vendredi 30 janvier 2015

Il n'y avait pas d'Ondes Gravitationnelles Primordiales dans les données de BICEP2

C'est officiel! Il n'y avait pas de traces d'ondes gravitationnelles primordiales dans les données de BICEP2 dont l'annonce avait fait énormément de bruit en mars 2014, notamment ici... 



Comme on le sait, les collaborations Planck et BICEP2 étaient un peu en froid puis se sont rapprochées pour produire une analyse conjointe de la zone du ciel étudiée par BICEP2 et qui avait mené l'équipe américaine à clamer la découverte de traces d'ondes gravitationnelles primordiales dans le fond diffus cosmologique. Quelques mois après, de sérieux doutes avaient été émis par différents chercheurs, pointant le fait que la poussière galactique pouvait avoir été mal prise en compte par BICEP2, cette poussière qui produit le même type de signal que les hypothétiques ondes gravitationnlles primordiales, une polarisation de modes B de la lumière du fond diffus cosmologique.
Le champ de vue de BICEP2 vu par Planck (contour)
(ESA/Planck Collab. M.-A. Miville-Deschênes, CNRS – IAS
Une fois rapprochés, un peu contraints et forcés par la pression médiatique, les deux équipes ont mis leurs données en commun et ont analysé ensemble la polarisation du fond diffus dans cette petite zone du ciel, avec toutes les données de Planck cette fois. Le résultat est net et sans bavure, en plus d'être officiellement rendu public : toute la polarisation de modes B observée par BICEP2 est produite par la poussière galactique qui se trouve dans le champ de vue, de la poussière de notre galaxie, et rien d'autre! Il n'y a donc toujours pas d'ondes gravitationnelles détectées, et par ricochet, toujours pas de preuve observationnelle de l'existence de l'inflation cosmique, qui était une des conséquences de l'observation putative de ce type d'ondes gravitationnelles...

L'agence spatiale européenne vient de rendre public cette information un peu dans l'urgence le 30 janvier, au lendemain d'une fuite due à un chercheur français, et qui commençait à se répandre comme une traînée de poudre (de poussière ?). 
Dans cette analyse conjointe, les chercheurs ont comparé les données enregistrées par le télescope BICEP2 à la fréquence de 150 GHZ avec celles enregistrées par Planck au même endroit du ciel à la fréquence de 353 GHz, fréquence à laquelle toute polarisation de la lumière ne peut venir que de la poussière. Là où BICEP2 trouvait son plus fort signal de polarisation (attribué aux ondes gravitationnelles) est exactement là où Planck trouve son plus fort signal de polarisation, venant de la poussière, démontrant sans conteste l'erreur d'interprétation initiale de BICEP2.

Le cosmologiste américain Raphael Flauger, qui fut l'un des premiers à émettre de sérieux doutes sur les résultats annoncés de BICEP2 se réjouit de constater que les niveaux de signal dus aux poussières ont été très sous-estimés par BICEP2, exactement comme ce qu'il avait pressenti dans un article publié à la fin du printemps dernier.

John Kovac, le responsable scientifique de l'expérience BICEP2 se défend en disant :"Quand nous avons détecté ce signal pour la première fois dans nos données, nous avons exploité les modèles de poussière galactique disponibles à ce moment là. Ils semblaient indiquer que la zone du ciel que nous avions choisie d'étudier avait une polarisation due à la poussière beaucoup plus faible que le signal détecté."

Heureusement, ces résultats ne disent pas qu'il est impossible de trouver un jour des traces d'ondes gravitationnelles primordiales via la polarisation de modes B du fond diffus cosmologique, juste que BICEP2 ne pouvait pas conclure positivement à cause de bruit galactique d'avant-plan.
Le moyen d'arriver à cette mise en évidence est d'explorer le fond diffus à de multiples longueurs d'ondes, ce qui permet de séparer les composantes du signal précisément. 

Les chercheurs restent donc optimistes, comme toujours...

Source : 
Gravitational waves discovery now officially dead
Ron Cowen
30 January 2015

jeudi 29 janvier 2015

Détection de trois sources gamma en dehors de notre galaxie

C'est donc officiel, il existe désormais un nouveau laboratoire pour étudier les rayons cosmiques : notre galaxie voisine, le Grand Nuage de Magellan. Les astrophysiciens parviennent en effet à étudier directement les rayons gamma qui y sont produits quand des rayons cosmiques interagissent avec du gaz ou des photons de faible énergie, et ce pour différents types de sources. 


Image des sources gamma détectées par H.E.S.S (LAPP/IN2P3)
C'est la collaboration H.E.S.S (High Energy Stereoscopic System) qui vient de publier la semaine dernière des très beaux résultats dans la revue américaine Science. Les astrophysiciens exposent l'observation de trois sources de rayons gamma d'origine différente, ainsi que l'absence d'observation d'une source qui aurait dû être visible... Les trois sources observées sont dans l'ordre une nébuleuse à vent de pulsar nommée N157B, un résidu de supernova (N132D), et ce qu'on appelle une "superbulle", 30 Dor C. L'objet duquel on pouvait s'attendre à observer un signal gamma, mais qui n'est pas vu,  n'est autre que le résidu de la très fameuse supernova SN 1987A, le supernova la plus proche qui a pu être observée à l'époque "moderne". C'est la première fois que l'on parvient à détecter des sources gamma en dehors de notre propre galaxie.

La recherche sur les rayons cosmiques, notamment ceux qui ont une très haute ou une ultra-haute énergie a beaucoup progressé depuis une vingtaine d'années grâce à la mise en place de télescopes dédiés exclusivement à ces rayons gamma. Ces photons gamma qui peuvent avoir une énergie colossale dépassant 10^14 eV sont produits lors de collisions de noyaux d'atomes sur des nuages de gaz (rayons cosmiques hadroniques), ou bien par diffusion Compton inverse d'électrons ou de positrons ultra-relativistes sur des photons à plus basse énergie (rayons cosmiques leptoniques). 
Des études antérieures effectuées avec H.E.S.S pointées vers l'intérieur de notre galaxie avaient pu mettre en évidence de nombreux résidus de supernovas et autres nébuleuses à vent de pulsars émettant des photons gamma de plus de 100 GeV. Cette fois-ci, c'est à l'extérieur de notre Galaxie que H.E.S.S a pu détecter ces trois nouvelles sources gamma clairement identifiées, et plus exactement  dans le grand nuage de Magellan, petite galaxie satellite de la nôtre, visible dans l'hémisphère sud (H.E.S.S est un réseau de détecteurs basé en Namibie depuis 2002, et amélioré en 2012).
Le réseau de réflecteurs de H.E.S.S (Clementina Medina/CEA-Irfu)
Le grand nuage de Magellan, rappelons-le, est une galaxie irrégulière qui a une masse totale de seulement 4% de celle de la Voie Lactée, et est situé à une distance d'environ 180000 années-lumière. Grâce à sa nature, la confusion entre sources gamma est beaucoup moins problématique que lorsque l'on regarde vers le centre de notre galaxie par exemple, les incertitudes sur les distances sont également beaucoup moins importantes.
Les téléscopes gamma comme H.E.S.S possèdent une résolution angulaire de quelques arcminutes, bien meilleure que celle que peut atteindre le télescope Fermi-LAT, qui fut l'un des premiers instruments à détecter des rayons gamma dans le Grand Nuage de Magellan, mais diffus. C'est sa très bonne résolution angulaire qui permet à H.E.S.S d'identifier des sources individuelles.
Ses observations de trois nouvelles sources gamma au sein du Grand Nuage de Magellan permettent d'étendre l'astronomie gamma à haute énergie en donnant des exemples concrets de sources situées en dehors de notre galaxie.
N157B et N132D appartiennent à des classes de sources gamma bien documentées, avec des caractéristiques distinctes, la première est produite par un jeune pulsar énergétique et la seconde est l'un des plus vieux résidus de supernova émetteur gamma. La superbulle 30 Dor C, quant à elle, fournit pour la première fois une signature nette en rayons gamma.

Les observations de la collaboration internationale exploitant le télescope H.E.S.S a porté sur 210 heures d'exposition dans la direction de la nébuleuse de la Tarentule (30 Dor), connue pour être la plus grande région de formation d'étoiles dans l'ensemble des galaxies du Groupe Local, dont fait également partie la Voie Lactée. Les rayons gamma ultra-énergétiques sont détectés par H.E.S.S lorsqu'ils pénètrent dans l'atmosphère. Ils produisent alors des gerbes de particules chargées secondaires, qui elles-mêmes vont produire dans l'atmosphère de la lumière visible par effet Cherenkov. C'est cette lumière que H.E.S.S capte.

Si on s'amuse à retracer les processus physiques qui entrent en jeu entre le résidu de supernova (par exemple) et le miroir de H.E.S.S, on voit toute la difficulté de ces recherches : un électron est accéléré à une vitesse relativiste par le champ magnétique monstrueux d'un pulsar, il rencontre un photon venant d'une étoile voisine, produit sur celui-ci une diffusion Compton inverse en lui transférant une grande quantité d'énergie, le photon, de visible devient brutalement gamma et se trouve dirigé par hasard vers notre galaxie, et plus précisément vers le Soleil, avec la Terre qui passe par là par hasard. Après 180000 ans de parcours, ce photon gamma ultra-énergétique rencontre un atome d'azote avec ses sept protons, ces sept neutrons et ses sept électrons, à 15 km d'altitude dans la haute atmosphère de la Terre, de multiples paires électron-positron sont alors produites, chaque électron ou positron produisant à son tour quantité de photons par rayonnement de freinage, ces photons interagissent à nouveau avec des atomes d'oxygène cette fois-ci pour produire des électrons encore très énergétiques, dont la vitesse est supérieure à celle de la lumière dans l'air, il se produit alors une intense production de lumière bleue sous forme d'un cône de lumière par effet Cherenkov. Ces photons de lumière visible sont très peu absorbés dans l'atmosphère très pure d'Afrique australe et viennent s'écraser sur des miroirs posés là dans la savane par des hommes qui veulent tout savoir sur les résidus de supernova... et qui y parviennent, et même de mieux en mieux.


Source : 
The exceptionally powerful TeV γ-ray emitters in the Large Magellanic Cloud
The H.E.S.S. Collaboration
Science 23 January 2015: Vol. 347 no. 6220 pp. 406-412 

mardi 27 janvier 2015

Découverte des premiers anneaux d’une exoplanète

Des astronomes de l’université de Leiden aux Pays Bas et de l’université de Rochester aux Etats-Unis, viennent de mettre en évidence la structure du premier et du plus vaste anneau entourant une exoplanète. Cette exoplanète s’appelle J1407b et orbite autour d’une petite étoile très jeune du type du soleil, nommée J1407. L’anneau de cette exoplanète, gigantesque, est bien plus grand et massif que celui de notre belle Saturne.


Vue d'artiste du système d'anneaux de J1407b, l'anneau éclipse l'étoile J1407,
permettant sa mise en évidence  (Ron Miller, University of Rochester)
Cet anneau a été découvert en 2012 par Matthew Kenworthy à l’université de Leiden, et depuis, de nouvelles observations et de nouvelles analyses des données montrent comment il est structuré. Ce système contient pas moins de 37 anneaux, chacun d’eux s’étendant sur plusieurs dizaines de millions de kilomètres. Les astronomes ont montré qu’il existait des espacements entre anneaux indiquant la présence probable de satellites, des exolunes.
C’est en traçant la courbe de luminosité de l’étoile J1407 que les astronomes ont pu déceler cette structure stupéfiante : la luminosité de l’étoile variait périodiquement d’un côté puis de l’autre de la planète, montrant la présence des différents anneaux. L’équipe d’astronome a ainsi pu constater des variations lentes sur plusieurs semaines, mais aussi des variations très rapides de l’ordre de la dizaine de minutes, révélant des structures très fines dans les anneaux. Evidemment, le système est trop éloigné pour pouvoir voir l’anneau directement, mais les courbes de luminosité permettent aux astronomes de modéliser à quoi il doit ressembler. Matthew Kenworthy ajoute à titre de comparaison : « Si on remplaçait les anneaux de Saturne par ces anneaux que nous avons découverts, ils seraient très facilement visibles à l’œil nu et seraient plus vastes que plusieurs pleines lunes… ». De fait, même si elle n’a pas pu être observée directement, on sait que J1407b est une planète géante, plus imposante que Jupiter (de 10 à 40 fois plus massive), presque une petite étoile ratée, et ses anneaux sont 200 fois plus grands que ceux de Saturne. Elle tourne autour de son étoile en 10 ans environ.

C’est en analysant les données du projet SuperWASP, un survey qui a pour objectif la détection de planètes géantes transitant devant leur étoile, que Eric Mamajek, Matthew Kenworthy et leurs collègues ont découvert ces éclipses inhabituelles en 2012 et ont dès lors pu proposer l’existence d’un disque de formation d’exolunes.
Au total, le diamètre des anneaux entourant J1407b fait 180 millions de kilomètres et contient une masse de poussières équivalente à la masse de la Terre, rien de moins… Il est si dense que la lumière de l’étoile en arrière-plan peut être obscurcie à 95%. Les astronomes sont sûrs qu’il existe au moins un intervalle clair dans la structure annulaire, laissant la place à un satellite qui aurait la masse d’environ la Terre ou Mars, avec une période orbitale d’environ deux ans. Comme un tel système semble en évolution, les astronomes estiment que ces anneaux devraient s’affiner et se raréfier voire disparaître en quelques millions d’années pour laisser place à des satellites rocheux.

Les planétologues s’accordent à penser que la présence d’anneaux autour de planètes géantes est une phase incontournable dans la formation de satellites, mais J1407b est le premier système de ce type à être observé, en dehors de notre système solaire.
Maintenant, l’équipe de Kenworthy, en plus de creuser les données de J1407b pour en savoir plus sur les propriétés physico-chimiques de ses anneaux, recherchent de nouvelles traces d’éclipses étranges dans les données de vastes catalogues pour dénicher d’autres systèmes à anneaux de ce type. Les éclipses d’anneaux semblent bien être la seule méthode possible pour observer les étapes précoces de la formation d’exolunes.

Source :
Modeling giant extrasolar ring systems in eclipse and the case of J1407b: sculpting by exomoons ?
Matthew A. Kenworthy, Eric E. Mamajek et al.
(Submitted on 22 Jan 2015)

accepté pour publication in the Astrophysical Journal.

dimanche 25 janvier 2015

Matière Noire : La recherche très indirecte de WIMPs par Fermi-LAT

L'autre façon de détecter la présence de matière noire sous forme de WIMPs (weakly interacting massive particles), concurrente et complémentaire de la méthode directe (par des détecteurs sous-terrains et le LHC), c'est de chercher des signes d'annihilation de ces particules, qui prennent la forme de rayons gamma en provenance de notre galaxie ou des autres. Le télescope spatial Fermi-LAT est justement spécialisé dans la détection de rayons gamma très énergétiques et permet ce type de recherche. La collaboration qui l'exploite vient tout juste de publier ses tout nouveaux résultats...



vue d'artiste du satellite Fermi-LAT (Fermi collaboration)
Ces nouveaux résultats d'observation publiés sur le site de preprints Arxiv dans un article très technique de 43 pages et destiné à être soumis au Journal of Cosmology and Astropaticle Physics concernent la recherche de rayons gamma ayant une énergie particulière au sein de ce qu'on appelle le fond gamma isotrope (isotropic gamma-ray background, IGRB). Ce fond gamma diffus provient non pas de notre galaxie, mais du milieu intergalactique, des autres galaxies. C'est le rayonnement gamma qui reste une fois que l'on a soustrait les rayons gamma des sources individuelles bien identifiées. Il a été découvert en 1978 grâce au satellite SAS-2 puis confirmé 20 ans plus tard par le satellite EGRET. 

Les données consistent en l'accumulation de 50 mois de données d'observations du télescope Fermi-LAT (Large Area Telescope) de photons gamma à partir de 20 MeV et montant jusqu'à une énergie de 820 GeV. La collaboration du même nom, Fermi-LAT, a ainsi pu montrer l'absence de signe d'un signal provenant d'annihilations de WIMPs dans ce fond gamma isotrope. L'annihilation des WIMPs est étudiée ici non par par la production directe de photons gamma dans l'annihilation des neutralinos entre eux (qui seraient leur propre antiparticule), mais via la production au cours de cette annihilation de couples de particules/antiparticules, qui vont ensuite produire des rayons gamma. On est là vraiment dans la détection indirecte. Les "canaux" d'annihilation, comme les appellent les physiciens des particules sont les canaux b/anti-b et tau+/tau-.

Principe de fonctionnement du LAT (CENBG/IN2P3)
Mais bien sûr, ce résultat négatif est très intéressant, car il permet de fixer des contraintes supplémentaires sur les caractéristiques de ces hypothétiques WIMPs, notamment dans ce signal particulier du fond gamma provenant de toutes les directions du ciel. Comme le signal potentiellement attendu (et non vu) dépend à la fois du comportement cosmologique de la matière noire (comment elle se regroupe), et des caractéristiques propres de la particule WIMP, l'information, aussi bien positive que négative est très riche. Elle est ici négative et permet donc de fixer des limites fortes dans les modèles de matière noire.

Les limites que les physiciens des astroparticules parviennent ainsi à fixer s'appliquent pour des masses de WIMPs s'étendant de quelques GeV jusqu'à plusieurs dizaines de TeV et sont les meilleures limites obtenues à ce jour pour ces niveaux d'énergie de l'ordre du TeV. De plus, l'équipe internationale a pu quantifier en détail les incertitudes associées à ce type de signal, ce qui est une avancée majeure.
A une masse de WIMP de 10 GeV, la limite de la section efficace d'annihilation trouvée grâce à ces nouvelles observations atteint celle qui correspond au modèle de WIMP si elle est une relique thermique, ce qui est le modèle le plus couramment admis. 
Pour finir leur article, les physiciens de Fermi-LAT mettent en garde sur l'extrême complexité de ces mesures et des conclusions que l'on en tire. Ils listent l'étendue des incertitudes en jeu, qui sont classées en trois familles : 

  1. la prédiction théorique de l'intensité du signal d'annihilation attendu, qui dépend à la fois du modèle d'accumulation de matière noire (avec un facteur 20 d'incertitude) et aussi du nombre de sous-structures existant dans les galaxies (facteur 3 d'incertitude);
  2. la modélisation de la contribution des sources gamma extragalactiques non-résolues dans le signal d'IGRB, qui peut atteindre un écart d'un facteur 3 à 26 selon la masse de WIMP considérée;
  3. la modélisation de l'émission diffuse galactique, qui peut induire des variations d'un facteur 3 sur les limites dérivées.

Fermi-LAT ne voit donc pas de traces de WIMPs dans le fond gamma isotrope, et permet de déterminer de nouvelles limites contraignantes à partir de ces mesures, mais les incertitudes sont multiples et importantes, ce qui fait dire aux physiciens de la collaboration Fermi-LAT que cette source de rayonnements gamma (l'IGRB, le fond gamma isotrope) ne devrait pas être utilisée seule pour chercher un signal de WIMPs. En complément d'autres types mesures et pour contraindre les modèles, elle s'avère en revanche fort utile, mais il faudra attendre de beaucoup mieux connaître certaines caractéristiques de notre Galaxie et des sources gamma "classiques" pour réduire drastiquement les incertitudes et pouvoir utiliser l'IGRB dans une recherche d’événements gamma en excès, signant sans coup férir la présence d'annihilations de WIMPs.

Source : 
Limits on Dark Matter Annihilation Signals from the Fermi LAT 4-year Measurement of the Isotropic Gamma-Ray Background
The Fermi LAT Collaboration,
Soumis à Journal of Cosmology and Astroparticle  Physics (22 January 2015)

jeudi 22 janvier 2015

Les galaxies ensemencent l’univers en métaux

Deux études différentes viennent de paraître et arrivent à la même conclusion : le milieu situé entre les galaxies (le milieu intergalactique) est rempli d’atomes lourds, sous forme de gaz ou grains de poussières, alors que ces atomes sont produits au cœur des étoiles qui sont elles situées à l'intérieur des galaxies…


Illustration du phénomène d'ensemencement en métaux et
la méthode d'observation (Nature)
Tous les éléments plus lourds que l’hélium : carbone, oxygène, azote, silicium, fer et au-delà sont appelés par les astrophysiciens des métaux même si ce ne sont pas tous à proprement parler des éléments métalliques. Ils sont produits lors des réactions de fusion nucléaire qui alimentent les étoiles, puis lors des explosions des étoiles les plus lourdes en supernovas. Comme les étoiles se trouvent dans les galaxies, on peut s’attendre très logiquement à trouver quantité de métaux à l’intérieur des galaxies. Mais ce qu’ont montré les études d’une part de Michael Shull et al. parue dans The Astrophysical Journal fin décembre et celle de Joshua Peek et al. soumise également à The Astrophysical Journal, c’est qu’il n’en est rien : il y a également beaucoup de métaux en dehors des galaxies, et parfois très loin, à la fois sous forme de gaz ionisé et de molécules complexes, petits grains de poussière.

Joshua Peek
Dès la fin des années 50, lorsqu’on a compris que tous les éléments lourds étaient produits par les étoiles, les astronomes ont pensé qu’ils pourraient utiliser ces éléments lourds, ces métaux comme ils disaient, comme des traceurs de la formation d’étoiles et des flux de gaz à l’intérieur des galaxies. En effet, il est relativement aisé d’observer ces gaz à l’intérieur d’une galaxie : ils y sont denses et les étoiles brillent fortement, ce qui permet d’observer facilement la lumière réémise par les nuages gazeux en question et déterminer leur nature par l’étude de leur spectre de lumière. Mais c’est tout différent en dehors des galaxies ; là, les nuages ‘métalliques’ sont très peu denses, très diffus, et on ne peut plus observer leur émission propre. Ce que l’on peut observer, c’est l’absorption qu’ils produisent sur la lumière d’objets situés en arrière-plan, bien plus lointains.

Non seulement cette atténuation est très ténue, mais il se trouve que ces ions absorbent essentiellement des longueurs d’ondes dans l’ultra-violet. Or notre atmosphère aussi absorbe les rayonnements ultra-violet. Pour observer les spectres d’absorption provenant du milieu intergalactique, il faut donc nécessairement utiliser des télescopes en orbite. Et le télescope spatial Hubble fait ça très bien. Michael Shull, de l'université du Colorado, et ses collègues, ont étudié des données spectrales du milieu intergalactique concernant certains ions de carbone, azote, oxygène et silicium et sont remonté ensuite, à partir de la densité d’ions dans des états ionisés particuliers, à la valeur de la densité des éléments considérés. Ils concluent que pas moins de 5% à 15% de tous les métaux produits depuis l’apparition des premières galaxies, se trouvent complètement en dehors des galaxies, dans le milieu intergalactique, les 90% restant se trouvant bien à l’intérieur mais aussi à l’extérieur proche, à proximité immédiate des galaxies.
Michael Shull

L’équipe menée par Joshua Peek, à l'université de Columbia, elle, plutôt que de s’intéresser au gaz ionisé et à son absorption UV, s’est intéressée aux métaux sous forme moléculaire, des petits grains de poussière nano ou micrométrique, formés notamment de carbone et de silicium (silicates), qui produisent un effet de rougissement de la lumière située en arrière-plan. Ils ont ainsi traité des données du Sloan Digital Sky Survey sur un peu plus de 140 000 galaxies d’arrière-plan pour en extraire des profils de densité de poussière au voisinage de galaxies d’avant-plan.
Avec ces profils de densité de poussières, ils calculent ensuite la masse de poussière située au voisinage de ces galaxies d’avant-plan. Leur conclusion en est que la majorité de ces molécules riches en carbone et en silicium se trouve non pas à l’intérieur des galaxies, mais à l’extérieur.

Lorsque l’on met côte à côte ces deux études, une nouvelle image apparaît, celle d’un univers où les galaxies expulsent dans l’immensité du vide en grande quantité une matière très riche, celle-là même qui forme tout ce que nous connaissons sur notre planète, à commencer par nous-même.
Il était suspecté depuis pas mal d’années que les galaxies ne contenaient pas tous les métaux qu’elles produisent dans leurs étoiles ; nous parvenons aujourd’hui à les localiser et à les quantifier. Il reste désormais à mieux comprendre les phénomènes physiques à l’origine de ce grand ensemencement cosmique ainsi que depuis combien de temps il a lieu.


Références :
Tracing the cosmic metal evolution in the low-redshift intergalactic medium
J. M. Shull et al.
The Astrophysical Journal Vol. 796 Number 1 (2014)

Dust in the Circumgalactic Medium of Low-Redshift Galaxies
J. E. G. Peek et al.
Soumis à the Astrophysical Journal


Astronomy: Cosmic fog and smog
M. Peeples
Nature 517, 444–445 (22 January 2015)

mercredi 21 janvier 2015

Matière Noire : 2015 sera-t-elle l'année des WIMPs ?

2015 verra la mise en route de deux machines exceptionnelles, qui pourraient peut-être enfin mettre en évidence le candidat préféré des physiciens pour jouer le rôle de la matière noire : la particule supersymétrique la plus légère, la WIMP (weakly interacting massive particle), aussi appelée le neutralino.


Le détecteur CMS du LHC (CERN)
L'une des deux machines est bien connue, il s'agit du LHC (Large Hadron Collider), le grand accélérateur-collisionneur de protons du CERN. Le LHC est arrêté depuis 2013, depuis sa très belle découverte-production du boson de Higgs. Il n'a pas été arrêté pour cause de panne, mais pour être mis à niveau, amélioré significativement. Sa remise en route est prévue pour dans quelques semaines, il bénéficiera alors d'une intensité de faisceau bien supérieure à celle de 2013, et surtout d'une énergie presque doublée. Alors que les protons se collisionnaient au maximum à 8 TeV en 2013, l'énergie montera jusqu'à 13 TeV à partir de cette année.
Avec tout ce surplus d'énergie et d'intensité, le LHC avec ses différents énormes détecteurs, notamment ATLAS et CMS, ceux-là même qui ont permis la découverte du boson de Higgs, devrait permettre de produire et détecter indirectement des particules dites supersymétriques, des sortes de particules-miroir des particules que nous connaissons.
Schéma du l'installation de XENON1T dans le hall B
du Laboratoire du Gran Sasso (XENON collaboration)

La théorie de la supersymétrie a été imaginée il y a déjà plus de 40 ans. Si on n'a encore jamais vu de particules supersymétriques, c'est peut-être parce que leur masse est très importante, qu'elles sont instables, qu'elles interagissent très faiblement avec la matière qui nous est ordinaire, ou bien... qu'elles n'existent en fait pas. D'après la théorie, il peut exister une seule particule supersymétrique qui serait stable, ne se désintégrant pas, et de fait la plus légère d'entre toutes les particules supersymétriques, la seule qui pourrait persister depuis le début de l'histoire de l'univers. Elle est appelée le neutralino. On ne sait pas quelle masse elle devrait avoir, le plus probable est qu'elle se situe entre 1 GeV et 1000 GeV, c'est à dire une masse comprise entre celle d'un proton et de 1000 protons.
Le LHC peut en théorie produire des neutralinos (s'ils existent), via la création de nombreuses particules dans ses collisions protons-protons à très haute énergie. Il faut avant tout produire le maximum de réactions entre particules et avec la plus grande énergie possible pour avoir un espoir de "voir" apparaître des particules supersymétriques, que ce soit la plus légère, le neutralino, ou d'autres un peu plus lourdes et instables. Ce ne sera pas une détection directe de ladite particule, mais une observation de désintégrations un peu bizarres de particules plus classiques, qui ne pourront s'expliquer que par la présence fantôme de ce type de particules supersymétriques dans l'inventaire des particules ayant été produites dans le collisionneur. Ce point de fonctionnement du LHC est en fait le fonctionnement nominal pour lequel le collisionneur a été conçu, la découverte du boson de Higgs n'a ainsi été faite que dans un mode restreint de cette incroyable machine...
Elena Aprile, porte-parole de la collaboration XENON posant
à l'intérieur du réservoir à eau entourant le cryostat
du détecteur XENON1T (XENON collaboration)

La seconde expérience exceptionnelle, capable en théorie de mettre en évidence des WIMPs, devrait entrer en fonction dans le courant de l'été, c'est l'expérience XENON1T, installée au laboratoire souterrain du Gran Sasso, en Italie. XENON1T est l'évolution des expériences XENON10 de 2010 puis XENON100 en 2012 et est conçue et exploitée par une collaboration internationale d'une centaine de chercheurs, dont des physiciens français. Il s'agit d'un gigantesque détecteur de WIMPs contenant plusieurs tonnes de xénon liquide/gazeux. XENON1T est un détecteur de type chambre à projection temporelle, qui doit détecter directement les collisions de WIMPs provenant de toutes les directions, avec les noyaux atomiques de xénon. Chaque collision de WIMP produit à la fois un signal de luminescence et un signal d'ionisation dans les 3,5 tonnes de xénon utilisées. C'est exactement la même technologie que celle déployée par l'expérience américaine LUX qui a beaucoup fait parler d'elle fin 2013 car étant la plus sensible au monde dans ce type de détection directe et n'ayant rien détecté. Mais XENON1T aura une sensibilité 50 fois plus grande que celle de LUX...
Beaucoup d'espoirs sont mis sur ces deux expériences très différentes pour 2015 et 2016, même si la chasse aux WIMPs continue aussi sur d'autres terrains, notamment par l'observation de signes astrophysiques indirects  de la présence de ces particules, sous forme de rayons gamma particuliers et inexpliqués par ailleurs. 
Rendez vous fin 2015 pour une synthèse des premiers résultats ?



samedi 17 janvier 2015

Le LSST, un télescope vraiment pas comme les autres

Le LSST n'est pas le plus grand télescope du monde, loin de là, mais c'est peut-être le plus innovant de tous les grands télescopes actuellement en cours de fabrication. LSST est l'acronyme de Large Synoptic Sky Survey, comme son nom l'indique, il a pour but d'imager la totalité du ciel (austral). Le LSST va ainsi scanner le ciel en continu, à la recherche d'objets évoluant rapidement temporellement (des supernovas ou des étoiles variables par exemple) ou spatialement (des astéroïdes).



Vue générale du Large Synoptic Sky Survey (LSST).
Le LSST, pour pouvoir scanner tout le ciel austral en l'espace de seulement trois nuits, doit pouvoir posséder d'une part un très grand champ de vue, et d'autre part une mobilité de ses miroirs très aisée, mais aussi une très grande luminosité, dans notre jargon, un rapport Focale/Diamètre (F/D) le plus faible possible. Il doit pour cela avoir une petite distance focale et donc être très compact. C'est pour répondre à ces contraintes que les ingénieurs ont pensé à appliquer une formule très particulière pour ce grand télescope : utiliser non pas deux miroirs comme c'est généralement le cas sur des formules de type Newton ou Newton-Cassegrain, mais trois miroirs, dont deux sont situés sur le même bloc de verre... Il s'agit d'une formule optique de type "Paul Baker", le rapport F/D y est égal à 1,23 seulement, ce qui procure une luminosité exceptionnelle.

Cette pièce optique tout à fait étonnante vient tout juste d'être terminée la semaine dernière dans un laboratoire en Arizona, après un polissage qui a duré 6 ans, sur ce bloc de verre qui avait été fondu en 2008, puis laissé à refroidir pendant de longs mois avant le début de la phase de polissage. 
Ce double miroir est appelé M1/M3, car il contient de fait le miroir primaire M1 et le miroir tertiaire M3. M1 est un grand anneau de diamètre maximal de 8,4 m (tout de même), qui contient en son centre le miroir M3, de courbure plus importante et de diamètre de l'ordre de 3 m, lui même percé en son centre.

Ce bloc de verre de 22 tonnes sera ensuite recouvert d'une couche métallique réfléchissante pour devenir un véritable miroir. Le miroir M2 est lui aussi percé en son centre, pour laisser passer la précieuse lumière vers l'imageur, situé en partie supérieure, et muni d'un capteur de 3,2 gigapixels. La conception originale du LSST, que ce soit dans son système optique ou son système optoélectronique de production d'image, est entièrement dédiée à l'imagerie à très grand champ. Chaque image produite par le LSST couvrira une zone de 3,1° x 3,1°, l'équivalent de 40 pleines lunes.
Malgré cette avancée majeure dans le projet qu'est l'arrivée de la pièce optique principale en fabrication depuis plus de 6 ans, ce n'est qu'à l'été dernier que la National Science Foundation américaine a débloqué le gros du financement pour le LSST : 473 millions de dollars, et ce n'est que ce mois-ci que le Department of Energy a, lui, débloqué les fonds dédiés à l'imageur (168 millions de dollars). 

Le double miroir M1/M3 du Large Synoptic Sky Survey (LSST collaboration)
Les premiers développements de conception du LSST avaient été portés par un consortium associatif regroupant près de 40 universités, mais pour le double miroir M1M3 et le secondaire M2, c'est un financement privé qui a pris le relai, où on y trouve de multiples fondations philanthropiques comme par exemple la fondation de Bill Gates qui a donné 10 millions de dollars, ou encore la fondation Charles and Lisa Simonyi for Arts and Sciences, qui a donné 20 millions de dollars.

Jusqu'à cette décision de financement de la NSF de l'été dernier, de sérieuses incertitudes régnaient sur le LSST, avec l'éventualité de devoir conserver un grand miroir hors du commun dans un hangar durant des décennies en attendant un nouveau projet. Mais les incertitudes sont désormais derrière nous, le miroir M1M3 ne devrait patienter que quelques années supplémentaires dans un hangar de l'aéroport de Tucson, avant de voir ces premiers photons astrophysiques.
Le LSST devrait être mis en service en 2022 sur le Cerro Pachon, une montagne des Andes chiliennes spécialement aménagée pour l'accueillir. Des dizaines d'années d'observations et des Petabits de données seront alors à la disposition de milliers d'astrophysiciens.

Sources :

Mirror, mirror
Kathryn Jepsen
Symmetry mag 12 jan. 2015

Collaboration LSST
http://www.lsst.org/lsst/

mercredi 14 janvier 2015

Un bras spiral ferait un tour complet de notre Galaxie

Depuis des décennies, on pensait que notre galaxie possédait quatre bras spiraux, là où se trouvent quantités d'étoiles en formation et des nuages de gaz denses. Puis en 2008, des observations effectuées avec le télescope spatial Spitzer tendaient à montrer que la Voie Lactée pouvait n'avoir seulement que deux grands bras avec une large barre centrale. Aujourd'hui, une équipe sino-américaine affirme avoir découvert qu'un des bras ferait un tour entier de la Galaxie...

Illustration des bras spiraux de notre galaxie
(Robert Hurt/NASA/JPL-Caltech/SSC)
Ce bras, nommé Ecu-Centaure (Scutum Centaurus), prend naissance à l'extrémité de la barre centrale de la galaxie et s'étend jusqu'à l'autre côté de la galaxie en passant entre le centre galactique et le soleil. En 2011 déjà, une équipe américaine avait observé une sorte d'extension de ce bras.
Et ce que montrent Yan Sun et ses collègues dans leur article qui vient de paraître dans The Astrophysical Journal Letters, c'est que ce bras spiral s'étendrait encore plus loin que cette extension entrevue en 2011.

Les astrophysiciens chinois et américains se sont intéressés à la détection de nuages de gaz situés à environ 50000 années-lumière au-delà du centre galactique, et en ont découvert 48 nouveaux, en plus des 24 déjà connus. Pour effectuer ces observations, ils ont exploité des données du radiotélescope du projet Milky Way Imaging Scroll Painting, qui explore les émissions produites par les nuages de monoxyde de carbone, le gaz le plus abondant dans le milieu interstellaire derrière l'hydrogène, et bien plus facile à observer que ce dernier.

Yan Sun et ses collègues ont ajouté d'autres données, sur l'hydrogène celles-là, venant du Canadian Galactic Plane Survey pour en arriver à la conclusion que tous ces nuages de gaz s'alignaient en formant un segment de bras spiral long de 30 000 années-lumière, et formaient la continuation du bras Ecu-Centaure.
Si cette observation s'avère exacte, ce bras spiral serait non seulement le plus long bras de notre galaxie, mais qui plus est, le seul bras spiral à s'enrouler sur plus de 360°, et le seul bras spiral de ce type jamais observé dans notre univers proche.

Certains spécialistes s'élèvent pour mettre en avant qu'il existe une sorte de trou entre l'extension du bras découverte en 2011 et ce nouveau segment, un "trou" de 40 000 années-lumière tout de même, ce qui indiquerait qu'il ne s'agirait que d'un autre petit bras spiral. Notre galaxie aurait alors de multiples petits segments de bras spiraux. Mais de nouvelles observations sont attendues sur cet intervalle apparent entre nuages de gaz. Elles permettront de trancher sur la réalité de cette exceptionnelle forme d'une beauté que seuls les habitants de la galaxie voisine d'Andromède peuvent admirer en entier dans leurs télescopes... 

Source : 
A Possible Extension of the Scutum-Centaurus Arm into the Outer Second Quadrant
Yan Sun et al.,
The Astrophysical Journal Letters, Vol. 798, January 2015

samedi 10 janvier 2015

Conjonction Vénus-Mercure

Ce soir, les deux planètes ne sont séparées que par moins de 1°, au dessus de l'horizon Ouest. 


Le Pulsar qui a disparu à cause de la déformation de l'espace-temps

On termine cette semaine chargée pour la recherche en astrophysique par une dernière découverte marquante qui a été présentée à Seattle lors du meeting de l'American Astronomical Society : celle d'un pulsar qui  "disparu" à cause de la déformation de l'espace-temps. C'est une équipe internationale regroupant des astrophysiciens hollandais, canadiens, américains, français et anglais qui a fait cette observation.



Vue d'artiste d'un système binaire
d'étoiles à neutron (John Rowe)
Un pulsar est un résidu d'étoile ayant explosé, c'est une étoile à neutron d'une masse de l'ordre de 1,4 masse solaire pas plus grosse qu'une dizaine de kilomètres de diamètre. Les pulsars sont magnétisés et émettent ainsi des ondes radio en fins faisceaux centrés sur leurs pôles magnétiques, qui différent de leurs pôles géographiques. Comme ils tournent sur eux-mêmes à grande vitesse autour de leur axe de rotation, qui diffère de leur axe magnétique, on détecte leur signal radio sous forme de pulsation (d'où leur nom), qui a la fréquence de leur rotation sur eux-mêmes, pour peu que la Terre se trouve dans la zone balayée par le faisceau radio. Un pulsar "normal" n'a aucune raison de voir son orientation modifiée au cours du temps, surtout avec des vitesses de rotation pareilles... Lorsque l'on détecte la pulsation d'un pulsar, on s'attend donc à toujours le voir... 
Mais ce qui a stupéfait les astrophysiciens avec ce pulsar nommé J1906+0746, c'est qu'ils ont observé que l'intensité de son émission radio décroissait de plus en plus en plus au fur et à mesure des années, jusqu'à disparaître complètement au bout de 5 ans d'observations continues... Son intensité a décru, comme si l'axe de rotation du pulsar bougeait lentement, produisant de fait un décalage du faisceau radio balayant la Terre, jusqu'à ce que ce dernier passe à côté de la Terre, ne nous permettant plus de le voir...

Ce qu'ont montré les astrophysiciens menés par le néerlandais Joeri van Leeuwen du Netherlands Institute for Radio Astronomy, c'est que  J1906+0746 n'est pas un pulsar comme les autres, il fait partie d'un système binaire de deux pulsars en rotation l'un autour de l'autre.
Le radiotelescope d'Arecibo
(courtesy of the NAIC - Arecibo Observatory, a facility of the NSF)
Ils ont pu mesurer la masse des deux objets et leurs caractéristiques orbitales : 1,29 masse solaire pour J1906+0746 et 1,32 masse solaire pour son compagnon, qui lui, ne produit aucun rayonnement détectable. Ils se tournent autour l'un de l'autre en 3,98 h très exactement, ce qui représente le second système de ce type le plus rapide jamais observé. Les deux étoiles à neutrons ne sont séparées que par une distance d'environ 1,5 millions de kilomètres, soit le diamètre de notre soleil, une distance minuscule...

L'équipe d'astrophysiciens a scruté ce système durant 5 années consécutives à l'aide des plus grands radiotélescopes, notamment celui d'Arecibo. Ils ont ainsi enregistré un milliard de rotations de J1906+0746, qui tourne sur lui-même à raison de 7 fois par seconde. C'est ainsi qu'ils ont pu déterminer avec une grande précision les interactions gravitationnelles existant entre les deux objets compacts. C'est cette compacité extrême des étoiles à neutron qui produit des effets remarquables de distorsion de l'espace-temps : la maille de l'espace-temps est fortement déformée à proximité d'un tel objet.
L'un des effets prédits par la Relativité Générale est une précession de l'axe de rotation de l'objet en orbite. Et c'est ce qu'ont pu observer Joeri van Leeuwen et ses collègues : l'axe de rotation de J1906+0746 se décale de 2° par an, un décalage produit par le champ gravitationnel de l'étoile à neutron compagne.
Pour visualiser le phénomène, regardez cette courte animation produite par l'auteur de l'étude, où, pour comprendre comment le faisceau du pulsar change de direction, il augmente la masse de l'étoile compagne et regarde l'effet produit sur l'espace-temps et induit sur la rotation du pulsar : 


Aujourd'hui, le faisceau radio de J1906+0746 passe donc à côté de la Terre, mais les astrophysiciens ont calculé que le champ gravitationnel du système binaire étant relativement constant à moyen terme, nous devrions voir réapparaître le pulsar J1906+0746 en 2170.

Source : 
The Binary Companion of Young, Relativistic Pulsar J1906+0746
J. van Leeuwen et al. 
the Astrophysical Journal 798, 118 (8 janvier 2015) 

Voir la comète C/2014 Q2 Lovejoy

J'ai bravé le vent froid ce soir pour capturer cette comète verte tout de même assez difficile à cerner à l’œil, et en tous cas plus facile à attraper avec quelques dizaines de secondes d'exposition. Ci-dessous le résultat avec un objectif de 35 mm, pose de 20 s, ISO 800 et F/D 3,5, avec un canon EOS 1000D sur son trépied, bien sûr... Essayez donc de trouver cette petite boule verte dans cette image (indice : à droite d'Orion et plus près des Hyades que des Pléiades)! 



Allez je vous donne la réponse, il est vrai qu'elle est tout de même assez faiblarde, cette C/2014 Q2 Lovejoy...



vendredi 9 janvier 2015

Un Méga Radar pour Protéger les Satellites et l'ISS

On estime à 500 000 le nombre de débris divers qui sont en orbite autour de la Terre : morceaux de satellites âgés, pièces de fusées, débris de collisions de morceaux plus gros... Une grande partie de ces débris, par leur collision, est potentiellement mortelle non seulement pour les satellites, mais aussi pour les astronautes qui vont séjourner sur l’ISS, comme l’a très bien montré le film Gravity l’année dernière.


Visualisation des débris en orbite autour de la Terre,
l'anneau correspond à l'orbite géostationnaire (ESA).
Les responsables de la NASA estiment  qu’un débris de 1 centimètre de diamètre constitue déjà une menace pour la Station Spatiale Internationale (ISS). Il existe certes des systèmes de détection permettant de localiser ces débris, mais les systèmes de suivi actuels peuvent seulement détecter des objets de 10 cm au minimum, ce qui signifie que les américains (les premiers impactés et impliqués) suivent  seulement 23000 objets, soit moins de 5% des objets dangereux.
C’est pour pallier à cette lacune que l’US Air Force va déployer un tout nouveau radar exclusivement dédié à cette tâche, prioritairement pour protéger les satellites militaires et suivre encore plus précisément les satellites de tous les pays, mais également au service des satellites commerciaux ou scientifiques.

La première pierre de ce Space Fence construit par Lockheed Martin pour la bagatelle de 915 millions de dollars, doit être posée ce mois-ci  sur l'atoll de Kwajalein dans les îles Marshall, pour être opérationnel en 2019. Space Fence devrait pouvoir suivre 150 000 objets de plus que son prédécesseur devenu totalement obsolète, des objets ayant une  dimension jusqu’à 5 cm environ.
Le radar Space Fence tire son nom de la configuration du faisceau qu’il va créer. Plutôt que de concentrer son faisceau sur un objet particulier, il produira de multiples petits faisceaux en éventail pour détecter  les objets en orbite basse  jusqu'à une altitude de 3000 km. Il sera également capable de suivre des objets individuels sur des orbites plus élevées grâce à la modulation de son faisceau, avec une précision fortement accrue par rapport à celle du radar précédent. Ces améliorations seront telles qu’elles devraient fournir  un flux de données sans précédent sur ​​les débris dangereux. Ces données seront si imposantes qu’elles ne pourraient même pas être traitées par les systèmes informatiques actuels, qui devront donc être mis à niveau pour suivre l’évolution matérielle.
Destruction de l'ISS dans Gravity

Les opérateurs de satellites civils se réjouissent, et en même temps sont un peu intimidés par ces flux de données qu’ils recevront. Aujourd’hui, la plupart des avertissements de collision se sont avérés  être à faible risque ou bien carrément des fausses alertes.  L'ISS exécute des manœuvres d'évitement seulement une fois ou deux fois par an, alors qu’elle reçoit environ 12 à 15 avertissements par mois du JSpOC  (Joint Space Operations Center). Le nouveau Space Fence multipliera le nombre d’avertissements par 10…

Le programme a déjà pris plusieurs années de retard et l’US Air Force a dû revoir ses ambitions à la baisse. Le projet initial prévoyait l’installation de 3 grands radars de ce type dispersés sur plusieurs continents. Il n’y aura finalement qu’un second grand radar de suivi qui doublera le Space Fence des îles Marshall. Ce dernier devrait être construit dans l’hémisphère sud, probablement en Australie, ce qui permettra de suivre des objets sur de plus longues périodes tout au long de leur orbite. Il permettra également de détecter  un nombre important d'objets qui ne peuvent être observés que dans l'hémisphère sud. Avec ce second radar, le coût global se monterait à 2,1 milliards de dollars.

Ces investissements sont aujourd’hui pris en charge par le gouvernement américain, via son besoin militaire, mais la question commence à se poser de la responsabilité des acteurs du spatial civil, qui sont de plus en plus producteurs et potentielles victimes de débris spatiaux. Une autre question lancinante est celle du nettoyage...

Vidéo de présentation de la proposition de Lockeed Martin pour le Space Fence en 2011


Source :
Air Force turns a keen eye on space junk
Ilima Loomis
Science Vol. 347 no. 6218 p. 115 (9 January 2015)


jeudi 8 janvier 2015

Eta Carinae expliquée

Eta Carinae est un système d'étoiles hors normes. Une équipe américaine est parvenue à en savoir un peu plus sur la structure interne de ce système qui cache deux étoiles géantes. Je me suis amusé pour l'occasion à créer les sous-titres en français de leur vidéo de présentation... Regardez donc (vous pouvez couper le son si vous le souhaitez).



mercredi 7 janvier 2015

La Galaxie d'Andromède dévoilée par Hubble

C’est déjà probablement l’une des images astronomiques de l’année 2015. Elle montre une portion de la galaxie d’Andromède avec des détails inouïs. Cette image a été dévoilée à la conférence de l’American Astronomical Society qui a lieu en ce moment à Seattle. Cette image a été produite grâce au télescope spatial Hubble et à l’assemblage de plus de 7000 images.



Portion de la Galaxie d'Andromède imagée par Hubble (PHAT/Hubble/NASA).Cliquez sur l'image pur découvrir l'image zoomable, presque à l'infini...
C’est un projet appelé PHAT (Panchromatic Hubble Andromeda Treasury) qui a pour objectif de produire la cartographie la plus détaillée de notre plus proche voisine de la famille des grosses galaxies. PHAT exploite les trois imageurs du télescope spatial Hubble, dans l’infra-rouge, le visible et l’ultra-violet, puis assemble une mosaïque de milliers de clichés, 7398 très exactement, qui ont été enregistrés entre juillet 2010 et octobre 2013. Le résultat a été dévoilé le 5 janvier au meeting AAS225

L’image couvre seulement un quart de la galaxie d’Andromède, mais avec 100000 pixels de large !... C’est dire si on peut distinguer des étoiles individuelles dans cette galaxie pourtant distante de 2,5 millions d’années-lumière. Et ce que parviennent à déduire les astrophysiciens à partir de ces détails observés pour la première fois par des yeux humains, c’est que la galaxie d’Andromède semble avoir subi une collision avec une autre galaxie il y a de ça environ 2 milliards d’années. Etudier la galaxie d’Andromède est très utile car comme elle est très similaire à notre propre galaxie, cela revient un peu à observer notre galaxie vue de l’extérieur.
Le projet PHAT a ainsi pu recenser 117 millions d’étoiles individuelles dans la galaxie d’Andromède, couvrant une région de 61000 années-lumière de large. Et cette cartographie, grâce à l’utilisation d’images en infra-rouge révélant l’émission de poussières, traceur du gaz nourricier des étoiles, offre de nouvelles informations sur les processus de formation d’étoiles. Et à l’aide de la couleur des étoiles, on parvient à déterminer leur âge, ce qui permet de reconstruire avec une grande résolution spatiale l’histoire de la galaxie sur les derniers 500 millions d’années. Les astrophysiciens arrivent ainsi à voir comment évoluent les zones de formation d’étoiles dans les bras spiraux d’Andromède en fonction du temps. La vidéo ci-dessous montre cette évolution de la formation d'étoiles, reconstruite à partir de ces observations.
En traitant les données de cette façon, la plus forte surprise de l’équipe américaine a été de constater qu’une structure « bien connue » de la galaxie d’Andromède, l’anneau de 10000 pc, un anneau de formation d’étoiles de la galaxie qu’on pensait être transitoire, existe en fait depuis 500 millions d’années... Et comme il faut nécessairement un apport de gaz frais pour fabriquer de nouvelles étoiles, la région a dû recevoir une grande quantité de gaz ou bien il existe un processus encore mystérieux que les astrophysiciens ne comprennent pas.
Ce qu’on vu également les chercheurs en analysant la répartition des étoiles en fonction de leur âge, c’est qu’il existe une grande vague d’étoiles naissantes qui parcourt toute la galaxie de part en part.  Ces indices tendent à conclure à l’existence d’un événement majeur qui aurait touché toute la galaxie il y a plusieurs milliards d’années, comme une collision. 

L’histoire passée d’une galaxie ne peut se résoudre qu’en résolvant cette dernière en ses plus petits constituants que sont les étoiles. La galaxie d’Andromède est sans doute le meilleur laboratoire et est encore loin d’avoir tout dit.


Source : 
Galaxy seen shuddering from ancient collision
Ron Cowen
Nature, 05 January 2015