XENON1T, retenez ce nom. Ce nom quelque peu barbare est celui d’une expérience de physique des astroparticules,
et plus précisément une expérience de recherche de matière noire sous forme de WIMPs.
Pourquoi retenir ce nom ?
Parce que cette expérience sera peut-être bien celle qui parviendra la première
à détecter des WIMPs pour de bon…
Le nom de cette expérience fruit
d’une collaboration internationale à dominante états-unienne vient du type de
détecteur qui est utilisé, à savoir du xénon sous forme à la fois liquide et
gazeuse. Vous le savez, le xénon c’est ce gaz rare complètement inerte
chimiquement (au même titre que ces voisins argon ou krypton). Inerte
chimiquement certes, mais ayant des propriétés très intéressantes pour détecter
des interactions de particules chargées (ou non).
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Schéma du détecteur XENON1T (XENON100 collaboration) |
Le détecteur biphasique employé
par XENON1T est une chambre à projection temporelle, ce qu’on appelle une TPC.
Son principe repose sur la création de lumière et de charges électriques lors
du passage de particules à travers sa cavité utile.
XENON1T n’existe pas encore, mais
ce détecteur existe déjà depuis plusieurs années à échelle plus réduite, tout
d’abord XENON10, qui utilisait une
dizaine de kilogrammes de xénon liquide, puis le célèbre XENON100, qui lui utilise une quantité dix fois plus grande de
xénon liquide et qui par ces résultats impressionnants a ouvert la voie royale
à son grand frère XENON1T.
Le projet XENON1T vise bien
évidemment à décupler encore la masse utile à la détection des WIMPs. Car c’est
une course à la masse contre la montre. En effet, le nombre d’interactions
d’une particule que l’on peut obtenir dans un détecteur est lié à son flux
incident, bien sûr, mais aussi à sa probabilité d’interaction (ce qu’on appelle
sa section efficace d’interaction), ainsi qu’à la durée d’exposition, et au
nombre d’atomes-cibles (et donc la masse).
Les seuls paramètres sur
lesquels les expérimentateurs peuvent jouer sont les deux derniers,
c’est-à-dire le temps et la masse. Multiplier la masse de détecteur par 10
revient simplement à réduire par un facteur 10 le temps qui sera nécessaire
pour détecter quelque chose. Alors comme les physiciens n’ont pas envie
d’attendre 10 ans de plus pour aller chercher un prix Nobel, ils augmentent
toujours plus la masse de leurs détecteurs.
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Schéma du principe de détection (Credit: Alan Stonebraker) |
C’est d’ailleurs le lot commun de
toutes les expériences de recherche de matière noire sous forme de WIMPs, qui
cherchent toutes à augmenter progressivement la masse totale de leurs
détecteurs.
Comme je le disais, l’étape XENON1T
n’existe pour le moment que sur le papier, mais l’expérience actuelle, XENON100,
qui a pris la suite de XENON10, est aujourd’hui déjà la plus sensible manip de
recherche Directe de WIMPs, celle qui va chercher les plus faibles sections
efficaces, en excluant une grande zone de l’espace masse-section efficace.
XENON100 s’est rendu célèbre en éliminant en l’espace de seulement 13 jours
d’exposition, les résultats controversés de l’expérience DAMA (zone de section
efficace située aux environ de 10-41 cm²). L’objectif ultime de
XENON100 est une sensibilité atteignant 2 10-45 cm². Ils en sont
aujourd’hui à environ 7 10-45 cm² et plus le temps passe plus la
sensibilité descend si aucun candidat WIMP n’est détecté, ce qui est le cas
chez XENON…
Et
concernant XENON1T, en l’absence de signal positif, l’expérience pourra exclure
des sections efficaces supérieures à 2 10-47 cm² pour des WIMPs de
50 GeV, ce qui veut dire que cette courbe d’exclusion englobera la totalité de
la zone prédite théoriquement où on attend de voir des neutralinos dans l’extension minimale supersymétrique
contrainte du modèle standard. En d’autres termes, si la théorie est correcte,
XENON1T verra des WIMPs. S’il ne les voit pas, il renverra les théoriciens des
particules dans leurs pénates et à leurs tableaux noirs.
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Plot comparatif masse-section efficace |
La
mise en service de XENON1T est prévue pour 2017, c’est-à-dire demain…
Il semble donc que la technologie
des chambres à projection temporelle au Xénon ait le vent en poupe et soit plus
efficace que la technologie concurrente utilisant du germanium cryogénique.
Elle a d’ailleurs tellement le vent en poupe depuis les résultats de XENON100
qu’une concurrence directe s’est mise en place avec d’autres expériences
reprenant le même concept du Xénon liquide pour essayer de coiffer sur le
poteau l’expérience initiale et éponyme. Une manip concurrente porte le nom
subtil de LUX pour Large Underground Xenon et est en cours
d’installation à Sanford Underground Laboratory dans une mine d’or désaffectée
du Sud Dakota.
Alors que XENON100 embarque environ 60 kg de Xénon, LUX quant à elle possède
déjà 350 kg du précieux liquide. Grâce à cette quantité intermédiaire entre
XENON100 et XENON1T, LUX pourrait peut-être mettre quelques bâtons dans les
roues de XENON1T.
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Détecteur LUX (LUX collaboration) |
LUX multiplie donc théoriquement
par 3 la sensibilité accessible aujourd’hui et devrait donc atteindre les mêmes
niveaux que XENON100 en trois fois moins de temps.
Le but de LUX est non seulement de descendre les limites accessibles mais
aussi de préparer le futur comme l’avait fait en son temps XENON10, et les
physiciens américains parlent déjà de l’étape 10 tonnes…
Mais les américains ne sont pas
les seuls à avoir compris le très grand potentiel du xénon liquide pour la
détection des WIMPs. Les japonais se sont également lancés dans la course, et
vont vite tout en restant très discrets. Ils ont conçu une expérience tout à
fait similaire aux autres, qui s’appelle XMASS
et qui elle, offre déjà 1 tonne de Xénon liquide !
XMASS est implanté dans le laboratoire souterrain de Kamioka. Elle
a débuté ses opérations de comptage en 2011 et doit être en train de
fonctionner en silence à l’heure où j’écris ses lignes… Rien ne dit que ce ne
soient pas les japonais qui rafleront les lauriers en fin de course… Les physiciens
japonais évoquent même déjà une prochaine étape avec 20 tonnes de xénon.
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détecteur XMASS (XMASS coll.) |
LUX comme XENON100, XENON1T ou XMASS exploitent les caractéristiques du xénon liquide pour obtenir
un bruit de fond extrêmement bas. Le volume actif de détection permet de reconstruire
à la fois l’énergie déposée par une particule incidente ainsi que sa position.
Les événements détectés dus à du bruit de fond radioactif sont supprimés très
efficacement par le blindage fournit par les couches externes de xénon.
De plus, dans les trois manips
décidément très similaires, l’ensemble du conteneur de xénon est plongé dans un
énorme réservoir d’eau, qui blinde de façon excellente contre les neutrons
venant de l’extérieur ainsi que ceux générés par des interactions de muons
cosmiques (800 tonnes d’eau pour XMASS).
Il fallait y penser mais un
blindage d’eau de grandes dimensions est peut-être le meilleur blindage contre
les différents types de radioactivité naturelle… et permet une très grande
souplesse lorsque l’on veut changer de volume de détection, il suffit juste d’avoir
suffisamment de place dans le laboratoire.
On peut imaginer aisément la
guerre du xénon qui va avoir lieu d’ici quelques années entre XMASS, XENON1T et
LUX, puis pourquoi pas entre un LUX-10T, un XMASS-20T et un XENON50T, etc… à
celui qui comptera le plus (ou le moins) de WIMPs dans le délai le plus court
en faisant ainsi avancer la connaissance de l’Univers toujours plus vite.