mercredi 8 juin 2022

Le FRB répétitif localisé qui pose question


Des radioastronomes ont réussi à localiser et caractériser un sursaut radio rapide (FRB) atypique : à la fois répétitif, très actif, et associé à une source radio persistante. FRB 20190520 ressemble sur de nombreux points à FRB 20121102, l'autre sursaut rapide répétitf et localisé lui aussi dans une galaxie naine. Mais le signal de dispersion des ondes radio de FRB 20190520 indique une distance qui ne colle pas du tout avec la distance mesurée de sa galaxie hôte... L'étude est parue aujourd'hui dans Nature.  
 
C'est seulement le deuxième exemple  de sursaut radio rapide (FRB) hautement actif et répétitif, accompagnés d'une source compacte d'émissions radio plus faibles mais persistantes entre les sursauts et cette découverte soulève de nouvelles questions sur la nature de ces objets et sur leur utilité en tant qu'outils pour étudier la nature du milieu intergalactique. 
C.-H. Niu (Observatoires Astronomique de l'académie des sciences chinoise) et ses collaborateurs ont utilisé le Karl Jansky Very Large Array (VLA) pour étudier FRB20190520, découvert pour la première fois le 20 mai 2019 par le radiotélescope FAST de 500 m en Chine. Des observations de suivi avec FAST ont montré que, contrairement à de nombreux autres FRB, il émet des sursauts d'ondes radio fréquentes et répétées, à l'image du premier du genre qui grâce à cela avait pu être localisé précisément pour la première fois en 2016 : FRB20121102. Les observations de Niu et son équipe avec le VLA en 2020 ont permis elle s aussi de localiser l'objet, ce qui a ensuite permis d'effectuer des observations en lumière visible avec le télescope Subaru à Hawaï et de montrer ce qu'il y a à cette position. Le FRB se trouve à la périphérie d'une galaxie naine située à près de 3 milliards d'années-lumière de la Terre , la distance ayant pu être estimée grâce au redshift de la lumière de cette galaxie (un redshift de 0,241 ± 0,001). 
Et les observations du VLA ont également révélé que l'objet émet en fait constamment des ondes radio plus faibles entre les épisodes de sursauts. Ces caractéristiques font que ce FRB ressemble beaucoup à FRB20121102 : à la fois sa localisation à la périphérie d'une petite galaxie et l'existence d'une source radio compacte persistante. Jusqu'à aujourd'hui, FRB 20121102 était seul avec de telles caractéristiques. Ce n'est donc plus le cas. Et c'est très intéressant, car à partir de 2, on est en présence d'une population. Selon les chercheurs, les différences qui existent entre d'un côté FRB 190520 et FRB 121102 et de l'autre tous les autres FRB renforcent une possibilité qui a été suggérée précédemment selon laquelle il pourrait y avoir deux types différents de FRB. 
Il pourrait en effet exister deux mécanismes différents produisant des FRB ou bien les objets qui les produisent pourraient agir différemment à différents stades de leur évolution. Aujourd'hui, les principaux candidats pour les sources de FRBs sont des étoiles à neutrons avec des champs magnétiques extrêmes appelés magnétars. Mais de nombreux modèles sont en concurrence.
Mais FRB 20190520 possède une caractéristique qui trouble les chercheurs : sa mesure de dispersion est très élevée, trop élevée. Ce qu'on appelle la dispersion, c'est la façon avec laquelle les ondes radio sont ralenties en fonction de leur fréquence par les électrons libres qu'elles rencontrent sur leur chemin entre leur lieu de production et la Terre. Plus la fréquence est basse, plus les photons interagissent avec les électrons du milieu et plus les ondes arrivent décalées, produisant un étalement temporel du sursaut global. 
Pour les FRB pour lesquels on n'a pas de localisation précise, on ne connaît donc pas la galaxie qui les abrite et on ne peut pas estimer leur distance avec le redshift de la galaxie. Pour estimer la distance de ces FRB, les spécialistes utilisent le plus souvent la mesure de dispersion en faisant juste une hypothèse sur la densité électronique du milieu intergalactique. En faisant ça, on peut estimer une distance de trajet des ondes radio. Oui mais voilà : lorsqu'on applique cette méthode sur les sursauts de FRB20190520, on trouve une distance comprise entre 8 et 9,5 milliards d'années lumière ! Or sa distance réelle, celle de la galaxie naine où il a été localisé, n'est que de 3 milliards d'années-lumière ! 
Cela signifie qu'il y a beaucoup de matière à proximité du FRB. En d'autres termes, il est impossible d'exploiter la mesure de dispersion pour évaluer la distance de ce FRB. Mais alors qu'en est-il des autres FRB dont on a déduit une distance par cette méthode ? Niu et ses collègues émettent l'hypothèse que FRB 20190520 serait un "nouveau-né", encore entouré de matière dense éjectée par l'explosion de la supernova qui a laissé derrière elle l'étoile à neutrons. Selon ce scénario du "nouveau-né", les sursauts répétés pourraient également être une caractéristique des magnétars jeunes et pourraient diminuer avec l'âge. 

Quand on trace un diagramme montrant le redshift de la galaxie hôte en fonction de la mesure de dispersion pour les 15 FRB dont on connaît la localisation (qu'ils soient répétitifs ou non), on constate que FRB20190520 est un point vraiment extravagant, mais aussi que un seul FRB répétitif se trouve sur la droite que forment 5 ou 6 FRB non répétitifs. Autrement dit, sur les 6 FRB répétitifs localisés, 5 ont des valeurs de dispersion qui ne peuvent pas être associées à leur redshift avec le même facteur que celui utilisé pour les FRB non répétitfs...  Cela fait dire aux astronomes chinois et états-uniens qui signent cette étude que la prudence doit être de mise quand on cherche à déduire la distance des FRBs sans identification précise de leur galaxie hôte. La mesure de dispersion n'est certainement pas l'indicateur à utiliser préférentiellement. 

Source

A repeating fast radio burst associated with a persistent radio source
C.-H. Niu et al.
Nature (8 june 2022) 

Illustration

Image en visible, infra-rouge et ondes radio de la zone de FRB20190520

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