Une étoile massive a été observée devenir un trou noir en disparaissant soudainement, sans passer par la case supernova habituelle. Les astronomes appellent ce phénomène une supernova ratée. Trente pourcents des étoiles massives pourraient former ainsi des trous noirs très discrètement.
Cette étoile de 25 masses solaires portait le petit nom de N6946-BH1. Elle se trouvait dans la galaxie spirale NGC 6946, célèbre pour avoir produit de nombreuses supernovas, dont une encore visible actuellement, découverte le 14 mai (SN 2017eaw). Cette galaxie voisine est surnommée à ce titre la galaxie du feu d'artifice, elle est située à 22 millions d'années-lumière (dix fois plus loin que la galaxie d'Andromède). L'équipe américaine qui publie ses observations dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, a utilisé tout d'abord le Large Binocular Telescope (LBT), puis les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer pour essayer d'observer un éventuel résidu à l'emplacement de l'étoile disparue.
Scott Adams (Ohio State University) et ses collègues cherchaient justement ce type d'objet, ces supernovas ratées lorsqu'ils ont "trouvé" la disparition de N6946-BH1 avec le LBT en 2015. Quelques années auparavant, en 2009, la luminosité de l'étoile avait fortement augmenté, mais très loin du niveau atteint par une supernova. L'observation de la zone avec Hubble pour voir si l'étoile était toujours là mais de très faible luminosité n'a donné qu'un résultat négatif. La recherche en infra-rouge avec Spitzer, qui aurait pu indiquer un fort obscurcissement par des poussières n'a donné, là aussi, qu'un résultat négatif. L'étoile ne semble vraiment plus là. Après un précautionneux processus d'élimination, les astrophysiciens concluent que l'étoile s'est bien transformée "paisiblement" en trou noir. La seule trace observable est une très faible luminosité en infra-rouge observée par Spitzer, que les chercheurs attribuent à de la matière éjectée auparavant par la supergéante rouge qui est en train de retomber vers le trou noir.
Cette observation est une bonne nouvelle car elle peut expliquer pourquoi on ne voit que rarement des supernovas issues d'étoiles très massives, de plus de 20 masses solaires. N6946-BH1 est la première supernova ratée que les astronomes ont trouvée dans leur relevé systématique en sept ans d'observations. Durant cette période et dans les galaxies qui étaient suivies, six supernovas "normales" ont été détectées par l'équipe de Scott Adams. Les astronomes en concluent qu'environ 10 à 30% des étoiles massives pourraient finir leur vie en s'"éteignant" ainsi en trou noir sans exploser. Et il se trouve que 30%, c'est justement le taux de supernovas manquantes compte tenu du nombre estimé d'étoiles très massives qui devraient exploser en supernova avant de finir en trou noir.
Cette observation a une autre implication également très intéressante. Lorsque ces étoiles très massives, de plus de 20 masses solaires, s'effondrent en trou noir sans exploser, c'est quasi toute leur masse qui se retrouve dans le trou noir, et pas uniquement le cœur de l'étoile comme dans le cas des supernovas classiques de type II, qui expulsent de grandes quantité de matière de leur enveloppe. Cela implique que le trou noir formé dans une "supernova ratée" est déjà relativement "gros", avec plus de 20 masses solaires. On se rappelle que les premiers trous noirs trouvés par leurs ondes gravitationnelles par LIGO avaient des masses proches de 30 masses solaires, considérées comme étonnantes, voire anormales. Le phénomène de supernova ratée menant à des trous noirs massifs résoudrait très facilement cette question.
Ce processus peut aussi avoir une implication sur l'origine des tous premiers trous noirs très massifs, sachant que les premières étoiles étaient pour nombre d'entre elles des monstres de plus de 100 masses solaires...
Maintenant, les astronomes prévoient de suivre N6946-BH1 avec le télescope Chandra pour prouver définitivement la présence d'un trou noir grâce aux émissions de rayons X associées au disque de matière qui doit l'entourer. Dans le doute, ils souhaitent également continuer à chercher si l'étoile serait encore là, non seulement avec Hubble, mais aussi avec le télescope Webb dès qu'il sera en service.
Référence
The search for failed supernovae with the Large Binocular Telescope: confirmation of a disappearing star
S. M. Adams et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (2017) 468 (4): 4968-4981
Illustration
Images de Hubble de la zone de NGC 6946 où se trouve (trouvait) N6946-BH1 en 2007 à gauche, en 2015 à droite (NASA, ESA, and C. Kochanek (OSU))
3 commentaires :
génial ! merci 😊
Si les étoiles de première génération ont utilisé le processus de supernova raté pour se transformer en trous noirs, est-ce que ça a un impact sur le taux d'éléments lourds produits par cette première génération d'étoiles? Si oui, est-ce qu'il faudra revalider les modèles de production d'éléments lourds à chaque génération pour s'assurer qu'ils sont toujours conformes avec les quantités d'éléments lourds observés aujourd'hui? Merci.
Votre question est très pertinente. Effectivement, sans supernova, point de dispersion d'éléments lourds dans le milieu interstellaire. Mais il semble tout de même que ce ne soit pas 100% des étoiles massives qui finiraient comme ça (peut-être 1/3). Par ailleurs, les supergéantes dispersent quand même un peu leur enveloppe avant de faire une SN ratée, mais beaucoup moins que dans le cas d'une véritable SN II, et probablement seulement les parties externes, encore pauvres en métaux...
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