lundi 29 janvier 2024

𝜔 Centauri : un coeur en contre-rotation et un trou noir introuvable


𝜔 Centauri est considéré comme l'amas globulaire le plus massif de la Voie lactée et probablement l'ancien amas d'étoiles nucléaires d'une galaxie accrétée par la Voie Lactée. On suppose, d'après plusieurs modèles dynamiques, qu'il contient un trou noir de masse intermédiaire (plus de 1000 masses solaires). Aujourd'hui, une équipe d'astrophysiciens vient de découvrir que les étoiles formant le coeur de 𝜔 Centauri tournent dans l'autre sens que le reste des étoiles de l'amas, ce qui permet de mieux situer où se trouve le centre géométrique de 𝜔 Centauri, et de chercher son trou noir massif... L'étude est parue dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society

Les incertitudes concernant la localisation du centre de 𝜔 Centauri ont toujours limiter la robustesse des détections de trou noir intermédiaire qui ont été rapportées depuis quelques années. Renuka Pechetti (université de Liverpool) et ses collaborateurs ont étudié la cinématique stellaire dans 𝜔 Centauri à partir des données spectroscopiques à la plus haute résolution en utilisant MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer) sur le Very Large Telescope, en mode champ étroit (NFM) et en mode champ large (WFM).
Les données exceptionnelles enregistrées près du centre de l'amas d'étoiles révèlent pour la première fois que les étoiles situées dans les 20" internes (∼0.5 pc) sont en contre-rotation par rapport à la rotation globale de l'amas. Les astrophysiciens utilisent cet ensemble de données pour mesurer la rotation et le profil de dispersion des vitesses dans la ligne de visée jusqu'à 120′′, en considérant différents centres géométriques proposés dans des études antérieures. 
Ils ont extrait les vitesses dans la ligne de visée de 28 108 étoiles. Le jeu de données est de la plus haute résolution jamais obtenue pour les 20′′ du centre de l'amas, avec une résolution spatiale de 25 ms d'arc seulement. 
Sur la base de la contre-rotation observée, Pechetti et ses collaborateurs déterminent un centre cinématique. Le centre que Pechetti et al. trouvent en se basant sur la contre-rotation est le plus proche (∼5 ′′) de ce qu'avaient trouvé Van der Marel et collaborateurs en 2010, tandis que le centre qu'ils trouvent basé sur le pic de dispersion de vitesses s'avère proche (∼2.5′′) du centre qu'avaient trouvé Noyola et al. en 2010 également. Les deux centres de Pechetti et al. se trouvent décalés de ∼10′′, soit ∼0,25 pc. Les chercheurs ont comparé les centres de 𝜔 Centauri qi avaient proposés par Noyola, Gebhardt et Bergman en 2008, par Noyola et al., puis Van der Marel en 2010, avec le leur et ils ont utilisé ces centres pour dériver les profils radiaux pour les rotations et les dispersion : Pechetti et son équipe trouvent des tendances similaires dans les profils de dispersion pour différents centres.

Une fois déterminé un centre géométrique, si il existe un trou noir de masse intermédiaire, il doit se trouver là. Pour rechercher les signes de la présence d'un tel trou noir de masse intermédiaire, les chercheurs surveillent la vitesse des étoiles qui se trouvent autour de ce point. Si trou noir il y a, il devrait exister des étoiles à grande vitesse. Mais Pechetti et ses collaborateurs ne trouvent pas de valeurs de vitesses significativement supérieures à 62 km/s dans les 20′′ centrales autour du centre géométrique déterminé. Pour les chercheur, cette absence d'étoile à grande vitesse serait cohérente avec l'absence de gros trou noir au centre de 𝜔 Centauri... Mais les chercheurs ne perdent pas espoir, ils précisent que cela n'exclut pas complètement l'hypothèse du trou noir de masse intermédiaire, car, selon eux, une masse plus faible du trou noir pourrait entraîner la non-détection d'étoiles à grande vitesse.

En supposant que le centre de 𝜔 Centauri contienne un trou noir d'une masse de 47000 M⊙, sa sphère d'influence serait de 15′′, soit la région de la contre-rotation. Pechetti et ses collaborateurs évoquent ensuite une possibilité intéressante pour expliquer la contre-rotation observée, qui serait l'existence d'un système de trous noirs massifs binaire au centre de l'amas. Les simulations de rencontres à trois corps de Mapelli et al. en 2005 montraient qu'une fraction importante des étoiles (55-70%) a tendance à
aligner son moment cinétique sur celui du trou noir binaire. Dans le cas de 𝜔 Centauri, si la rotation orbitale du système de trous noirs massifs binaire est désalignée par rapport à la rotation globale, il y a une probabilité de trouver des étoiles alignées sur la rotation du couple binaire et donc en contre-rotation. Mais, pour les auteurs, il est peu probable que ce cas explique le décalage qu'ils observent entre le pic de dispersion de vitesse et le centre de la contre-rotation.

Pour Pechetti et al., un scénario qui pourrait expliquer le décalage entre le centre de la contre-rotation et le pic de dispersion de vitesse serait la présence d'un trou noir massif errant. L'explication d'un trou noir errant n'est pas très improbable bien que des simulations plus détaillées adaptées à 𝜔 Centauri seraient nécessaires pour étudier ce scénario.

Une autre piste vient du phénomène de fusion galactique. Plusieurs études de galaxies de type précoce montrent qu'une fraction des galaxies contiennent des noyaux cinématiquement découplés. Il s'agit des noyaux de galaxies qui ne sont pas alignés sur la rotation globale de la galaxie, ce qui est généralement la conséquence d'une fusion antérieure. Par exemple, l'amas stellaire nucléaire de NGC 404 est en contre-rotation par rapport à la galaxie, et on pense que ce serait dû à une fusion avec une galaxie naine riche en gaz il y a environ 1 Gigannée. C'est également confirmé par les jeunes étoiles qui se trouvent 
près du centre de cette galaxie. De nombreuses galaxies sont également observées avec ce comportement, comme NGC 4150, NGC 3032, ou NGC 4382. Certains amas globulaires, comme M15, qui est ce qu'on appelle un amas à noyau effondré, et M53 ont également été observés comme ayant un axe de rotation interne non aligné avec la rotation externe, de façon similaire à 𝜔 Centauri.
Si 𝜔 Centauri a été formé par des fusions d'amas globulaires, il est possible que ce type de cinématique variée se produise vers le centre. Comme le temps de relaxation de 𝜔 Centauri est de 9,6 Gigannées, il est possible que des caractéristiques cinématiques primordiales soient encore observables aujourd'hui. Mais les astrophysiciens notent que le temps de relaxation près du centre de l'amas serait beaucoup plus court, et donc une contre-rotation centrale initiale aurait été effacée. 

Les données de Gaia ont été utilisées pour retracer l'origine de 𝜔 Centauri. Plusieurs études ont suggéré qu'il s'agissait de l'ancien noyau de la galaxie 𝐺𝑎𝑖𝑎-Encelade/Sausage. S'il y a eu de fortes interactions de marée dans le passé, il est possible que le noyau et son trou noir aient été décalés par rapport à la rotation globale. Si le décalage du noyau est une empreinte de cette interaction de marée, cet effet de marée a dû agir dans la direction nord-sud, par exemple lorsque 𝜔 Centauri est passé devant le disque de la Voie Lactée, puisque Pechetti et al. observent la contre-rotation allongée dans cette direction.

Les études récentes de Tiongco et al. (2018 et 2022) ont utilisé des simulations 𝑁-Corps pour suivre l'évolution d'amas d'étoiles en rotation en présence d'un champ de marée externe. Ils ont trouvé que la dynamique à l'intérieur de l'amas est perturbée par le champ de marée, principalement un couple de marée provenant de la galaxie hôte qui affecte la rotation interne de l'amas et introduit une précession de l'axe de rotation de l'amas. En général, les régions internes sont dominées par la rotation natale de l'amas qui dépend des conditions initiales, tandis que la précession est introduite dans les parties extérieures de l'amas. Au fur et à mesure que l'amas évolue, une variation radiale de l'axe de rotation est observée et, en fonction de la rotation intrinsèque initiale, elle peut conduire à une contre-rotation dans l'amas. En comparaison, la précession devrait être observée dans les parties extérieures de l'amas qui sont au-delà du rayon de demi-masse de l'amas (10,4 pc), alors que la contre-rotation est observée dans la partie centrale de 20′′ (0.5 pc). Il est donc très peu probable que la contre-rotation observée soit causée par des effets de marée, selon les chercheurs.

Pour essayer de tirer tout ça au clair, la prochaine étape consistera à modéliser la cinématique des étoiles de 𝜔 Centauri à l'aide de modèles dynamiques. Cela permettrait de contraindre la masse du trou noir dans l'amas. La mise en place de ce modèle est cependant difficile en raison de la contre-rotation, de son décalage par rapport au pic de dispersion, et globalement, de la cinématique externe qui peut dominer le champ de rotation. Mais les chercheurs restent toujours optimistes. 

Source

ω Centauri: A MUSE discovery of a counter-rotating core 
Renuka Pechetti et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (27 January 2024)


Illustrations

1. Omega Centauri (ESO)
2. Champs stellaires imagés avec MUSE (Pechetti et al.)
3. Cartographies des vitesses stellaires et des dispersions de vitesse (Pechetti et al.) 


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