16/07/24

Identification d'un trou noir d'au moins 8200 masses solaires au centre de Omega Centauri


L’amas d'étoiles Omega Centauri contiendrait bien un trou noir de masse intermédiaire selon une étude publiée dans Nature, grâce à un suivi minutieux de deux décennies d'images prises par le télescope spatial Hubble. Ce trou noir central aurait une masse minimale de 8200 masses solaires.  

Seule une poignée de trous noirs de masse intermédiaire ont été repérés par le passé, mais ces observations ont souvent fait l'objet de vifs débats. La confirmation de l'existence des trous noirs de masse intermédiaire est importante car elle pourrait permettre de comprendre comment les trous noirs supermassifs, se sont formés dans l'Univers primitif, une question essentielle.

ω Centauri (ω Cen) est un cas particulier parmi les amas globulaires de la Voie Lactée. En raison de sa masse élevée, de ses populations stellaires complexes et de sa cinématique, ω Cen est largement considéré comme le noyau dénudé d'une galaxie naine accrétée. Ces facteurs, combinés à sa proximité (5,43 kiloparsec) en ont fait une cible de choix pour la recherche d'un trou noir de masse intermédiaire. Dans le cadre du projet oMEGACat, Maximilian Häberle (Max Planck Institute für Astronomie, Heidelberg) et ses collègues ont construit un catalogue actualisé des mouvements propres des régions internes de ω Cen, sur la base de plus de 500 images d'archives du télescope spatial Hubble prises sur une période de 20 ans. La profondeur et la précision sans précédent de ce catalogue leur ont permis de découvrir une surdensité statistiquement significative d'étoiles à mouvement rapide dans le centre de l'amas.

Au total, les chercheurs ont suivi la trajectoire de 1,4 million d'étoiles situées dans l'amas globulaire. Ils ont ensuite déterminé le mouvement propre de chaque étoile, et ils ont trouvé sept étoiles avec un mouvement propre total supérieur à 2,41 ms d’arc/an à moins de 3″ du centre déterminé de l’amas (moins de 0,26 année-lumière du centre). A la distance de ω Cen de 5,43 kpc (17700 années-lumière), cela correspond à des vitesses projetées en deux dimensions (2D) qui sont supérieures à la vitesse d'échappement de l'amas en l'absence de trou noir (62 km s-1).

Les astrophysiciens ont étiqueté les étoiles à mouvement rapide avec les lettres de A à G, triées en fonction de leur proximité avec le centre d’Oméga Centauri. L'étoile la plus rapide est aussi la plus centrale (étoile A), elle a un mouvement propre 2D de 4,41 ± 0,08 ms d’arc par an (soit 113,0 ± 1,1 km s-1). Le mouvement de cette étoile a été mesuré sur 286 époques et sur une période complète de 20,6 ans. Les chercheurs ont bien sûr effectué des contrôles de qualité approfondis pour s’assurer que l'astrométrie des étoiles à mouvement rapide découvertes est fiable. Pour garantir un ensemble de données aussi propre que possible, ils ont limité leur analyse aux étoiles dont la vitesse est au-dessus de la vitesse d'échappement avec une signifiance statistique d’au moins 3σ. Ceci conduit à l'exclusion des étoiles B et G de l’échantillon; mais l’exclusion de ces deux étoiles parmi les sept a une influence négligeable sur les contraintes du trou noir déterminées. Les vitesses des autres étoiles qui passent le test, outre l’étoile A, s’étalent entre 67,4 et 94,9 km s-1.

Ces étoiles se déplacent si rapidement que, si l'amas ne contenait pas de trou noir, elles auraient tout simplement échappé à l’emprise gravitationnelle de Omega Centauri depuis longtemps. En utilisant les données des cinq étoiles qui se déplacent le plus rapidement, les chercheurs ont calculé la masse invisible qui est nécessaire pour les maintenir en place, et ils l'ont estimée à un minimum de 8200 masses solaires. Selon Häberle et ses collaborateurs, il s'agit donc bien d’un trou noir de masse intermédiaire qui se trouve là au centre de ω Cen.

Il faut rappeler que le seul système stellaire pour lequel nous avons pu suivre les mouvements stellaires individuels autour d'un trou noir central est notre propre galaxie, dont on peut suivre le mouvement des orbites elliptiques de plusieurs étoiles hypervéloces autour de Sgr A*, une méthode qui a été couronnée du prix Nobel de physique en 2020.

Häberle et ses collaborateurs ont tout de même testé d'autres scénarios susceptibles d'être à l'origine de la vitesse élevée des sept étoiles qu’ils ont identifiées, notamment des collisions avec d'autres étoiles. Mais aucun des scénarios testés ne permet de produire les données correspondant aux observations.

Les chercheurs ont également exclu la possibilité qu'il y ait plus d'un trou noir au centre d'Omega Centauri, une éventualité qui avait été soulevée dans des études antérieures sur le suivi des étoiles. Dans ces études, le centre de l'amas était moins étroitement contraint, ce qui rendait incertaine la localisation exacte d'un éventuel trou noir. En outre, moins d'étoiles avaient été suivies sur une période beaucoup plus courte, ce qui limitait la capacité à trouver les étoiles en mouvement rapide nécessaires pour révéler la présence d'un trou noir. Les données précédentes n'étaient tout simplement pas assez précises. Il y avait aussi auparavant une certaine ambiguïté sur la question de savoir si Omega Centauri abritait un grand trou noir ou plusieurs petits trous noirs et étoiles à neutrons, car les deux scénarios pouvaient correspondre aux données. La levée de cette ambiguïté par Häberle et ses collaborateurs constitue donc une avancée majeure.

La découverte de ce trou noir, et éventuellement d'autres trous noirs de taille similaire, pourrait aider les astrophysiciens à comprendre le processus de formation des trous noirs supermassifs. Ces trous noirs de masse intermédiaire permettent de comprendre comment les trous noirs se sont développés dans les premières années de l'Univers, probablement quelques centaines de millions d'années seulement après le big bang. Des questions telles que « qui est arrivé en premier, le trou noir ou la galaxie ? » trouveront une piste de réponse grâce à cette découverte.

Une estimation plus précise de la masse du trou noir central de ω Cen nécessite maintenant une modélisation dynamique de toutes les nouvelles données cinématiques disponibles à l'aide de modèles qui incluent l'impact d'un trou noir de masse intermédiaire. Les propriétés exactes des orbites des étoiles rapides doivent être déterminées par des études observationnelles approfondies et ciblées. Des observations spectroscopiques avec des instruments à champ intégral tels que le MUSE sur le VLT ou le Nirspec du télescope Webb pourraient fournir des vitesses radiales pour les étoiles en mouvement rapide. Des mesures astrométriques encore plus précises et plus profondes avec des instruments existants ou futurs pourront également permettre de détecter d'autres étoiles étroitement liées et de mesurer les accélérations, ce qui est essentiel pour obtenir des mesures directes de la masse du trou noir.

Ces résultats de Maximilian Häberle et son équipe motivent également un réexamen des autres amas d'étoiles de la Voie Lactée susceptibles d'être le résultat d’une accrétion, on pense notamment à M54. Pour la recherche de trou noirs intermédiaires dans d'autres amas globulaires, ces résultats indiquent qu'il pourrait être nécessaire d'étendre les études cinématiques aux étoiles les plus faibles, ce qui est un vrai défi observationnel, notamment pour les amas à grande distance avec des densités stellaires centrales élevées.

 

Source

 

Fast-moving stars around an intermediate-mass black hole in ω Centauri

Maximilian Häberle et al.

Nature volume 631, (10 july 2024)

https://doi.org/10.1038/s41586-024-07511-z


Illustrations 

1. Localisation de la zone investiguée dans Oméga Centauri (Maximilian Häberle et al.)
2. Localisation des 7 étoiles hypéervéloces dans Oméga Centauri (Maximilian Häberle et al.)
3. Maximilian Häberle


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