mardi 26 septembre 2023

Un halo de matière noire incliné à l'origine de la déformation du disque de la Voie Lactée


Après de nombreuses simulations pour reproduire les observations de l'aspect déformé de notre galaxie qu'avait trouvé le télescope Gaia, une équipe de chercheurs montre que cette déformation et cet évasement très particuliers sont bien reproduits par l'effet d'un halo de matière noire qui serait légèrement décalé par rapport au disque galactique. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

dimanche 24 septembre 2023

Du CO2 détecté à la surface de Europe provenant de son océan

Europe, la lune glacée de Jupiter, possède un océan souterrain sous une croûte de glace d'eau. Du dioxyde de carbone solide a déjà été observé à sa surface, mais la source était encore inconnue. Deux équipes ont analysé la surface d'Europe par spectroscopie infrarouge à partir du télescope spatial Webb pour étudier la source de CO2. Les deux équipes arrivent à la même conclusion : le carbone provient de l'océan interne. Les études sont parues dans Science.

samedi 23 septembre 2023

Climat changeant sur Saturne à l'approche de l'automne


Une équipe de planétologues a découvert grâce au télescope Webb que la fin de l'été boréal de Saturne subit un refroidissement important. D'énormes flux de gaz à l'échelle planétaire ont visiblement inversé leur direction à l'approche de l'automne saturnien. Ce sont aussi les dernières images du pôle Nord de Saturne avant plusieurs années... L'étude est parue dans Journal of Geophysical Research.

mercredi 20 septembre 2023

Découverte de 6 destructions explosives de naines blanches par des trous noirs massifs

Un duo d’astrophysiciens américains vient de trouver 6 supernovas de type Ia atypiques. Elles auraient été déclenchées à cause du trop fort rapprochement d’une naine blanche d’un trou noir très massif, mais pas supermassif. Ils publient leur découverte dans The Astrophysical Journal.

Toutes les destructions maréales d’étoiles (TDE, tidal disruption event) connues à ce jour, il y en a 70, impliquent la dislocation d'étoiles « normales », mais des TDE de naines blanches devraient également exister (comme l’avaient montré Luminet et Marck en 1985). Ils avaient montré que lorsqu'une naine blanche est perturbée lors d'une rencontre profonde avec un trou noir, la naine blanche peut être suffisamment comprimée par l’effet de marée pour déclencher une ignition thermonucléaire. Le transitoire observable résultant d’une telle explosion thermonucléaire devrait ressembler à une supernova de type Ia, mais être moins lumineux, étant donné que la dislocation d'une naine blanche par un trou noir n'exige pas forcément qu'elle ait une masse proche de la limite de Chandrasekhar (1,4 masse solaire) comme dans une SN Ia classique.

Et pour qu'une naine blanche soit détruite par l’effet de marée, le trou noir doit avoir une masse inférieure à 105 M parce que s’il est plus gros, la courbure de l’espace-temps qu’il produit n’est pas suffisamment forte pour disloquer l’étoile compacte. Dans ce cas, la naine blanche plonge directement dans le trou noir en restant intacte jusqu’à l’horizon des événements. Trouver un TDE Ia implique donc la découverte directe d'un trou noir de masse intermédiaire (de moins de 105 M).

Sebastian Gomez et Suvi Gezari (Space Telescope Science Institute), ont recherché spécifiquement de tels événements si insaisissables. Ils ont fouillé dans les données d’alerte de la Zwicky Transient Facility en limitant leur recherche aux événements transitoires étant apparus dans des galaxies naines, qui sont les sites les plus probables pour la présence d’un trou noir de masse intermédiaire. Ils ont trouvé un total de six candidats TDE Ia possibles. Parmi ces 6 supernovas, étant toutes apparues entre 2019 et 2021, SN 2020lrt est la candidate TDE Ia la plus probable, d’après eux, grâce à la forte ressemblance de sa courbe de lumière et de son spectre avec les modèles des TDE Ia publiés en 2016 par MacLeod et al. et qui font consensus aujourd’hui. MacLeod et al. avaient montré que la caractéristique qui rend les TDE Ia vraiment uniques par rapport aux autres types de supernovas Ia, c’est leur émission multi-longueur d'onde. Elle inclut en effet à la fois l'émission de rayons X d'un disque d'accrétion et l'émission radio de rémanence d'un jet, des caractéristiques liées à l’interaction avec le trou noir, qui n’existent pas dans les supernovas Ia classiques, et qui devraient être identifiables dans un délai d'environ un mois à un an après la dislocation/explosion. Une étude de suivi avec des télescopes X et radio est ainsi une approche réalisable pour vérifier leur nature.

Lorsqu’ils ont cherché des TDE Ia dans les archives en dehors de la zone des noyaux galactiques, donc dans la périphérie des galaxies, les chercheurs n’ont trouvé aucunes candidates plus robustes que celles qu’ils ont trouvé dans les noyaux galactiques. Ce simple fait fait dire à Gomez et Gezari que les candidats TDE Ia qu’ils ont identifiés sont des naines blanches comprimées par des trous noirs massifs au coeur des galaxies, par opposition aux supernovas Ia classiques qui peuvent se produire n'importe où dans une galaxie.

Parmi les 6 candidates TDE-Ia, deux étaient précédemment classées comme des SN Iax, une comme une SN II, une comme une SN Ib; les deux autres n’ayant pas reçues de classification. La plus probable, SN 2020lrt, est l’une des deux qui avaient été classées comme une SN Iax par Dahiwale & Fremling en 2020. Les SN Iax sont des supernovas très ressemblantes aux SN Ia typique, mais moins lumineuses et avec des vitesses d'éjecta plus faibles, on pense aujourd'hui qu'il pourrait s'agir d'explosions de naines blanches partielles, laissant derrière elles un morceau de la naine blanche. On comprend pourquoi une SN Iax peut être confondue avec un TDE Ia qui peut impliquer une naine blanche de faible masse... 

Gomez et Gezari ont également mesuré la masse stellaire des galaxies naines qui hébergent ces transitoires ressemblant à des supernovas Ia moins puissantes, et ils montrent qu’elles font toutes moins de 109 M. S'il est confirmé qu'elles abritent bien des trous noirs massifs, elles prouveraient l'existence de trous noirs de masse intermédiaire dans certaines des galaxies de plus faible masse connues.

À ce jour, seule une poignée de trous noirs a été découverte dans la gamme de masse dite intermédiaire, entre 100 et 100 000 masses solaires et leur distribution en dessous de 106 M est mal comprise. Optimiser les critères de sélection des transitoires pour rechercher des candidats TDE-Ia dans les études existantes et futures pourrait être le meilleur moyen de découvrir plus trous noirs intermédiaires et permettre leur suivi dans le temps.

Un calcul dynamique effectué en 2022 par le Monte Carlo Cluster Simulator (Tanikawa et al.) suggère que le taux de TDE provenant de trous noirs de masse intermédiaire dans les amas d'étoiles de l'Univers local serait suffisamment élevé pour que le sous-échantillon qui impliquerait des naines blanches avec une explosion thermonucléaire (donc un TDE-Ia) serait détecté à un taux compris entre 100 et 500 par an par le télescope Rubin, dont la première lumière est prévue en 2024…

 

Source

The Search for Thermonuclear Transients from the Tidal Disruption of a White Dwarf by an Intermediate-mass Black Hole

Sebastian Gomez and Suvi Gezari

The Astrophysical Journal, Volume 955, Number 1 (15 september 2023)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/acefbc


Illustrations


1. Courbes de lumière et localisation des 6 candidates TDE Ia (Sebastian Gomez and Suvi Gezari)

2. Suvi Gezari

3. Sebastian Gomez


mardi 19 septembre 2023

Le lithium du Soleil


Une équipe d’astrophysiciens brésiliens a évalué l'effet combiné de l'âge et de la masse stellaire sur l'abondance du Lithium dans un échantillon de 153 étoiles de type solaire dont 74 nouvelles étoiles. Ils trouvent une incompatibilité avec les modèles stellaires standards. L’étude est publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

dimanche 17 septembre 2023

Le cas K2-18 b et sa potentielle biosignature


Tout le monde en parle, le télescope Webb aurait détecté une trace de biosignature dans l'atmosphère de la planète K2-18 b : du sulfure de diméthyl, que seuls du phytoplancton et des bactéries peuvent produire. Voyons un peu plus en détail ce que les chercheurs qui ont fait cette étude disent dans leur article, qui a été accepté pour publication dans The Astrophysical Journal Letters il y a quelques jours... 

vendredi 15 septembre 2023

Des collisions d'étoiles dans le centre galactique


Une équipe d’astrophysiciens américains a étudié le devenir des étoiles qui entourent le trou noir supermassif au centre de notre galaxie. Ils montrent l’existence de processus de collisions destructrices entre étoiles, mais aussi des collisions qui peuvent produire des fusions stellaires pouvant mener à des étoiles de plus de 10 masses solaires. Ils trouvent également une explication pour les étranges objets G détectés autour de Sgr A*, des objets stellaires enveloppés de poussière et de gaz, qui pourraient résulter de ces collisions stellaires. Leur étude est publiée dans The Astrophysical Journal.

jeudi 14 septembre 2023

La croissance ralentie des grandes structures de l'Univers résout 2 tensions du modèle ΛCDM (mais en ajoute une nouvelle)



À mesure que l'univers évolue, la relativité générale et le modèle cosmologique standard qui en dérive prédisent que les grandes structures cosmiques doivent croître à un certain rythme : les régions denses comme les amas de galaxies, deviennent plus denses, tandis que les vides deviennent plus vide, à un certain rythme. Mais des chercheurs viennent de trouver que ce rythme de croissance est plus lent que ne le prévoit la théorie. Cela permet de résoudre des tensions existantes sur des paramètres du modèle standard, mais ça en crée une nouvelle et met le modèle standard à nouveau en difficulté. L’étude est publiée dans
 Physical Review Letters.

mercredi 13 septembre 2023

Découverte d'une étoile dévorée périodiquement par un trou noir supermassif


Une équipe de chercheurs vient de découvrir une source périodique de rayons X autour d’un trou noir supermassif. Elle ressemble fortement à une destruction d’étoile partielle qui aurait lieu à chaque passage à proximité du trou noir, toutes les quelques semaines. L’étude est publiée dans Nature Astronomy.

lundi 11 septembre 2023

50 nouveaux amas globulaires dans la galaxie d'Andromède


Une équipe d’astrophysiciens chinois a déniché 50 nouveaux amas globulaires candidats dans la galaxie d’Andromède (M31) grâce à des algorithmes d’apprentissage appliqués sur des données de Gaia et du Pan-Andromeda Archaeological Survey (PAndAS). Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal.

samedi 9 septembre 2023

Sgr A* : un épisode d'activité accrue en 2019


Historiquement, Sgr A* n'est pas le nom du trou noir supermassif de notre galaxie, c'est le nom d'une source radio quasi ponctuelle très variable qui se situe exactement au centre de notre galaxie. Il se trouve qu'elle est induite par la présence de ce fameux trou noir d'un peu plus de 4 millions de masses solaires qui lui a accaparé son nom. Aujourd'hui, une équipe d'astrophysiciens s'est plongée dans des données archivées de la zone de Sgr A*, non pas dans le domaine radio, mais dans le domaine du proche infra-rouge. Ils ont découvert qu'il s'était vraiment passé quelque chose d'atypique en 2019... L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

mercredi 6 septembre 2023

L'énigme de l'oxygène de Callisto


L'oxygène moléculaire (O2) a été détecté dans l'atmosphère de Callisto, satellite de Jupiter, à partir d'observations réalisées sur plus de deux décennies par trois instruments distincts utilisant chacun des techniques de mesure différentes. C’est l'exposition de la surface glacée de Callisto aux ions et aux électrons piégés dans le champ magnétique de Jupiter qui serait à l’origine de ce dioxygène. Mais une équipe de chercheurs américains vient pour la première fois de quantifier ce processus, et il apparaît très insuffisant pour expliquer l’oxygène de Callisto. L’oxygène de Callisto reste donc énigmatique, comme le dit le titre de cette étude parue dans Journal of Geophysical Research : Planets.

lundi 4 septembre 2023

Observation d'une ceinture de radiation et d'aurores sur une naine brune


Une équipe d'astrophysiciens espagnols a observé la présence d'une ceinture de radiations et d'aurores autour de et sur une naine brune grâce à des données interférométriques en ondes radio. Cette ceinture de plasma signe l'existence d'un champ magnétique dipolaire, à l'image de ce qu'on connaît sur Jupiter, et elle pourrait avoir pour origine les rejets de particules ionisées d'une petite planète, à l'instar de Io avec Jupiter. L'étude est parue dans Science

samedi 2 septembre 2023

Non, les trous noirs ne sont pas à l'origine de l'énergie sombre


Le 15 février dernier (épisode 1455), je vous relatais la publication d'une étude ébouriffante qui proposait le grossissement des trous noirs à cause de l'expansion de l'espace-temps, les propulsant alors comme l'origine de l'accélération de l'expansion à grande échelle grâce à cette caractéristique signant leur nature sous-jacente. Faisons donc le point sur cette étude 6 mois plus tard. Deux mois après la publication de Farrah et al., un astrophysicien américain publiait la démonstration observationnelle que ce phénomène (et donc la théorie sous-jacente) était impossible. Il a publié sa contre-étude dans The Astrophysical Journal Letters

jeudi 31 août 2023

Eta Carinae fait disparaître son Homonculus


Eta Carinae fascine les astronomes depuis le début du 19ème siècle. Sujette à de multiples épisodes de changements brutaux de luminosité au 19ème et au 20ème siècle, cette étoile double massive en fin de vie est aujourd’hui entourée d’une épaisse nébuleuse de poussière bipolaire qui a été nommée l’Homonculus en 1950. Aujourd’hui, une équipe d’astrophysiciens étudie l’Homonculus avec des données spectroscopiques du télescope Hubble pour comprendre l’évolution récente de Eta Carinae. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal.

mardi 29 août 2023

Première analyse des rayons gamma de Jupiter, à la recherche de matière noire...


Pour la première fois, des astrophysiciens ont analysé l’émission gamma de Jupiter. Cette recherche est importante car elle pourrait indiquer des traces de phénomènes très particuliers comme des annihilations de particules de matière noire qui se seraient accumulées dans la géante gazeuse. La détection des rayons gamma par le télescope Fermi-LAT montre la présence d’un signal à basse énergie mais qui n’est pas statistiquement significatif, menant donc à la détermination de limites drastiques sur la probabilité d’interaction de la particule de matière noire hypothétique avec les protons. Jupiter est ainsi devenue notre plus gros détecteur de matière noire et le plus sensible à basse énergie. L’étude est parue dans Physical Review Letters.

lundi 28 août 2023

Détection d'une deuxième planète errante de type terrestre


Une équipe de chercheurs japonais et néo-zélandais rapporte la découverte d'une planète errante de la taille de la Terre grâce au phénomène de microlentille gravitationnelle. Cette planète a une masse de 0,75 fois la masse de la Terre. L'étude est publiée dans The Astronomical Journal.

vendredi 25 août 2023

La vitesse ultime des trous noirs errants


Depuis la découverte en 2007, grâce à des simulations numériques, que la fusion de trous noirs binaires ayant des spins différents peut conduire à des vitesses de recul gravitationnel importantes du trou noir résultant, une recherche de tels trous noirs est en cours. Pour déterminer quelle serait la plus grande vitesse de recul atteinte par un trou noir issu d’une fusion, deux physiciens ont effectué un grand nombre de simulations numériques en faisant varier les différents paramètres physiques en jeu. Ils trouvent une valeur maximale de vitesse qui défie l’entendement… Ils publient leur étude dans Physical Review Letters.

jeudi 24 août 2023

Des étoiles hypervéloces éjectées par les amas globulaires


Un duo d’astrophysiciens publie une étude dans The Astrophysical Journal montrant comment les rencontres entre étoiles au sein des amas globulaires peuvent mener à des éjections d’étoiles à très grande vitesse, plus de 2000 km.s-1. Mais les amas globulaires ne produisent par là qu’une infime fraction des étoiles hypervéloces de notre galaxie…

Les environnements denses au cœur des amas globulaires facilitent de nombreuses rencontres dynamiques entre objets stellaires. Il a été démontré depuis longtemps que ces rencontres peuvent éjecter des étoiles de l'amas globulaire hôte, qui deviennent alors soit des étoiles fugitives ou soit des étoiles hypervéloces si leur vitesse est telle qu’elles ne sont plus liées au potentiel galactique. Elles sont alors vouées à quitter définitivement la galaxie.

L’éjection d’étoiles hypervéloces a été théorisée par Hills en 1988, où il avait montré que leur origine était la perturbation dynamique d'une binaire stellaire par un trou noir supermassif. Le mécanisme de Hills serait capable d'accélérer les étoiles à des vitesses considérables allant jusqu'à 4000 km s-1. Depuis la première découverte d’une étoile hypervéloce par Brown et al. en 2005, une poignée d'objets candidats ont été identifiés dans la Voie Lactée, notamment l'objet S5-HVS1, arborant une vitesse de 1700 km s-1 (mesurée par Koposov et al. en 2020). S5-HVS1, ainsi que plusieurs autres, est bien expliquée en acceptant une origine au centre galactique, mais des études récentes entre 2018 et 2021 ont aussi trouvé des exemples d'étoiles à grande vitesse dont la trajectoire passée n’intersecte pas le centre galactique. De nombreuses étoiles précédemment classées comme hypervéloces sont en fait encore liées au potentiel galactique, et beaucoup de ces étoiles fugitives sont plus susceptibles d'avoir été éjectées du disque ou d'une galaxie satellite plutôt que du centre galactique.

Hormis le mécanisme de Hills, parmi les autres mécanismes d'accélération capables de produire des étoiles à grande vitesse figurent les scénarios de supernova binaire et les scénarios d'éjection dynamique. Dans un scénario de supernova binaire, l’étoile primaire la plus massive d'une binaire stellaire subit une supernova, qui accélère ensuite la compagne ; ce scénario a été prédit pour accélérer les étoiles à des vitesses de quelques centaines de kilomètres par seconde (Renzo et al. 2019 ; Igoshev et al. 2023), et si la compagne est exceptionnellement légère, cette dernière peut potentiellement atteindre une vitesse supérieure à 1000 km s-1 .

Le scénario d’éjection dynamique, quant à lui, concerne les interactions gravitationnelles fortes qui ont lieu entre trois à quatre objets stellaires et qui produisent un effet de fronde sur l’une des composantes. En 1991, Leonard avait étudié ces rencontres à l'aide de méthodes numériques et avait constaté que la limite supérieure de vitesse des produits de ces rencontres correspondait approximativement à la vitesse d'échappement de la surface de l'étoile la plus massive impliquée. Pour une étoile semblable au Soleil, cette vitesse d'échappement est de ∼620 km s-1, tandis que pour une étoile de 60 M de la fin de la séquence principale, elle est de ∼1400 km s-1.

Les amas globulaires sont des objets candidats évidents pour les deux mécanismes du scénario d’éjection dynamique en raison de leurs densités stellaires élevées, et ces mécanismes pourraient être exceptionnellement amplifiés en raison de la présence de trous noirs dans leur centre. Kremer et al. en 2018 et Giesers et al. en 2019 avaient montré qu’il devait exister des centaines de trous noirs par amas. Les trous noirs jouent des rôles importants dans l'évolution macroscopique des amas globulaires en dominant les interactions gravitationnelles dans le cœur des amas globulaires. Les trous noirs stellaires ont donc une position privilégiée lorsqu'on considère le scénario de l’éjection dynamique dans les amas globulaires, en particulier lorsqu'on cherche quelles peuvent être les vitesses maximales atteignables par ce mécanisme.

Tomás Cabrera et Carl Rodriguez (Carnegie Mellon University) se sont intéressés à la capacité des amas globulaires à produire des étoles hypervéloces, en se concentrant sur les rencontres entre étoiles binaires et uniques, car c’est le type le plus abondant de rencontres fortes, et plus particulièrement sur celles qui impliquent des objets compacts (c'est-à-dire la rencontre d’un couple d’étoiles avec un trou noir stellaire, une naine blanche, ou une étoile à neutrons).

Les chercheurs ont étudié les éjectas stellaires à grande vitesse provenant des amas globulaires en utilisant des modèles à 3 corps par simulation Monte Carlo. Ils ont ensuite couplé les populations discriminées par le modèle avec les catalogues d'observation des amas globulaires de la Voie Lactée afin de composer la population galactique actuelle d'éjecta stellaires à grande vitesse. Dans leurs calculs, Cabrera et ses collaborateurs trouvent que ces types de rencontres stellaires avec des objets compacts peuvent accélérer les étoiles à des vitesses supérieures à 2000 km s-1, ce qui est au-delà des limites précédemment qui avaient été prédites pour les éjectas provenant de rencontres d'étoiles seules (quelques centaines de km.s-1), et donc dans le même régime que les éjectas du centre galactique.

Les étoiles éjectées évoluent ensuite pour être largement indiscernables des autres étoiles de la Voie Lactée en termes de position, mais Cabrera et Rodriguez montrent que ces étoiles à haute vitesse se révèlent capables de conserver certaines informations sur le mouvement de leur amas globulaire d'origine, en particulier dans le cas des amas globulaires avec des orbites presque circulaires : La population globale d'éjecta est généralement concentrée autour du mouvement propre moyen de l’amas globulaire tout au long de son orbite.

Enfin, en évaluant le nombre d’étoiles fugitives et hypervéloces qui seraient produites par les amas globulaires et en le comparant avec leur population totale dans la galaxie, Cabrera et Rodriguez déterminent que les amas globulaires n’en produisent qu’une petite fraction. Pour les étoiles fugitives, ils en seraient à l’origine pour seulement 20% d’entre elles au maximum, et pour les étoiles hypervéloces, ce taux ne serait au maximum que de 1%.

Afin de donner des billes pour de futures observations, qui pourront plus facilement associer des étoiles hypervéloces avec des amas globulaires, Cabrera et Rodriguez fournissent une cartographie des régions crédibles pour les éjectas de 149 amas globulaires de la Voie Lactée.

Le mécanisme de Hills associé au trou noir supermassif Sgr A*, même s’il reste très majoritaire, n’a plus le monopole de la production des étoiles accélérées à plusieurs milliers de kilomètres par secondes qui quitteront la galaxie pour errer dans le milieu intergalactique, à la recherche d’une galaxie plus massive pour s’y accrocher…

 

Source

 

Runaway and Hypervelocity Stars from Compact Object Encounters in Globular Clusters

Tomás Cabrera and Carl L. Rodriguez

The Astrophysical Journal, Volume 953, Number 1 (2023 July 28)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/acdc22



Illustrations


1. L'amas globulaire M15 imagé par Hubble (NASA/ESA)

2. Tomás Cabrera (université de Caroline du Nord)

mardi 22 août 2023

Des impacts météoritiques à l'origine du volcanisme de Vénus


Une nouvelle étude de la formation de Vénus explique pourquoi la planète sœur de la Terre n’a pas eu le même destin, et a été submergée par une intense activité volcanique même en l’absence de plaques tectoniques. Tout proviendrait des impacts météoritiques qu’elle aurait subi étant jeune. L’étude est publiée dans 
Nature Astronomy

lundi 21 août 2023

Observation d'une étoile progénitrice de magnétar


Une équipe d'astrophysiciens vient de mettre le doigt sur une étoile pas comme les autres : elle a toutes les propriétés pour former un magnétar lorsqu'elle explosera bientôt en supernova. C'est la première fois que l'on trouve une étoile potentiellement progénitrice de magnétar. L'étude est publiée dans Science.

dimanche 20 août 2023

Neptune n'est plus la même depuis 2020


En utilisant les observations d'archives dans le proche infrarouge des observatoires Keck et Lick et du télescope spatial Hubble, une équipe d'astrophysiciens à étudié l'évolution de l'activité des nuages de Neptune entre 1994 et 2022. Ils trouvent une corrélation entre le nombre de nuages et l'irradiance UV du Soleil, prouvant que la périodicité de l'activité nuageuse de Neptune résulte de la production photochimique des nuages, déclenchée par les émissions solaires ultraviolettes. Ils montrent également que Neptune a changé d'apparence depuis 2020. L'étude est publiée dans Icarus.


vendredi 18 août 2023

Des fusions de naines blanches pour expliquer les pulsars jeunes des amas globulaires


La détection de 4 pulsars apparemment jeunes dans 3 amas globulaires de la Voie Lactée est difficile à concilier avec les scénarios standards de formation d'étoiles à neutrons associés à l'évolution des étoiles massives. Une équipe d’astrophysiciens propose une voie de formation pour ces pulsars : la fusion d’étoiles naines blanches dans des amas dynamiquement anciens. De plus, ce type de processus pourrait aussi expliquer le FRB qui a été vu récemment dans l’amas globulaire de la galaxie M81. L’étude est publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters.

vendredi 11 août 2023

Découverte d'une seconde source radio de type magnétar à très longue période


Le 26 janvier 2022, une équipe australienne publiait la découverte d'une source radio transitoire très atypique, qui ressemblait à un pulsar ou un magnétar mais avec une période ultra-longue de 18 minutes. L'équipe a poursuivi ses recherches d'objets similaires et ils viennent de trouver un second specimen du même genre, avec une période encore plus longue de 21 minutes qui produit des bouffées d'ondes radio qui durent jusqu'à 5 minutes à chaque fois. Comme pour la première découverte, les chercheurs publient leur étude dans Nature

samedi 5 août 2023

Plus de 2600 éclairs par minute dans le panache du volcan Honga


L'éruption du 15 janvier 2022 du volcan Hunga, dans les îles Tonga, a battu tous les records. Selon une nouvelle étude parue dans Geophysical Research Letters, l'éruption a créé un orage "superchargé" qui a produit les éclairs les plus intenses jamais enregistrés. Près de 200 000 éclairs ont été émis dans le panache volcanique tout au long de l'éruption, avec un pic à plus de 2 600 éclairs par minute !

jeudi 3 août 2023

Le podcast Ça Se Passe Là-Haut

Depuis 2013, Ça Se Passe Là-Haut se décline en format audio, où les épisodes sont lus par votre serviteur. Le podcast est hébergé chez podCloud.fr et disponible sur toutes les plateformes. L'abonnement à un podcast est un bon moyen de ne rien rater, et permet de suivre Ça Se Passe Là-Haut n'importe où, dans les transports, dans son fauteuil ou dans son lit, un téléphone portable à portée de main.

Voici des liens directs vers les principales plateformes sur lesquelles vous retrouvez Ça Se Passe Là-Haut : 

Apple podcastshttps://podcasts.apple.com/fr/podcast/%C3%A7a-se-passe-l%C3%A0-haut/id939371969

Spotifyhttps://open.spotify.com/show/7HyhRiBE2CVwmb4RqDhO7C?si=128bae25a428453a

Deezer https://www.deezer.com/fr/show/9163

Podcast Addicthttps://podcastaddict.com/podcast/ca-se-passe-la-haut/2432886

podCloud https://podcloud.fr/podcast/casepasselahaut

PocketCastshttps://pca.st/TG8X

Castbox https://castbox.fm/channel/%C3%87a-Se-Passe-L%C3%A0-Haut-id2365869?country=fr

Google podcastshttps://podcasts.google.com/feed/aHR0cDovL2Nhc2VwYXNzZWxhaGF1dC5wb2RjbG91ZC5mci9yc3M

Podcast Republichttps://www.podcastrepublic.net/podcast/939371969

Et le lien du flux RSS de synchronisation que vous pouvez intégrer dans l'application de votre choix, comme par exemple Antenna Pod :  https://casepasselahaut.lepodcast.fr/rss

A ce jour, le podcast contient 1525 épisodes, d'une durée comprise entre 5 et 12 minutes environ. 

Bonne écoute ! 



mardi 1 août 2023

Vera à Woodstock [microfiction]

La lumière du soleil était aveuglante. Dès que Vera avait trouvé le mot, elle avait décidé d’y aller. Comme Bob était en Californie pour encore dix jours, elle avait demandé à sa fille Judith de rester à la maison pour garder ses deux petits frères. Vera venait de contourner Baltimore et roulait maintenant sur la route 83 en direction de Harrisburg. « Qu’est-ce qu’il lui a pris de partir comme ça sans rien dire, juste en laissant ce mot succinct ? »

Vera ne comprenait plus son fils aîné. David venait tout juste de fêter ses dix-neuf ans deux semaines auparavant, le jour du retour des astronautes. Le mot laissé sur la table de la cuisine disait : « Je pars au festival de Woodstock avec les copains, on rentre dans trois jours». La famille Rubin était jusque-là très soudée, mais depuis que David avait rejoint l’université, il n’était plus le même. David avait complètement raté sa première année universitaire, alors qu’il avait toujours été un très bon élève, un modèle pour sa sœur et ses deux jeunes frères. Vera, chercheuse comme Bob, avait très mal vécu cet échec de David, et elle le suspectait d’avoir de mauvaises fréquentations. David traînait souvent avec une bande de hippies qui ne semblaient pas très portés sur les études. Elle était sûre qu’il était parti avec eux à ce festival de musique. Bob et Vera avaient décidé de remettre leur fils aîné dans le droit chemin en commençant par l’obliger à travailler dur durant tout l’été pour rattraper le retard qu’il avait accumulé depuis l’hiver. Vera ne pouvait pas accepter qu’il soit parti comme ça. Elle avait décidé d’aller le chercher elle-même à ce festival et de le ramener coûte que coûte à la maison pour le faire travailler deux fois plus. Elle savait ce qu’aurait dit Bob, sa réaction aurait été encore plus violente. Vera avait donc choisi de ne rien dire à son mari et de se débrouiller seule pour donner une bonne leçon à David.

Vera n’aimait pas écouter la radio en conduisant, elle préférait penser à ses observations de la galaxie d’Andromède. Messier 31 ne tournait pas rond, ou plutôt elle tournait vraiment trop vite. Les résultats qu’ils obtenaient étaient étranges. Ils étaient presque prêts à envoyer leur article maintenant, mais Vera avait toujours des doutes. Pouvait-il encore y avoir un biais dans ces mesures spectrométriques ? Il était quand-même très audacieux de proposer que les lois de la gravitation puissent être incorrectes aux grandes échelles ou qu’une matière invisible puisse exister majoritairement dans les galaxies spirales…
Vera s’arrêta peu avant Hazleton pour faire le plein de la Chevy et en profita pour téléphoner à la maison pour savoir si tout allait bien. Elle était sur la route depuis deux bonnes  heures, sous la chaleur écrasante du mois d’août, et il lui en restait facilement le double d’après la carte. Le festival se déroulait dans un coin reculé de l’état de New York, c’est Judith qui lui avait précisé, elle en avait eu vent au lycée. Vera avait quitté Bethesda le matin vers dix heures. Elle avait dû prendre sa journée au dernier moment, alors qu’elle voulait profiter de ce vendredi pour avancer sur la rédaction de l’article.

Cela faisait maintenant trois ans que Vera faisait des allers-retours en Arizona pour enregistrer des spectres de différentes régions de la galaxie d’Andromède à l’observatoire Lowell. De son côté, Kent, son collègue de l’Institut Carnegie faisait la même chose auprès du télescope de Kitt Peak. Ils avaient mis en commun leurs données pour obtenir une vue globale des vitesses de rotation du gaz et des étoiles dans toute la galaxie d’Andromède.  Il fallait retravailler une dernière fois l’article, la toute dernière version n’était pas satisfaisante. Le point le plus ennuyeux était bien évidemment cet écart énorme qu’ils trouvaient lorsqu’ils calculaient la masse de la galaxie. A partir de la matière visible, l’hydrogène et les étoiles, la masse qu’ils obtenaient ne faisait que huit pourcents de la masse qu’ils déduisaient à partir des mesures de vitesse, près de deux cent milliards de fois la masse du soleil. Fallait-il développer des hypothèses dans la conclusion de l’article ou bien simplement donner cet écart sans plus de commentaire, laissant cela à la charge de la communauté scientifique ? Vera réfléchissait à son travail lorsqu’elle aperçut sur le bord de la route un restaurant à l’enseigne pour le moins attractive, on y voyait la Lune, accompagnée d’une fusée et d’une galaxie, qui pouvait ressembler à Andromède. Il était temps de manger un morceau.

Il y avait beaucoup de monde dans la salle, surtout des jeunes. Vera trouva tout de même une place au bout d’une table où s’était installé un groupe de trois jeunes gens et quatre jeunes filles. Ils n’avaient pas l’air beaucoup plus âgés que David. Vera repensait à la conclusion de l’article pour The Astrophysical Journal. Elle savait que Kent voulait mettre l’accent sur l’anomalie de masse qu’ils trouvaient, car les données étaient très précises, il n’y avait pas de doute possible. Mais pour Vera, il était encore un peu trop tôt. Il faudrait regarder ce que donneraient les courbes de rotation d’autres galaxies avant de pouvoir généraliser et annoncer l’existence d’une masse invisible. Elle comprenait Kent, ces observations avaient un caractère révolutionnaire, mais il ne fallait pas se tromper, on entrerait dans un nouveau monde.

Perdue dans ces pensées, Vera écoutait vaguement ce que disaient ces voisins, quand elle entendit soudain le mot « Woodstock ».
—Excusez-moi, vous vous rendez au festival de musique de Woodstock ?
— Oui, madame ! Trois jours de musique, de paix et d’amour ! Tout le monde y va ! répondit une petite blonde avec un large sourire.
— Moi aussi, j’y vais !
— Super ! s’exclama une brune qui était au bout de la table près de la vitre.
— Je vais chercher mon fils…
— Hein ? Chercher votre fils ? Pourquoi ? demanda un garçon qui portait des cheveux jusqu’aux épaules.
— Il n’avait pas le droit de sortir.
— Ooh… pas cool ça… Pas cool…
— Ah, non, et je ne vous le fais pas dire, rétorqua Vera.
— ‘fin… non, j’veux dire… Vous êtes pas très cool, quoi… répondit le garçon.
Vera le dévisagea durant deux secondes mais ne répondit pas. Elle avait fini son cookie et se dirigea rapidement vers la sortie, elle n’avait pas de temps à perdre.

Elle reprit la route 81 en direction de Scranton. Il y avait beaucoup plus de trafic qu’avant son arrêt. Vera calcula qu’elle arriverait à destination vers 17h. Il ne fallait pas aller dans la ville de Woodstock comme on pouvait le croire en lisant le nom du festival mais dans un village du nom de Bethel qui était à quelques dizaines de kilomètres de la ville.
Vera avait toujours avec elle des cartes détaillées, celles de la Pennsylvanie et de New York avaient déjà beaucoup servi, mais sans doute moins que celle de l’Arizona. Après Scranton, il fallait prendre la route 84 vers l’est jusqu’à Middletown puis la route 17 qui venait de New York City vers le nord et on arrivait ensuite à Bethel par une route de campagne à partir d’un bourg au nom étrangement italien, Monticello. Quelle idée avaient eu les organisateurs de ce festival de faire ça dans un coin aussi reculé ?

La circulation devenait maintenant un peu difficile. Une longue file de voitures se suivait à la queue leu leu. C’était curieux car il n’y avait absolument personne dans l’autre sens. La chaleur était toujours plus accablante. Il était 16h35. Il y avait devant une sorte de pick-up sur la plateforme duquel s’étaient entassés cinq personnes. Des jeunes. Elle les regardait qui discutaient en riant et pensait en même temps à Andromède. La voiture qui était derrière était aussi entièrement remplie, comme si il y avait un rassemblement de jeunes quelque part dans le coin. Vera songeait à quelles pourraient être les galaxies à étudier après M31 pour montrer un comportement similaire des courbes de rotation.
Ça freinait devant.

— A cette vitesse, je n’arriverai pas avant 18h, peut-être plus… Qu’est ce qui se passe ici ?
Les voitures roulaient maintenant au pas. C’était pénible. La troupe dans le pick up ne semblait pas le moins du monde affectée par l’embouteillage. Ils semblaient même beaucoup s’amuser. On venait de sortir du bourg de Monticello, traversé au ralenti. On voyait des habitants devant les maisons, ils semblaient n’avoir jamais vu autant de voitures traverser leur village. Puis un quart d’heure plus tard, ça n’avançait plus du tout. On était à peine à deux miles des dernières maisons de Monticello. Vera s’impatientait. Elle coupa le contact après dix minutes. Il était maintenant 18h15. Elle sortit de la Chevy et s’approcha des jeunes entassés dans le pick-up. D’autres personnes sortaient des voitures plus loin devant.
— Vous savez ce qui se passe par ici ? demanda-t-elle.
— C’est le festival ! répondit un jeune qui était assis en tailleur, tout le monde y va !
— Mais, vous parlez du festival de Woodstock ? C’est un gros événement ? demanda Vera, qui pensait que David était allé à un petit festival de musique de campagne d’à peine quelques centaines de personnes.
Une fille répondit :
— Mais tout le pays est en train de venir !
— Tout le pays ? rétorqua Vera qui se souvint brusquement ce que lui avait dit la petite blonde du restaurant.
— Mais bien sûr ! On devrait être cinquante mille … répondit la fille.
— Oh, on sera bien plus… Vous avez vu toutes ces voitures ? Je parie qu’on sera deux cent mille !.. reprit un deuxième garçon qui était coincé tout contre le bord du pick-up.
— Deux cent mille personnes ? dit Vera comme pour elle-même. Deux cent mille… Mais c’est impossible… Je ne trouverai jamais David.
Au moment où Vera comprit qu’elle s’était fourvoyée, une moto arriva dans le sens inverse en roulant lentement avec un passager derrière le conducteur. Il criait à tue-tête :
— Laissez les voitures sur les côtés dans les champs, l’accès est bouché aux véhicules, continuez à pied, vous y êtes presque ! Peace ! Laissez les voitures sur le bas-côté ! Continuez à pied ! C’est à quatre miles ! Peace !

Aussitôt, les cinq jeunes gens se regardèrent, et après un hochement de tête, sautèrent tous sur le route avec leur sacs à dos. Vera les vit s’éloigner et resta là sans trop savoir ce qu’elle devait faire. De derrière elle, des flots de jeunes gens faisaient la même chose tandis que les conducteurs des voitures manœuvraient pour positionner leur véhicule dans le champ tout juste moissonné qui longeait la route sur la gauche. Il régnait une atmosphère étrange. Tous ces gens à peine plus vieux que David, et pour certains peut-être plus jeunes, semblaient épris de la même ferveur. Vera les observait la dépasser, les écoutant au passage. On entendait des encouragements joyeux, une sorte de bonheur enfantin d’aller voir Joan Baez ou Janis Joplin, des noms que Vera avait déjà entendus ou qui lui étaient complètement étrangers. Certains chantaient en marchant. La plupart portaient des balluchons et il y en avait qui fumaient certainement autre chose que du tabac vu l’odeur.

Vera était stupéfaite de voir cette foule converger vers ce lieu tout à fait improbable. Elle se mit à marcher lentement avec le flot, regardant autour d’elle, des fois qu’elle aperçoive David, mais plus par réflexe que par volonté de le retrouver. C’était absolument impossible et elle le savait désormais.  
A peine un yard plus loin, la route faisait un virage au-delà des arbres et elle voyait les gens pointer du doigt l’horizon. Vera se rapprocha puis monta sur le talus pour regarder dans la direction indiquée. C’était là-bas, dans le fond d’un vallon fraîchement moissonné. Une foule immense semblait s’amasser au loin ; on voyait les gens qui s’agglutinaient par petits groupes multicolores.

Cette multitude donnait au vallon un aspect émouvant qui ressemblait à celui de la galaxie d’Andromède vue dans un petit télescope. David était là quelque part. Vera sentit un frisson, elle savait maintenant comment conclure l’article. Le monde ne serait plus comme avant.