09/05/17

Alors, matière noire ou pas matière noire ?

Alors qu'il y a quelques jours à peine, je vous relatais des observations réfutant l'explication de l'excès de rayons gamma du centre galactique par l'annihilation de particules massives formant la matière noire, aujourd'hui, deux études indépendantes arrivent à la conclusion inverse, en utilisant l'excès d'antiprotons observé par le détecteur AMS-02.




En plus de donner des photons gamma, l'annihilation de particules massives de plusieurs dizaines de GeV peut produire des paires quark-antiquark. Ces paires de composés hadroniques peuvent ensuite donner différents types d'antiparticules dont des antiprotons. Le détecteur AMS-02, qui est installé depuis 10 ans sur l'ISS est justement dédié à la mesure des flux d'antiparticules qui arrivent continuellement dans ce qu'on appelle le rayonnement cosmique. Et des antiprotons, AMS-02 en détecte un peu trop par rapport à ce à quoi on pourrait normalement s'attendre... 
La plupart des antiparticules du rayonnement cosmique proviennent de phénomènes astrophysiques comme des collisions de protons, électrons ou positrons énergétiques dans le gaz du milieu interstellaire. Prouver que l'excès d'antiprotons observé est dû à des interactions de particules de matière noire est loin d'être aisé.  
Dans la première des deux études parues dans Physical Review Letters, Alessandro Cuoco (Université de Aachen) et ses collaborateurs ont considéré deux scénarios pour tenter de reproduire l'excès d'antiprotons de AMS-02 : le premier avec la présence de particules massives de matière noire et l'autre en l'absence de telles particules. Ils ont conduit des simulations pour les deux cas, en ajustant différents paramètres jusqu'à obtenir le meilleur ajustement possible sur les données du flux d'antiprotons, de protons et de noyaux d'hélium mesurés par AMS-02 ainsi que d'autres expériences de détection de rayonnements cosmiques. Ils trouvent que c'est le modèle avec matière noire (une particule d'environ 80 GeV/c²) qui colle le mieux aux données.  Qui plus est, la section efficace d'annihilation (moyennée par la vitesse) en paires de quarks/antiquarks correspondante est de l'ordre de 3 10-26 cm3/s, qui est justement ce que les physiciens appellent la valeur "thermique", qui est typiquement attendue selon la théorie...  Les chercheurs italien et allemands montrent également que la zone correspondante de l'espace [masse-section efficace] est très proche de celle pouvant être déduite de l'excès de rayons gamma du centre galactique, mais ne se superpose pas tout à fait...

A peine 10 jours auparavant, le 14 octobre 2016, l'éditeur de Physical Review Letters avait reçu un autre manuscrit exposant une analyse différente sur les mêmes données de l'excès d'antiprotons de AMS-02. Il s'agit ici d'une équipe chinoise menée par Ming-Yang Cui (Université de Nanjing). Les chercheurs chinois ont construit leur étude sur des hypothèses différentes. Au lieu de partir d'un a priori sur certains paramètres, ils ont estimé la propagation des antiprotons ainsi que les effets de la modulation de l'activité solaire (ce que ne font pas Alessandro Cuoco et ses collègues), en exploitant des ratios d'abondance observés de noyaux dans le rayonnement cosmique comme le ratio bore/carbone ou encore le flux de protons. 
Les physiciens chinois font tourner leurs simulations et leurs calculs et trouvent eux aussi que l'annihilation d'une particule de masse comprise entre 20 et 80 GeV/c² et avec une section efficace moyennée en vitesse comprise entre 0,2 et 5 10-26 cm3/s colle tout à fait aux observations. Là encore, ces résultats apparaissent quasi-compatibles avec l'excès de rayons gamma du centre galactique, mais aussi avec les faibles émissions gamma qui ont été observées dans les galaxies naines Reticulum 2 et Tucana III.
Le fait que deux analyses très différentes effectuées sur les mêmes données observationnelles arrivent quantitativement à la même conclusion est un fait remarquable, voire troublant. Il est trop tôt pour parler de découverte, mais nul doute que ces résultats vont avoir pour effet de booster les études des excès d'antiparticules détectés par AMS-02 ou d'autres détecteurs embarqués. 

Références 

Novel Dark Matter Constraints from Antiprotons in Light of AMS-02
Alessandro Cuoco et al.
Phys. Rev. Lett. 118, 191102 (9 May 2017)

Possible Dark Matter Annihilation Signal in the AMS-02 Antiproton Data
Ming-Yang Cui et al.
Phys. Rev. Lett. 118, 191101 (9 May 2017)

Illustrations 

Graphes biparamétriques section efficace d'annihilation - masse pour la particule de matière noire : zones les plus probables et zones d'exclusion (Alessandro Cuoco et al.)

3 commentaires :

Pascal a dit…

Le voisinage dans le diagramme section efficace/masse de la zone déduite de l'excès gamma par Fermi et celle de l'excès d'anti-protons par AMS 02 est-il un argument plausible d'une origine commune (une wimp) ou est-il probablement compatible avec des mécanismes différents (pulsars / wimp) ? Autrement dit, remet-il en cause la conclusion de l'article rapporté dans votre billet du 5/05 : excès gamma = pulsars ?

Dr Eric Simon a dit…

Justement, le fait que les zones ne soient pas superposées vont dans le sens de l'étude sur les pulsars disant que l'excès gamma n'est pas dû à des WIMPs. On voit ici que si l'excès gamma était dû à des WIMPs, l'excès d'antiprotons observé pourrait être à peu près compatible avec cette explication. Mais comme les zones ne se superposent pas exactement, on peut donc penser que c'est parce que l'excès gamma est produit par des pulsars... Les auteurs de ces deux publis ne connaissaient pas encore le résultat de Fermi-LAT, et considèrent donc que l'excès gamma est produit par des WIMPs.

Depinoir a dit…

Oui, la matière noire existe, mais elle est ordinaire, simplement accélérée, assez pour que, compte tenu de son éloignement, son rayonnement soit masqué par l'horizon de Rindler provoqué par son accélération, un effet relativiste classique. Lire "La matière noire: substance exotique ou effet relativiste?", publié en 2015 chez Désiris.