jeudi 2 juin 2022

Une injection tardive de radionucléides dans le nuage protosolaire


Les radionucléides à courte durée de vie (SLR) à l’échelle astrophysique (une demi-vie entre 0,1 et 100 millions d’années) fournissent des informations importantes sur la chronologie des débuts du système solaire. Parmi eux, le 41Ca, en raison de sa désintégration en 41K avec une demi-vie de seulement 99400 ans, est particulièrement précieux pour contraindre les origines et la formation des matériaux les plus anciens du système solaire : les inclusions riches en Calcium et Aluminium (CAI). Une équipe de chercheurs vient de réévaluer l’abondance initiale en 41Ca via le rapport (41Ca/40Ca) dont ils trouvent une valeur 1000 fois plus élevée que celle attendue dans le nuage protosolaire initial, impliquant une injection tardive… L’étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

L'abondance initiale de 41Ca dans le système solaire, exprimée par le rapport (41Ca/40Ca)I, est la clé pour dévoiler l'origine de ce nucléide. En mesurant les compositions isotopiques en potassium de deux météorites à inclusions riches en Calcium-Aluminium (CAI), Yaray Ku (Harvard) et ces collaborateurs états-uniens, mesurent le rapport (41Ca/40Ca)I du système solaire qui vaut de 2,0 × 10-8. Ce nouveau rapport est environ quatre fois plus élevé que la valeur précédente déduite d'un isochrone minéral et dépasse celui attendu pour le nuage moléculaire protosolaire d’un facteur 1000, ce qui implique qu’il a dû exister une injection très tardive de 41Ca (et peut-être aussi d'autres SLRs) dans le nuage moléculaire protosolaire, c’est-à-dire, peu de temps avant la formation des planètes. Les chercheurs observent en effet des enrichissements corrélés en 41Ca et en 26Al dans les échantillons, ce qui laisse supposer une origine commune des deux radionucléides.

Les radionucléides aujourd’hui disparus mais visibles par leurs descendants permettent de retracer leurs sources nucléosynthétiques et d'établir des contraintes sur l'environnement de naissance du système solaire. On pense que de nombreux SLR sont des produits de l'évolution chimique galactique sur le long terme, tandis que ceux qui ont des demi-vies inférieures à 1 million d’années nécessitent une injection tardive dans le nuage moléculaire protosolaire. Un tel ajout pourrait être causé soit par une injection à partir de sources stellaires jeunes, soit par une production in situ par irradiation dans le nuage moléculaire protosolaire ou dans la nébuleuse solaire elle-même. Par exemple, l'explosion d'une étoile proche, qui aurait déclenché l'effondrement du nuage moléculaire protosolaire et la formation du système solaire, pourrait y avoir injecté des radionucléides à courte durée de vie. Une autre source possible est le vent d'une étoile de Wolf-Rayet. Ku et ses collaborateurs expliquent que la détermination de l'origine des SLR peut ainsi permettre d'élucider la façon dont le système solaire en formation a été influencé par l'environnement astrophysique ambiant. Parmi les SLRs, le 41Ca, avec sa demi-vie extrêmement courte de 99400 ans, est peut-être le radionucléide le plus important pour contraindre l'échelle de temps de l'effondrement des nuages moléculaires et la formation d'un jeune objet stellaire comme notre Soleil et ses planètes.

Il faut savoir que les inclusions riches en aluminium-calcium dans les chondrites carbonées sont les premiers solides formés dans la nébuleuse solaire. C’est leur âge, déterminé par les radionucléides de la chaine de l’uranium-plomb, qui définit l’âge du système solaire. En raison de leur formation précoce, ces CAIs fournissent des informations sur les sources des SLRs dans le système solaire. Ku et son équipe expliquent qu’en raison de leurs concentrations élevées en Calcium et très faibles en Potassium, les CAIs sont également parfaits pour étudier l'origine du 41Ca. L'abondance du 41Ca) était historiquement déduite des relations isochrones 41Ca -41K par des mesures de spectrométrie de masse à ions secondaires (SIMS ou microsonde ionique) dans les années 1990. Plus récemment, en 2017, Liu et al. ont mesuré un rapport (41Ca/40Ca)I beaucoup plus faible de 4,6 × 10-9 que celui des études précédentes,  ce qui a entraîné une réévaluation de l'importance du 41Ca dans les premiers modèles du système solaire, ainsi que des origines du 41Ca.

Ku et ses collaborateurs ont quant à eux travaillé à partir d’un isochrone global établi par spectrométrie de masse à plasma inductif multicollecteur (MC-ICP-MS). Le principal avantage de la MC-ICP-MS est sa capacité à éliminer les graves interférences de matrice qui sont caractéristiques de la technique de la microsonde ionique. La MC-ICP-MS permet ainsi, et pour la première fois, d’obtenir une chronométrie précise des isotopes 41Ca-41K des CAIs avec des incertitudes sur les rapports isotopiques 41K/39K aussi faibles que 0,03‰.

A partir de la valeur du ratio (41Ca/40Ca)mais aussi de (26Al/27Al)I trouvées, Ku et son équipe calculent quel serait le temps d’injection du 41Ca dans la nébuleuse protosolaire en fonction du type de phénomène qui en serait à l’origine, le temps séparant l’injection de l’isotope radioactif et l’apparition des premières briques de planètes. Les contraintes sur la chronologie de cette injection dépendent bien sûr des abondances initiales et des sources nucléosynthétiques des injections. En retraçant l'évolution des deux systèmes isotopiques (calcium et aluminium) dans le temps et en comparant les valeurs calculées avec celles modélisées pour les trois phénomènes envisagés : des étoiles de type AGB, des supernovas de type II et des étoiles de Wolf-Rayet, les chercheurs peuvent estimer le temps d'injection pour chaque source nucléosynthétique. Ce temps varie de 0,62 million d’années pour une étoile Wolf-Rayet de 60 M, à entre 0,87 et 1,06 millions d’années pour une étoile AGB de faible masse (1,5 M-2 M) ou 1,47 millions d’années pour une supernova de type II de 15 M. Mais les chercheurs indiquent qu’une injection induite par une supernova est actuellement incompatible avec la faible abondance de 60Fe qui est trouvée dans les matériaux du système solaire.

Il reste donc deux possibilités et une durée caractéristique comprise entre 0,6 et 1,1 million d’années. Or les prédictions théoriques et les observations démontrent la plausibilité d’une formation du système solaire déclenchée par un événement extérieur, qui est connue sous le nom d'‘effondrement rapide du nuage moléculaire protosolaire. Si la majorité du 41Ca et du 26Al est due à une injection tardive, alors l'abondance bien déterminée de ces deux radionucléides place une limite supérieure sur l'intervalle de temps qui a dû exister entre l'effondrement du nuage moléculaire protosolaire et la formation du Soleil et du système solaire. Ainsi, l'événement qui aurait pu déclencher l'effondrement de notre nuage moléculaire parental aurait eu lieu entre 0,6 et 1,1 millions d’années avant la formation des CAI, ce qui implique alors une échelle de temps très courte pour la formation du Soleil.

 

Source

The Timing of Potential Last Nucleosynthetic Injections into the Protosolar Molecular Cloud Inferred from 41Ca–26Al Systematics of Bulk CAIs

Yaray Ku et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 931, Number 1 (23 May 2022)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ac666a

 

Illustration

Cartographie des éléments constituant l'échantillon  CH001 : Magnésium (rouge), Calcium (vert), Aluminium (bleu) (Ku et al.)

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