mardi 21 juillet 2015

Une étoile intruse dans le centre de la Galaxie

C'est en observant une centaine d'étoiles de type RR Lyrae, des vieilles étoiles pulsantes situées non loin du centre de notre galaxie, qu'une équipe d'astronomes a découvert que l'une d'entre elles avait une vitesse pas du tout normale. Elle semble carrément traverser le bulbe galactique de part en part au lieu de suivre une rotation classique.


Schéma montrant une orbite possible pour l'étoile MACHO 176.18833.411,
figurée ici par l'étoile rouge. Le soleil est représenté par le point jaune.
A son point  le plus éloigné, l'étoile vagabonde se retrouve à environ
100 000 années-lumière du centre galactique. (AIP/J. Fohlmeister/A. Kunder) 
C'est en calculant la vitesse des étoiles que les astronomes, menés par la jeune chercheuse allemande Andrea Kunder du Leibniz Institute for Astrophysics de Potsdam, ont mis le doigt sur cette étoile nommée MACHO 176.18833.411, qui est désormais la RR Lyrae la plus rapide connue, avec une vitesse de 482 km/s par rapport au référentiel de la Galaxie. Les astronomes ont exploité le fait que les étoiles RR Lyrae ont toutes environ la même luminosité et sont pulsantes, ce qui permet de calculer leur distance avec une bonne précision, et donc de remonter le temps et de calculer la trajectoire passée de l'étoile.
Et c'est là que la surprise grandit encore plus : MACHO 176.18833.411 ne peut pas être une étoile du bulbe galactique mais provient de bien au dessus du plan galactique, de la région qu'on appelle le halo, et elle se trouve aujourd'hui par hasard dans le bulbe à seulement environ 3000 années-lumière du centre galactique, avec d'autres RR Lyrae, mais elle est différente des autres car elle se meut à grande vitesse et s'échappera du bulbe et du disque galactique.

Rappelons que ce qu'on appelle le bulbe de la Galaxie est une région de 10 000 années-lumière peuplée de nombreuses étoiles entourant le centre de la Galaxie en une sorte de boursouflure du disque. On y trouve notamment de nombreuses vieilles étoiles, du gaz et de la poussière en quantités. On estime que c'est là que résident les plus anciennes étoiles de la galaxie, donc une zone très prisée des astrophysiciens et astrophysiciennes.

Andrea Kunder (AIP)
Cette étude est le fruit d'un projet appelé BRAVA-RR (Bulge RR Lyrae Radial Velocity Assay) dont l'objectif est de discriminer les très vieilles étoiles du bulbe des autres de zones proches. Jusqu'à aujourd'hui, plus de 38000 étoiles RR Lyrae ont été identifiées dans le bulbe galactique grâce à des grands relevés photométriques. Andrea Kunder et son équipe exploitent le relevé spectroscopique RAVE (Radial Velocity Experiment) qui utilise le télescope de 1,2 m de l'Australian Astronomical Observatory pour déterminer de nombreux paramètres sur les étoiles du bulbe comme leur vitesse avec une précision de 1,5 km/s, leur température effective, leur gravité de surface, leur métallicité (composition chimique), mais aussi leur distance avec une précision de 20%. RAVE est à ce jour le plus grand relevé spectroscopique d'étoiles de la Voie Lactée mis à disposition de la communauté des astrophysiciens.
MACHO 176.18833.411, malgré sa grande vitesse et sa trajectoire très elliptique, reste tout de même retenue par le champ gravitationnel de la Galaxie, mais de justesse, sa vitesse est juste inférieure à la vitesse de libération galactique, au-delà de laquelle elle s'échapperait à l'infini dans le milieu intergalactique ... Ce que montrent Andrea Kunder et ses collaborateurs internationaux, c'est que de telles étoiles peuvent "contaminer" le bulbe galactique en laissant penser qu'elles en font partie alors qu'elles ne sont que de passage.

Pouvoir retracer la trajectoire passée (et future) des étoiles est une donnée puissante pour comprendre les processus dynamiques qui sont en jeu, et qui ne sont pas visibles à la simple observation contemplative de ces milliards de petits points de lumière dans le ciel.

Source :
A High-velocity Bulge RR Lyrae Variable on a Halo-like Orbit
Andrea Kunder et al
Astrophysical Journal Letters 808, L12, (july 2015)

lundi 20 juillet 2015

Précisions sur l'origine des neutrinos astrophysiques détectés par IceCube

Depuis les premières détections de neutrinos d'origine astrophysique par la détecteur géant IceCube situé en Antarctique, ces neutrinos à l'énergie colossale de l'ordre du pétaelectronvolt, de nombreuses analyses des données ont été effectuées, notamment pour tenter de reconstruire le spectre en énergie de ces neutrinos particuliers et aussi essayer de trouver la nature exacte de ces neutrinos non pas au moment de leur détection, mais au moment de leur production dans d'autres galaxies.


Car il faut se rappeler que IceCube peut détecter les trois types de neutrinos (neutrinos électronique, muonique et tauique), et que le neutrino est une particule qui a la faculté d'osciller d'une saveur à une autre au cours de son mouvement dans le vide ou dans la matière. Les chercheurs de la collaboration IceCube viennent de reprendre toutes les analyses effectuées par-ci par là à partir des données de IceCube, pour en tirer une analyse conjointe. C'est ainsi à une sorte de synthèse de 6 études différentes qui exploitent 3 paramètres physiques, l'énergie bien sûr, l'angle zénithal d'arrivée des neutrinos, et la topologie des événements à laquelle se sont livrés les physiciens de IceCube. Leur but était de déterminer le plus précisément possible le spectre en énergie de ces neutrinos astrophysiques d'une part, et la composition de ce flux en termes des trois familles de neutrinos d'autre part.
Les chercheurs parviennent à montrer que le spectre en énergie du flux de neutrinos astrophysiques est bien décrit par une loi de puissance avec un index spectral de -2,50 pour des énergies comprises entre 25 TeV et 2,8 PeV, et ils excluent en outre une forme communément utilisée stipulant une loi de puissance avec un index de -2.
Schéma du détecteur IceCube (IceCube collaboration)

Lars Mohrmann, physicien à DESY en Allemagne et co-auteur de l'article avec les 314 autres chercheurs de la toute la collaboration IceCube, article qui a été accepté pour publication dans The Astrophysical Journal, explique que c'est la première fois que l'on parvient à caractériser le flux des neutrinos d'origine astrophysique. La composition du flux en fonction des trois saveurs de neutrinos apporte des informations précieuses sur les mécanismes de production et les propriétés des sources de ces neutrinos. Dans de nombreux scénarios, les neutrinos sont produits dans des désintégrations de pions, qui produisent en moyenne un neutrino électronique pour deux neutrinos muoniques et aucun neutrino tauique (composition abrégée (νe : νμ : ντ =1:2:0).
Et comme les neutrinos oscillent d'une saveur à une autre au cours de leur long trajet à travers le milieu intergalactique, la composition du flux qui arrive sur Terre est sensé être équiprobable (1:1:1). 
Les contraintes sur la composition en saveurs obtenues par la méta-analyse des physiciens de IceCube indiquent que les données recueillies sont compatibles avec un tel scénario. Mais elles sont aussi compatibles avec un scénario (0:1:0), où il n'y aurait que des neutrinos muoniques produits.
Il existe un autre mécanisme possible pour la production de neutrinos astrophysiques, c'est la désintégration de neutrons, qui n'est autre que ce que nous connaissons sous le vocable de radioactivité béta moins. Dans ce cas seuls des neutrinos de saveur électronique sont produits (scénario 1:0:0). Et les résultats des physiciens des astroparticules sont sans appel : ce scénario n'est pas compatible avec les données, il est donc désormais exclu.
Les résultats de cette méta-analyse poussée illustrent tout le potentiel de IceCube, ils montrent que l'ont peut apprendre des choses sur les sources qui sont à l'origine des neutrinos les plus énergétiques sans pour autant les avoir encore identifiées. 

Et IceCube continue sa quête à chaque instant... tant qu'il reste de la glace sur le continent Antarctique, offrant des perspectives toujours plus prometteuses.

Source : 
A combined maximum-likelihood analysis of the high-energy astrophysical neutrino flux measured with Icecube
IceCube Collaboration
à paraître dans The Astrophysical Journal


jeudi 16 juillet 2015

Intense émission de rayonnement gamma en provenance d'un blazar il y a 1 mois

Entre le 14 et le 18 juin dernier, vous, moi, nous tous, avons été bombardés par une intense source de rayons gamma éloignée de 5 milliards d'années-lumière. C'était la source de rayons gamma la plus intense jamais observée depuis que nous possédons des instruments pouvant les mesurer.



Représentation de l'arrivée des photons gamma de 3C 279 dans le détecteur de
Fermi-LAT entre le 14 et le 18 juin 2015. L'énergie des photons gamma est
 figurée par la taille des cercles et leur couleur, du blanc au violet, de la plus
faible à la plus haute énergie (NASA/DOE/Fermi-LAT collaboration)
Cette pluie de rayons gamma de haute énergie est venue d'une galaxie active déjà connue : 3C 279. Les chercheurs ont pu avoir le temps d'étudier la source pendant qu'elle était encore brillante, son intensité a augmenté brutalement le 14 juin, pour atteindre son maximum le 16 puis a décru lentement pour disparaître tout à fait le 18 juin. 

Il aura fallu à peine un mois aux astrophysiciens pour qu'ils trouvent une explication à cette brutale émission de rayonnement gamma. 3C 279 est une galaxie active, c'est à dire que son trou noir supermassif est en train de grossir en avalant de la matière. Se faisant, le disque d'accrétion de la matière qui lui tourne autour s'échauffe à des températures extrêmes et produit des rayons X. Mais un tel trou noir supermassif entouré par un disque de matière émet également des jets de matière le long de son axe de rotation de part et d'autre de ses pôles. Et ces jets de matière projetés à des vitesses relativistes sont le lieu idéal pour la production et la montée en énergie de photons gamma. 

3C 279 est ce qu'on appelle un quasar, une galaxie très brillante. Mais c'est aussi ce qu'on appelle un blazar. Un blazar est un quasar qui est extrêmement lumineux. Les chercheurs ont maintenant compris que galaxie à noyau actif, quasar et blazar étaient en fait la même chose. La seule différence entre ces trois variantes est juste l'angle de vue sous lequel on voit le noyau de la galaxie active.
Le ciel en rayons gamma imagé par Fermi-LAT entre le 11 juin et le 17 juin 2015,
 énergie comprise entre 100 MeV et 100 GeV (projection stéréographique)
 (NASA/DOE/Fermi-LAT)
Alors qu'un "noyau actif", caractérisé par une forte luminosité dans le visible et en radio correspond à la galaxie vue de 3/4, le quasar, caractérisé par une forte émission X, serait la galaxie vue par la tranche, et enfin, le blazar, plus rare et caractérisé par une énorme luminosité variable et des bouffées de rayons gamma, serait la galaxie vue exactement dans l'axe de rotation du trou noir (et de la galaxie). L'émission du blazar n'est donc rien d'autre que le jet de matière et de rayonnement du trou noir supermassif, et c'est ce que nous avons reçu sur la tête durant 4 jours à la mi-juin.

C'est le satellite italien AGILE qui le premier a détecté l'éruption gamma, très vite suivi par le télescope Fermi-LAT de la NASA. Puis le télescope Swift à continué la poursuite pendant que le satellite européen INTEGRAL se mettait en branle pour lui aussi prendre de précieuses données sur cette éruption surpuissante. Puis ce fut le tour de télescopes terrestres de se joindre à cette fête qu'il ne fallait manquer sous aucun prétexte.
Le photon gamma le plus énergétique détecté au cours de ces 4 jours avait une énergie de près de 52 GeV (c'est 4 fois plus que l'énergie maximale produite au LHC pour donner un ordre de grandeur). L'éruption gamma de 3C 279 a eu une intensité 4 fois plus grande que l'intensité gamma du pulsar de Vela, qui est pourtant la source gamma permanente la plus intense observée (et située à 1000 années-lumière, soit 5 millions de fois plus près de nous que 3C 279...).

En fait 3C 279 n'en est pas à son coup d'essai. Il était déjà connu des spécialistes, car il détenait déjà un petit record : celui de la source gamma la plus intense et lointaine détectée. C'était en 1991 et un télescope gamma (Compton Gamma Ray Observatory) venait tout juste d'être lancé par la NASA. La détection eut lieu miraculeusement quelques jours seulement après la mise en service du télescope et put être suivie durant une dizaine de jours.

Les astronomes pensent qu'un changement brutal dans le jet du trou noir de 3C 279 a dû être à l'origine de cette éruption gamma impressionnante du mois dernier, mais ils n'ont encore aucune idée de ce qui a pu le provoquer. Les données recueillies par nos meilleurs télescopes et détecteurs sont bien plus fournies qu'en 1991 et devraient donner aux astrophysiciens pas mal de travail dans les semaines et mois qui viennent. La zone du ciel où se situe 3C 279 va désormais être surveillée comme le lait sur le feu...


Source : 
communiqué NASA

mercredi 15 juillet 2015

Charon, l'étonnant alter ego de Pluton


Charon (NASA/New Horizons)

Les montagnes de glace de Pluton, première image à haute résolution de New Horizons

Les premières images à haute résolution de la surface de Pluton dévoilées ce soir par la NASA montrent une absence de cratères, qui signifie que Pluton est active (sa surface est jeune). D'autre part, des montagnes de plus de 3000 m d'altitude sont visibles, très probablement constituées de glace d'eau.
Surface de Pluton (NASA/New Horizons)

lundi 13 juillet 2015

Explication trouvée pour une bouffée de rayons gamma extraordinaire

Les bouffées de rayons gamma sont de brutales émissions de photons gamma très énergétiques qui arrivent sur Terre sporadiquement. Les premières bouffées de rayons gamma (appelées GRB en anglais pour Gamma-Ray Bursts) ont été détectées totalement par hasard à la fin des années 60 par un satellite militaire américain qui cherchait à détecter des explosions nucléaires soviétiques qui devaient produire de tels rayons gamma énergétiques. Et le 9 décembre 2011, une bouffée de rayons gamma pas comme les autres est arrivée sur Terre...



Vue d'artiste du phénomène de GRB (NASA/Swift/Cruz deWilde)
L'origine des bouffées de rayons gamma a été très longtemps mystérieuse, mais on commence à les comprendre de mieux en mieux depuis une décennie.  Depuis les années 1970, plusieurs générations de télescopes spécialisés dans les rayons gamma ont été lancés, chacun apportant plus de détails sur les sources de rayons gamma à l'origine de ces bouffées parfois très courtes. Les derniers en date et les plus efficaces à ce jour sont les télescopes spatiaux Fermi-LAT (spécialisé dans les rayons gamma) et Swift (chasseur de GRB), dont nous avons déjà parlé ici à de nombreuses reprises. Les GRB sont des phénomènes par définition transitoires, ils apparaissent avec une fréquence de l'ordre de 1 par jour (ils sont d'ailleurs nommés par leur date d'apparition suivie d'une lettre), ils ont été classés en deux catégories en fonction de leur durée. La première catégorie regroupe les GRB courts qui durent entre 0,1 et 1 seconde, et la deuxième catégorie est celle des GRB longs dont l'émission gamma dure entre 1 secondes et quelques minutes. 
L'explication qu'ont trouvée les astrophysiciens pour expliquer l'existence des GRB courts est la fusion violente d'un trou noir et d'une étoile à neutrons ou d'une paire d'étoiles à neutrons. Mais les GRB les plus communs sont les GRB longs (70% des GRB détectés par le satellite Swift sont du type long), ces GRB de plusieurs secondes sont expliqués actuellement par la création d'un trou noir stellaire lors de l'explosion d'une étoile (une supernova par effondrement). L'émission de photons gamma de ces objets serait associée au jet de matière relativiste apparaissant aux pôles du trou noir nouvellement formé qui accrète la matière résiduelle restant autour du résidu de l'étoile morte.
Mais à partir d'il y a quelques années, des GRB très atypiques ont été mis en évidence : ils duraient très longtemps, de plusieurs heures à plusieurs jours! Ils ont pour cela été appelés par les chercheurs des GRB ultra-longs. Certains d'entre eux ont pu  clairement être associés à un phénomène de destruction d'étoile par un trou noir supermassif par effets de marée dans le champ gravitationnel terrifiant du trou noir, mais d'autres ne correspondaient à aucun modèle connu de phénomène astrophysique. 
Une équipe d'astrophysiciens internationale vient de se pencher sur le cas du GRB ultra-long le plus proche de nous restant sans explication et propose enfin un mécanisme pour l'expliquer. Il s'agit de GRB 111209A, qui apparut dans le ciel le 9 décembre 2011 et qui dura près de 4 heures!

Vue d'artiste d'un magnétar (ESA/ATG medialab)
Jochen Greiner, de l'université de Munich, et ses collègues, en étudiant l'évolution de la lumière qui suivit l'émission gamma proprement dite, dans les longueurs d'onde visibles et proches infra-rouge, ont pu déterminer sans ambiguïté l'existence d'un signe caractéristique qu'on retrouve dans les supernovas. Mais pas les supernovas associées habituellement aux GRB longs, ici il s'agissait d'une supernova très lumineuse, du genre 10 fois plus lumineuse que la normale. Et en étudiant son spectre de lumière, les chercheurs ont également trouvé un spectre très atypique : on n'y retrouve pas les raies d'absorption  associées à la présence de fer comme c'est le cas dans les GRB longs typiques. En fait, le spectre obtenu par Greiner et ses collaborateurs ressemble beaucoup au spectre d'un nouveau type de supernova qui a été découvert la même année que ce GRB : une supernova super-lumineuse. Les supernovas super-lumineuses montrent une luminosité entre 10 et 100 fois plus forte que les supernovas classiques et évoluent plus lentement.
Les meilleurs modèles physiques permettant d'expliquer l'existence de ces supernovas impliquent la présence d'une étoile à neutrons en rotation rapide, même très rapide, et possédant en outre un très fort champ magnétique. C'est leur très grande énergie rotationnelle associée à ce champ magnétique très intense qui permet à ces étoiles à neutrons produites lors du phénomène de supernova de transférer une grande partie de leur énergie rotationnelle et produire indirectement une bouffée de rayons gamma énergétique de longue durée. Ces étoiles à neutrons particulières sont ce qu'on appelle des magnétars, il s'agit de pulsars ayant une période de rotation inférieure à 10 ms (ils font plus de 100 tours sur eux-mêmes en 1 s) et arborant un champ magnétique de l'ordre de 10 milliards de Teslas...

Même si Jochen Greiner et ses collaborateurs semblent convaincus du lien entre GRB ultra-long et supernovas super-lumineuses alimentées par un magnétar, leur proposition n'en est qu'au stade de l'hypothèse, le modèle utilisé impliquant encore plusieurs paramètres libres comme la masse de l'éjecta de la supernova, la vitesse de rotation du magnétar et l'intensité de son champ magnétique. GRB 111209A est pour le moment un cas unique et ces événements de GRB ultra-longs sont des phénomènes rares, ce qui rend difficile toute affirmation. De nouvelles observations sont nécessaires pour confirmer cette nouvelle hypothèse et les futurs détecteurs d'ondes gravitationnelles, associés aux télescopes spatiaux gamma pourront probablement apporter de précieuses informations aux chercheurs.


Source : 
A very luminous magnetar-powered supernova associated with an ultra-long gamma-ray burst
J. Greiner et al,
Nature 523 , 189-192 (july 2015)

vendredi 10 juillet 2015

La machine à remonter le temps d'une minute

Qui a dit que le Temps n'existait pas, au fait ? Ce petit court-métrage pourra vous faire réfléchir, en plus de sourire.

Observation d'un trou noir supermassif géant dans une petite galaxie à 11,8 milliards d'années-lumière

Rien ne va plus dans le modèle de formation des galaxies, c’est ce que semble indiquer la très récente découverte d’un trou noir supermassif de 7 milliards de masses solaires dans une petite galaxie, lorsque l’univers n’était âgé que de 2 milliards d’années. La masse de ce trou noir géant fait à lui seul 14% de la masse totale des étoiles de la galaxie…



Vue d'artiste de CID-947 (Michael S. Helfenbein/Yale)
Le modèle généralement admis est un modèle de coévolution : les trous noirs supermassifs situés au centre des galaxies doivent grossir en même temps que la galaxie hôte produit des étoiles et grossit elle aussi. La masse du trou noir supermassif en fin d’évolution atteint généralement 0,2 à 0,5% de la masse stellaire de la galaxie hôte. On estime que le rayonnement qui est produit indirectement par le trou noir a un effet de rétro-action sur la formation des étoiles dans toute la galaxie. Mais cette nouvelle observation étonnante vient rebattre les cartes de ce modèle de coévolution, au moins à l’époque de l’univers jeune.
Ce qui apparaît, c’est que ce trou noir supermassif a grossi beaucoup plus vite que sa galaxie. Benny Trakhtenbrot de l’institut d’astronomie de l’Ecole Polytechnique fédérale de Zurich et son équipe internationale ont utilisé le télescope Hawaïen Keck de 10 m pour observer la galaxie CID-947 dans le proche infra-rouge grâce au spectrographe MOSFIRE qui leur a permis d’observer la large raie d’émission Hβ de l’hydrogène.

Les signes de la présence d’un trou noir supermassif dans CID-947 avaient été détectés il y a quelques années tout d’abord par le télescope Hubble puis confirmés par des mesures en rayons X grâce à XMM Newton et Chandra. Avec ses 7 milliards de masses solaires, le trou noir de CID-947 est bien supermassif et fait même partie des plus gros trous noirs jamais découverts. Mais ce qui a surpris le plus les astronomes, c’est surtout la masse de la galaxie hôte, CID-947. Alors qu’ils s’attendaient avec un trou noir pareil à trouver une galaxie géante de plusieurs milliers de milliards de masses solaire, au contraire, cette dernière est tout à fait normale. La masse de CID-947 a même dû être vérifiée de plusieurs manières indépendantes pour être sûr qu’il n’y avait pas erreur. Et il n’y a pas erreur, elle ne « pèse » que environ 50 milliards de masses solaires en étoiles.
Dans les galaxies observées à une époque plus récente, on voit pourtant bien une corrélation entre le nombre d’étoiles et la masse du trou noir supermassif central, ce qui a mené les astrophysiciens, grâce également à d’autres effets, à considérer que la croissance des trous noirs supermassifs est liée à la formation d’étoiles. Ce modèle semble d’autant plus raisonnable quand on sait que les étoiles et le trou noir supermassif ont le même réservoir de matière à leur disposition : le gaz froid remplissant les galaxies. Par ailleurs, il a été clairement montré il y a quelques années que le rayonnement produit par le disque d’accrétion d’un trou noir supermassif en cours de croissance contrôlait, voir pouvait stopper la formation d’étoiles en chauffant le gaz froid galactique. 

Masses de trous noirs supermassifs en fonction de la masse stellaire
de leur galaxie hôte, le cas de CID-947 est figuré par l'étoile rouge
(B. Trakhtenbrot et al./ Science)
Le trou noir supermassif de CID-947 semble être arrivé en fin de croissance d’après des mesures en rayons X obtenues avec le télescope spatial Chandra X-ray Observatory qui permettent d’évaluer son taux d’accrétion, de l’ordre de 10% seulement de la limite d’Eddington (qui est le taux maximal d’accrétion d’un trou noir). Le fait qu’il pèse déjà 14% de la masse stellaire de sa galaxie signifie qu’il a grossi beaucoup plus vite et efficacement que cette dernière (en termes de formation d’étoiles). Cette observation contredit clairement le modèle de formation par coévolution. On pourrait penser que le rayonnement et les flux propulsés par le trou noir empêchent fortement la formation d’étoiles pour une raison encore inconnue, or il n’en n’est rien, la formation d’étoiles dans CID-947 est conforme à ce que l’on attend et se poursuit normalement à un rythme de 400 masses solaires par an.
D’après les auteurs de cette étude, qui paraît dans la revue américaine Science, même si le trou noir s’est arrêté de grossir fortement et que la formation d’étoiles se poursuit, le rapport des masses trou noir/galaxie restera très grand dans le futur et ne pourra jamais atteindre les valeurs habituellement observées.
Benny Trakhtenbrot et ses collaborateurs pensent que CID-947 peut représenter le type de progéniteur des plus grosses galaxies que l’on peut observer dans l’univers proche, qui possèdent environ 500 milliards de masses solaires en étoiles. Ces galaxies auraient tout d’abord connu un fort grossissement de leur trou noir, puis seulement après une augmentation de leur nombre d’étoiles sans effet négatif du trou noir sur leur formation. Le modèle de formation des galaxies par co-évolution serait alors dépendant de la masse initiale du trou noir supermassif.

Les astrophysiciens devraient maintenant essayer d’en savoir d’avantage sur ce monstre et sa galaxie ainsi que sur d’autres spécimens du même type grâce notamment à l’utilisation du réseau de radiotélescopes ALMA.


Source :
An over-massive black hole in a typical star-forming galaxy, 2 billion years after the Big Bang
B. Trakhtenbrot et al.
Science 10 July Vol. 349 no. 6244 (2015) pp. 168-171 

mercredi 8 juillet 2015

Découverte de trous noirs supermassifs cachés

Un trou noir supermassif est supposé exister au centre de chaque galaxie. Or nous ne parvenons pas à 'déceler leur présence dans chaque galaxie, notamment du fait que les rayons X caractéristiques produits par la matière en train de tomber en tournant à très grande vitesse autour du trou peut être très atténuée par du gaz et des poussières.
Image du télescope spatial Hubble de l'une des 9 galaxies observées avec NuSTAR où a été décuovert un trou noir supermassif jusque là caché derrière d'épaisses couches de poussière et de gaz (Hubble Legacy archive/NASA/ESA)
Mais ça c'était avant... car nous disposons aujourd'hui d'un télescope à rayons X dits "durs", des rayons X d'énergie suffisante pour qu'ils puissent traverser assez facilement de grandes quantités de gaz et de poussière. Une équipe de chercheurs britanniques à su intelligemment exploiter le télescope NuSTAR (Nuclear Spectroscopic Telescope Array) de la NASA pour découvrir toute une population de trous noirs supermassifs qui étaient jusque là indétectables par nos moyens d'observation. La découverte viens d'être annoncée lundi dernier lors de la réunion nationale de la Royal Astronomical Society qui se tient à Llandudno au Pays de Galles.
Les astronomes de l'université de Durham, menés par George Lansbury, ont détecté 5 trous noirs supermassifs sur les 9 cibles qu'ils avaient choisies de scruter et qui sont des galaxies actives ayant une bonne probabilité d'abriter un trou noir supermassif, mais sans aucun signe a priori. Les 5 trous noirs supermassifs trouvés paraissent plus actifs qu'initialement envisagé par les astrophysiciens, et sont bel et bien "obscurcis" par de grandes quantités de gaz et de poussières dans leur bulbe galactique. NuSTAR, qui est en orbite depuis 2012, permet ce type de détection grâce à sa capacité unique de collecter des rayons X de plus grande énergie que ces prédécesseurs comme XMM Newton par exemple : entre 3 et 79 keV, ce qui lui offre un moyen de "voir" à travers les nuages de gaz et de poussière. 
La mise en évidence de la présence de ces 5 trous noirs supermassifs "cachés" peut sembler être une petite quantité, mais lorsque l'on extrapole ce résultat à l'ensemble de l'univers, le nombre prédit devient énorme et confirme l'idée de la présence d'un trou noir supermassif par galaxie.
Les galaxies qui semblent ne pas montrer de trou noir supermassif émettant des rayons X seraient donc soit trop poussiéreuses, ou bien leur trou noir trop calme pour chauffer un disque d'accrétion et émettre des rayons X.
L'étude de George Lansbury et ses collègues a été acceptée pour publication dans The Astrophysical Journal.

lundi 6 juillet 2015

Les neutrinos écoutés dans la glace Antarctique

Il existe de nombreuses expériences qui ont pour but de détecter des neutrinos, certaines ont des très gros budgets et sont très connues, d’autres sont très peu onéreuses et méritent d’être beaucoup mieux connues, c’est le cas de l’expérience ARIANNA.



Une station radio du réseau ARIANNA
(ARIANNA Collaboration)
ARIANNA (Antarctic Ross Ice Shelf Antenna Neutrino Array) est une expérience pas tout à fait comme les autres, elle est exploitée par une collaboration internationale, à majorité très largement américaine, installée en Antarctique. Quand on parle de neutrinos et d’Antarctique, on pense tout de suite à la grosse expérience IceCube, qui détecte des neutrinos grâce à la lumière Cherenkov que produisent dans la glace les particules qui sont produites  quand des neutrinos viennent y interagir de temps en temps. ARIANNA exploite un peu le même principe, mais pas tout à fait. Il s’agit toujours d’interactions de neutrinos dans les kilomètres de glace qui produisent des particules chargées quand ils collisionnent des atomes des molécules d’eau solide, mais ce n’est plus l’effet Cherenkov qui est ici exploité, mais un autre effet, appelé l’effet Askaryan. L’effet Askaryan, du nom du physicien arménien qui l’a découvert théoriquement en 1962, est assez similaire à l’effet Cherenkov. Lorsque des particules chargées se meuvent dans un milieu à une vitesse qui est supérieure à la vitesse de la lumière dans ce milieu, elles émettent des photons de lumière dans un cône d’émission orienté dans la direction du mouvement de la particule. Cet effet Cherenkov produit une lumière dans les longueurs d’onde visible (dans le bleu lorsqu’on est dans l’eau). 
L’effet Askaryan, lui, dit que lorsque des particules chargées se meuvent très rapidement dans un milieu diélectrique (comme l’eau par exemple, liquide ou solide), le mouvement des charges électriques qu’elles induisent produit une émission de photons dans le domaine des grandes longueurs d’ondes, les ondes radio.  Il a pu être mesuré expérimentalement pour la première fois seulement en 2000. Ce signal est extrêmement faible et dépend de l’énergie de la particule chargée incidente. Faible, mais mesurable dans un environnement où le bruit de fond radio est très bas. Il se trouve que l’Antarctique, avec ces kilomètres cube de glace pouvant servir de masse de détecteur et son environnement relativement préservé de l’activité humaine, offre des conditions idéales pour essayer de capter ce petit signal Askaryan en provenance des interactions de neutrinos dans la glace.

Principe du fonctionnement de la détection du
rayonnement radio Askaryan
(ARIANNA Collaboration)
Le gros atout de cette méthode de détection, c’est qu’elle ne nécessite que l’emploi de modestes systèmes de détection, des antennes radio, qui peuvent « écouter » de très vastes étendues (spatialement ou en profondeur), dans la gamme de fréquences entre 100 MHz et 1 GHz. Un réseau d’antennes savamment dimensionné peut ainsi permettre d’exploiter un volume de glace (un volume de détection) sans commune mesure avec ce qui peut se faire ailleurs dans la recherche sur les neutrinos, y compris le "voisin" IceCube.
ARIANNA recherche des neutrinos d’ultra-haute énergie, entre 108 et 1010 GeV, ceux là même qui doivent provenir d’au-delà de notre galaxie, mais dont on ne sait presque rien sur l’origine exacte. Un premier réseau hexagonal d’antennes radio a été testé sur la banquise de Ross au cours de l’été austral 2013-2014 et a permis aux chercheurs, en ne détectant aucun neutrino énergétique, de fixer des premières limites vis-à-vis des modèles de flux.

Le volume de détection effectif de ARIANNA ne sera pas de l’ordre du kilomètre cube comme IceCube, mais de l’ordre de 100 km3 ! C’est probablement le plus gros détecteur terrestre imaginé, un détecteur naturel qui plus est, incluant une surface de 36 x 36 km. Ce gigantesque volume de détection, rendu nécessaire par la très faible probabilité d’une interaction de neutrino et leur faible flux (pour ce qui est des neutrinos ultra-énergétiques extragalactiques), sera parsemé à terme d’un réseau de 1296 petites stations radio indépendantes, alimentées par des panneaux solaires et envoyant leur données par télémétrie, avec quatre antennes placées juste en dessous de la surface de la banquise, épaisse de 580 m environ. Et les physiciens sont rusés : ils utilisent l’interface eau-glace de la partie inférieure de la banquise comme un réflecteur d’ondes radio. Ils ont pu montrer que cette interface agissait comme un miroir quasi parfait pour les ondes radio. De cette manière, les antennes pourront capter les signaux produits par des neutrinos provenant à la fois du ciel et de l’horizon.

Pour le moment, ARIANNA ne comporte encore qu’un seul réseau hexagonal de sept stations qui sert  à préparer la construction du futur grand réseau, mais dès l'été (austral) prochain, les stations radios pousseront comme des champignons sur la banquise de Ross, prêtes à traquer les neutrinos en provenance de galaxies lointaines. 

Source :
A first search for cosmogenic neutrinos with the ARIANNA Hexagonal Radio Array
S.W. Barwick et al. ARIANNA Collaboration
Astroparticle Physics, Volume 70, October 2015, Pages 12–26

mercredi 1 juillet 2015

Des photoélectrons pour le vent polaire de Titan

Le monde de Saturne est sans conteste le système le plus complexe du système solaire, ce qui le rend probablement le plus fascinant. Depuis son arrivée en orbite de la planète aux anneaux en 2004, la sonde Cassini a exploré non seulement la planète géante, mais aussi ses anneaux, son gros satellite Titan et d’autres satellites glacés (Encelade, Europe, …).  Et Cassini ne fait pas que des superbes images, elle est également instrumentée pour analyser des fines particules.


Saturne et Titan vus par Cassini (ESA/NASA/JPL)
Des particules neutres dominent en fait la magnétosphère de Saturne et la région proche des satellites de la planète géante. Et la lumière solaire peut ioniser ces particules, produisant alors des ions et des photoélectrons avec une certaine énergie, que la sonde Cassini est capable de détecter et d’identifier. Ces photoélectrons peuvent également être exploités en tant que traceurs de la morphologie du champ magnétique environnant. Comme ces électrons relativement énergétiques se meuvent facilement le long des lignes de champ magnétique, ils peuvent en outre induire un champ électrique local qui facilitera l’échappement de plasma. C’est le phénomène de « vent polaire », qui est notamment observé sur Terre, Mars et Vénus, où une petite fraction des atomes ionisés de la haute atmosphère au niveau des pôles s’échappe dans l’espace le long des lignes de champ magnétique, aidés par le potentiel électrique créé par des électrons.
Une équipe de chercheurs anglais vient de publier une étude consacrée au phénomène du vent polaire, non pas sur Saturne elle-même mais sur son gros satellite Titan, grâce à l’étude des photoélectrons détectés par la sonde Cassini et son spectromètre à plasma et à électrons.
Les particules neutres qui sont la source des photoélectrons détectés aux alentours de Titan proviennent principalement d’une autre lune de Saturne : Encelade, qui se trouve à une distance de 4 rayons de Saturne. Ce sont les geysers de Encelade qui projettent dans le milieu quantité de grains de glace et de gaz. Ces particules se retrouvent ensuite assez rapidement au niveau de l’orbite de Titan, qui lui, orbite à une distance de 20 fois le rayon de Saturne. Titan est connu pour être un satellite muni d’une atmosphère riche en méthane et en azote, où une chimie organique complexe se développe.
La sonde Cassini et ses instruments (CNES)
Les photoélectrons produits par l’ionisation de ces fines particules ont un spectre énergétique qui dépend du spectre de la lumière solaire et de la nature de la molécule ou de l’atome cible (leur potentiel d’ionisation). Les planétologues montrent que leur énergie forme un pic dans la région située entre 19 et 26 eV. L’instrument Cassini Plasma Spectrometer Electron Spectrometer (CAPS-ELS) permet de mesurer un spectre de 63 niveaux d’énergie toutes les 2 s avec une précision de l’ordre de 17%.
Ces électrons de quelques dizaines d’électronvolt vont ensuite interagir avec leur environnement (plasma et champs électromagnétiques). Cassini a pu détecter de tels photoélectrons autour de Titan dans son ionosphère insolée et jusqu’à plus de 6 fois le rayon du satellite.
Andrew Coates et ses collaborateurs parviennent grâce à ces mesures, à fixer une valeur maximale au potentiel électrique ambipolaire  associé au phénomène de vent polaire sur Titan : 2,95 Volts. Cette valeur est légèrement plus basse que celle qui est mesurée pour la Terre et indique que le flux de particules s’échappant de l’atmosphère de Titan par ce mécanisme de vent polaire doit être limité.

La sonde Cassini grâce à ses détecteurs de particules permet de connaître des détails étonnants sur les mécanismes physiques à l’œuvre dans la haute atmosphère de Titan, un moyen supplémentaire pour caractériser ses mondes fascinants, au-delà des données d’imagerie qui sont plus connues car immédiatement accessibles à nos yeux.


Source :
A new upper limit to the field-aligned potential near Titan
A.J Coates et al
Geophys. Res. Lett., 42 (2015)

Le Bisou de Vénus à Jupiter

Photos prises le 30 juin à Pertuis, Objectif 300 mm (Canon EOS 1000D).