lundi 8 janvier 2024

Les "îles magiques" des lacs de Titan : de la matière organique poreuse



Les deux énigmes les plus intrigantes concernant les lacs et les mers de Titan sont d'une part le calme extrême de ces lacs, avec des hauteurs de vagues inférieures à quelques millimètres seulement, et d'autre part ce que les planétologues ont nommé les "îles magiques", des caractéristiques transitoires qui ont été observées par le radar de la sonde Cassini, comme des caractéristiques brillantes sur les deux plus grandes mers de Titan, Ligeia Mare et Kraken Mare. Une étude théorique venant d'être publiée dans Geophysical Research Letters s'intéresse aux îles magiques et montre qu'il doit s'agir de matière organique sous diverses formes flottant à la surface de l'éthane liquide. 

Rappelons que Titan, la plus grande lune de Saturne, possède une atmosphère unique qui est capable de transformer des gaz simples comme le méthane et l'azote en composés organiques plus complexes via des réactions photochimiques. Le manque de rugosité de la surface des lacs avait été attribué soit à l'absence de vents dans les régions polaires de Titan, soit à une couche flottante de matériaux sur les lacs de Titan. Quant aux "îles magiques", plusieurs hypothèses plausibles ont également été proposées à partir de 2017, impliquant soit des vagues générées par le vent, soit des solides en suspension, ou des solides flottants, ou encore des barbotages d'azote gazeux. C'est l'épaisse atmosphère de méthane (CH4) et d'azote (N2) de Titan qui permet l'apparition d'une riche photochimie dans sa partie haute insolée. La photochimie conduit à la création d'une myriade de molécules organiques, avec au moins 17 espèces organiques simples en phase gazeuse déjà identifiées.


La complexité croissante des réactions photochimiques conduit finalement à la formation de particules organiques réfractaires complexes, qui constituent les couches de brume caractéristiques de Titan comme l'avaient montré Tomasko et al. en 2005. Après leur formation, ces molécules organiques, étant plus lourdes que l'atmosphère de fond, doivent descendra à travers l'atmosphère de Titan. La forte baisse de température dans la stratosphère de permet à ces molécules de se condenser en liquides ou en glaces, formant des nuages ​​stratosphériques. Et finalement, ces matières organiques se déposent à la surface de Titan, soit dans les zones sèches, soit dans les lacs et les mers.

Xinting Yu (université du Texas) et ses collaborateurs ont exploré ces phénomènes, en étudiant les interactions entre les matériaux solides déposés et les liquides des lacs de Titan. Les solides produits dans l'atmosphère, que ce soient de simples glaces organiques ou des brumes organiques complexes, pourraient atteindre les lacs de Titan par des précipitations ou par des apports fluviaux ou éoliens. Les planétologues se sont intéressés à ce qui arrive aux composés organiques produits dans l'atmosphère lorsqu'ils tombent à la surface de Titan. L'exploration analytique que les chercheurs mènent révèle que la plupart des matières organiques simples qui sont trouvées dans l'atmosphère de Titan, y compris les nitriles, les hydrocarbures à triple liaison et le benzène, atteignent la surface sous forme de solides (des glaces). Quelques composés sont en phase liquide (méthane, éthane, propylène, propane) tandis que seul l'éthylène reste gazeux.

Pour les matières organiques simples qui se retrouvent sous forme de solides, Yu et ses collaborateurs examinent plus en détail quelles sont leurs interactions avec les liquides des lacs de Titan. En utilisant les principes de flottabilité, ils ont découvert que la flottaison peut être obtenue grâce à la porosité de ces matériaux (une porosité allant de 25 à 60 %), ou bien par la force capillaire (pour les glaces de cyanure d'hydrogène sur les lacs riches en éthane).  En évaluant ensuite l'échelle de temps de la flottation de ces glaces, les résultats suggèrent que la flottation induite par la porosité de grains de taille millimétrique ou plus est le seul mécanisme plausible permettant d'expliquer le phénomène transitoire des « îles magiques » sur les lacs de Titan.

L'importance de comprendre le sort des matières organiques à la surface de Titan est liée à la prochaine mission Dragonfly de la NASA, qui devrait arriver sur Titan en 2034. La mission explorera principalement les matériaux de la surface de Titan dans la région équatoriale, où les surfaces sèches dominent. Il est donc crucial d’identifier à l'avance la gamme de matériaux qui sont susceptibles de s’y trouver et leurs phases associées. Les espèces déposées à la surface du satellite saturnien , existant sous forme solide ou liquide, pourraient en outre interagir pour former ce qu'on appelle des cryominéraux tels que des co-cristaux, un sujet de recherche très actif actuellement. 


Source

The Fate of Simple Organics on Titan's Surface: A Theoretical Perspective

Xinting Yu, et al.

Geophysical Research Letters (04 January 2024)

https://doi.org/10.1029/2023GL106156


Illustrations

1. Titan imagé par Cassini lors de son dernier survol (NASA/JPL-Caltech/ASI/University of Arizona/Cornell)

2. Les îles magiques de Titan (NASA/JPL-Caltech/ASI/University of Arizona/Cornell)

3. Xinting Yu


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