoniques gravitationnelles de la sonde Juno pour déterminer la structure interne de Jupiter via différents modèles de l'intérieur de la planète. Le modèle qui correspond le mieux aux données présente des quantités étonnamment élevées d'éléments lourds qui sont une preuve que la formation de Jupiter s'est faite par agglomération de très gros cailloux, de l'ordre du kilomètre, et non d'une myriade de petits grains qui était une voie alternative séduisant de nombreux spécialistes. 
Miguel et ses collaborateurs ont appliqué une approche statistique bayésienne aux calculs de leurs modèles d'intérieurs, qui reproduisaient les mesures gravitationnelles et atmosphériques de Juno (la teneur en eau). Leurs analyses les ont conduit à découvrir la présence d'une zone de Jupiter correspondant à la pression de 1 bar qui a une température qui est environ 15 K plus élevée que celle traditionnellement supposée (180 K au lieu de 166 K). Ils constatent également que les incertitudes dans l'équation d'état sont cruciales pour déterminer la quantité d'éléments lourds à l'intérieur de Jupiter. Les modèles fixent ensuite une limite supérieure à la masse du noyau compact interne de Jupiter qui vaut 7 masses terrestres, indépendamment du modèle de structure (avec ou sans noyau dilué) et de l'équation d'état considérée.
Par ailleurs, les chercheurs démontrent de manière robuste que l'enveloppe de Jupiter est inhomogène, avec un enrichissement en éléments lourds plus prononcé dans l'enveloppe interne par rapport à l'enveloppe externe. Ces détails font dire à Miguel et son équipe que l'enrichissement en éléments lourds s'est poursuivi pendant la phase d'accrétion du gaz. 
Dans le modèle standard de formation de Jupiter, tout commence par l'accrétion de solides, suivie d'une phase d'accrétion rapide de gaz dans laquelle l'enveloppe d'hydrogène et d'hélium est capturée à partir de la nébuleuse solaire primitive. Dans ce scénario, la taille dominante des solides accrétés peut être soit des planétésimaux de la taille d'un kilomètre, soit des galets de la taille d'un centimètre, avec des implications très importantes sur les échelles de temps de formation et la distribution des éléments lourds dans l'enveloppe de Jupiter comme l'avaient montré Venturini, Helled et Vazan et al. en 2018 et 2020. Dans le scénario piloté par les planétésimaux, l'accrétion des solides se poursuit pendant la phase d'accrétion du gaz et s'arrête lorsque tous les planétésimaux dans le voisinage de la planète ont été accrétés. Alibert et al. avaient montré en 2018 que la fragmentation et l'ablation de ces planétésimaux solides devait provoquer une distribution non homogène des éléments lourds dans l'enveloppe de Jupiter. En revanche, dans le scénario des galets, la désintégration orbitale rapide des cailloux, qui est causée par la traînée du gaz, fournit un réapprovisionnement continu en matériau solide qui enrichit la planète en croissance, comme l'avaient montré Ormel et al. en 2021. Mais l'approvisionnement s'arrête une fois que la masse dite d'isolement des galets est atteinte, après quoi seule l'accrétion de gaz continue. Miguel et son équipe ont donc tranché : c'est le scénario des planétésimaux de 1 km qui serait le bon, et l'enveloppe de Jupiter ne s'est pas mélangée complètement au cours de l'évolution ultérieure de la planète, pas même lorsque Jupiter était jeune et chaude.
Ce résultat montre clairement la nécessité, selon les planétologues, d'explorer davantage les modèles d'intérieur non-adiabatiques pour les planètes géantes. Il fournit un exemple de base pour les exoplanètes sachant qu'une enveloppe non-homogène implique que la métallicité observée n'est qu'une limite inférieure à la métallicité globale de la planète. Par conséquent, les métallicités qui sont déduites des observations atmosphériques à distance des exoplanètes peuvent ne pas représenter la métallicité globale de la planète. 

Source

Jupiter’s inhomogeneous envelope
Y. Miguel et al. 
Astronomy&Astrophysics Volume 662, A18 (8 june 2022)

Illustration

Le pôle sud de Jupiter imagé par Juno (NASA/JPL/CalTech)

Aucun commentaire :