On sait que les étoiles à neutrons et les trous noirs de masse stellaire sont les vestiges d'explosions d'étoiles massives et que la plupart des étoiles massives résident dans des systèmes binaires. Mais les preuves directes de la formation d'un objet compact lors d'une explosion de supernova dans un système binaire font encore défaut actuellement. Mais la supernova à enveloppe dénudée nommée SN 2022jli, qui présente des oscillations périodiques de 12,4 jours dans sa courbe de lumière décroissante change les choses.
SN 2022jli a été découverte par l'astronome amateur Libert Monard le 5 mai 2022. Elle a été classée comme supernova de type Ic. L'explosion de la supernova s'est produite dans le bras spiral d'une galaxie proche, NGC 157, à une distance de 22,5 mégaparsecs. Depuis l'explosion, de nombreuses données de suivi en photométrie et spectroscopie ont été obtenues, notamment la mesure de la vitesse d'expansion des éjectas (environ 8 200 km s-1) à partir des minima d'absorption des raies du fer ionisé Fe II qui sont proéminentes.
En octobre dernier, Thomas Moore et ses collaborateurs parvenaient à expliquer les oscillations de la courbe de lumière de SN 2022jli par une interaction potentielle de l'étoile à neutrons résiduelle de l'explosion avec l'enveloppe gazeuse éjectée par une étoile compagne. Mais une solution plus simple avait finalement leurs faveurs, celle de l'interaction des éjectas de la supernova avec des coquilles de gaz multiples et concentriques.
Aujourd'hui, Ping Chen (Institut Weizmann, Israël), et ses collaborateurs, grâce à de multiples observations de SN 2022jli, arrivent à la conclusion que c'est la première hypothèse de Moore et al. qui serait la bonne : c'est à dire celle d'une accrétion périodique de gaz par l'astre compact issu de la supernova, traversant périodiquement l'enveloppe de gaz d'une étoile compagne gonflée. Les chercheurs détectent en effet une émission étroite de la raie Hα dans des spectres tardifs, avec des changements de vitesse périodiques concordants, qui selon eux provient très probablement de l'hydrogène gazeux extrait d'une étoile compagne et qui est accrété sur le résidu compact. Chen et ses collaborateurs montrent que la luminosité de l'émission étroite Hα suit de près l'évolution de la luminosité globale de la supernova, même pendant la phase de transition lorsque la luminosité de la supernova montre une amélioration avant de plonger. Cela signifie que l’émission Hα partage la même origine que l’excès de luminosité de la supernova, ce qui implique que cette raie de l'hydrogène provient également de la région centrale du système. Et une étoile compagne avec une enveloppe riche en hydrogène est nécessaire pour fournir l’hydrogène, ce qui corrobore l’existence d’un système binaire.
D'autre part, le télescope gamma Fermi-LAT a détecté une source de rayons gamma qui semble cohérente dans le temps et avec la position SN 2022jli. La source de rayons gamma est détectée uniquement après l'explosion de la supernova, il n'y a eu aucune détection à cette position au cours des 13,5 dernières années de données d'archives avant l'explosion de la supernova. SN 2022jli se trouve dans la zone de localisation de confiance de 68 % de la source gamma détectée, et le temps de détection des photons gamma de la source montre une corrélation avec l'oscillation du flux optique de 12,4 jours. La coïncidence temporelle et spatiale, ainsi que la périodicité potentielle, suggèrent une association de l'émission de rayons gamma avec SN 2022jli. La source est détectée de manière plus significative dans la bande d'énergie de 1 à 3 GeV en novembre et décembre 2022. Chen et ses collaborateurs estiment que l'émission de rayons gamma n'a été détectée que plusieurs mois après l'explosion de la supernova en raison des opacités élevées pour les photons gamma énergétiques juste après l'explosion, faisant de la production de paires électron/positrons. Et l’émission de rayons gamma observée tombe en dessous de la sensibilité de Fermi-LAT fin décembre 2022, soit 1 mois avant la chute rapide du flux optique.
Les propriétés observées de SN 2022jli, notamment les oscillations périodiques dans la courbe de lumière optique, le déplacement cohérent de l'émission Hα et les preuves d'association avec une source de rayons γ, suggèrent l'explosion d'une étoile massive dans un système binaire laissant derrière elle un résidu compact qui est resté lié gravitationnellement à son étoile compagne d'origine. L'accrétion de masse de l'étoile compagne sur l'objet compact (étoile à neutrons ou trou noir) alimenterait la courbe de lumière de la supernova et génèrerait l'émission de rayons γ par exemple par la production d'un jet lors de l'accrétion de gaz. Ce scénario implique en revanche que l'orbite de l'étoile compagne autour de l'astre compact soit suffisamment excentrique.
Selon les chercheurs, les propriétés sans précédent de SN 2022jli indiquent que tout ce qui se passe dans le système devrait être un phénomène rare, ce qui pourrait s'expliquer par la rareté d'un système binaire lié survivant à une explosion de supernova. SN 2022jli fournit aujourd'hui des preuves observationnelles directes de la survie de ce système binaire après une explosion de supernova. Ce faisant, SN 2022jli permet d'établir un lien direct entre l'explosion d'une supernova de type Ic et la formation d'un objet compact. Et cela met en évidence l’importance de l’interaction entre l’étoile compagne et l’objet compact nouvellement formé pour façonner l’apparence d’une supernova à effondrement de coeur.
Source
A 12.4-day periodicity in a close binary system after a supernova
Ping Chen, et al.
Nature volume 625 (10 january 2024)
https://doi.org/10.1038/s41586-023-06787-x
Illustrations
1. Localisation de SN 2022jli dans la galaxie NGC 157 (Transient Name Server)
2. Courbe de lumière de SN 2022jli en multibande (Chen et al.)
3. Ping Chen
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