samedi 4 juin 2022

La vitesse de recul d'un trou noir issu d'une fusion mesurée pour la première fois


Des astrophysiciens viennent de déterminer la vitesse de recul du trou noir résultant d'une fusion de deux trous noirs stellaires détectée par LIGO/Virgo. C'est grâce au signal des ondes gravitationnelles que ce "kick" a pu être estimé pour la première fois, indiquant une vitesse élevée, à même de délier ce trou noir de sa galaxie. L'étude est parue dans Physical Review Letters.

Lorsque deux trous noirs orbitent l'un autour de l'autre. l'autre, ils émettent des ondes gravitationnelles qui transportent de l'énergie et du moment cinétique. C'est ce qui fait que l'orbite se rétrécit dans un processus d'emballement qui culmine dans la fusion des deux trous noirs en un seul trou noir résiduel. Et les ondes gravitationnelles peuvent également, en théorie, ne pas être totalement symétriques, surtout dans le cas où le couple de trous noirs est très différent en masse entre ces deux composants. Dans ce cas, le trou noir résultant récupère une impulsion "natale", un "kick" (coup de pied), qui le propulse dans une certaine direction (la direction opposée à la direction du maximum d'intensité des ondes gravitationnelles). Il n'y a pas que les fortes différences de masse qui devraient produire un kick sur le trou noir résiduel, ça devrait aussi être le cas dans les binaires précessives, dans lesquelles les axes de rotation des deux trous noirs sont inclinés par rapport au moment cinétique orbital (la perpendiculaire au plan de rotation du couple). Pour ces systèmes, les spins individuels interagissent avec le moment cinétique orbital ainsi qu'entre eux, provoquant la précession du plan orbital : le plan orbital du couple oscille, voyant son axe perpendiculaire tourner autour d'une position centrale. Dans une telle configuration, au moment où les deux trous noirs fusionnent entre eux pour n'en former plus qu'un, la théorie de la relativité et les simulations indiquent que ce dernier doit subir un effet de fronde très violente, recevant une impulsion  qui peut produire une vitesse allant jusqu'à 5000 km/s.



GW200129 était un événement gravitationnel de ce type. Les deux trous noirs avaient une masse assez similaire mais des axes de rotation très différents par rapport au plan orbital. Le premier avait une masse de 34,5 masses solaires et le second 28,9 masses solaires, ce qui a produit un trou noir résultant de 60,3 masses solaires (données du catalogue LIGO/Virgo). C'est le premier cas de fusion de trous noirs qui a montré des preuves fortes d'une précession orbitale dans le signal des ondes gravitationnelles émises. 
Vijay Varma (Institut Max Planck pour la physique Gravitationnelle à Potsdam) et ses collaborateurs font une analyse détaillée du signal gravitationnel de GW200129, et, à partir de la détermination précise de la nature et de la valeur de la précession de l'orbite du couple de trous noirs, ils parviennent à en déduire la vitesse du trou noir résultant : elle vaut 1542 km/s, avec une incertitude encore assez importante (-1098 + 747 km/s), mais ils peuvent affirmer avec 90% de confiance que cette vitesse est supérieure à 698 km/s. Cette vitesse est considérable, et elle est surtout supérieure à la plupart des vitesses de libération dans les amas globulaires ou les galaxies. Rappelons que dans notre galaxie là où se trouve le Soleil, la vitesse de libération est de 550 km/s. Au-delà de cette valeur, l'objet qui est animé de cette vitesse est voué à quitter définitivement la galaxie. Les chercheurs calculent que la probabilité est de 0,48% pour que ce trou noir reste lié gravitationnellement dans un amas globulaire et de 7,7% pour qu'il reste lié dans l'amas d'étoiles d'un noyau galactique.
Les kicks des trous noirs ont des implications importantes pour l'astrophysique. Ils doivent exister pour tous les types de trous noirs qui subissent des fusions, non seulement les trous noirs stellaires comme celui produit dans GW200129 mais aussi pour les trous noirs supermassifs. Après une fusion de trous noirs supermassifs, le trou noir résiduel peut ainsi être déplacé du centre galactique, voire éjecté entièrement, ce qui peut avoir un impact sur l'évolution de toute la galaxie.
Pour les trous noirs de masse stellaire comme ceux observés par LIGO, Virgo et KAGRA, les kicks pourraient limiter la formation des trous noirs plus massifs. On sait que les trous noirs de masse supérieure à ∼65 M⊙ sont défavorisés par les simulations de supernova, mais plusieurs spécimens ont été observées dans des événements d'ondes gravitationnelles avant de fusionner et produire des trous noirs encore plus massifs. Cela pourrait s'expliquer par des fusions de deuxième génération, dans lesquelles l'un des composants est lui-même un vestige d'une fusion précédente, et est donc plus massif que les progéniteurs originaux de masse stellaire. Mais si le kick de la première fusion est suffisamment important, le trou noir résultant devrait être éjecté de sa galaxie hôte et ne pourrait donc pas participer à une seconde fusion ultérieure. C'est par exemple le cas de celui mesuré par Varma et ses collègues : il est très peu probable qu'il puisse participer à une seconde fusion dans le futur, vue la vitesse à laquelle il se déplace désormais. L'existence de gros trous noirs d'une soixantaine de masse solaire subissant des fusions indiquerait donc que les précessions orbitales ou les grands ratios de masse seraient plutôt rares, afin d'éviter l'existence de trop nombreux trous noirs à grande vitesse... Ou bien, si les trous noirs véloces sont effectivement nombreux, cela pourrait indiquer que les trous noirs de plus de 60 masses solaires qui produisent des fusions ne seraient pas issus eux-mêmes d'une fusion, mais viendraient d'ailleurs... 
La détermination des impulsions des trous noirs résultant de fusion grâce à l'analyse fine des propriétés des ondes gravitationnelles qui sont à leur origine, comme l'ont fait Varma et son équipe, va sans doute se démocratiser avec les futures données plus sensibles des interféromètres gravitationnels. Elle devrait donc nous éclairer sur l'origine encore mal comprise des trous noirs stellaires de plus 60 masses solaires qui sont observés en train de fusionner par leurs ondes gravitationnelles.

Source

Evidence of Large Recoil Velocity from a Black Hole Merger Signal
Vijay Varma et al.
Physical Review Letters 128, 191102 (12 may 2022)
Illustration

Simulation du mouvement du couple de trou noir lors de la coalescence avant fusion (Varma et al.)


2 commentaires :

Bruno a dit…

Bonjour,

Divagation de novice :
Imaginons un trou noir de masse intermédiaire, ayant subit un kick et qui est lancé à 1500 km/s.
Sur sa trajectoire, une étoile "banale" de 1.5 millions de km de diamètre, se déplaçant à une vitesse beaucoup plus lente.
Si le trou noir vagabond est pile sur le trajectoire de l'étoile, il la "traverse" en environ 16 minutes (Moins d'une heure, c'est déjà une perfomance). Et donc il l'aspire de manière très rapide, avec peu d'accrétion (?). De plus, au fur et à mesure qu'il avance dans l'étoile, le trou noir grossit légèrement.
Cela pourrait être une piste de la disparition inexpliquée d'étoiles que cherche à identifier le projet Vasco.
Mais il y a beaucoup de "si".
Bonne continuation.

L6 Atmo a dit…

@bruno :

1. l'espace entre chaque objet d'une galaxie est tellement grand que la probabilité d'une rencontre TN/étoile, pile à l'intérieur de l'étoile est extrèmement faible
2. un TN s'approchant d'une étoile attirerait forcément la matière de l'étoile avant d'être "en elle" et le disque d'accrétion ainsi formé serait détectable par ses émissions

Donc je dirai que ton hypothèse est peu probable, désolé. En tout cas, merci pour m'avoir rappelé l'existance du projet VASCO.