29/12/15

Observation d'un disque de matière désordonné autour d'un trou noir supermassif

Le télescope spatial NuSTAR vient de permettre de visualiser pour la première fois la structure du disque de matière entourant un trou noir supermassif, et contrairement à l'image ordonnée et lisse que se faisaient les astrophysiciens jusqu'alors, ce disque apparaît très désordonné...



Andrea Marinucci, de l'Université de Rome, et ses collaborateurs ne se sont pas contenté des seules données du télescope américain  NuSTAR (Nuclear Spectroscopic Telescope Array) mais ont également utilisé le télescope européen XMM-Newton, spécialisé lui aussi dans les rayons X, pour étudier de près la matière entourant le trou noir supermassif de la galaxie NGC 1068. Cette galaxie est une galaxie relativement proche, située à 47 millions d'années-lumière. La spécificité de ce trou noir supermassif est qu'il est masqué par une très épaisse couche de gaz. 

NGC 1068 (par Hubble) et une vue d'artiste du phénomène observé autour du trou noir supermassif central (NASA JPL/Caltech)
Les chercheurs publient leurs observations dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. Ils y montrent à quel point la matière en rotation autour du trou noir n'a pas une belle forme lisse en forme de tore (ou de doughnut si l'on préfère). Ce type de disque de gaz et de poussière a été proposé au milieu des années 1980 pour expliquer pourquoi certains trous noirs apparaissent masqués et d'autres non. Tout dépendrait de l'orientation sous laquelle on peut voir l'objet depuis la Terre. 
Si le tore de matière est vu par la tranche, le trou noir apparaît masqué derrière une grosse quantité de gaz, et s'il est vu par "le dessus" ou par "le dessous", non loin de son axe de rotation, alors nous avons plus facilement accès au rayonnement le plus intense avec une probabilité de se trouver, en plus, exactement dans l'axe de rotation, dans la direction du jet de matière et de rayonnement associé aux trous noirs actifs.
En août 2014, NuSTAR observa une soudaine bouffée de rayons X en provenance du centre de NGC 1068, des rayons X de plus haute énergie que ceux détectables par XMM-Newton. Les chercheurs ont fini par attribuer cette variation de luminosité X à un amincissement local de l'épais nuage de matière entourant le trou noir supermassif.
Les observations de Marinucci et ses collègues sont les premières du genre sur un tore de matière ultra-dense entourant un tel trou noir supermassif, et ils indiquent que le phénomène vu pourrait être en fait très commun. Poshak Gandhi, de l'Université de Southampton et co-auteur de l'étude précise : "Nous ne comprenons pas encore complètement pourquoi certains trous noirs supermassifs sont si fortement obscurcis ou pourquoi la matière les entourant est déstructurée. Cela reste un sujet d'étude brûlant." Ces connaissances sont importantes pour comprendre au mieux la croissance et l'évolution des trous noirs supermassifs au sein de leur galaxie hôte.

La cause de la variabilité dans la structure du disque de matière peut être multiple selon les chercheurs, le trou noir lui-même pourrait produire des turbulences lorsqu'il absorbe de la matière, ou bien ces turbulences pourraient être induites par des étoiles jeunes situées à proximité, à l'extérieur du disque. Une troisième hypothèse proposée repose sur l'existence de flots de matière provenant de l'extérieur du disque et tombant dessus dans leur migration dans le champ gravitationnel du trou noir. La détermination de la cause du phénomène est la prochaine tâche que ce sont fixée les astrophysiciens, la plus importante question étant de savoir si ces instabilités sont générées par l'extérieur ou par l'intérieur du disque.
L'utilisation conjointe de plusieurs télescopes spatiaux simultanément se révèle dans tous les cas très fructueuse.

Source : 
NuSTAR catches the unveiling nucleus of NGC 1068
A. Marinucci et al.
Monthly Notices Letters of the Royal Astronomical Society (11 February 2016) 456 (1): L94-L98.

26/12/15

Nouvelle explication pour les trous noirs supermassifs formés très tôt

Le 26 février dernier je vous relatais la découverte d'un énorme trou noir supermassif de 12 milliards de masses solaires situé dans l'Univers âgé de seulement 900 millions d'années, une véritable énigme pour les astrophysiciens qui comprennent mal comment un tel objet a pu grossir autant en si peu de temps. Aujourd'hui, un astrophysicien théoricien propose une solution qui sort des sentiers battus.



C'est à Lucio Mayer, de l'Université de Zürich, que l'on doit cette proposition, qui a été présentée le 15 décembre dernier au Texas Symposium on Relativistic Astrophysics et qui avait été publiée dans The Astrophysical Journal en septembre. L'idée repose sur le fait que ces premiers trous noirs supermassifs ne seraient pas nés par coalescence puis fusion successives de trous noirs plus petits, prenant pour origine des graines de trous noirs stellaires, mais directement par l'effondrement de très gros nuages de gaz très denses dans le cœur des premières galaxies naissantes. La proposition de Mayer devra certes être acceptée par les spécialistes, mais si elle se trouve correcte, elle permettrait d'expliquer ce mystère des très gros trous noirs qui sont trouvés dans l'Univers jeune (moins d'un milliard d'années).

Vue d'artiste d'un trou noir supermassif (Swinburne Astronomy Productions)
Les toutes premières étoiles, certaines d'entre elles faisant facilement 100 masses solaires, sont apparues quelques centaines de millions d'années après le Big Bang, formant les toutes premières galaxies. Ces grosses étoiles ne vécurent pas très longtemps, quelques millions d'années, et laissèrent derrière elles des trous noirs de même masse environ (de l'ordre de 100 masses solaires). Mais c'est à peine quelques centaines de millions d'années après l'apparition de ces premiers trous noirs de 100 masses solaires que sont observés les trous noirs supermassifs les plus lointains, ayant une masse de l'ordre de 10 milliards de masses solaires. Comment expliquer un grossissement d'un facteur 100 millions en 500 millions d'années ? Des idées ont été proposées mais aucune ne permet d'expliquer facilement les observations sans avoir recours à des subterfuges difficilement acceptables.
Lucio Mayer a lui aussi essayé de donner une explication à ce mystère, et en a trouvé une qui semble tout à fait intéressante, pour ne pas dire élégante. La recette nécessite une très grosse quantité de matière, on s'en doute. Il faut que cette matière puisse se concentrer sur elle-même sous l'effet de sa propre gravité. Le gaz galactique apparaît être un très bon candidat, mais le problème est qu'il semble ne pas pouvoir atteindre l'état ultra-dense requis, car il a plutôt tendance à se refroidir et à s'arranger en petits globules qui finissent par former des étoiles.
Mais il existe un cas où ce pourrait ne pas être le cas et c'est ce qu'à trouvé Lucio Mayer : Lorsque deux galaxies primordiales se collisionnent - des galaxies pleines de gaz -, leur gaz pourrait ne pas former d'étoiles tout de suite. La fusion des deux galaxies peut en effet produire des fortes instabilités qui ont pour effet de réchauffer le gaz et ainsi empêcher la condensation en étoiles. Il en résulterait que le gaz des deux galaxies continuerait à se densifier très rapidement et fortement au centre de la galaxie résultante sans pouvoir se fragmenter. Un flot de gaz de 10 000 masses solaires par an convergerait vers le centre du disque galactique qui finirait par devenir si compact qu'il s'effondrerait sur lui-même, en formant directement un trou noir supermassif de 100 millions à un milliard de masses solaires. Tout se passerait en seulement 10 000 ans, sans passer par la case étoile, bien sûr.
Lucio Mayer a obtenu ce résultat grâce à des simulations numériques avancées. Comme l'effondrement du gaz ainsi obtenu a lieu sans aucune émission de rayonnement, Mayer l'appelle un effondrement sombre (dark collapse).

Mais certains astrophysiciens restent sceptiques face au processus proposé, arguant que si le gaz est si échauffé qu'il ne peut pas former d'étoiles, il ne devrait pas pouvoir atteindre la masse critique non plus. Pour le moment, les astrophysiciens ne peuvent se fier qu'à des simulations numériques de plus en plus raffinées, car l'observation directe de la naissance des trous noirs supermassifs est encore hors de notre portée. Lucio Mayer annonce qu'il va effectuer de nouvelles simulations encore plus réalistes prenant en compte des effets relativistes. Mais il annonce tout de même que le processus d'effondrement sombre pourrait être détectable via les ondes gravitationnelles qu'il devrait générer en grandes quantités. Les ondes gravitationnelles de naissance des trous noirs supermassifs par ce processus seraient par exemple détectables avec le futur détecteur spatial eLisa.


Sources :

Direct formation of supermassive black holes; from mergers of protogalaxies to global relativistic collapse
L. Mayer, D. Fiacconi and P. Montero
28th Texas Symposium on Relativistic Astrophysics, Geneva, December 15, 2015.

Direct formation of supermassive black holes in metal-enriched gas at the heart of high-redshift galaxy mergers.
L. Mayer et al. 
Astrophysical Journal. Vol. 810, September 1, 2015, p. 51.

17/12/15

En quête des toutes premières galaxies

La quête des galaxies les plus lointaines possède un point commun avec celle des exoplanètes : elle semble apparemment sans fin. Les records sont battus mois après mois au fil des observations toujours plus poussées et raffinées. Voilà donc la toute dernière fournée en date, qui offre grâce aux télescopes Hubble et Spitzer pas moins de 22 galaxies candidates situées à plus de 13 milliards d’années-lumière. La plus lointaine de ce groupe se situe à environ 13,33 milliards d’années-lumière, soit un décalage vers le rouge z égal à 10.


L'amas de galaxies MACS J0416-2403 entouré de galaxies primordiales
amplifiées par lentille gravitationnelle (L. Infante et al. ApJ, 815)


L’équipe internationale qui publie ces observations dans The Astrophysical Journal a recherché exclusivement des galaxies ayant un décalage vers le rouge supérieur à 7, ce qui correspond à une distance supérieure à 13 milliards d’années-lumière, dans le grand relevé Hubble Frontier Field (HFF) et le champ fourni par le puissant effet de lentille gravitationnelle produit par l’amas de galaxies MACS J0416-2403. Les décalages spectraux vers le rouge ont pu être déterminés par photométrie grâce aux deux télescopes et sont très robustes. 6 galaxies parmi ces 22 ont un redshift (décalage vers le rouge) supérieur à 6 (soit une distance supérieure à 13,26 milliards d’années-lumière).
La masse moyenne des 22 galaxies ultra-lointaines et ultra-jeunes observées est de 275 millions de masses solaires tandis que leur taux moyen de formation d’étoiles est de 1,8 masses solaires par an. Les astrophysiciens parviennent, à partir de la masse et du taux de formation d’étoiles observés, à déterminer une limite sur l’âge de ces galaxies telles que nous les voyons : elles ont moins de 300 millions d’années, ce qui veut dire qu’elles ont commencé à se former (au plus tôt) seulement 200 millions d’années après la singularité initiale.
L’effet de lentille gravitationnelle qui a été utilisé pour découvrir ces très lointaines galaxies a pour effet d’amplifier le signal lumineux, ce qui permet d’atteindre des objets de très faible luminosité qui seraient inobservables sinon. Dans le cas de la galaxie la plus lointaine découverte ici, que les astrophysiciens sud-américains de la collaboration ont nommée Tayna (« première née » dans la langue Aymara), sa luminosité intrinsèque n’est que de 4% de celle de note galaxie. C’est l’objet le moins lumineux qui a pu être observé à cette distance jusqu’à aujourd’hui. L’effet de lentille gravitationnelle de l’amas MACS J0416-2403 produit sur elle une multiplication de la luminosité observée d’un facteur 20…
La découverte de galaxies ultra-lointaines, les toutes premières galaxies, formées quelques centaines de millions d’années après le Big Bang et observées lorsqu’elles n’ont que 400 à 500 millions d’années s’est énormément accélérée en quelques années seulement. En 2008, on ne connaissait qu’une poignée de galaxies situées à un z compris entre 7 et 8 (entre 13 et 13,16 milliards d’années) et aucune avec un z supérieur à 8. Aujourd’hui, on en connait environ 300 autour de z=7, 100 autour de z=8 et déjà une dizaine aux environs de z=10 (13,33 milliards d’années-lumière).
Distance (em milliards d'AL) en fonction du décalage vers le rouge z
(avec H0=70 km/s/Mpc, Omega_M=0,27, Omega_Lambda=0,73)
Cet accroissement des découvertes a été rendu possible grâce à la mise en place d’une nouvelle instrumentation sur le télescope Hubble lors de sa dernière maintenance, notamment le Wide Field Camera 3/Infrared Channel (WFC3/IR) qui permet d’imager des grands champs dans le proche infra-rouge. C’est aussi grâce à la mise en commun de ces données avec celles du télescope infra-rouge Spitzer et son imageur IRAC (Infra Red Array Camera). Mais les télescopes seuls, si performants soient-ils, ne peuvent pas faire grand-chose face à l’extrême faiblesse de la luminosité de ces galaxies ultra-lointaines. C’est l’exploitation toujours plus affinée du phénomène de lentille gravitationnelle des amas de galaxies massifs et l’amplification de lumière associée qui a réellement permis d’explorer les régions les plus reculées de l’Univers. Et pour connaître le plus précisément possible l’effet des lentilles gravitationnelles, des modèles de lentilles doivent être construits, basés sur des observations, qui sont pour la plupart le fruit là encore du télescope spatial Hubble. Ces dernières années ont vu notamment la mise en œuvre de larges relevés sur les amas de galaxies comme le CLASH (Cluster Lensing And Supernova survey with Hubble) et le HFF (Hubble Frontier Field). Si l’espace-temps élastique dessiné par la gravitation, découvert par Albert Einstein il y a 100 ans, n’était pas tel qu’il est, nous connaitrions encore très mal les galaxies primordiales.
Toutes ces observations de galaxies, combinées avec d’autres observations comme les émissions de la raie Lyman-alpha de l’hydrogène suggèrent que la période de réionisation du milieu intergalactique, produite par l’apparition des premières étoiles dans les galaxies naissantes, était quasi terminée à un redshift z de 6 (soit il y a 12,86 milliards d’années). Cette réionisation du milieu se serait déroulée graduellement entre z=10 et z=6. Le fait que l’équipe menée par Leopoldo Infante ne trouve pas de galaxies ayant un redshift plus grand que 10 tend à conforter cette image.
Les galaxies situées à un décalage vers le rouge de 10, id est à 13,3 milliards d’années-lumière, seraient bien les toutes premières galaxies émergeant de l’âge sombre cosmique.


Source :
Young Galaxy Candidates in the Hubble Frontier Fields. II. MACS J0416–2403
L. Infante et al.
The Astrophysical Journal, Volume 815, Number 1 (2 december 2015)

16/12/15

Bonne nouvelle pour les chasseurs de matière noire

Les physiciens chinois ont dévoilé le 2 juin dernier qu'ils voulaient lancer un satellite pour la détection indirecte de la matière noire et du rayonnement cosmique, et 7 mois plus tard, le satellite, nommé DAMPE, est aujourd'hui sur son pas de tir et doit être lancé dans quelques heures. 



DAMPE (DArk Matter Particle Explorer) est le tout premier télescope spatial chinois de ce genre. Il est conçu pour détecter des particules de très haute énergie, un peu à l'image de ce que fait le détecteur AMS-02 sur l'ISS. Mais DAMPE sera plus spécialisé dans la détection des électrons et des rayons gamma avec une résolution en énergie inégalée. Le but premier est d'identifier des traces indirectes de matière noire via ses produits d'annihilation ou de désintégration. Il pourra mesurer non seulement l'énergie des particules, mais aussi leur direction et leur charge électrique. DAMPE pourra également mesurer le flux de noyaux d'atomes légers ultra-énergétiques, fournissant des données précieuses sur l'origine et la propagation des rayons cosmiques les plus énergétiques.   
DAMPE est constitué de plusieurs de types de détecteurs de particules travaillant simultanément, tout d'abord un détecteur scintillateur plastique (PSD), servant comme détecteur par anti-coïncidences et détecteur de charges, puis un détecteur de traces, le Silicon Tungsten tracker converter (STK) qui mesurera la direction des particules, un calorimètre (BGO) accompagnera ces détecteurs pour mesurer l'énergie avec une très grande résolution grâce à son pouvoir d'arrêt inédit pour un détecteur en orbite, et enfin, un détecteur de neutrons (un scintillateur dopé au bore nommé NUD composé de 16 plaques de 1 cm d'épaisseur chacune munie d'un photomultiplicateur) permettra l'identification des particules incidentes par l'analyse des gerbes hadroniques produites.

Avec tous ces instruments de pointe, DAMPE détectera des électrons et des photons gamma sur une plage en énergie comprise entre 5 GeV et 10 TeV avec une résolution en énergie de l'ordre de 1,5% à 100 GeV. DAMPE détectera aussi des rayons cosmiques, à des énergies encore plus élevées, entre 100 GeV et 100 TeV.

DAMPE n'est pas un satellite très gros, avec une masse totale de 1900 kg dont 1400 kg de charge utile. Il sera mis en orbite à 500 km d'altitude et devrait fonctionner durant 3 ans au minimum. La mission fait partie des cinq missions spatiales scientifiques du programme Strategic Pioneer Program on Space Science de l'Académie des Sciences Chinoise, sélectionnée en 2011.
Les scientifiques chinois ne sont pas restés tout seuls pour développer ce télescope spatial particulier, ils ont formé une collaboration avec l'Université suisse de Genève ainsi que les Universités italiennes de Bari, Lecce et Perugia.

A l'heure où j'écris ces lignes, il ne reste qu'un peu moins de 7 heures avant le lancement depuis le Centre de Jiuquan (désert de Gobi). Les chasseurs de matière noire peuvent se réjouir de pouvoir exploiter ce tout nouvel instrument, qui pourra aussi faire des découvertes inattendues dans d'autres domaines des hautes énergies.


Collaboration DAMPE :

14/12/15

Mauvaise nouvelle pour les chasseurs de matière noire

Mauvaise nouvelle pour les chasseurs de matière noire. Une nouvelle observation de l’émission de rayons X en provenance de la galaxie naine du Dragon ne montre aucun signe de la fameuse raie à 3,55 keV qui avait était entrevue dans de nombreuses galaxies et qui pouvait être attribuée potentiellement à une trace indirecte de matière noire... 



Des astrophysiciens américains de l’Université de Californie ont observé la galaxie naine du Dragon qui est un objet parmi les plus riches en matière noire d’après les déductions qui peuvent être faites de ces caractéristiques gravitationnelles. Si l’émission de rayons X mystérieuse observée antérieurement en provenance du centre de certaines galaxies et amas de galaxies était bien issue de la désintégration de ces particules, une telle émission X aurait dû être observée dans la galaxie du Dragon, avec une si forte densité de particules de matière noire… Mais Tesla Jeltema et Stefano Profumo, qui ont soumis leurs travaux pour publication dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, ne trouvent rien de tel.

Le télescope XMM-Newton (illustration) (ESA)
Ils ont observé la galaxie naine du Dragon, située à 270 000 années-lumière, dans une plage en énergie située autour de 3,5 keV avec le télescope XMM-Newton durant une très longue pose de 1,6 millions de secondes, soit 445 heures, ce qui leur permet de rejeter l’hypothèse de la présence d’une raie dans cette zone du spectre, et donc la présence d’une désintégration de particule, avec un niveau de confiance de 99%.
Ils en concluent donc que la raie à 3,55 keV qui a été vue à de multiples reprises depuis février 2014 dans plusieurs galaxies et amas de galaxies, jusqu’à Andromède et notre propre galaxie, ne serait rien d’autre qu’une raie d’émission d’un élément chimique classique ionisé comme le potassium. Cette raie mystérieuse était pourtant excitante car elle pouvait être expliquée par la désintégration d’un neutrino stérile ayant une masse de 7,1 keV, qui aurait des caractéristiques idoines pour le rôle de la matière noire.
Mais dès les premières observations, les études avaient semblé sous-estimer la présence d’atomes de potassium dans les nuages de gaz galactiques, qui lorsqu’ils sont dans leur état excité, possèdent justement des raies d’émission aux environs de 3,5 keV.
Alexey Boyarsky, de l’Université de Leiden aux Pays-Bas, qui avait le premier annoncé la présence de cette raie mystérieuse à 3,55 keV en provenance du centre de certaines galaxies, convient qu’il n’y a pas de raie X intense provenant de la galaxie du Dragon, mais il refuse de rendre les armes. Selon lui, ces résultats ne rejettent pas complètement la possibilité d’une désintégration de particules noires en rayons X et il veut acquérir à son tour de nouvelles données dans les semaines à venir.

Esra Bulbul, du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, qui a également mis en évidence la raie à 3,55 keV dans de nombreux cas très différents, et qui collabore désormais avec l’équipe de Boyarky, veut elle aussi continuer à y croire même si elle reconnait que l’explication par un neutrino stérile à 7,1 keV a peut-être du plomb dans l’aile. Selon elle, d’autres types de particules de matière noire pourraient produire des rayons X en plus faible proportion et rester compatible avec les flux observés sur la galaxie du Dragon.

Esra Bulbul, Alexey Boyarsky, comme Tesla Jeltema et Stefano Profumo seront certainement parmi les premiers utilisateurs du télescope tant attendu ASTRO-H. Ce dernier devrait être l’outil qui arbitrera définitivement la question grâce à ses observations en rayons X à haute résolution en énergie, permettant de déterminer sans coup férir la nature des raies observées, quand elles sont présentes. Il n’y a plus que quelques mois à patienter… Lancement prévu le 12 février 2016.


Source :

Deep XMM Observations of Draco rule out a dark matter decay origin for the 3.5 keV line
Tesla E. Jeltema, Stefano Profumo
soumis à Monthly Notices of the Royal Astronomical Society

11/12/15

KM3Net, gigantesque détecteur de neutrinos européen

Le premier élément du futur grand télescope à neutrinos vient d’être installé avec succès dans les eaux de la Méditerranée au large de la Sicile. KM3Net aura une dimension de plusieurs kilomètres cubes et devrait détecter des neutrinos ultra énergétiques en provenance d’autres galaxies ainsi que ceux issus des phénomènes les plus violents de l’Univers.



Le principe de KM3Net est similaire à celui déployé depuis plusieurs années par le détecteur IceCube dans la glace antarctique et avant lui par le détecteur Antarès en Méditerranée déjà, dont il est le successeur à plus grande échelle : les neutrinos interagissent dans l’eau sur des noyaux d’atomes d’oxygène ou d’hydrogène et produisent alors des muons (si  les neutrinos sont du type muonique). Les muons produits ayant une grande énergie cinétique, leur vitesse est supérieure à la vitesse de la lumière dans l’eau (qui est 30% inférieure à la vitesse de la lumière dans le vide), ces muons produisent alors un rayonnement lumineux appelé rayonnement Cherenkov. Le détecteur KM3Net, comme IceCube ou d’autres du même type est constitué d’une multitude de capteurs de lumière très sensibles qui vont mesurer la lumière Cherenkov. A partir de ces signaux, les physiciens reconstruisent toute l’histoire des interactions jusqu’à l’origine probable du neutrino qui a osé pénétrer dans les eaux turquoise de la Méditerranée ou dans la glace du pôle sud.

10/12/15

Observation d'une étoile qui possède un cyclone comme une planète

C'est une étoile étonnante, située à 53 années-lumière, que des astronomes viennent d'étudier de près : une étoile naine froide qui possède une énorme tempête ressemblant à la grande tâche rouge de Jupiter.

C'est bien d'une tempête dont il s'agit et non d'une tache solaire comme celles que peut montrer le soleil par périodes et qui sont dues à des effets magnétiques. Ici, les données des deux télescopes orbitaux Spitzer (infra-rouge) et Kepler (variations de luminosité en visible) sont formelles, il s'agit d'un grand cyclone d'un diamètre de l'ordre de trois fois le diamètre de la Terre.

Illustration de W1906+40 avec son énorme cyclone près du pôle nord découvert grâce à Spitzer et Kepler.
(NASA/JPL-Caltech)


Il faut préciser ici que cette étoile est déjà particulière en soit, car c'est à peine une étoile. W1906+40 est ce qu'on appelle une naine L. Elle a la taille de Jupiter environ. Parmi les naines L, certaines sont considérées comme des étoiles car elles produisent de la lumière en faisant de la fusion nucléaire, mais d'autres ne parviennent pas à fusionner leur hydrogène et sont donc des naines brunes, des étoiles ratées. W1906+40 est donc une toute petite étoile, mais qui a tout de même une température de surface de 2200 K.

09/12/15

Une sonde japonaise mise en orbite autour de Vénus, après 5 ans d’errance…

C’est un bel exploit que viennent de réussir les ingénieurs de l’agence spatiale japonaise. Ils sont parvenus à mettre en orbite autour de Vénus leur sonde Akatsuki, 5 ans après une grave anomalie de son moteur principal qui avait envoyé la sonde très loin de son objectif. 



Akatsuki, qui était appelée Planet-C à sa conception, devait arriver en orbite autour de Vénus en décembre 2010 après avoir été lancée en mai de la même année pour en étudier l’atmosphère. Mais lors de la phase finale d’approche de la sonde pour s’insérer en orbite vénusienne, l’allumage de son moteur principal devant apporter la poussée adéquate ne se fit pas. Le défaut eut pour cause l’apparition de sels sur une valve située entre un réservoir d’hélium et un réservoir de carburant, produisant un blocage d’une pièce dans le système de propulsion. Cette dernière poussée n’ayant pas eu lieu, la sonde rata Vénus et poursuivit sa route sur sa lancée initiale, se retrouvant de fait en orbite autour du Soleil, tout en restant sur une orbite proche de celle de Vénus…

Vue d'artiste de Akatsuki autour de Vénus (JAXA)
On pourrait presque dire que les japonais sont malheureusement coutumiers du ratage de mise en orbite. Akatsuki était leur première mission d’exploration planétaire depuis le lancement de leur sonde martienne Nozomi en 1998, qui rata elle aussi sa mise en orbite autour de Mars en 2003, sans avoir pu être récupérée…

08/12/15

Découverte de 53 galaxies spirales géantes superlumineuses

Des galaxies spirales géantes, c'est ce qu'ont découvert des astronomes américains. Ces galaxies spirales sont non seulement super lumineuses, mais aussi de très grande taille et très massives. Leur origine est encore quelque peu mystérieuse.



Les plus grosses galaxies que nous connaissons sont des galaxies dites elliptiques, qui n'ont pas ces belles formes spiralées comme peut arborer notre Voie Lactée, mais au contraire forment des sortes de grosses boules en forme d'ellipses. Mais cette nouvelle découverte de galaxies spirales aussi grosses que les plus gros spécimens de galaxies elliptiques vient aujourd'hui rebattre les cartes dans la zoologie des galaxies.
La galaxie super spirale CGCG 122-067 possède un double noyau et émet 8 fois
plus de lumière visible que la Voie Lactée (Sloan Digital Sky Survey)
Les membres de l'équipe de Patrick Ogle du California Institute of Technology ont été surpris en découvrant cette population de galaxies spirales qu'ils appellent désormais des galaxies super spirales. Ils les ont débusqué en fouillant dans une base de données construite par la NASA, la bien nommée NASA Extragalactic Database et en examinant pas moins de 800 000 galaxies situées à une distance inférieure à 3,5 milliards d'années-lumière. Ils les ont classifiées par luminosité décroissante, notamment en lumière visible. La luminosité des galaxies est évaluée par rapport à une valeur étalon de luminosité qui est la luminosité émise par notre propre galaxie : L*. Les galaxies qui montrent une luminosité supérieure à L* sont assez rares et étaient toutes elliptiques jusqu'à aujourd'hui...

04/12/15

Observation inédite du magnétisme de Sgr A*, trou noir central de notre galaxie

A proximité d’un trou noir, la rotation d’un disque d’accrétion doit produire des champs magnétiques qui vont finalement être à l’origine de l’émission du disque et de l’apparition de jets de plasma le long de l’axe de rotation du trou noir. Une équipe internationale d’astrophysiciens vient pour la première fois d’observer en détails la structure de tels champs magnétiques au plus près de l’horizon du trou noir de notre galaxie : Sgr A*



Vue d’artiste des champs magnétiques produits par le trou noir supermassif et son jet
(CFA/M. Weiss)
C’est grâce à des observations dans le domaine des ondes radio (longueur d’onde de 1,3 mm) en mode interférométrique que les chercheurs parviennent à atteindre une résolution angulaire record de quelques dizaines de microsecondes d’arc et arrivent ainsi à s’approcher à une distance de seulement 6 fois le rayon de l’horizon du trou noir.  De telles observations ont été rendues possibles grâce à la mise en commun de données de multiples réseaux de radiotélescopes répartis sur de très longues distances et qui forment ensemble ce qui est appelé le Event Horizon Telescope (EHT). 
L’équipe de Michael Johnson du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics n’a pas seulement réussi à déterminer la structure spatiale des lignes de champs magnétiques à proximité immédiate du trou noir, mesure sans précédent, mais ils ont également suivi dans le temps comment elles évoluaient, et montrent l’existence d’une variabilité temporelle très rapide, visible à l’échelle d’un quart d’heure.
La méthode utilisée par les chercheurs est indirecte : elle est fondée sur l’observation de la polarisation des ondes radio détectées. Cette méthode est ainsi appelée interférométrie polarimétrique à très longue base. Les lignes de champ magnétique quand elles sont ordonnées, ont pour effet de polariser le rayonnement émis via leur effet sur le mouvement des électrons relativistes qui en sont à l’origine. Quand cette polarisation est linéaire, le vecteur de polarisation indique la direction du champ magnétique présent. En mesurant avec une très grande résolution spatiale comment est distribuée la polarisation des émissions radio, on peut ainsi déterminer comment est distribué le champ magnétique.

03/12/15

L’astrophysique nucléaire à l’épreuve du calcul

Une méthode de calcul révolutionnaire vient de montrer sa puissance à calculer ab initio (à partir des équations) comment se collisionnent deux noyaux d’hélium (des particules alpha). Cette réaction nucléaire est la réaction fondamentale qui permet aux étoiles de produire leurs premiers noyaux lourds : carbone, puis oxygène. C’est aussi l’une des sources primordiales de fusion nucléaire qui va diriger le destin des étoiles ou leur fin cataclysmique ; elle doit à ce titre être la mieux connue possible.



Malgré l’importance de cette réaction nucléaire entre particules alpha pour l’astrophysique, les processus qui y sont impliqués n’ont jamais pu être facilement appréhendés par le calcul depuis les années 1950. Chaque particule alpha est en effet composée de deux neutrons et deux protons, donnant ainsi un problème à 8 corps, qui interagissent entre eux par la force nucléaire forte (au sein de la particule alpha) et par la force électromagnétique (entre chaque particule alpha). Le temps de calcul requis dans les approches classiques de calcul évolue de façon exponentielle avec le nombre de particules impliquées (8 ici).

Schéma du processus triple-alpha de fusion de l'hélium (adapté de Nature)
La nouvelle méthode de calcul développée par l’équipe américano-allemande menée par Serdar Elhatisari,

02/12/15

Mise au jour des baryons manquants de l'Univers

On parle souvent de la très faible abondance de matière ordinaire dans l’Univers : à peine 5% de la quantité totale de matière-énergie, le reste étant accaparé par l’énergie noire (68%) et la matière noire (27%). Mais parmi ces 5% de matière baryonique, celle dont sont faites les étoiles et nous avec, saviez-vous que près de la moitié est encore introuvable ? Enfin, plus maintenant car un grand pas vient tout juste d’être franchi...



L'amas de galaxies Abell 2744 imagé par le télescope
spatial Hubble (NASA/ESA)
Des simulations numériques montraient que ces « baryons manquants », comme on appelle cette portion de matière formant la moitié de la matière baryonique, devaient se trouver sous la forme de vastes étendues de gaz chaud à quelques millions de degrés, tapissant la toile cosmique. Ce n’étaient que des hypothèses fortes mais une équipe d’astrophysiciens vient d’observer pour la première fois ce gaz très diffus associé aux filaments intergalactiques de matière.

Les chercheurs suisses de l’Université de Genève et de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne ont observé un amas de galaxie nommé Abell 2744 avec le télescope à rayons X XMM-Newton, qui est capable de détecter l’émission de gaz très chaud. Plus précisément, les astrophysiciens se sont intéressés aux régions situées juste autour de Abell 2744, qui sont répertoriées comme des zones filamentaires. Rappelons que la matière à très grande échelle se distribue en une sorte de réseau formé de nœuds reliés entre eux par de grands filaments de matière. Les nœuds sont les zones de plus forte de densité de matière (ordinaire et noire) où l’on retrouve naturellement les amas de galaxies. Ce vaste réseau est parfois appelée la « toile cosmique ».

30/11/15

Destruction d'une étoile par un trou noir supermassif observée "en direct"

Le déchirement gravitationnel d'une étoile par les effets de marée d'un trou noir supermassif conduit généralement à une brève éruption dite "thermique", appelée TDF en anglais (Tidal Disruption Flare). Aujourd'hui, une équipe présente pour la première fois l'observation d'un phénomène d'émission radio suivant un tel éclatement d'étoile auprès d'un trou noir supermassif, qu'ils interprètent par l'apparition d'un jet de matière au pôle du trou noir.



Vue d'artiste du phénomène de déchirement d'une étoile suivi par la
production d'un jet de plasma (Johns Hopkins University)
Malgré d'intenses recherches, une émission d'ondes radio qui suivrait tout juste l'apparition d'une explosion de type TDF n'avait encore jamais pu être observée. Celle que  Sjoert van Velzen, postdoc à l'Université Johns Hopkins et ses collaborateurs australiens, néerlandais, anglais et américains sont parvenus à mettre en évidence se trouve être variable et 10 fois moins intense que ce qu'étaient capables de détecter les instruments antérieurs. Ce type de jets de matière suivant la destruction d'une étoile par un trou noir supermassif pourrait ainsi être commun mais jusqu'ici passé inaperçu par manque de sensibilité.

C'est véritablement tout le processus de destruction d'une étoile par les forces de marées du trou noir que les chercheurs ont réussi à suivre, depuis l'apparition de l'éruption thermique signant l'écrasement de l'étoile jusqu'à son aplatissement dans le disque d'accrétion du trou noir et l'éjection consécutive de matière à une vitesse relativiste au niveau des pôles du trou noir, finissant par produire ces ondes radio caractéristiques. Sjort van Velzen précise "Ces événements sont extrêmement rares. C'est la première fois que nous voyons tout ce qui se passe depuis la destruction d'une étoile jusqu'à la projection d'un jet de matière, le tout sur plusieurs mois d'affilée".
C'est en décembre 2014 qu'une équipe de l'université de l'Ohio a signalé la présence d'une étoile en train de se faire déchirer par un "petit" trou noir supermassif de 1 million de masses solaires. Très vite, Van Velzen a contacté ses collègues britanniques pour suivre l'événement avec des radiotélescopes, puis ils ont pu ajouter des données dans de nombreuses autres longueurs d'ondes, du visible aux rayons X. La galaxie où se déroule l'action scrutée de près se situe à seulement 300 millions d'années-lumière.
A partir de ces riches observations, les astrophysiciens tirent la conclusion que des flots de débris stellaires peuvent produire un jet très rapidement, ce qui va leur permettre d'affiner encore d'avantage la physique sous-jacente à ces événements violents.

Pour la petite histoire, Sjoert van Velzen, seulement quelques mois avant cette découverte impromptue, terminait la rédaction de sa thèse en écrivant dans sa conclusion qu'il espérait pouvoir découvrir un tel événement dans les 4 années suivantes... Le temps semble s'être fortement accéléré pour lui, et il se retrouve publié aujourd'hui dans la prestigieuse revue Science... 


Source : 

A radio jet from the optical and X-ray bright stellar tidal disruption flare ASASSN-14li
S. van Velzen et al.
Science online (26 November 2015) 


28/11/15

Géminides 2015 : belle pluie d'étoiles filantes à observer

On aime admirer les étoiles filantes ici sur Ça Se passe Là-Haut. Celles de l'été, les Perséides, et aussi celles de l'hiver, les Géminides. Certes, de très nombreux autres essaims viennent brûler dans l'atmosphère tout au long de l'année, mais ces deux là sont les plus emblématiques et les plus facilement observables par tout un chacun car sans besoin d'autre chose que ses yeux. Cette année, comme les Perséides, les Géminides seront idéalement visibles grâce à la quasi absence de Lune. Petits conseils d'observation.


Quand voir les Géminides ?
Les dates, tout d'abord : deux nuits seront particulièrement propices pour apercevoir de nombreuses Géminides : la nuit du 13 au 14 décembre et la suivante : du 14 au 15 décembre. Le nombre de météores prévu devrait être de l'ordre de 120 par heure, soit un toutes les 30 secondes, un taux tout à fait intéressant. Rappelons en outre que cette pluie des Géminides comporte généralement deux pics d'intensité avec la particularité que les météores apparaissant avant le premier pic sont moins brillants que ceux apparaissant après. Cela est dû à la structure complexe du nuage de poussières que la Terre va traverser et qui a été produit par la désagrégation d'un astéroïde dont le plus gros résidu existe toujours et est nommé 3200 Phaeton (voir plus bas). Le premier nuage traversé est constitué de particules plus fines que le second, expliquant la différence de luminosité qu'ils produisent en se consumant dans la haute atmosphère.
Le maximum d'activité est prévu le 14 décembre exactement aux environs de 18h TU (19h heures française). Les météores visibles la première nuit (du 13 au 14) devraient ainsi être un peu moins brillants que ceux visibles la seconde nuit (du 14 au 15), mais leur nombre devrait être similaire dans les 24 heures entourant le maximum.

Où regarder ?
Cette pluie d'étoiles filantes a été nommée pluie des Géminides car son radiant, le point d'où semblent provenir les météores sur la voûte céleste, se situe dans la constellation des Gémeaux (Gemini). Cette constellation est facilement reconnaissable grâce notamment à sa proximité de la constellation d'Orion. Elle forme deux hommes qui se donnent la main, les deux gémeaux de la mythologie, Castor et Pollux, dont les noms ont été donnés aux deux étoiles principales de la constellation et qui sont les étoiles figurant la tête de nos deux frères. Le radiant des Géminides, du 13 au 15 décembre, se trouve presque exactement à la position de Castor (la tête du jumeau le plus en haut dans le ciel).
Ciel le 14 décembre 2015 à 23h
C'est en direction de l'Est-Sud-Est qu'il faudra plutôt regarder. Evitez de regarder en direction du Nord où vous en apercevrez moins. Mais il ne faut pas se focaliser non plus sur le radiant. Observez toutes les constellations faciles à reconnaître qui se trouvent autour de celle des Gémeaux : Le Cocher, son hexagone caractéristique et son étoile très brillante (Capella) vers le zénith, Orion et ses trois étoiles alignées formant son baudrier vers le Sud, ou le Lion vers l'Est. 


Comment observer un maximum d'étoiles filantes, que ce soit le 13 décembre ou le 14 décembre ?
Comme vous l'avez compris, après les conditions météorologiques, l'ennemi numéro 2 est la lumière parasite, y compris la lumière de la Lune. Les météores peuvent parfois être très brillants, mais pour la plupart d'entre eux, ils sont tout de même assez faiblement lumineux. Il est donc indispensable de n'avoir aucune lumière artificielle à proximité de votre lieu d'observation, que ce soit des lumières d'habitations, de lampadaires, de voitures, etc... pour que votre œil puisse les distinguer. 
Vous devrez d'ailleurs laisser un peu de temps à vos yeux pour s'habituer à l'obscurité, environ 15 à 30 minutes, puis en réduisant au maximum le recours à une lampe (si nécessaire préférez une lampe rouge ou orange plutôt qu'un écran de téléphone blanc/bleuté, qui nécessitera une nouvelle acclimatation à l'obscurité plus longue).

Pour pouvoir attraper un maximum d'étoiles filantes, la position d'observation compte aussi : il est préférable d'avoir le champ de vue la plus vaste possible sur la voûte céleste. Pour cela, dans une zone dégagée (une plaine plutôt qu'un forêt), je vous recommande non pas seulement une bonne chaise longue, mais carrément de vous allonger au sol. En tous cas, ne restez pas debout ni assis en vous tordant le cou, c'est une mauvaise idée, habillez vous très très chaudement (les chaussures comptent aussi!) et allongez vous en position de repos avec pourquoi pas de quoi grignoter, un thermos de café et une petite radio (qui ne fait pas de lumière). 
N'hésitez pas à observer entre amis en jouant pourquoi pas à celui qui verra un maximum d'étoiles filantes ou de satellites.... Entre deux météores, vous pourrez observer tranquillement les constellations du ciel d'hiver, et par exemple Orion, où vous pourrez essayer de distinguer à l'oeil nu la grande nébuleuse, située légèrement en dessous des trois étoiles du baudrier. Vous verrez probablement passer des satellites, qu'il ne faut pas confondre avec des météores, les satellites ont un éclat constant et se déplacent à vitesse constante relativement lente durant plusieurs secondes, les météores, eux, sont très rapides et parfois très fugaces...

Si vous souhaitez prendre des photos, préférez l'objectif le plus petit (24 ou 35 mm), avec la plus grande ouverture possible (du genre f/2.8), avec un réglage sur ISO 800 ou plus. Utilisez un trépied et répétez de multiples poses de 30 s ou 1 minute, en espérant que la chance sera de votre côté et que vous capturerez un ou plusieurs bolides multicolores...

Une origine particulière

Les poussières qui sont à l'origine de la pluie des Géminides sont particulières. Elles arrivent dans l'atmosphère terrestre à une vitesse relativement faible : environ 30 km/s. Alors que la plupart des météores sont issus de poussières de comètes, comme les Perséides du mois d’août par exemple, les Géminides, elles, sont des résidus non pas d'une comète, mais d'un astéroïde, que l'on connait bien, qui s'appelle 3200 Phaeton. 
L'astéroïde 3200 Phaeton imagé par STEREO en 2012 à son point le plus proche du
Soleil, montrant une queue de poussières (NASA/STEREO)

Cet astéroïde a une taille de 5,1 km, et la Terre croise son orbite tous les ans à cette époque de l'année. 3200 Phaeton a une orbite allongée, il passe au plus près du Soleil tous les 1,4 an (à environ 20 millions de km du Soleil). Et en 2009, 2010 et 2012, on a pu observer que 3200 Phaeton se prenait presque pour une comète ! A sa plus faible distance du Soleil, on a pu le voir éjecter des quantités de poussières très importantes, laissant penser que la chaleur du Soleil le fracturait ou du moins produisait comme une sorte de dessèchement de sa surface, avec la production d'une petite queue de matière à la manière d'une comète.
Et 3200 Phaeton semble produire des petites éruptions périodiques également lorsqu'il est plus loin du Soleil dans son trajet orbital, ce qui fournit ces fameux petits grains de poussières que vous verrez brûler dans l'atmosphère très bientôt...

Très bon ciel à toutes et tous (et préparez votre longue liste de vœux) ! 

26/11/15

L'inclinaison de l'orbite de la Lune expliquée

L’orbite de la Lune est anormale. Elle est inclinée d’un angle de 5° par rapport au plan de rotation de la Terre. Les effets de marée entre les deux corps, qui tendent à réduire cet angle au cours du temps, indiquent que l’inclinaison de la Lune devait être de l’ordre de 10° lors de sa formation, au lieu de 1° au maximum d’après les modèles de formation classiques. Un long mystère qui vient de trouver une nouvelle explication.



Kaveh Pahlevan et son collaborateur Alessandro Morbidelli, tous deux travaillant à l’Observatoire de la Cote d’Azur du CNRS, proposent une solution qui a le mérite d’être simple : la Lune nouvellement formée pourrait avoir subi l’effet gravitationnel de gros corps passant à proximité d’elle mais sans impact. Ces objets, résidus de la formation des planètes internes du système solaire, pourraient en revanche s’être agglomérés à la Terre par la suite.  Le passage rapproché d’un ou plusieurs corps relativement massifs peut modifier la trajectoire lunaire et induire le changement d’inclinaison encore observé aujourd’hui.
Inclinaisons  relatives de la Terre et de la Lune par rapport au plan de l'orbite terrestre (plan de l'écliptique) (T. Lombry).
C’est en étudiant la composition chimique de la croûte terrestre en métaux précieux comme l’iridium, le platine ou l’or que les chercheurs ont trouvé des indices. Ces métaux sont ce qu’on appelle des sidérophiles : ils possèdent une forte affinité chimique avec le fer. Or la Terre s’est formée à haute température où la matière était liquide, y compris le fer. C’est pourquoi on retrouve aujourd’hui le fer en très grande majorité au centre de la Terre. Le fer a simplement « coulé » (ou migré) à cause de sa densité élevée, avec pour conséquence qu’il a emmené avec lui de grandes quantités de métaux sidérophiles comme l’or ou le platine, laissant les couches externes appauvries en ces métaux précieux.
Mais il se trouve qu’aujourd’hui, nous trouvons ces métaux dans la croûte terrestre avec une abondance non négligeable, ce qui veut dire qu’ils sont arrivés là plus tard dans l’histoire de la Terre, bien après que le fer ait migré au centre du globe pour en former le cœur. Cet ajout de masse postérieur est aujourd’hui estimé à environ 1% de la masse totale de la Terre. Si cet apport de matière extérieur s’était fait par une multitude de petits astéroïdes, la Lune en aurait reçu également, en proportion de sa surface, une quantité qui peut être évaluée à 1/20 de celle reçue par la Terre. Mais l’abondance des métaux sidérophiles est également connue pour le sol lunaire, et elle ne correspond pas à un tel apport qui serait obtenu par une pluie de petits astéroïdes.
Il apparaît alors face à ces observations que l’apport de masse extérieur sur la Terre aurait été plus probablement le fait non pas de petits astéroïdes, mais de quelques gros corps, de taille comparable à celle de la Lune elle-même.

Les auteurs de l’étude qui est publiée cette semaine dans Nature ont calculé grâce à des simulations numériques quels seraient les effets de la présence d’une telle population de gros corps sur l’orbite primordiale de la Lune. Ils ont simulé l’évolution temporelle de l’orbite lunaire en partant d’une orbite proche de la Terre et située dans son plan de rotation. Les effets de marée de la Terre produisent un éloignement progressif de la Lune et les effets gravitationnels des gros astéroïdes ou planétésimaux viennent perturber l’orbite de la Lune jusqu’à ce qu’ils disparaissent les uns après les autres en quelques dizaines de millions d’années.  
Les chercheurs font l’hypothèse importante dans leurs simulations que chaque objet qui finalement collisionne la Terre doit faire auparavant plusieurs milliers de passages proches, avec une portion de ces passages qui vient fortement perturber l’orbite lunaire. Les auteurs montrent comment de multiples passages cumulés, même s‘ils sont a priori de direction aléatoire au moment de leur passage au plus près, finissent par produire une variation mesurable de l’orbite. Dans ces calculs, le 1% d’apport de masse extérieur à la Terre doit être le fruit de 5 grands corps au maximum, qui participent tous à la perturbation de l’orbite lunaire.
Ce nouveau modèle est beaucoup plus élégant que les modèles antérieurs développés pour tenter d’expliquer l’inclinaison de l’orbite de la Lune, où on faisait intervenir des résonances gravitationnelles avec le Soleil ou encore des interactions entre la Lune et son disque précurseur, autant de modèles complexes qui imposaient des paramètres extrêmement ajustés pour atteindre la bonne inclinaison. La force de cette nouvelle proposition est qu’elle repose sur une contrainte indépendante liée à l’abondance en métaux précieux dans la croûte terrestre, qui mène à une image cohérente de ce qu’était l’environnement de la Terre il y a 4 milliards d’années.

Si ces gros corps perturbateurs d’orbite n’avaient pas existé, nous aurions certes eu le bonheur d’admirer des éclipses (solaires et lunaires) tous les mois, mais nos bijoux les plus précieux auraient eu une autre couleur. Choisissez votre regret.


Sources :
Collisionless encounters and the origin of the lunar inclination
Kaveh Pahlevan & Alessandro Morbidelli
Nature 527, 492–494 (26 November 2015)

The Moon's tilt for gold
Robin Canup
Nature 527, 455–456 (26 November 2015)