C’est aujourd’hui que la vaste collaboration Gaia a dévoilé son très attendu 3ème catalogue de données sur 1,8 milliards d’étoiles de notre galaxie. Les nouvelles données d’une richesse inédite concernent non seulement les positions et les vitesses des objets mais aussi leurs caractéristiques spectrales, température, et autres paramètres astrophysiques. Une bonne trentaine d’articles sont déjà prévus pour paraître prochainement dans un numéro spécial de Astronomy&Astrophysics, mais cette masse de données va générer des centaines d’études, en donnant de la matière aux astrophysiciens pour les 25 prochaines années, si ce n’est plus…
L’objectif de l’ESA en lançant Gaia était de créer la carte multidimensionnelle la plus précise et la plus complète possible de la Voie Lactée. Cela devait permettre aux astronomes de reconstituer la structure de notre galaxie et son évolution passée sur des milliards d'années, et par là même de mieux comprendre le cycle de vie des étoiles. La sortie d’aujourd’hui est déjà le troisième catalogue de données de Gaia, qu’on appelle le DR3 (Data Release 3) et il fait suite à la sortie d’une version 3 précoce en 2020 (EDR3, Early Data Release), déjà abondamment exploitée par la communauté astronomique. La DR3 contient des détails nouveaux et améliorés pour près de deux milliards d'étoiles dans notre galaxie. On y retrouve notamment les compositions chimiques, les températures stellaires, les couleurs, les masses, les âges et la vitesse à laquelle les étoiles se rapprochent ou s'éloignent de nous (leur vitesse radiale). La plupart de ces informations ont été révélées par des données de spectroscopie, qui viennent compléter les données astrométriques et photométriques.
Les données comprennent également des sous-ensembles spéciaux d'étoiles, comme les étoiles variables, dont 10 millions ont été caractérisées. Ce nouvel ensemble de données contient aussi le plus grand catalogue d'étoiles binaires (813000, avec leur distance, position, orbite, masse), ainsi que des milliers d'objets du système solaire tels que des astéroïdes et des satellites de planètes, ainsi que des millions de galaxies et de quasars en dehors de la Voie Lactée. En tout, 1,5 milliards d'étoiles ont été classées (type d'étoile, luminosité, couleur, position, distance, mouvement propre). Les données spectroscopiques à basse résolution concernent 220 millions de spectres pour 470 millions de paramètres astrophysiques et les données spectroscopiques à haute résolution 1 million de spectres qui offrent 5,6 millions de paramètres astrophysiques (température, masse, âge) et 2,5 millions de compositions chimiques...
L'une des découvertes peut-être les plus surprenantes issues des nouvelles données est que Gaia est capable de détecter les tremblements d'étoiles - de minuscules mouvements à la surface d'une étoile - qui modifient leur forme, alors que ce télescope n'avait pas été conçu pour ça à l'origine. Auparavant, Gaia avait déjà repéré des oscillations stellaires radiales qui provoquent le gonflement et le rétrécissement périodiques des étoiles, tout en conservant leur forme sphérique. Mais maintenant, d'autres vibrations, des oscillations non radiales sont détectées. Gaia a ainsi découvert de fortes secousses non radiales dans des milliers d'étoiles. Et Gaia a également révélé de telles vibrations dans des étoiles qui n'ont que rarement été observées auparavant. Or, ces étoiles ne devraient pas avoir de tremblements à leur surface selon la théorie actuelle. Gaia ouvre ainsi une mine d'or pour l'astérosismologie des étoiles massives.
La composition des étoiles peut aussi nous renseigner sur leur lieu de naissance et leur parcours ultérieur, et donc sur l'histoire de la Voie Lactée. Avec les données publiées aujourd'hui, Gaia révèle la plus grande carte chimique de la galaxie couplée à des mouvements en 3D, depuis notre voisinage solaire jusqu’aux galaxies satellites qui entourent la nôtre. Certaines étoiles contiennent plus de métaux lourds que d'autres. Les données de Gaia montrent que les étoiles qui sont plus proches du centre et du plan de notre galaxie sont plus riches en métaux que les étoiles plus éloignées. Et Gaia a également identifié les étoiles qui provenaient à l'origine de galaxies différentes de la nôtre, sur la base de leur composition chimique. Cette diversité est extrêmement importante, car elle nous raconte l'histoire de la formation de notre galaxie. Elle révèle les processus de migration au sein de notre galaxie et d'accrétion à partir de galaxies extérieures.
D'autres articles publiés aujourd'hui en préprint reflètent l'étendue et la profondeur du potentiel de découverte de Gaia. Un nouveau catalogue d'étoiles binaires présente par exemple la masse et l'évolution de 813 000 systèmes binaires, tandis qu'une nouvelle étude des astéroïdes comprenant 156 000 corps rocheux approfondit l'origine de notre système solaire. Gaia révèle également des informations sur la présence de macromolécules entre les étoiles, ainsi que des informations sur des quasars et des galaxies éloignées.
Un paramètre crucial qui apparaît fortement enrichi dans ces nouvelles données est ce qu’on appelle la vitesse radiale : la vitesse de rapprochement ou d’éloignement des étoiles, qui est mesurée précisément par le décalage spectral (vers le rouge en cas d’éloignement, vers le bleu pour un rapprochement). C’est tout simplement la troisième composante de vitesse des étoiles après leur mouvement propre sur le ciel.
Le précédent plus grand ensemble de données de ces vitesses radiales était la version 2 des données de Gaia qui était sorti en 2018, et qui contenait 7 millions d’étoiles. L’EDR3 en contient désormais environ 33 millions. Plus de 4 fois plus… La rotation du disque galactique ainsi que le mouvement propre du Soleil provoquent une variation alternative positive-négative des vitesses mesurées lorsque l'on regarde dans différentes directions. La cartographie de ces vitesses sur le ciel montre ainsi une alternance de zones claires (s'éloignant de nous) et de zones sombres (se rapprochant de nous).
Le Grand et le Petit Nuage de Magellan apparaissent comme des points clairs et brillants dans la partie inférieure droite de l’image, tandis que la galaxie naine du Sagittaire, qui se cache de l'autre côté de la Galaxie, est visible sous la forme d'une faible bande presque verticale sous le centre galactique. Plusieurs amas globulaires apparaissent comme de minuscules points sur l'image, comme 47 Tuc, le point sombre situé immédiatement à gauche du Petit Nuage de Magellan, ou Omega Centauri, un petit point brillant au-dessus et à droite du centre galactique.
La combinaison des vitesses radiales et des mouvements propres est particulièrement puissante. Elle permet d'obtenir maintenant le vecteur vitesse complet pour environ 33 millions d'étoiles, ce qui va permettre des études très détaillées sur la cinématique de la Voie Lactée dans un grand volume. La carte en longitude et latitude galactique avec toutes les composantes de vitesse a été produite, révélant à la fois le mouvement propre des étoiles figuré par des lignes et la vitesse radiale figurée par une couleur (du bleu au rouge). Ces vitesses mesurées sont toutes relatives au Soleil, qui lui-même est en orbite autour du centre de la Galaxie. En tenant compte du mouvement propre du Soleil, les chercheurs peuvent transformer ces vitesses relatives en mouvements par rapport au centre galactique. Notre vision de la cinématique de la Voie Lactée devient alors soudainement plus nette, révélant des structures avec des détails sans précédent. Le modèle en trèfle des vitesses radiales galactiques négatives-positives-négatives-positives (des mouvements de contraction et d'expansion par rapport au centre galactique) dues aux étoiles orbitant dans la barre galactique, est clairement visible. Le changement de signe est aligné avec les axes de la barre. Les mesures de Gaia permettent de déduire un angle de barre de 20 degrés, ce qui correspond à la limite inférieure des déterminations antérieures qui étaient moins précises.
Le taux de rotation angulaire de la barre est également estimé par les astrophysiciens et se trouve en bon accord avec les déterminations utilisant des méthodes moins directes. Bien que Gaia ne puisse pas voir jusqu'à l'autre côté de la galaxie, la structure est clairement détectable. C'est la première fois que le modèle de vitesse de la Voie Lactée est si bien résolu sur une si grande partie de son disque.
La carte des vitesses tangentielles montre quant à elle une vitesse décroissante en direction du centre galactique. Tout ce qui se trouve dans notre galaxie tourne autour de son centre, à la manière d'un disque fin en rotation. Mais les étoiles les plus proches du centre voyagent sur des orbites plus lentes mais plus courtes et mettent moins de temps à effectuer une orbite complète par rapport aux étoiles proches du Soleil qui se trouve à environ 8 kpc du centre.
On le voit, la nouvelle version 3 des données Gaia constitue une avancée majeure dans la cartographie de la cinématique de notre galaxie et bien plus. Elle s’apparente à un trésor pour les astronomes qui étudient l'état dynamique actuel de la Voie Lactée, et pour ceux qui tentent de reconstruire son histoire et les événements qui l'ont façonnée jusqu'à aujourd'hui. On aura de nombreuses occasions de reparler d’études sur la Voie Lactée issues des données de Gaia dans les semaines, mois et années qui viennent….
Source ESA, Collaboration Gaia
Illustrations
1. Cartographie en coordonnées galactiques des vitesses des étoiles (mouvement propre et vitesse radiale)
2. Cartographie en coordonnées galactiques de la métallicité des étoiles : bleu = pauvres en métaux, rouge : riches en métaux
3. Cartographie en coordonnées galactiques de l'abondance en éléments alpha (type calcium) par rapport au fer
4. Cartographie en coordonnées galactiques des magnitudes des étoiles
(Collaboration Gaia/ESA)
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