Un groupe d'astrophysiciens a découvert par hasard une galaxie naine quasi invisible tellement elle possède peu d'étoiles. Cette galaxie, qui a été nommée Nube ("nuage" en espagnol), est ultra-diffuse mais bien grande et possède une bonne quantité de masse invisible, ce qui permet de contraindre les caractéristiques de la matière noire. L'étude est parue dans Astronomy&Astrophysics.
Mireia Montes (Instituto de Astrofísica de Canarias) et ses collaborateurs ont découvert la galaxie ultra-diffuse qui est la plus grande jusqu'à présent. Les astrophysiciens ont utilisé le Green Bank Telescope et le Gran Telescopio Canarias. Le nom Nube a été suggéré par la fille de 5 ans de l'un des chercheurs du groupe et est dû à l'apparence diffuse de l'objet. Sa luminosité superficielle est si faible qu'elle était passée totalement inaperçue lors des différents relevés précédents de cette partie du ciel... En effet, ses étoiles sont si dispersées dans un si grand volume que Nube (nuage en espagnol) était presque indétectable.
Cette galaxie nouvellement découverte possède un ensemble de propriétés spécifiques qui la distinguent des autres galaxies ultra-diffuses connues. Cette galaxie fait un tiers de la taille de la Voie lactée, mais a une masse similaire à celle du Petit Nuage de Magellan.
C'est lors d'une des révisions des données du Sloan Digital Sky Survey que les chercheurs ont remarqué une légère tache qui semblait suffisamment intéressante pour lancer un projet de recherche dessus.
L'étape suivante consistait à utiliser des images ultra-profondes du Gran Telescopio Canarias, pour confirmer que cette zone de l'enquête n'était pas une erreur dans les données, mais qu'il s'agissait d'un objet extrêmement diffus. En raison de sa très faible luminosité, Montes et ses collaborateurs ont dû utiliser le Green Bank Telescope aux États-Unis pour estimer la distance de Nube. Ils trouvent une valeur de 107 Mpc (350 millions d'années-lumière). Les observations multibandes ultra-profondes avec le Gran Telescopio Canarias de 10,4 m favorisent un âge de 10 Gigannées environ et une métallicité de [Fe/H] ∼ −1,1. Avec une masse stellaire de 390 millions M⊙ et un rayon effectif de 6,9 kpc (correspondant à une densité surfacique effective de ⟨Σ⟩e ∼ 0,9 M⊙ pc−2 ), Nube est la galaxie de ce type la plus massive et la plus étendue découverte jusqu'à présent.
Sa masse totale, (masse dynamique) comprenant son halo de matière noire, que Montes et ses collaborateurs déterminent vaut 26 ± 17 milliards M⊙ dans un rayon de 20,7 kpc. Elle est dix fois moins lumineuse et a un rayon effectif trois fois plus grand que les galaxies ultra-diffuses typiques avec des masses stellaires similaires. Les galaxies avec une luminosité de surface effective comparable au sein du groupe local ont une masse très faible (quelques millions de M⊙ seulement) et des structures compactes (un rayon effectif Re < 1 kpc).
La règle générale est que les galaxies ont une densité d’étoiles beaucoup plus grande dans leurs régions internes, et que cette densité diminue rapidement à mesure que l’on s’éloigne du centre. Mais avec Nube, la densité des étoiles varie très peu dans tout l'objet, c'est pourquoi elle est si faible. Compte tenu des propriétés extrêmes de Nube, Montes et ses collaborateurs cherchent à savoir si ces propriétés sont le résultat de la formation originale de cette galaxie ou bien si elles sont dues à un processus évolutif ultérieur qui serait provoqué par l'environnement dans lequel elle se trouve. Les chercheurs évaluent deux alternatives : premièrement si Nube peut être considérée comme une galaxie naine de marée, et deuxièmement, si elle serait née avec une densité stellaire typique des galaxies naines de même masse stellaire mais aurait été déformée par l'environnement dans cette structure particulière. L'une ou l'autre de ces deux possibilités devrait pouvoir expliquer les populations stellaires de Nube et sa morphologie actuelle. Mais Mireia Montes et ses collaborateurs montrent qu'aucune de ces hypothèses ne tient vraiment la route.
Les simulations cosmologiques sont incapables de reproduire ses caractéristiques extrêmes, même sur la base de différents scénarios, prenant notamment en compte la rétroaction baryonique. Les galaxies simulées par TNG50 ou NIHAO avec des masses stellaires d'environ 100 millions M⊙ et des halos de matière noire d'environ 10 milliards M⊙, comme Nube, ont toutes des rayons effectifs inférieurs à 5 kpc, ce qui est plus petit que celui qui est mesuré pour Nube.
Ces simulations sont fondées sur une matière noire de type "froide" (des particules massives), or les chercheurs notent que la structure très étendue et aplatie de Nube serait cohérente avec un scénario dans lequel les particules de matière noire sont des axions ultralégers d'une masse de l'ordre de 10−23 eV. On parle de "matière noire floue" car en raison de la très petite masse de ces particules (10−22 eV ou moins), les effets quantiques devraient apparaître à l'échelle du kiloparsec (c'est-à-dire galactique). Dans ce cas, Les particules ultralégères devraient générer une distribution centrale appelée soliton, une sorte de gros noyau, suivi d'un profil plus classique de type Navarro-Frencke-White dans les parties externes.
Le profil de densité du soliton peut être bien approximé par une formule qui dépend de la masse de la particule de matière noire et du rayon du noyau où la densité a chuté à la moitié de sa valeur maximale. Bar et coll. avaient démontré en 2018 que si le rayon du noyau et la masse du halo de matière noire sont connus, la masse de la particule de matière noire peut être estimée. Pour déterminer approximative le rayon du noyau, Montes et ses collaborateurs supposent que la distribution stellaire suit la forme du soliton de matière noire. Il s’agit d’une hypothèse raisonnable, puisque la matière noire est le composant dominant générant le potentiel gravitationnel global.
La densité surfacique de masse stellaire de Nube correspond très bien au profil de densité du soliton, et en utilisant cela, les chercheurs obtiennent une valeur du rayon de 6,6 ± 0,4 kpc. La masse de la particule de matière noire qui est compatible avec ce rayon central du soliton du halo sombre de Nube est m=0,8 (+0,4/-0,2) 10−23 eV.
Montes et son équipe comparent ensuite la valeur trouvée pour cette masse de l'axion ultra-léger avec d'autres études. En utilisant les courbes de rotation galactique, Bernal et coll. ont trouvé en 2018 une valeur moyenne de 0,5 10−23 eV, tandis que Bañares-Hernández et al. eux ont dérivé en 2023 m∼ 2 × 10−23 eV. Ces valeurs sont en bon accord avec l'estimation de Montes et al. utilisant uniquement les propriétés structurelles de la galaxie Nube. Par ailleurs, en analysant la dispersion de vitesse des galaxies naines Fornax et Sculptor, González-Morales et al. avaient trouvé en 2017 une limite supérieure de la masse de l'axion de 4 10−23 eV, là encore compatible. Et sur la base de l'échelle angulaire des pics acoustiques et des anisotropies du CMB, Hložek et al. ont dérivé en 2018 une limite inférieure de m de 0,1 10−23 eV, donc toujours compatible avec 0,810−23 eV.
Mais Montes et collaborateurs mentionnent également les valeurs qui sont incompatibles et notent que la situation est loin d'être claire. Pour n'en nommer que quelques-unes, Chen et coll. (2017) , en utilisant une analyse des galaxies naines de la Voie lactée, trouvaient m = (17,9 ± 3,3) 10−23 eV. Et Chiang et coll. (2023), par l'analyse de l'échauffement stellaire du disque de la Voie Lactée avaient suggéré une limite inférieure pour m de 4 10−23 eV (4 fois plus élevée que la valeur de Montes et al.). Et puis Dalal & Kravtsov (2022) suggéraient, eux, que la taille et la cinématique stellaire des galaxies naines ultrafaibles impliquaient une limite inférieure pour m qui serait 3 10−19 eV. (30 000 fois plus élevée que la valeur de Montes et al).
Bien que la solution de la matière noire floue sous forme d'axions ultra-légers soit séduisante et puisse atténuer certaines des tensions à petite échelle qui apparaissent dans le scénario de matière noire froide, Montes et ses collaborateurs reconnaissent que des travaux supplémentaires sont nécessaires pour évaluer ce modèle. Nube n'est peut être que la première grande galaxie ultra-diffuse à avoir été découverte...
Source
An almost dark galaxy with the mass of the Small Magellanic Cloud
Mireia Montes et al.
Illustrations
1. Nube détectée par Montes et al. (Mireia Montes et al.)
2. Comparaison des propriétés structurelles de Nube avec celles d'autres galaxies ultra-diffuses (Montes et al.)
3. Densité surfacique de masse stellaire comparée au profil de soliton qui serait produit par des axions de 0,8 10−23 eV. (Montes et al.)
4. Mireia Montes
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