Les deux énigmes les plus intrigantes concernant les lacs et les mers de Titan sont d'une part le calme extrême de ces lacs, avec des hauteurs de vagues inférieures à quelques millimètres seulement, et d'autre part ce que les planétologues ont nommé les "îles magiques", des caractéristiques transitoires qui ont été observées par le radar de la sonde Cassini, comme des caractéristiques brillantes sur les deux plus grandes mers de Titan, Ligeia Mare et Kraken Mare. Une étude théorique venant d'être publiée dans Geophysical Research Letters s'intéresse aux îles magiques et montre qu'il doit s'agir de matière organique sous diverses formes flottant à la surface de l'éthane liquide.
Rappelons que Titan, la plus grande lune de Saturne, possède une atmosphère unique qui est capable de transformer des gaz simples comme le méthane et l'azote en composés organiques plus complexes via des réactions photochimiques. Le manque de rugosité de la surface des lacs avait été attribué soit à l'absence de vents dans les régions polaires de Titan, soit à une couche flottante de matériaux sur les lacs de Titan. Quant aux "îles magiques", plusieurs hypothèses plausibles ont également été proposées à partir de 2017, impliquant soit des vagues générées par le vent, soit des solides en suspension, ou des solides flottants, ou encore des barbotages d'azote gazeux. C'est l'épaisse atmosphère de méthane (CH4) et d'azote (N2) de Titan qui permet l'apparition d'une riche photochimie dans sa partie haute insolée. La photochimie conduit à la création d'une myriade de molécules organiques, avec au moins 17 espèces organiques simples en phase gazeuse déjà identifiées.
Pour les matières organiques simples qui se retrouvent sous forme de solides, Yu et ses collaborateurs examinent plus en détail quelles sont leurs interactions avec les liquides des lacs de Titan. En utilisant les principes de flottabilité, ils ont découvert que la flottaison peut être obtenue grâce à la porosité de ces matériaux (une porosité allant de 25 à 60 %), ou bien par la force capillaire (pour les glaces de cyanure d'hydrogène sur les lacs riches en éthane). En évaluant ensuite l'échelle de temps de la flottation de ces glaces, les résultats suggèrent que la flottation induite par la porosité de grains de taille millimétrique ou plus est le seul mécanisme plausible permettant d'expliquer le phénomène transitoire des « îles magiques » sur les lacs de Titan.
L'importance de comprendre le sort des matières organiques à la surface de Titan est liée à la prochaine mission Dragonfly de la NASA, qui devrait arriver sur Titan en 2034. La mission explorera principalement les matériaux de la surface de Titan dans la région équatoriale, où les surfaces sèches dominent. Il est donc crucial d’identifier à l'avance la gamme de matériaux qui sont susceptibles de s’y trouver et leurs phases associées. Les espèces déposées à la surface du satellite saturnien , existant sous forme solide ou liquide, pourraient en outre interagir pour former ce qu'on appelle des cryominéraux tels que des co-cristaux, un sujet de recherche très actif actuellement.
Source
The Fate of Simple Organics on Titan's Surface: A Theoretical Perspective
Xinting Yu, et al.
Geophysical Research Letters (04 January 2024)
https://doi.org/10.1029/2023GL106156
Illustrations
1. Titan imagé par Cassini lors de son dernier survol (NASA/JPL-Caltech/ASI/University of Arizona/Cornell)
2. Les îles magiques de Titan (NASA/JPL-Caltech/ASI/University of Arizona/Cornell)
3. Xinting Yu
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