jeudi 31 août 2023

Eta Carinae fait disparaître son Homonculus


Eta Carinae fascine les astronomes depuis le début du 19ème siècle. Sujette à de multiples épisodes de changements brutaux de luminosité au 19ème et au 20ème siècle, cette étoile double massive en fin de vie est aujourd’hui entourée d’une épaisse nébuleuse de poussière bipolaire qui a été nommée l’Homonculus en 1950. Aujourd’hui, une équipe d’astrophysiciens étudie l’Homonculus avec des données spectroscopiques du télescope Hubble pour comprendre l’évolution récente de Eta Carinae. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal.

mardi 29 août 2023

Première analyse des rayons gamma de Jupiter, à la recherche de matière noire...


Pour la première fois, des astrophysiciens ont analysé l’émission gamma de Jupiter. Cette recherche est importante car elle pourrait indiquer des traces de phénomènes très particuliers comme des annihilations de particules de matière noire qui se seraient accumulées dans la géante gazeuse. La détection des rayons gamma par le télescope Fermi-LAT montre la présence d’un signal à basse énergie mais qui n’est pas statistiquement significatif, menant donc à la détermination de limites drastiques sur la probabilité d’interaction de la particule de matière noire hypothétique avec les protons. Jupiter est ainsi devenue notre plus gros détecteur de matière noire et le plus sensible à basse énergie. L’étude est parue dans Physical Review Letters.

lundi 28 août 2023

Détection d'une deuxième planète errante de type terrestre


Une équipe de chercheurs japonais et néo-zélandais rapporte la découverte d'une planète errante de la taille de la Terre grâce au phénomène de microlentille gravitationnelle. Cette planète a une masse de 0,75 fois la masse de la Terre. L'étude est publiée dans The Astronomical Journal.

vendredi 25 août 2023

La vitesse ultime des trous noirs errants


Depuis la découverte en 2007, grâce à des simulations numériques, que la fusion de trous noirs binaires ayant des spins différents peut conduire à des vitesses de recul gravitationnel importantes du trou noir résultant, une recherche de tels trous noirs est en cours. Pour déterminer quelle serait la plus grande vitesse de recul atteinte par un trou noir issu d’une fusion, deux physiciens ont effectué un grand nombre de simulations numériques en faisant varier les différents paramètres physiques en jeu. Ils trouvent une valeur maximale de vitesse qui défie l’entendement… Ils publient leur étude dans Physical Review Letters.

jeudi 24 août 2023

Des étoiles hypervéloces éjectées par les amas globulaires


Un duo d’astrophysiciens publie une étude dans The Astrophysical Journal montrant comment les rencontres entre étoiles au sein des amas globulaires peuvent mener à des éjections d’étoiles à très grande vitesse, plus de 2000 km.s-1. Mais les amas globulaires ne produisent par là qu’une infime fraction des étoiles hypervéloces de notre galaxie…

Les environnements denses au cœur des amas globulaires facilitent de nombreuses rencontres dynamiques entre objets stellaires. Il a été démontré depuis longtemps que ces rencontres peuvent éjecter des étoiles de l'amas globulaire hôte, qui deviennent alors soit des étoiles fugitives ou soit des étoiles hypervéloces si leur vitesse est telle qu’elles ne sont plus liées au potentiel galactique. Elles sont alors vouées à quitter définitivement la galaxie.

L’éjection d’étoiles hypervéloces a été théorisée par Hills en 1988, où il avait montré que leur origine était la perturbation dynamique d'une binaire stellaire par un trou noir supermassif. Le mécanisme de Hills serait capable d'accélérer les étoiles à des vitesses considérables allant jusqu'à 4000 km s-1. Depuis la première découverte d’une étoile hypervéloce par Brown et al. en 2005, une poignée d'objets candidats ont été identifiés dans la Voie Lactée, notamment l'objet S5-HVS1, arborant une vitesse de 1700 km s-1 (mesurée par Koposov et al. en 2020). S5-HVS1, ainsi que plusieurs autres, est bien expliquée en acceptant une origine au centre galactique, mais des études récentes entre 2018 et 2021 ont aussi trouvé des exemples d'étoiles à grande vitesse dont la trajectoire passée n’intersecte pas le centre galactique. De nombreuses étoiles précédemment classées comme hypervéloces sont en fait encore liées au potentiel galactique, et beaucoup de ces étoiles fugitives sont plus susceptibles d'avoir été éjectées du disque ou d'une galaxie satellite plutôt que du centre galactique.

Hormis le mécanisme de Hills, parmi les autres mécanismes d'accélération capables de produire des étoiles à grande vitesse figurent les scénarios de supernova binaire et les scénarios d'éjection dynamique. Dans un scénario de supernova binaire, l’étoile primaire la plus massive d'une binaire stellaire subit une supernova, qui accélère ensuite la compagne ; ce scénario a été prédit pour accélérer les étoiles à des vitesses de quelques centaines de kilomètres par seconde (Renzo et al. 2019 ; Igoshev et al. 2023), et si la compagne est exceptionnellement légère, cette dernière peut potentiellement atteindre une vitesse supérieure à 1000 km s-1 .

Le scénario d’éjection dynamique, quant à lui, concerne les interactions gravitationnelles fortes qui ont lieu entre trois à quatre objets stellaires et qui produisent un effet de fronde sur l’une des composantes. En 1991, Leonard avait étudié ces rencontres à l'aide de méthodes numériques et avait constaté que la limite supérieure de vitesse des produits de ces rencontres correspondait approximativement à la vitesse d'échappement de la surface de l'étoile la plus massive impliquée. Pour une étoile semblable au Soleil, cette vitesse d'échappement est de ∼620 km s-1, tandis que pour une étoile de 60 M de la fin de la séquence principale, elle est de ∼1400 km s-1.

Les amas globulaires sont des objets candidats évidents pour les deux mécanismes du scénario d’éjection dynamique en raison de leurs densités stellaires élevées, et ces mécanismes pourraient être exceptionnellement amplifiés en raison de la présence de trous noirs dans leur centre. Kremer et al. en 2018 et Giesers et al. en 2019 avaient montré qu’il devait exister des centaines de trous noirs par amas. Les trous noirs jouent des rôles importants dans l'évolution macroscopique des amas globulaires en dominant les interactions gravitationnelles dans le cœur des amas globulaires. Les trous noirs stellaires ont donc une position privilégiée lorsqu'on considère le scénario de l’éjection dynamique dans les amas globulaires, en particulier lorsqu'on cherche quelles peuvent être les vitesses maximales atteignables par ce mécanisme.

Tomás Cabrera et Carl Rodriguez (Carnegie Mellon University) se sont intéressés à la capacité des amas globulaires à produire des étoles hypervéloces, en se concentrant sur les rencontres entre étoiles binaires et uniques, car c’est le type le plus abondant de rencontres fortes, et plus particulièrement sur celles qui impliquent des objets compacts (c'est-à-dire la rencontre d’un couple d’étoiles avec un trou noir stellaire, une naine blanche, ou une étoile à neutrons).

Les chercheurs ont étudié les éjectas stellaires à grande vitesse provenant des amas globulaires en utilisant des modèles à 3 corps par simulation Monte Carlo. Ils ont ensuite couplé les populations discriminées par le modèle avec les catalogues d'observation des amas globulaires de la Voie Lactée afin de composer la population galactique actuelle d'éjecta stellaires à grande vitesse. Dans leurs calculs, Cabrera et ses collaborateurs trouvent que ces types de rencontres stellaires avec des objets compacts peuvent accélérer les étoiles à des vitesses supérieures à 2000 km s-1, ce qui est au-delà des limites précédemment qui avaient été prédites pour les éjectas provenant de rencontres d'étoiles seules (quelques centaines de km.s-1), et donc dans le même régime que les éjectas du centre galactique.

Les étoiles éjectées évoluent ensuite pour être largement indiscernables des autres étoiles de la Voie Lactée en termes de position, mais Cabrera et Rodriguez montrent que ces étoiles à haute vitesse se révèlent capables de conserver certaines informations sur le mouvement de leur amas globulaire d'origine, en particulier dans le cas des amas globulaires avec des orbites presque circulaires : La population globale d'éjecta est généralement concentrée autour du mouvement propre moyen de l’amas globulaire tout au long de son orbite.

Enfin, en évaluant le nombre d’étoiles fugitives et hypervéloces qui seraient produites par les amas globulaires et en le comparant avec leur population totale dans la galaxie, Cabrera et Rodriguez déterminent que les amas globulaires n’en produisent qu’une petite fraction. Pour les étoiles fugitives, ils en seraient à l’origine pour seulement 20% d’entre elles au maximum, et pour les étoiles hypervéloces, ce taux ne serait au maximum que de 1%.

Afin de donner des billes pour de futures observations, qui pourront plus facilement associer des étoiles hypervéloces avec des amas globulaires, Cabrera et Rodriguez fournissent une cartographie des régions crédibles pour les éjectas de 149 amas globulaires de la Voie Lactée.

Le mécanisme de Hills associé au trou noir supermassif Sgr A*, même s’il reste très majoritaire, n’a plus le monopole de la production des étoiles accélérées à plusieurs milliers de kilomètres par secondes qui quitteront la galaxie pour errer dans le milieu intergalactique, à la recherche d’une galaxie plus massive pour s’y accrocher…

 

Source

 

Runaway and Hypervelocity Stars from Compact Object Encounters in Globular Clusters

Tomás Cabrera and Carl L. Rodriguez

The Astrophysical Journal, Volume 953, Number 1 (2023 July 28)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/acdc22



Illustrations


1. L'amas globulaire M15 imagé par Hubble (NASA/ESA)

2. Tomás Cabrera (université de Caroline du Nord)

mardi 22 août 2023

Des impacts météoritiques à l'origine du volcanisme de Vénus


Une nouvelle étude de la formation de Vénus explique pourquoi la planète sœur de la Terre n’a pas eu le même destin, et a été submergée par une intense activité volcanique même en l’absence de plaques tectoniques. Tout proviendrait des impacts météoritiques qu’elle aurait subi étant jeune. L’étude est publiée dans 
Nature Astronomy

lundi 21 août 2023

Observation d'une étoile progénitrice de magnétar


Une équipe d'astrophysiciens vient de mettre le doigt sur une étoile pas comme les autres : elle a toutes les propriétés pour former un magnétar lorsqu'elle explosera bientôt en supernova. C'est la première fois que l'on trouve une étoile potentiellement progénitrice de magnétar. L'étude est publiée dans Science.

dimanche 20 août 2023

Neptune n'est plus la même depuis 2020


En utilisant les observations d'archives dans le proche infrarouge des observatoires Keck et Lick et du télescope spatial Hubble, une équipe d'astrophysiciens à étudié l'évolution de l'activité des nuages de Neptune entre 1994 et 2022. Ils trouvent une corrélation entre le nombre de nuages et l'irradiance UV du Soleil, prouvant que la périodicité de l'activité nuageuse de Neptune résulte de la production photochimique des nuages, déclenchée par les émissions solaires ultraviolettes. Ils montrent également que Neptune a changé d'apparence depuis 2020. L'étude est publiée dans Icarus.


vendredi 18 août 2023

Des fusions de naines blanches pour expliquer les pulsars jeunes des amas globulaires


La détection de 4 pulsars apparemment jeunes dans 3 amas globulaires de la Voie Lactée est difficile à concilier avec les scénarios standards de formation d'étoiles à neutrons associés à l'évolution des étoiles massives. Une équipe d’astrophysiciens propose une voie de formation pour ces pulsars : la fusion d’étoiles naines blanches dans des amas dynamiquement anciens. De plus, ce type de processus pourrait aussi expliquer le FRB qui a été vu récemment dans l’amas globulaire de la galaxie M81. L’étude est publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters.

vendredi 11 août 2023

Découverte d'une seconde source radio de type magnétar à très longue période


Le 26 janvier 2022, une équipe australienne publiait la découverte d'une source radio transitoire très atypique, qui ressemblait à un pulsar ou un magnétar mais avec une période ultra-longue de 18 minutes. L'équipe a poursuivi ses recherches d'objets similaires et ils viennent de trouver un second specimen du même genre, avec une période encore plus longue de 21 minutes qui produit des bouffées d'ondes radio qui durent jusqu'à 5 minutes à chaque fois. Comme pour la première découverte, les chercheurs publient leur étude dans Nature

samedi 5 août 2023

Plus de 2600 éclairs par minute dans le panache du volcan Honga


L'éruption du 15 janvier 2022 du volcan Hunga, dans les îles Tonga, a battu tous les records. Selon une nouvelle étude parue dans Geophysical Research Letters, l'éruption a créé un orage "superchargé" qui a produit les éclairs les plus intenses jamais enregistrés. Près de 200 000 éclairs ont été émis dans le panache volcanique tout au long de l'éruption, avec un pic à plus de 2 600 éclairs par minute !

jeudi 3 août 2023

Le podcast Ça Se Passe Là-Haut

Depuis 2013, Ça Se Passe Là-Haut se décline en format audio, où les épisodes sont lus par votre serviteur. Le podcast est hébergé chez podCloud.fr et disponible sur toutes les plateformes. L'abonnement à un podcast est un bon moyen de ne rien rater, et permet de suivre Ça Se Passe Là-Haut n'importe où, dans les transports, dans son fauteuil ou dans son lit, un téléphone portable à portée de main.

Voici des liens directs vers les principales plateformes sur lesquelles vous retrouvez Ça Se Passe Là-Haut : 

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A ce jour, le podcast contient 1525 épisodes, d'une durée comprise entre 5 et 12 minutes environ. 

Bonne écoute ! 



mardi 1 août 2023

Vera à Woodstock [microfiction]

La lumière du soleil était aveuglante. Dès que Vera avait trouvé le mot, elle avait décidé d’y aller. Comme Bob était en Californie pour encore dix jours, elle avait demandé à sa fille Judith de rester à la maison pour garder ses deux petits frères. Vera venait de contourner Baltimore et roulait maintenant sur la route 83 en direction de Harrisburg. « Qu’est-ce qu’il lui a pris de partir comme ça sans rien dire, juste en laissant ce mot succinct ? »

Vera ne comprenait plus son fils aîné. David venait tout juste de fêter ses dix-neuf ans deux semaines auparavant, le jour du retour des astronautes. Le mot laissé sur la table de la cuisine disait : « Je pars au festival de Woodstock avec les copains, on rentre dans trois jours». La famille Rubin était jusque-là très soudée, mais depuis que David avait rejoint l’université, il n’était plus le même. David avait complètement raté sa première année universitaire, alors qu’il avait toujours été un très bon élève, un modèle pour sa sœur et ses deux jeunes frères. Vera, chercheuse comme Bob, avait très mal vécu cet échec de David, et elle le suspectait d’avoir de mauvaises fréquentations. David traînait souvent avec une bande de hippies qui ne semblaient pas très portés sur les études. Elle était sûre qu’il était parti avec eux à ce festival de musique. Bob et Vera avaient décidé de remettre leur fils aîné dans le droit chemin en commençant par l’obliger à travailler dur durant tout l’été pour rattraper le retard qu’il avait accumulé depuis l’hiver. Vera ne pouvait pas accepter qu’il soit parti comme ça. Elle avait décidé d’aller le chercher elle-même à ce festival et de le ramener coûte que coûte à la maison pour le faire travailler deux fois plus. Elle savait ce qu’aurait dit Bob, sa réaction aurait été encore plus violente. Vera avait donc choisi de ne rien dire à son mari et de se débrouiller seule pour donner une bonne leçon à David.

Vera n’aimait pas écouter la radio en conduisant, elle préférait penser à ses observations de la galaxie d’Andromède. Messier 31 ne tournait pas rond, ou plutôt elle tournait vraiment trop vite. Les résultats qu’ils obtenaient étaient étranges. Ils étaient presque prêts à envoyer leur article maintenant, mais Vera avait toujours des doutes. Pouvait-il encore y avoir un biais dans ces mesures spectrométriques ? Il était quand-même très audacieux de proposer que les lois de la gravitation puissent être incorrectes aux grandes échelles ou qu’une matière invisible puisse exister majoritairement dans les galaxies spirales…
Vera s’arrêta peu avant Hazleton pour faire le plein de la Chevy et en profita pour téléphoner à la maison pour savoir si tout allait bien. Elle était sur la route depuis deux bonnes  heures, sous la chaleur écrasante du mois d’août, et il lui en restait facilement le double d’après la carte. Le festival se déroulait dans un coin reculé de l’état de New York, c’est Judith qui lui avait précisé, elle en avait eu vent au lycée. Vera avait quitté Bethesda le matin vers dix heures. Elle avait dû prendre sa journée au dernier moment, alors qu’elle voulait profiter de ce vendredi pour avancer sur la rédaction de l’article.

Cela faisait maintenant trois ans que Vera faisait des allers-retours en Arizona pour enregistrer des spectres de différentes régions de la galaxie d’Andromède à l’observatoire Lowell. De son côté, Kent, son collègue de l’Institut Carnegie faisait la même chose auprès du télescope de Kitt Peak. Ils avaient mis en commun leurs données pour obtenir une vue globale des vitesses de rotation du gaz et des étoiles dans toute la galaxie d’Andromède.  Il fallait retravailler une dernière fois l’article, la toute dernière version n’était pas satisfaisante. Le point le plus ennuyeux était bien évidemment cet écart énorme qu’ils trouvaient lorsqu’ils calculaient la masse de la galaxie. A partir de la matière visible, l’hydrogène et les étoiles, la masse qu’ils obtenaient ne faisait que huit pourcents de la masse qu’ils déduisaient à partir des mesures de vitesse, près de deux cent milliards de fois la masse du soleil. Fallait-il développer des hypothèses dans la conclusion de l’article ou bien simplement donner cet écart sans plus de commentaire, laissant cela à la charge de la communauté scientifique ? Vera réfléchissait à son travail lorsqu’elle aperçut sur le bord de la route un restaurant à l’enseigne pour le moins attractive, on y voyait la Lune, accompagnée d’une fusée et d’une galaxie, qui pouvait ressembler à Andromède. Il était temps de manger un morceau.

Il y avait beaucoup de monde dans la salle, surtout des jeunes. Vera trouva tout de même une place au bout d’une table où s’était installé un groupe de trois jeunes gens et quatre jeunes filles. Ils n’avaient pas l’air beaucoup plus âgés que David. Vera repensait à la conclusion de l’article pour The Astrophysical Journal. Elle savait que Kent voulait mettre l’accent sur l’anomalie de masse qu’ils trouvaient, car les données étaient très précises, il n’y avait pas de doute possible. Mais pour Vera, il était encore un peu trop tôt. Il faudrait regarder ce que donneraient les courbes de rotation d’autres galaxies avant de pouvoir généraliser et annoncer l’existence d’une masse invisible. Elle comprenait Kent, ces observations avaient un caractère révolutionnaire, mais il ne fallait pas se tromper, on entrerait dans un nouveau monde.

Perdue dans ces pensées, Vera écoutait vaguement ce que disaient ces voisins, quand elle entendit soudain le mot « Woodstock ».
—Excusez-moi, vous vous rendez au festival de musique de Woodstock ?
— Oui, madame ! Trois jours de musique, de paix et d’amour ! Tout le monde y va ! répondit une petite blonde avec un large sourire.
— Moi aussi, j’y vais !
— Super ! s’exclama une brune qui était au bout de la table près de la vitre.
— Je vais chercher mon fils…
— Hein ? Chercher votre fils ? Pourquoi ? demanda un garçon qui portait des cheveux jusqu’aux épaules.
— Il n’avait pas le droit de sortir.
— Ooh… pas cool ça… Pas cool…
— Ah, non, et je ne vous le fais pas dire, rétorqua Vera.
— ‘fin… non, j’veux dire… Vous êtes pas très cool, quoi… répondit le garçon.
Vera le dévisagea durant deux secondes mais ne répondit pas. Elle avait fini son cookie et se dirigea rapidement vers la sortie, elle n’avait pas de temps à perdre.

Elle reprit la route 81 en direction de Scranton. Il y avait beaucoup plus de trafic qu’avant son arrêt. Vera calcula qu’elle arriverait à destination vers 17h. Il ne fallait pas aller dans la ville de Woodstock comme on pouvait le croire en lisant le nom du festival mais dans un village du nom de Bethel qui était à quelques dizaines de kilomètres de la ville.
Vera avait toujours avec elle des cartes détaillées, celles de la Pennsylvanie et de New York avaient déjà beaucoup servi, mais sans doute moins que celle de l’Arizona. Après Scranton, il fallait prendre la route 84 vers l’est jusqu’à Middletown puis la route 17 qui venait de New York City vers le nord et on arrivait ensuite à Bethel par une route de campagne à partir d’un bourg au nom étrangement italien, Monticello. Quelle idée avaient eu les organisateurs de ce festival de faire ça dans un coin aussi reculé ?

La circulation devenait maintenant un peu difficile. Une longue file de voitures se suivait à la queue leu leu. C’était curieux car il n’y avait absolument personne dans l’autre sens. La chaleur était toujours plus accablante. Il était 16h35. Il y avait devant une sorte de pick-up sur la plateforme duquel s’étaient entassés cinq personnes. Des jeunes. Elle les regardait qui discutaient en riant et pensait en même temps à Andromède. La voiture qui était derrière était aussi entièrement remplie, comme si il y avait un rassemblement de jeunes quelque part dans le coin. Vera songeait à quelles pourraient être les galaxies à étudier après M31 pour montrer un comportement similaire des courbes de rotation.
Ça freinait devant.

— A cette vitesse, je n’arriverai pas avant 18h, peut-être plus… Qu’est ce qui se passe ici ?
Les voitures roulaient maintenant au pas. C’était pénible. La troupe dans le pick up ne semblait pas le moins du monde affectée par l’embouteillage. Ils semblaient même beaucoup s’amuser. On venait de sortir du bourg de Monticello, traversé au ralenti. On voyait des habitants devant les maisons, ils semblaient n’avoir jamais vu autant de voitures traverser leur village. Puis un quart d’heure plus tard, ça n’avançait plus du tout. On était à peine à deux miles des dernières maisons de Monticello. Vera s’impatientait. Elle coupa le contact après dix minutes. Il était maintenant 18h15. Elle sortit de la Chevy et s’approcha des jeunes entassés dans le pick-up. D’autres personnes sortaient des voitures plus loin devant.
— Vous savez ce qui se passe par ici ? demanda-t-elle.
— C’est le festival ! répondit un jeune qui était assis en tailleur, tout le monde y va !
— Mais, vous parlez du festival de Woodstock ? C’est un gros événement ? demanda Vera, qui pensait que David était allé à un petit festival de musique de campagne d’à peine quelques centaines de personnes.
Une fille répondit :
— Mais tout le pays est en train de venir !
— Tout le pays ? rétorqua Vera qui se souvint brusquement ce que lui avait dit la petite blonde du restaurant.
— Mais bien sûr ! On devrait être cinquante mille … répondit la fille.
— Oh, on sera bien plus… Vous avez vu toutes ces voitures ? Je parie qu’on sera deux cent mille !.. reprit un deuxième garçon qui était coincé tout contre le bord du pick-up.
— Deux cent mille personnes ? dit Vera comme pour elle-même. Deux cent mille… Mais c’est impossible… Je ne trouverai jamais David.
Au moment où Vera comprit qu’elle s’était fourvoyée, une moto arriva dans le sens inverse en roulant lentement avec un passager derrière le conducteur. Il criait à tue-tête :
— Laissez les voitures sur les côtés dans les champs, l’accès est bouché aux véhicules, continuez à pied, vous y êtes presque ! Peace ! Laissez les voitures sur le bas-côté ! Continuez à pied ! C’est à quatre miles ! Peace !

Aussitôt, les cinq jeunes gens se regardèrent, et après un hochement de tête, sautèrent tous sur le route avec leur sacs à dos. Vera les vit s’éloigner et resta là sans trop savoir ce qu’elle devait faire. De derrière elle, des flots de jeunes gens faisaient la même chose tandis que les conducteurs des voitures manœuvraient pour positionner leur véhicule dans le champ tout juste moissonné qui longeait la route sur la gauche. Il régnait une atmosphère étrange. Tous ces gens à peine plus vieux que David, et pour certains peut-être plus jeunes, semblaient épris de la même ferveur. Vera les observait la dépasser, les écoutant au passage. On entendait des encouragements joyeux, une sorte de bonheur enfantin d’aller voir Joan Baez ou Janis Joplin, des noms que Vera avait déjà entendus ou qui lui étaient complètement étrangers. Certains chantaient en marchant. La plupart portaient des balluchons et il y en avait qui fumaient certainement autre chose que du tabac vu l’odeur.

Vera était stupéfaite de voir cette foule converger vers ce lieu tout à fait improbable. Elle se mit à marcher lentement avec le flot, regardant autour d’elle, des fois qu’elle aperçoive David, mais plus par réflexe que par volonté de le retrouver. C’était absolument impossible et elle le savait désormais.  
A peine un yard plus loin, la route faisait un virage au-delà des arbres et elle voyait les gens pointer du doigt l’horizon. Vera se rapprocha puis monta sur le talus pour regarder dans la direction indiquée. C’était là-bas, dans le fond d’un vallon fraîchement moissonné. Une foule immense semblait s’amasser au loin ; on voyait les gens qui s’agglutinaient par petits groupes multicolores.

Cette multitude donnait au vallon un aspect émouvant qui ressemblait à celui de la galaxie d’Andromède vue dans un petit télescope. David était là quelque part. Vera sentit un frisson, elle savait maintenant comment conclure l’article. Le monde ne serait plus comme avant.