lundi 19 avril 2021

Silence radio complet pour le magnétar SGR 1935+2154 après son FRB de 2020


Il y a bientôt un an a eu lieu l'événement sans doute le plus marquant de l'année 2020 en astrophysique : la détection simultanée d'un sursaut rapide d'ondes radio et une éruption de rayons X, toutes les deux provenant de la même source, le magnétar SGR 1935+2154 situé dans notre galaxie. Depuis le 28 avril 2020, de nombreuses observations de ce magnétar se sont poursuivies, mais aucun autre signe de sursaut radio n'a pu être détecté malgré tous les efforts des radioastronomes. Une étude fouillée de ces tentatives est publiée dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Le sursaut rapide d'ondes radio (FRB) émis par SGR 1935+2154, le premier observé en provenance de notre galaxie, avait été détecté par deux expériences : CHIME/FRB et STARE2. Sa coïncidence avec une forte éruption de rayons X détectée elle par plusieurs télescopes avait tout de suite soulevé l'enthousiasme dans la communauté astrophysique, on avait enfin une réponse à la question de l'origine des FRB, ou au moins une partie d'entre eux. Très vite, plusieurs équipes ont décidé de poursuivre les observations pendant plusieurs semaines ou mois après le 28 avril 2020. C'est le cas de la vaste équipe de Matthew Bailes (Swinburne University of Technology) qui a suivi le magnétar durant un mois et demi suite à la primo-détection et qui publie aujourd'hui ses résultats de recherche d'une nouvelle activité radio anormale.
Les chercheurs ont utilisé pas moins de six radiotélescopes dans leur quête : Arecibo, Effelsberg, LOFAR et MeerKAT, Mark 2 et Northern Cross. Et comme ils voulaient voir une nouvelle coïncidence sursaut radio/éruption X, ils ont également mobilisé du temps d'observation sur quatre télescopes spatiaux X (les télescopes X sont toujours spatiaux car les rayons X sont absorbés par l'atmosphère) : NuSTAR, HXMT, Swift et NICER sur des périodes en coïncidence avec certaines de leurs observations en radio.
Bailes et ses 61 collaborateurs (!) montrent qu'au cours de leur période de suivi, ils ont observé de multiples éruptions de rayons X issues du magnétar, mais... aucune émission d'ondes radio ponctuelle significative. Pas une seule.
L'image radio fournie par MeerKAT (entre 900 et 1700 MHz) a notamment révélé la présence non loin du magnétar d'un résidu de supernova produisant une émission radio étendue mais aucune source radio ponctuelle persistante ou transitoire à la position du magnétar et des éruptions de rayons X. 
Les chercheurs fixent donc des limites supérieures pour la production de sursauts rapides d'ondes radio par un magnétar. Ces données indiquent que SGR 1935+2154 est atypique à côté des autres étoiles à neutrons connues dans notre galaxie pour ce qui est de l'émission d'ondes radio. C'est donc une information intéressante pour tenter de mieux comprendre le processus physique qui mène à la production de ces sursauts d'ondes radio qui ne durent que quelques millisecondes au maximum. Les données d'avril 2020 n'ont pas permis de savoir par exemple si l'émission radio provenait de la magnétosphère du magnétar ou bien d'un peu plus loin.
Les observations multiples de Bailes et ses collaborateurs leur ont en tous cas permis de produire une nouvelle estimation de distance pour SGR 1935+2154, qui serait situé entre 1500 et 6500 kpc, donc un peu plus près que les estimations antérieures. Ils concluent ainsi que le FRB du 28 avril 2020 était environ 100 fois moins énergétique que le FRB le plus faible qui avait été mesuré auparavant (et non 50 fois comme ce qu'on pensait jusque là).
Le fait de ne détecter aucun pulse radio seul durant toute la période de suivi, selon les chercheurs, indique que les sursauts isolés doivent être rares, ou bien que ces sursauts doivent être produits en groupes, ou les deux. Le "silence radio" du magnétar SGR 1935+2154 durant près de deux mois à la suite de son FRB, malgré la poursuite de ses éruptions de rayons X, semble indiquer qu'il aurait une très faible efficacité de production de rayonnement radio. Pour les astrophysiciens, cette source d'ondes radio serait donc extrêmement variable et même plus que les autres magnétars connus dans notre galaxie qui sont déjà assez variables. 
L'analyse des astrophysiciens confirme donc un modèle de magnétar dans lequel les éruptions X ne sont pas nécessairement associées à des rayonnements radio, ce qui pourrait avoir une origine géométrique. Mais c'est aussi peut-être lié au fait que l'éruption X du 28 avril 2020 était différente des autres éruptions X du magnétar (antérieures et postérieures), comme l'a montré une autre étude récente...

Les chercheurs se posent pour finir la question de savoir si le résidu de supernova qui se trouve à proximité du magnétar lui serait lié (c'est très probable mais cela reste à démontrer). Comme certains modèles de FRB impliquent des magnétars "jeunes", il serait logique de voir encore le résidu de supernova qui en aurait été à l'origine. Faire le lien entre le magnétar SGR 1935+2154 et le SNR G57.2+00.8 serait donc une grande avancée selon Bailes et ses collaborateurs. Outre cette étude complémentaire à mener, la grande collaboration internationale propose bien sûr aussi de suivre du plus près possible tous les magnétars de notre galaxie en multi-longueurs d'ondes, ondes radio et rayons X en premier lieu, seule façon de comprendre la physique des FRB.

Source

Multi-frequency observations of SGR J1935+2154
Matthew Bailes et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 503, Issue 4, (June 2021) 


Illustration

Image en ondes radio obtenue avec MeerKAT de la région entourant le magnétar SGR J1935+2154 (Bailes et al.)

4 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour,

"Silence radio" sur ... les 3 bouffées radio de SGR 1935+2154 observées en mai 2020, l'une par FAST, 2 autres rapportées par Kirsten et al., certes bien plus faibles et sans contrepartie X ou gamma ; est-ce la raison pour laquelle elles semblent avoir disparu du dossier ? Cf le billet du 21/11/20 de ce blog intitulé "le FRB de notre galaxie se répète".

Dr Eric Simon a dit…

le 24 mai est simplement antérieur à la période scannée ici, puis d'autres pulses ont été ensuite détectés en octobre 2020. C'est un silence complet pendant 4 mois. Ils en parlent dans l'article, je cite :
Later in the same campaign, on
2020 May 24, two radio bursts separated by just 1.4 s, which is much
less than the pulse period, were detected at 1.3 GHz with a single
antenna of the Westerbork Telescope, with fluences of 112 ± 22 and
24 ± 5 Jy ms, respectively. This was followed by a lack of reported
pulsed radio emission for almost four months until 2020 October
when the source emitted three radio pulses that were detected by
the CHIME telescope (Good & CHIME/FRB Collaboration 2020)
and which all arrived within one pulse period. (...) It is thus apparent that
SGR J1935+2154 is able to emit radio pulses over a range of pulse
energies spanning nearly seven orders of magnitude and is possibly
transitioning into a radio-loud magnetar.

Pascal a dit…

Merci pour ces précisions ; l'abstract donne l'impression trompeuse qu'il n'y a eu aucun pulse radio depuis le 28/04/2020...

Dr Eric Simon a dit…

Merci pour cette question très pertinente qui m'a permis de préciser les choses.