L'exoplanète superjovienne la plus jeune pour laquelle a été mesuré à la fois la masse et la taille a été découverte autour d'une étoile similaire au Soleil. Ayant le même rayon que Jupiter, elle est pourtant 8 fois plus massive, ce qui soulève pas mal de questions... L'étude est parue dans Astronomy&Astrophysics.
Olga Zakhozhay (Max Planck Intitut für Astronomie et Observatoire national d'Ukraine) et ses collaborateurs européens ont découvert l'exoplanète géante HD 114082 b dans le cadre d'un vaste programme d'observation réparti sur 4,5 ans baptisé RVSPY (Radial Velocity Survey for Planets around Young stars) qui consiste en 775 heures d'observation avec le télescope de 2,2 mètres de l'ESO exploité sur le site de La Silla au Chili. HD 114082 fait partie des 15% de géantes gazeuses dont la masse est supérieure ou égale à celle de Jupiter qui ont été identifiées parmi les plus de 5000 exoplanètes découvertes à ce jour.
Mais HD 114082 b, qui est distante de 310 années-lumière, présente un ensemble de propriétés particulières qui laissent les astrophysiciens un peu perplexes. Son rayon est exactement le même que celui de Jupiter : 1,00 ± 0,03 rayons Joviens, mais sa masse n'a rien à voir : 8,0 ± 1,0 masses joviennes. Sa période orbitale est de 109,8 ± 0,4 jours avec une distance à son étoile (demi grand-axe) de 0,51 ± 0,01 UA (l'équivalent de l'orbite de Mercure). Les chercheurs ont déterminé son âge qui n'est que de 15 ± 6 millions d'années. La planète a été détectée par la méthode de la vitesse radiale, ce qui a fourni sa masse et ses paramètres orbitaux. Mais pour trouver son rayon, les astrophysiciens ont complété ces observations par une mesure d'un transit avec le télescope TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) de la NASA. Les chercheurs soupçonnaient déjà une configuration de l'orbite planétaire propice à un transit (vue par la tranche) parce qu'un anneau de poussière avait été découvert autour de HD 114082 il y a plusieurs années distant de 28 UA de l'étoile. Et l'orbite de la planète correspond effectivement avec le plan de ce disque de poussière.
Selon Zakhozhay et ses collaborateurs, par rapport aux modèles actuellement admis, HD 114082 b est environ deux à trois fois trop dense pour une jeune géante gazeuse âgée de seulement 15 millions d'années. La densité moyenne de cette planète gazeuse est 8 fois plus grande que celle de Jupiter (qui vaut 1,3), elle vaut donc 10,6, donc deux fois supérieure à celle de la Terre, et proche de la densité du plomb! La différence est que la Terre est une planète rocheuse avec un noyau de fer-nickel, et non pas composée d'hydrogène et d'hélium, les éléments qui composent presque entièrement Jupiter. HD 114082 b est actuellement la plus jeune planète géante gazeuse connue dont la masse et le rayon sont établis, par conséquent, elle promet d'apprendre quelque chose sur la formation des géantes gazeuses en général.
Il existe aujourd'hui deux mécanismes différents pour la formation des planètes géantes. Les deux se produisent à l'intérieur d'un disque protoplanétaire de gaz et de poussière distribué autour d'une jeune étoile centrale. Le premier processus, qui est appelé l'"accrétion du noyau", implique dans un premier temps l'accumulation d'un noyau solide de matériau rocheux. Une fois qu'il atteint une masse critique, sa force gravitationnelle attire le gaz environnant, entraînant l'accrétion d'hydrogène et d'hélium dans un processus d'emballement pour former une planète géante. Le second processus est appelé l'"instabilité de disque". Dans ce modèle, des parcelles de gaz dense gravitationnellement instables s'effondrent directement pour former une planète géante sans noyau rocheux.
Selon les hypothèses retenues pour ces deux scénarios, le gaz devrait se refroidir à des vitesses différentes, déterminant ainsi la température des jeunes planètes géantes gazeuses. Les nouvelles planètes peuvent donc connaître un "démarrage à froid" ou un "démarrage à chaud", ce qui entraîne des différences observables qui peuvent potentiellement distinguer ces modèles, et en particulier à un jeune âge.
Actuellement, les chercheurs préfèrent un scénario d'accrétion du noyau avec un démarrage à chaud pour les planètes géantes. Comme le gaz chaud englobe un plus grand volume que le gaz froid, on devrait mesurer des différences notables dans les tailles des planètes observées, et ce contraste de taille devrait être plus prononcé pour les jeunes planètes et il devient moins prononcé pendant les premières centaines de millions d'années de refroidissement après la formation.
Mais, HD 114082 b défie les attentes des chercheurs. La combinaison de sa masse et de sa taille est incompatible avec l'image du démarrage à chaud. Au contraire, elle semble mieux correspondre au scénario du démarrage à froid. Il est clair que, par rapport aux modèles actuels, HD 114082 b est trop petite pour sa masse. Cela fait dire à Zakhozhay et son équipe que soit elle possède un noyau solide exceptionnellement grand, soit les modèles sont incorrects et sous-estiment la vitesse à laquelle ces géantes gazeuses peuvent se refroidir.
HD 114082 b est l'une des trois seules jeunes planètes géantes dont l'âge ne dépasse pas 30 millions d'années et dont la masse et la taille sont connues, les deux autres étant en orbite autour de la même étoile : V 1298 Tau b and e et découvertes en juin 2022 par Alejandro Suárez Mascareño. Or, ces trois planètes s'avèrent être incompatibles avec les modèles de démarrage à chaud.
Avec trois sur trois, il semble peu probable que ces planètes soient toutes aberrantes. Pour Zakhozhay et ses collaborateurs, bien que d'autres planètes de ce type soient quand même nécessaires pour confirmer cette tendance, les théoriciens devraient commencer à réévaluer leurs calculs concernant la formation des planètes géantes gazeuses. Ces résultats contribuent à améliorer nos connaissances sur la façon dont les planètes géantes se développent mais indiquent surtout où se trouvent les lacunes de notre compréhension.
Source
Radial velocity survey for planets around young stars (RVSPY)
A transiting warm super-Jovian planet around HD 114082, a young star with a debris disk
Olga V. Zakhozhay
Illustration
Vue d'artiste de HD 114082 b (NASA/JPL-Caltech)
9 commentaires :
Bonjour Eric,
Article aussi passionnant qu'intriguant !
Deux questions me viennent en tête suite à cette lecture.
Premièrement, comment a-t-on déterminé l'âge de cette planète ? Est-ce par rapport à l'âge de son étoile, la température de la planète, autre technique ?
Et deuxièmement il est dit que c'est une planète gazeuse. Est-ce une supposition en raison de sa taille, car on ne connaît pas ou peu de planètes rocheuses de cette envergure, ou bien a-t-on des analyse spectroscopique de son atmosphère, étant donné que cette planète transite devant son étoile ?
L'âge vient de l'âge de l'étoile qui a été déterminé par son analyse spectrale en 2016. Il n'y a pas d'analyse spectro de l'atmosphère de HD 114082 b lors du transit (TESS fait de la photométrie), et les mesures de décalage spectral pour les mesures de vitesse radiale ne sont pas adaptées pour des mesures d'absorption atmosphérique.
Oui, il n'existe pas de planète 100% rocheuse qui aurait la taille de Jupiter et 8 fois sa masse...
A moins que ? ;-)
Bonjour,
Une "planète rocheuse" de 2500 masses terrestres renverrait tous les planétologues à leurs chères études !
Je ne comprend pas, Eric, quand tu écris : "Actuellement, les chercheurs préfèrent un scénario d'accrétion du noyau avec un démarrage à chaud pour les planètes géantes" ; l'accrétion de noyau ne correspond-il pas à un démarrage froid, ie un rayon et une température effective plus faibles que pour l'instabilité de disque ?
Ne peut on imaginer que cette planète soit un résidu d’une géante gazeuse dont l’enveloppe aurait été soufflée par la mort de son étoile de naissance ? Le noyau ainsi mis à nu aurait, au hasard d’un rapprochement, été capturé par cette nouvelle étoile qui ainsi hérite d’une planète atypique.
Pourquoi pas ?
J'imagine que quelque chose m'échappe, mais je ne parviens pas à comprendre comment une planète gazeuse peut atteindre une densité plus élevée qu'une planète rocheuse ?
Si l'on prend l'exemple de cette planète dénommée TOI-849 b, l'une des planètes rocheuses les plus massives connues à ce jour :
https://exoplanets.nasa.gov/exoplanet-catalog/7643/toi-849-b/
Etant donnée sa taille et sa masse, si je ne me plante pas, on atteint une densité de l'ordre de 5, donc comparable, voire même légèrement inférieure à celle de la Terre.
Dans le cas de cette Jupiter supermassive, qu'est-ce qui pourrait expliquer une telle densité ?
Un noyau composé d'éléments chimiques particulièrement lourds ?
Ou simplement rendu très dense sous l'effet de la pression ?
Il ne faut pas oublier que la densité de la Terre est très variable en fonction de la zone, le noyau interne, qui est constitué de fer et nickel, possède une densité bien plus élevée que la densité que l'on connaît habituellement, du fait de la pression gigantesque qui règne en très grande profondeur. Cette densité dépasse largement 10 au centre de la Terre. Plus le noyau rocheux sera grand, plus la densité moyenne pourra être élevée.
Logique s'il s'agit de densité moyenne. Donc considérée sur l'ensemble de l'objet céleste. Même avec un immense volume (très supérieur à celui de la Terre) de densité ultra-faible, un petit volume central de densité extrêmement élevée peut être suffisant pour rendre la densité moyenne de l'ensemble de l'objet céleste très supérieure à celle moyenne d'une planète rocheuse d'un volume comme celui de la Terre.
Oui d'accord, dans le cas d'un objet suffisamment massif, la masse se concentre principalement au cœur de l'astre, à vrai dire c'est une question que je ne m'étais jamais posée, mais c'est hyper intéressant !
J'ai découvert au fil de mes recherches que la densité au cœur du Soleil par exemple, atteint les 150...
Merci pour vos éclaircissements, c'est un sujet absolument passionnant :D
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