samedi 27 février 2016

Découverte d'une nouvelle particule exotique à 4 quarks

La collaboration de physique des particules DZero à Fermilab qui exploite les données de l'accélérateur Tevatron (désormais à l'arrêt) vient d'annoncer la découverte d'une toute nouvelle particule encore jamais vue : une particule formée de 4 quarks différents.


 (crédit ; Fermilab)
Les particules composées de quarks sont soit des mésons (formés d'un quark et d'un antiquark) comme les pions ou les kaons, ou soit des baryons (formés d'un mélange de trois quarks et antiquarks) comme les protons et les neutrons. Les physiciens avaient imaginé qu'il pouvait exister des particules plus complexes et exotiques faites d'une paire de quarks supplémentaire. Des indices ont été obtenus l'année dernière sur l'existence d'un pentaquark, une particule comportant 5 quarks. Mais aujourd'hui c'est une particule à 4 quarks qui vient d'être isolée, une nouvelle espèce de particule exotique vivant seulement une fraction de nanosecondes : un tetraquark.

Schéma de la désintégration du tetraquark X(5568) (Fermilab)
Les physiciens de DZero dépouillent des Petaoctets de données acquises il y a déjà plusieurs années entre 2002 et 2011 auprès du grand collisionneur américain Tevatron à Fermilab près de Chicago qui collisionnait des protons et des antiprotons à la recherche de particules exotiques qui se désintègrent notamment en paires de mésons (des mésons Bs et Pi). Le méson Bs se désintègre en mésons J/Psi et Phi, qui a leur tour se désintègrent rapidement en paires de muons/antimuons et Kaon/antiKaon respectivement. C'est par la détection de ces particules secondaires que le méson Bs est clairement identifié. Avec le méson Pi associé, l'état à quatre quarks est trouvé comme étant la seule particule possible pouvant être à leur origine. 
Elle est appelée pour le moment un tetraquark, ou encore X(5568), de par sa masse qui vaut 5568 MeV. Les physiciens de DZero ont produit au total 133 tetraquarks en excès par rapport au bruit de fond dans leurs collisions protons-antiprotons. 
Le fait que le tetraquark X(5568) se désintègre en méson Bs par interaction forte indique un fait étonnant : les quatre quarks et antiquarks qui le composent sont tous de saveur différente ; bottom, strange, up et down. Cela fait de X(5568) une particule vraiment exotique. 

La structure interne de ce tetraquark est encore très mal comprise par les physiciens des particules : les quatre quarks pourraient être liés entre eux de façon très intime ou bien ils pourraient former deux paires de quarks/antiquarks liées entre elles à la manière d'une molécule (à une échelle bien pus petite bien sûr).
Les chercheurs vont maintenant essayer de mesurer les propriétés de cette nouvelle particule exotique et d'autres candidates potentielles, en termes de masse, durée de vie, spin, parité ainsi que leurs probabilités de désintégration en différents états. Ces informations devraient permettre de fournir un éclairage nouveau sur l'interaction forte qui lie les quarks entre eux pour former les particules qui nous constituent.


Source : 

Observation of a new Bs0π± state
D0 Collaboration
soumis à Physical Review Letters


jeudi 25 février 2016

La distance d'une bouffée rapide d'ondes radio déterminée pour la première fois

Pour la première fois depuis leur découverte en 2007, la distance d’une bouffée rapide d’ondes radio (ou FRB, Fast Radio Burst), a enfin pu être déterminée, ouvrant de riches perspectives.



Les FRB sont des très brèves bouffées de rayonnement dans le domaine des ondes radio. Elles ne durent généralement que quelques millisecondes. Les 17 FRB qui ont été découvertes depuis une dizaine d’année se répartissent uniformément dans le ciel. Leur origine est aujourd’hui totalement inconnue et on peut dire que le nombre d’idées émises pour expliquer ce phénomène dépasse le nombre de FRB connues...
Les astrophysiciens dirigés par Evan Keane (Jodrell Bank Observatoy, université de Manchester) qui publient leur observation dans la revue Nature cette semaine ont étudié le signal radio d’une FRB apparue le 18 avril 2015 (et donc appelée FRB 150418), grâce à l’utilisation du radiotélescope australien Parkes dans le programme SUPERB (SUrvey for Pulsars and Extragalactic Radio Bursts).
A gauche : détails de la galaxie elliptique en zooms successifs, où a été trouvée la bouffée rapide radio FRB 150418,
à droite : pic radio détecté par le télescope Parkes (David Kaplan/Etan Keane) 
La bouffée en elle-même n’a duré que 0,8 millisecondes, mais elle a été suivie étrangement par une émission radio évanescente durant quelques jours, qui d’après les chercheurs est liée à la FRB avec une probabilité de 99,8%. Cette émission successive a alors pu être suivie par l’un des nombreux radiotélescopes qui avaient été prévenus de l’apparition de la FRB, le ATCA (Australia Telescope Compact Array)Une fois la source radio localisée et son décalage spectral mesuré, d’autres télescopes observant dans le domaine visible ont été pointés dans cette direction un peu plus tard, notamment le télescope Subaru au Mauna Kea à Hawaï. Ils ont trouvé à cet endroit une galaxie elliptique dont la distance a été à nouveau mesurée par le décalage spectral de sa lumière. Les chercheurs trouvent une distance de 1,9 milliards de parsecs, soit 6,2 milliards d’années-lumière.
C’est la première FRB parmi les 17 connues à ce jour dont nous connaissons la distance. Le fait de connaître sa distance va permettre d’un peu mieux comprendre l’origine de ces mystérieuses bouffées rapides d’ondes radio. Tant qu’on ne connait pas la distance d’une telle source de rayonnement, on ne peut par exemple pas savoir quelle quantité d’énergie a été émise. Parmi les hypothèses imaginées pour expliquer ces FRB, les astrophysiciens ont proposé des événements de fusion d’étoiles à neutrons ou encore d’évaporation de micro trous noirs…

Le radiotélescope australien Parkes (CSIRO) 
Dès la découverte de la première FRB rapportée en 2007 mais qui datait de 2001 (FRB 010724), une dispersion avait était observée dans le signal : le temps d’arrivée dépendait de la fréquence de l’onde électromagnétique : les hautes fréquences arrivaient très légèrement plus tôt au sein de la bouffée que les basses fréquences. Cet effet de dispersion vient de l’absorption de l’onde électromagnétique par la matière intergalactique rencontrée au cours du trajet depuis la source jusqu’à nos radiotélescopes. L’étude de la dispersion spectrale permet alors aux chercheurs d’estimer la quantité de matière rencontrée sur la distance parcourue par la bouffée de rayonnement. On voit que la connaissance précise de la distance nous séparant de la source revêt un caractère crucial ici pour évaluer une densité de matière.

Avec l’étude de la dispersion de FRB 150418 et connaissant sa distance, les chercheurs ont pu établir précisément la densité d’électrons rencontrés par les photons au cours de ce voyage de plus de 6 milliards d’années. Cette bouffée rapide d’ondes radio devient ainsi une sonde cosmologique qui permet de mesurer la quantité de matière baryonique présente dans l’Univers à grande échelle (la matière ordinaire, hors matière sombre). Or un des problèmes actuels rencontrés en astrophysique est le problème dit des « baryons manquants » : une proportion importante de la matière baryonique (plusieurs dizaines de pourcents) qui doit être présente n’est toujours pas bien identifiée, semant le doute sur le modèle cosmologique. Les astrophysiciens estiment qu’elle réside sous la forme de gaz chaud au sein des amas de galaxie et dans de larges filaments reliant les amas de galaxies. Or la valeur déduite grâce au signal de FRB 150418 indique que la matière baryonique sous forme ionisée est bien là dans les bonnes proportions (celles du modèle standard de la cosmologie), pour le volume d’Univers considéré.
Les radiotélescopes ATCA (CSIRO)

La connaissance de la distance permet aussi à Keane et ses collaborateurs d’estimer l’énergie et la puissance émises au cours de cette bouffée rapide d’ondes radios. L’énergie émise vaut 8.1031 Joules, une énergie équivalente à ce que produit le Soleil durant 2 jours, mais ici en moins d’une milliseconde ! La puissance (l’énergie par unité de temps) correspondante vaut 1035 Watts (environ un milliard de fois celle du Soleil).

Cette propriété énergétique de FRB 150418, associée à l’existence de la source radio rémanente ainsi que son origine dans une galaxie elliptique, un type de galaxies peuplées de vieilles étoiles plutôt que de jeunes, amènent  Keane et ses collègues à penser que son origine serait bien la coalescence de deux objets compacts, notamment un couple d’étoiles à neutron.

De telles fusions d’étoiles à neutrons sont théoriquement détectables par leurs ondes gravitationnelles avec LIGO ou VIRGO mais FRB 150418 aurait été inaccessible pour LIGO car étant trop lointaine. D’autres FRB plus proches et  détectées précocement en radio pourraient permettre de valider (ou invalider) l’hypothèse de la coalescence d’étoiles à neutrons, grâce à l’association de la détection d’ondes gravitationnelles en coïncidence. La détection des FRB devrait en effet bientôt faire un bond en avant avec l’arrivée attendue en Chine du radiotélescope Five-hundred-meter Aperture Spherical Telescope de 500 m de diamètre.


Sources :

The host galaxy of a fast radio burst
E. F. Keane et al.
Nature 530, 453–456 (25 February 2016)


Cosmology: Home of a fast radio burst
Duncan Lorimer
Nature 530, 427–428 (25 February 2016)

mardi 23 février 2016

Le couple de trous noirs de LIGO aurait pu naître au sein d'une seule et même étoile

Le couple de trous noirs détecté par LIGO grâce à ses ondes gravitationnelles aurait pu avoir une origine très particulière: issu d'une seule et même étoile hypermassive. Cette hypothèse fait l'objet d'une publication dans the Astrophysical Journal Letters



Les interprétations commencent à apparaître autour du couple de trous noirs d'une trentaine de masses solaires observé par LIGO et qui a formé l'événement gravitationnel GW150914. L'interprétation publiée aujourd'hui est issue d'une observation par le télescope gamma Fermi-LAT. Fermi-LAT a en effet détecté une bouffée de rayons gamma 0,4 seconde après l’événement détecté par LIGO qui a duré environ 1 seconde, et situé dans une région du ciel compatible avec la direction déterminée grossièrement par LIGO. Alors que lors de la fusion de deux trous noirs isolés on ne s'attend pas à voir un rayonnement gamma accompagnant le phénomène,  l'astrophysicien américain Abraham Loeb propose un cas où les deux événements peuvent avoir lieu simultanément. Il s'agit du cas d'une étoile hypermassive en fin de vie qui s'effondre pour former un trou noir. Et Abraham Loeb (Harvard Smithonian Center for Astrophysics) utilise volontiers l'image d'une femme enceinte de jumeaux. Il montre qu'une supernova produite par ce type d'étoile aurait pu engendrer non pas un seul trou noir mais deux. Un tel processus est théoriquement possible dans un cas très particulier : si l'étoile qui s'effondre possédait une très grande vitesse de rotation. Dans ce cas, le cœur de l'étoile peut prendre la forme d'une haltère et finir par se fragmenter rapidement en deux morceaux de masse semblable au cours de l'effondrement, qui forment alors irrémédiablement deux trous noirs quasi identiques très rapprochés l'un de l'autre (cohérent avec les déductions des données de LIGO).

Vue d'artiste du couples d'étoiles massives MY Cameleopardis (38 et 32 masses
solaires respectivement, orbitant l'une autour de l'autre en 1,2 jours)
similaire au système qui aurait pu donner naissance finalement à GW150914
(Javier Lorenzo, Universidad de Alicante)
Les étoiles qui montrent des rotations extrêmes sont le plus souvent des étoiles résultant de la fusion de deux étoiles plus petites. Comme les deux étoiles auraient spiralé l'une vers l'autre de plus en plus vite avant de fusionner, l'étoile résultante aurait récupéré toute l'énergie de rotation du système (le moment cinétique). Pour que le cœur de cette étoile énorme fasse au moins 65 masses solaires (la somme des masses des deux trous noirs), l'étoile entière aurait dû faire plus de 100 masses solaires. Ce type d'événement de fusion d'étoiles générant des étoiles hypermassives peut se rencontrer au sein d'amas d'étoiles jeunes et denses.  

Les deux trous noirs qui se seraient formés au cours de l'explosion de cette étoile en rotation rapide n'auraient été séparés que par une distance très faible, estimée par l'astrophysicien américain à environ le diamètre de la Terre seulement. Ils auraient alors très vite fusionnés à leur tour en quelques minutes, fournissant le beau signal gravitationnel désormais mondialement connu.
Le nouveau trou noir issu de la fusion aurait absorbé ensuite du gaz résiduel de l'étoile à raison d'une masse solaire par seconde en produisant un jet de matière le long de son axe de rotation créant alors indirectement la bouffée de rayons gamma observée. Le télescope Fermi a détecté cette bouffée de rayons gamma juste 0,4 secondes après les ondes gravitationnelles GW150914 dans LIGO avec une probabilité de fausse alarme de 0,22%. Malheureusement, un autre télescope gamma, l'européen INTEGRAL, n'a pas enregistré de signal au même moment et ne confirme pas la bouffée de Fermi-LAT.

Même si cette explication n'est pas la bonne en réalité pour GW 150914, il n'en reste pas moins qu'elle est tout à fait plausible sur l'objet considéré comme hypothèse ici, et l'observation future de bouffées de rayons gamma en coïncidence avec des ondes gravitationnelles sur un seul et même événement astrophysique pourrait permettre d'évaluer la distance de l'événement par le décalage spectral de la lumière en même temps que directement à l'aide de l'amplitude des ondes gravitationnelles. Cela permettrait une nouvelle approche pour une mesure précise des distances cosmologiques en fonction du redshift.


Source : 

Electromagnetic Counterparts to Black Hole Mergers Detected by LIGO
Abraham Loeb (Harvard)
accepté pour publication par Astrophysical Journal Letters

lundi 22 février 2016

Les étoiles binaires peuvent fournir les photons manquants pour la réionisation de l'Univers

Une nouvelle étude vient de trouver une explication pour la réionisation de l'Univers. Le modèle était semble-t-il trop simpliste, il fallait y intégrer que les premières étoiles étaient le plus souvent formées en couples, et ça change tout. 



Les premières étoiles sont nées environ 200 à 300 millions d'années après la singularité initiale dans un Univers sombre peuplé de gaz neutre. C'est le rayonnement de ces premières étoiles dans les toutes premières galaxies, qui a réionisé le milieu intergalactique pour former le milieu que nous connaissons aujourd'hui, un Univers peuplé d'hydrogène ionisé transparent à la lumière, là où il n'est pas "vide". Depuis que les chercheurs ont compris ce mécanisme, il subsistait un gros problème vis à vis du modèle théorique élaboré : il n'y avait visiblement pas assez d'étoiles primordiales ou en tout cas pas suffisamment de rayonnement UV susceptible de pouvoir sortir des galaxies pour avoir ionisé la totalité de l'Univers 800 millions d'années après la singularité. 

Exemple de système binaire
(J. Maiz Apellaniz, IAA/NASA/ESA/STScI/Science Photo Library).
Les modèles des galaxies jeunes, associés à des observations de galaxies proches, indiquaient que la fraction de photons UV s'échappant des galaxies n'était que de l'ordre de 1% (les 99 autres pourcents ne parvenant pas à sortir du gaz neutre galactique) alors qu'il faudrait qu'elle soit de 20% pour expliquer la complète réionisation du milieu intergalactique.
Les astrophysiciens pensaient que le déficit observé provenait du fait que les étoiles primordiales à l'origine de ce rayonnement ionisant sont des étoiles massives qui ne vivent donc pas longtemps. Elles n'auraient alors pas le temps de produire suffisamment de lumière UV qui parviendrait à transpercer le gaz de leur galaxie hôte et permettre ensuite à d'autres photons UV ultérieurs de pouvoir sortir aisément de la galaxie. 
Mais les chercheurs américains emmené par Xiangcheng Ma (California Institute of Technology) viennent de redécouvrir un élément connu mais qui se trouve finalement avoir des implications importantes vis à vis du rayonnement ionisant : les premières étoiles se formaient pour la majorité d'entre elles en couples. Or, depuis la construction des premiers modèles de réionisation par ces étoiles primordiales, l'existence de couples d'étoiles n'avait pas été pris en compte à cause de la complexité accrue que cela induisait pour les évaluations.

Quand ils reprennent les calculs cette fois-ci en considérant l'effet des étoiles binaires, les astrophysiciens obtiennent une fraction d'échappement de la lumière UV d'environ 20% : exactement ce qu'il faut pour expliquer le processus de réionisation!  
Le phénomène qui a lieu est qu'une étoile possédant une compagne peut lui accaparer de la matière lorsqu'elle est très proche d'elle, et cela a pour effet d'allonger la durée de vie de cette compagne devenue plus légère. Cette dernière peut alors émettre beaucoup plus de rayonnement UV ionisant, sur une plus longue durée. Pour arriver à ces résultats, les astrophysiciens ont simulé la vie d'une galaxie primordiale à partir de nos meilleures connaissances théoriques sur les étoiles qui s'y formaient.

Cette étude vient donc potentiellement clore le problème sur le plan du modèle théorique, reste maintenant à pouvoir mesurer directement, par l'observation, ces émissions ionisantes des galaxies primordiales. Une quête bien plus difficile encore à laquelle le télescope Webb devrait s'attaquer dès son lancement dans deux ans.

Source : 

Binary Stars Can Provide the "Missing Photons" Needed for Reionization
Xiangcheng Ma et al.
Soumis à Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters
http://arxiv.org/abs/1601.07559

vendredi 19 février 2016

Une première : la vitesse de rotation d'une exoplanète mesurée directement

Des astronomes ont réussi en utilisant le télescope spatial Hubble, à mesurer la rotation d’une exoplanète. Cette mesure est une première par l’exploitation d’une imagerie directe.



2M1207 (bleuté) et 2M1207b (rouge) imagées en infra-rouge
par le Very Large Telescope (ESO)
Yifan Zhou (Université de l’Arizona) et ses collaborateurs publient leur observation dans The Astrophysical Journal. Ils ont étudié les très faibles variations de luminosité dans l’infra-rouge de cette exoplanète très massive appelée  2M1207b, quatre fois plus massive que Jupiter, qui fait donc partie des exoplanètes dites super-Jupiters.

Elle est en orbite autour d’une étoile particulière parce qu’il ne s’agit pas tout à fait d’une étoile, mais de ce qu’on qualifie volontiers s d’étoile ratée, ou étoile naine brune, une étoile qui n’avait pas la masse suffisante pour amorcer des réactions de fusion nucléaires dans son cœur et qui ne brille donc pas. Le couple se situe à une distance relativement proche de nous, à 170 années-lumière. L’orbite de 2M1207b autour de son étoile est aussi hors catégorie,  puisqu’elle est 10 fois plus éloignée que celle de Jupiter autour de notre soleil.

Pour mesurer les très faibles variations de luminosité induites par la rotation de la planète, les astronomes ont su exploité les capacités uniques de l’instrument Wide Field Camera 3 de Hubble en termes de stabilité, de résolution et de contraste. Ils parviennent à attribuer les variations observées à des structures nuageuses complexes de l’atmosphère de l’exoplanète. Ces mesures vont même plus loin car les chercheurs montrent non seulement la présence de nuages mais que ceux-ci sont également irréguliers et incolores.

Courbe de luminosité de 2M1207b durant 10 heures de suivi
(NASA, ESA, Y. Zhou (University of Arizona), and P. Jeffries (STScI))
Les premières observations de 2M1207b datent d’il y a 10 ans et les astronomes avaient déjà montré que son atmosphère était suffisamment chaude pour abriter des nuages de silicates : de la roche vaporisée qui en se refroidissant forme des petites particules d’aérosols. Plus profondément dans son atmosphère, des gouttelettes de fer doivent se former et tomber en pluie, pour s’évaporer dans les couches encore plus profondes. La température atmosphérique évaluée par les chercheurs varie entre 1500 et 1700 K.
2M1207b est aussi chaude parce qu’elle est jeune : à peine 10 millions d’années environ. Elle serait ainsi toujours en train de se contracter et de se refroidir. Au cours de son refroidissement dans les quelques milliards d’années qui vont suivre, les nuages de silicates et le fer se formeront de plus en plus bas dans l’atmosphère de l’exoplanète, jusqu’à disparaître totalement.
L’observation de ces nuages a permis à l’équipe de Zhou de déterminer avec précision la vitesse de rotation de 2M1207b, ils obtiennent une vitesse de l’ordre de 1 tour en 10 heures, soit environ la même vitesse de rotation que ce que l’on mesure sur Jupiter.

Le système de 2M1207 et sa grosse super-Jupiter est très différent de notre système solaire. La planète 2M1207b n’est que 7 fois moins massive que son « étoile » (le rapport est de l’ordre de 1000 entre Jupiter et le Soleil). On estime que ce couple aurait pu se former non pas par l’effondrement gravitationnel d’un unique disque de poussière, mais de deux disques distincts.

La super-Jupiter 2M1207b, grâce à sa forte luminosité en infra-rouge, sera une cible idéale pour le successeur de Hubble en 2018, le James Webb Telescope dont le montage du miroir vient d’être terminé, et qui fait la couverture cette semaine de la revue Science. Il permettra aux astronomes d’encore mieux déterminer la structure atmosphérique de ce type de planètes particulières.

Source : 

Discovery of rotational modulations in the planetary-mass companion 2M1207b: Intermediate rotation period and heterogeneous clouds in a low gravity atmosphere
Yifan Zhou et al.
The Astrophysical Journal, 818:176, (20 February 2016)

mercredi 17 février 2016

Neutrinos : une nouvelle anomalie détectée

Les neutrinos, depuis leur découverte, ont connus de multiples anomalies expérimentales qui se sont très souvent révélées des portes ouvertes vers la compréhension de nouveaux processus, voire d’une nouvelle physique, comme l’oscillation et l’existence de masse pour les neutrinos. Une des anomalies toujours incomprise malgré son observation répétée depuis plus de trente ans est l’anomalie des antineutrinos de réacteurs, qui pourrait être expliquée par l’existence d’un quatrième neutrino, un neutrino stérile. Cette anomalie de flux vient à nouveau d’être mise en évidence dans l’expérience américano-chinoise Daya Bay, mais cette fois-ci, elle s’accompagne d’une nouvelle anomalie…



Le complexe nucléaire de Daya Bay (Roy Kaltschmidt, Berkeley Lab)
L’étude des propriétés des (anti)neutrinos se fait depuis de nombreuses années à proximité de centrales nucléaires, qui sont de très grosses productrices de ces particules élusives si cruciales pour comprendre l’Univers. C’est d’ailleurs à proximité d’une des premières centrales nucléaires que furent observés les (anti)neutrinos pour la première fois en 1956.

La collaboration americano-chinoise Daya Bay a installé six  gros détecteurs d’antineutrinos à proximité de trois centrales nucléaires comportant en tout six réacteurs nucléaires identiques de 2,9 GWth. Les détecteurs sont situés à différentes distances des réacteurs (entre 360 m et 1900 m) pour étudier les oscillations des neutrinos en fonction de la distance qu’ils parcourent. Ces détecteurs sont constitués de grandes quantités de scintillateur liquide dopé au gadolinium (20 tonnes chacun) bardées de centaines de photomultiplicateurs.

Spectre d'antineutrinos enregistré par Daya Bay par rapport au modèle théorique
(Brookhaven National Laboratory)
Les détecteurs de Daya Bay sont capables de mesurer non seulement le flux total des antineutrinos électroniques, mais aussi leur énergie, avec une précision encore jamais atteinte auparavant. Les physiciens parviennent ainsi pour la première fois à établir le spectre en énergie des antineutrinos électroniques produits en réacteur avec une précision de l’ordre de 1%.
Les expériences antérieures ayant étudié les antineutrinos de réacteur ont toutes mesuré un flux d’antineutrinos qui montrait un déficit par rapport au modèle théorique (le modèle de Huber-Müller) établi grâce à la connaissance des réactions nucléaires qui ont lieu dans les réacteurs (les fissions nucléaires de l’uranium et du plutonium produisant des isotopes radioactifs émetteurs béta). Toutes sans exception trouvaient un déficit de quelques pourcents, le plus souvent 6%. Et le résultat de la mesure de Daya Bay est formel : là aussi, un déficit de 6% sur le flux des antineutrinos électroniques est clairement visible.
Cette anomalie de flux confirmée une nouvelle fois pourrait asseoir encore un peu plus l’idée de l’existence d’un nouveau type de neutrino, qui serait totalement stérile, c’est-à-dire n’ayant pas la moindre interaction avec la matière hormis par la gravitation. Mais les chercheurs de Daya Bay, qui publient leur étude dans Physical Review Letters, pointent, grâce à la mesure précise de l’énergie des antineutrinos détectés, un élément qui pourrait remettre en cause cette explication.

Poster d'une conférence ayant eu lieu
en septembre 2011 à l'Université de Virginie
(Virginia Tech)
La collaboration Daya Bay fournit aujourd’hui la mesure la plus précise du spectre énergétique des antineutrinos et qui est totalement indépendante des modèles théoriques.  Les chercheurs ont patiemment collecté plus de 300 000 antineutrinos durant 217 jours en mesurant leur énergie grâce à la mesure de l’énergie des positrons en coïncidence avec des neutrons, que les antineutrinos produisent dans leur détecteur par la réaction inverse de la décroissance béta.
En comparant la forme du spectre en énergie obtenu par rapport à celle attendue d’après le modèle théorique de Huber-Müller, les physiciens de Daya Bay observent une anomalie surprenante : une bosse apparaît dans le spectre aux environs de l’énergie 5 MeV. Il y a un excès d’antineutrinos à cette énergie avec une signifiance statistique de 4 sigmas; cet excès atteint 10% de ce que prévoyait le modèle théorique. Deux autres expériences de détection d’antineutrinos de réacteurs avaient vu un petit excès dans cette même gamme d’énergie, mais avec beaucoup moins de précision et de certitude que ces nouveaux résultats.

Cette découverte implique très probablement la nécessité de revoir les modèles théoriques de physique décrivant ce qui se passe dans les réacteurs nucléaires. L’écart observé dans le spectre en énergie pourrait simplement montrer que certains processus ont été mal pris en compte dans le modèle de Huber-Müller. Si le modèle théorique a un trou dans la raquette, cela peut vouloir dire que l’écart de 6% observé sur le flux total d’antineutrinos par rapport au modèle pourrait lui aussi être expliqué par ces lacunes théoriques.  Ces nouvelles données sont d’ores et déjà fondamentales pour les futures grandes expériences étudiant les neutrinos de réacteurs, comme JUNO dans quelques années toujours en Chine.

L’anomalie des antineutrinos de réacteur vieille de plus de trente ans pourrait donc n’être au final qu’une erreur théorique, et le concept de neutrino stérile, presque exclusivement fondé sur l’existence de cette anomalie,  prendrait un sérieux coup dans l’aile…

Source :

Measurement of the Reactor Antineutrino Flux and Spectrum at Daya Bay
F. P. An et al. (Daya Bay Collaboration)
Physical Review Letters 116, 061801 (2016)

samedi 13 février 2016

Clap de fin pour Philae

Le petit robot de l'Agence Spatiale Européenne avait ému de nombreux passionnés de l'exploration spatiale et même au-delà lors de son atterrissage historique et mouvementé sur la comète Churyumov-Gerasimenko/67P en novembre 2014. Le contact n'ayant jamais pu être réactivé depuis de nombreux mois, les ingénieurs du Centre Spatial allemand viennent de cesser définitivement les tentatives de contact avec Philae.



Philae était emporté par la sonde Rosetta, toujours en orbite de la comète, et avait été largué en direct vers la surface de la comète le 12 novembre 2014, mais un harpon avait mal fonctionné lors de son aterrissage (acometissage) et il avait rebondi deux fois avant de se retrouver dans une anfractuosité de la comète avec peu d'énergie solaire à sa disposition, sa seule source d'énergie. Ses batteries avaient tout de même pu fonctionner près de 60 heures et le robot a pu produire environ 80% de sa mission initiale, en enregistrant des images détaillées de la surface de la comète, ainsi qu'en analysant la composition chimique de gaz et de poussière émanant de la surface du noyau cométaire. Il a notamment permis d'identifier la présence de composés organiques comme du formaldéhyde et d'autres composés azotés et carbonés encore jamais vu sur des comètes. Le plus gros manque, dû à l'inclinaison du robot dans sa dernière position aura été de pouvoir forer le sol de la comète pour analyser des échantillons.

Vue d'artiste de Philae se posant sur Chury (German Aerospace Center)
Lorsque ses batteries furent vidées, Chury était encore loin de son point le plus rapproché du Soleil, qui devait avoir lieu le 15 août 2015. La quantité de lumière solaire augmentant au fil des mois au printemps 2015, une tentative de réveil de Philae avait été entreprise et réussie, le robot ayant communiqué quelques signaux avec Rosetta en juin 2015. Et puis ce fut très vite le silence. Un silence absolu, qui n'a pourtant pas décourgé les ingénieurs de l'ESA d'essayer encore et encore d'envoyer des commandes vers Philae et écouter d'éventuelles réponses. Mais en vain. 
Aujourd'hui, la comète s'éloignant à grands pas du Soleil avec une température à la surface de Chury de l'ordre de -180°, de quoi endommager certains composants du robot, et les panneaux solaires de Philae étant de plus probablement couverts de poussière, les ingénieurs estiment la probabilité d'établir le contact quasi nulle, et qu'il est préférable d'arrêter l'acharnement.

Philae rejoint donc le cimetière des sondes spatiales, en laissant une trace humaine sur un objet improbable. Les données enregistrées par Philae durant ses 60 premières heures à la surface de Churyumov-Gerasimenko devraient alimenter encore pour quelques années les chercheurs qui tentent de comprendre cette comète dans ses moindres détails ainsi que les comètes en général, et l'histoire du système solaire.

jeudi 11 février 2016

LIGO observe la fusion de deux trous noirs par la détection directe d'ondes gravitationnelles

C'est bien plus qu'une annonce médiatique, car au-delà d'une simple conférence de presse, les résultats de LIGO sont publiés aujourd'hui par la revue scientifique la plus sérieuse qui soit dans le domaine de la physique, la revue Physical Review Letters, avec des résultats qui ne peuvent laisser que peu de doutes sur la réalité du signal détecté.


La gravitation est la force qui ordonne l’Univers à grande échelle. Elle est comprise depuis un siècle - et la théorie de la Relativité Générale d’Einstein - comme issue de la courbure de l’espace-temps, qui est elle-même produite par la présence de densité d’énergie (ou de masse). A son tour, toute masse (et on pourrait dire toute quantité d’énergie) se déplace dans l’espace-temps en suivant la courbure de ses géodésiques.

Vue d'artiste du phénomène d'émission d'ondes
gravitationnelles par un couple de trous noirs
spiralant l'un vers l'autre
Et la Relativité Générale prédit que lorsque deux objets très denses et très compacts se tournent l’un autour de l’autre à grande vitesse et finissent par fusionner dans un beau cataclysme, l’espace-temps autour de ce couple singulier doit subir des phénomènes semblables à des vibrations. Il doit alors exister des ondes à la surface de l’espace-temps, de façon un peu similaire à ce que l’on pourrait observer à la surface de l’eau lorsqu’on jette un caillou dans un lac : des ondes gravitationnelles. Ces ondes gravitationnelles, d'après la théorie einsteinienne qui les a prédites il y a tout juste un siècle, se propagent ensuite à la vitesse de la lumière dans tout l’Univers en s’atténuant sur leur trajet.
Les ondes gravitationnelles ont par la suite été associées à une particule spécifique dans le bestiaire de la physique des particules : un boson appelé le graviton, qui a la particularité unique dans le monde des particules de posséder un spin égal à 2.

Jusqu'à aujourd’hui, ni le graviton ni les ondes gravitationnelles n’avaient pu être observés directement, alors que l'on était sûrs de leur existence de manière indirecte en observant comment des couples d’étoiles à neutron perdent de l’énergie gravitationnelle, un phénomène qui ne peut être dû qu’à une émission d’ondes du même nom. L'objet emblématique de cette mesure reste le pulsar binaire PSR V1913+16 découvert en 1974, qui valut le Nobel de physique à ses découvreurs en 1993. Car les objets à même de produire des ondes gravitationnelles que nous pourrions détecter ne sont pas très nombreux : il s’agit soit de couples d’étoiles à neutron, soit de couples de trous noirs ou encore des couples mixtes : étoile à neutron-trou noir.

L'interféromètre LIGO de Hanford et ses bras de
4 km de longueur chacun  (Caltech).
Le signal des ondes gravitationnelles qui est attendu est extrêmement faible même si il montre une forme très particulière, qui peut être différente selon le type et la masse des objets compacts en train de spiraler l'un vers l'autre. Des détecteurs d’ondes gravitationnelles ont été construits ou sont en cours de construction dans différents endroits dans le monde ainsi qu'en orbite. Comme le passage d’une onde gravitationnelle sur Terre a pour conséquence de légèrement réduire ou augmenter la distance séparant un point d’un autre (imaginez un espace  élastique qui ondule), le principe utilisé pour mettre en évidence le passage d’une telle onde (ou une suite d’ondes) repose sur l’optique, et plus exactement sur l’interférométrie laser, la seule solution efficace pour mesurer avec une très grande précision une différence de longueur entre deux points.
Car de la précision il en faut pour voir le passage d’une onde gravitationnelle : la variation relative de longueur à détecter est de l’ordre de 10-21, soit un milliardième de nanomètre pour un kilomètre…

Les principaux interféromètres actuellement ou prochainement en activité, dédiés à la recherche d’ondes gravitationnelles, comme VIRGO en Italie, LIGO-Hanford (état de Washington) et LIGO-Livingston (Louisiane) aux Etats-Unis, LIGO-India en inde ainsi que GEO600 en Allemagne et Kagra au Japon sont constitués de deux tunnels de plusieurs kilomètres de longueur à 90° l'un de l'autre dans lesquels sont envoyés des faisceaux lasers qui sont réfléchis à l'autre bout par un miroir à la surface parfaitement polie au nanomètre près. Les deux faisceaux de lumière, initialement parfaitement identiques, sont ensuite mis en interférence à la suite de leur aller-retour et la moindre variation de distance parcourue par l'un ou l'autre faisceau indique le passage d'une onde gravitationnelle qui a modifié la distance de l'espace dans une direction sans en faire de même dans la direction orthogonale.
Gabriela Gonzalez
(Louisiana State University)
LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) a été construit à partir de 1992 et a fonctionné pleinement entre 2002 et 2010 pour montrer la faisabilité de ces mesures extrêmement délicates. L'expérience a ensuite été arrêtée durant 5 ans pour passer à l'étape suivante et être grandement améliorée en termes de sensibilité, en étant désormais dénommé Advanced LIGO sur chacun des deux sites américains. L'expérience rénovée a été relancée il y a seulement quelques mois, en septembre 2015. Alors que la première version du détecteur géant ne pouvait qu'explorer un volume d'Univers de moins de 100 millions d'années lumière de rayon autour de nous, Advanced LIGO est capable de détecter des ondes gravitationnelles dans un rayon de plus de 1 milliard d'années-lumière...
Après des semaines de rumeurs pouvant paraître plus ou moins fondées, l'équipe de l'expérience LIGO, une très vaste collaboration internationale regroupant plus de 1000 chercheurs dans 90 institutions de 15 pays avec à sa tête la physicienne argentine Gabriela Gonzalez (Université de Louisiane), vient donc aujourd'hui de publier l'une des découvertes les plus attendues depuis celle qui s'était révélée fausse en 2014 (au sujet de la découverte par BICEP2 d'ondes gravitationnelles primordiales issues de l'inflation). Il s'agit ici de bien plus qu'une annonce médiatique, car on ne parle pas d'une simple conférence de presse, les résultats de LIGO sont publiés dans l'une des revues scientifiques la plus sérieuse qui soit, la revue Physical Review Letters, avec des résultats qui ne peuvent laisser que peu de doutes sur la réalité du signal détecté. La signifiance statistique dépasse 5 sigmas, ce qui, en termes statistiques, dit qu'on est en présence d'un vrai signal avec une probabilité extrêmement forte, qui permet classiquement d'affirmer une découverte sans devoir prendre de conditionnel, à l'image de la découverte du boson de Higgs en 2012 par exemple.
Installation de Advanced LIGO ( Caltech/MIT/LIGO Lab.)

Les chercheurs internationaux menés par Gabriela Gonzalez, avec la collaboration active de leurs collègues européens de VIRGO qui cosignent l'étude, montrent la détection le 14 septembre dernier, des tous derniers instants d'un couple de trous noirs stellaires, juste avant leur fusion ainsi que l'instant de leur fusion, le moment où le rayonnement gravitationnel est le plus intense (et aussi le plus spécifique et facile à reconnaître par rapport à des signaux parasites). Ils observent des très beaux signaux dans sur les deux sites (Hanford et Livingston), avec un léger décalage temporel de 7 ms correspondant au temps nécessaire pour relier les deux points à la vitesse de la lumière, ce qui rend d'autant plus évident la réalité de cette détection. Les physiciens parviennent, à partir de la structure des ondes détectées, d'en déduire la masse respective des deux trous noirs : 29 et 36 masses solaires, ainsi que la masse du trou noir résultant : 62 masses solaires. Une quantité de masse importante aurait donc été perdue sous forme d'énergie gravitationnelle, pas moins de 3 masses solaires.
Signal mesuré par les deux détecteurs de LIGO
(LIGO Collaboration)

Grâce à la double détection sur les deux sites espacés de plusieurs milliers de kilomètres, les chercheurs parviennent à estimer une zone d'origine de cette fusion de trous noirs : dans l'hémisphère sud, environ dans la direction du grand Nuage de Magellan. Mais à partir de l'amplitude des ondes détectées, les physiciens peuvent aussi déterminer la distance de cet événement, et elle est énorme : 1,3 milliards d'années-lumière. Cet événement est dorénavant appelé GW 150914 (GW pour "gravitational wave", suivi de la date de sa détection).

La découverte étonnante (car on ne s'y attendait pas aussi tôt) que nous offre aujourd'hui LIGO fournit la dernière preuve expérimentale qui manquait à la Relativité Générale d'Albert Einstein, ce magnifique édifice qui fête son centenaire. La confirmation de l'existence des ondes gravitationnelles confirme en outre un point admis depuis longtemps mais encore jamais prouvé directement : l'existence des trous noirs, tout simplement, et le fait qu'ils peuvent fusionner entre eux comme on l'a modélisé et seulement observé indirectement depuis de nombreuses années.

L'une des conséquences fondamentales de la possibilité désormais de détecter directement des ondes gravitationnelles est que l'on va pouvoir déterminer la vitesse exacte de ces ondes, correspondant à la propagation du graviton. Les modèles les plus standards prédisent que le graviton possède une masse nulle comme le photon et se déplace à la vitesse de la lumière, mais certaines variantes stipulent que le graviton aurait une toute petite masse non nulle, ce qui induirait une vitesse de propagation légèrement inférieure à la vitesse de la lumière. Cette détermination, par l'observation d'un événement qui serait source à la fois d'ondes gravitationnelles et de photons, pourrait ouvrir la voie à de profonds bouleversements en physique fondamentale.


Simulation de deux trous noirs fusionnant et l'effet produit sur l'espace-temps.
(Bohn, Throwe, Hébert, Henriksson, Bunandar, Taylor, Scheel http://www.black-holes.org/lensing)
Une autre conséquence de notre possibilité de détecter des ondes gravitationnelles est que l'on pourra tester la validité de certaines théories des cordes cosmiques qui prédisent l'apparition d'ondes gravitationnelles détectables lorsque celles-ci se "brisent".

Même si les ondes gravitationnelles sont le mieux "visibles" sur ces objets ultra-compacts que sont les trous noirs, elles sont aussi produites par des objets un peu moins denses mais tout aussi extrêmes que sont les étoiles à neutron. La théorie actuelle stipule que, de part leur champ gravitationnel extrême, les étoiles à neutrons doivent être parfaitement sphériques, lisses. Mais il se pourrait, selon certains spécialistes, que les étoiles à neutron dont la physique est toujours assez mal comprise, aient encore des montagnes de quelques millimètres d'altitude. De tels "défauts de symétrie" sur ces objets tournoyant à des vitesses folles (plus de 1000 tours par secondes pour une boule de quelques kilomètres de rayon) produiraient nécessairement l'émission continue d'ondes gravitationnelles sous une forme très spécifique (sinusoïdale). Il s'ensuivrait alors une perte d'énergie rotationnelle pour l'étoile à neutron et son ralentissement progressif.
Bien sûr, les couples d'étoiles à neutron en spiralant l'une autour de l'autre, émettent aussi leurs ondes gravitationnelles et il sera possible de déterminer quel est le produit final de la fusion des deux étoiles à neutrons, qui peut être soit une "grosse" étoile à neutron, soit un trou noir (a priori, sauf surprises).

Un autre astre émetteur d'ondes gravitationnelles est l'étoile dans sa phase précédent tout juste sa transformation en étoile à neutron ou en trou noir : la supernova, instant fatidique de l'explosion, et plus précisément la supernova de type II, dite supernova par effondrement. L'"écoute" de la structure des ondes gravitationnelles émises au cours d'une telle implosion-explosion, couplée avec l'observation de son émission électromagnétique associée, et pourquoi pas son émission neutrino, devrait pouvoir nous fournir des informations capitales sur le mécanisme qui génère l'effondrement gravitationnel.

On peut enfin imaginer pouvoir utiliser le signal d'ondes gravitationnelles de couples de pulsars ou de trous noirs fusionnant pour calculer leur distance précise et utiliser cette mesure de distance en remplacement des chandelles standards actuellement utilisées (les supernovas Ia), et permettre ainsi d'évaluer le taux d'expansion de l'Univers de manière indépendante de la technique utilisant la luminosité des supernovas Ia.

On le voit, la détection directe des ondes gravitationnelles est une grande avancée pour nos connaissances actuelles et ouvre la voie vers une nouvelle ère de l'astronomie, une astronomie sans photons où le messager entre les astres et les hommes est l'espace-temps lui-même. 



Sources : 

Observation of gravitational waves from a binary black hole merger
B. P. Abbott et al. (LIGO Scientific Collaboration and Virgo Collaboration)
Physical Review Letters 116, 061102 (11 february 2016)
http://dx.doi.org/10.1103/PhysRevLett.116.061102

Collaboration LIGO


Gravitational waves: 6 cosmic questions they can tackle
Davide Castelvecchi
Nature online (09 February 2016)
http://dx.doi.org/10.1038/nature.2016.19337

lundi 8 février 2016

La comète Churyumov-Gerasimenko n'est pas creuse

Les comètes sont connues pour être des corps composés d'un mélange de glace et de poussière. Donc si elles sont compactes elles devraient avoir une densité plus grande que celle de l'eau, plus grande que 1. Mais des mesures antérieures ont déjà montré que la densité des comètes était bien plus faible que la densité de l'eau. Ces données indiquent que les comètes devraient être très poreuses.



Différentes vues de Churyumov-Gerasimenko par Rosetta (ESA/Rosetta NAVCAM)
Cette porosité doit-elle être comprise comme l'existence de vastes cavités au cœur des noyaux de comète ou bien une structure homogène mais de faible densité ? Une réponse vient d'être apportée grâce à l'étude de la comète Churyumov-Gerasimenko/67P par la sonde Rosetta. C'est l'équipe menée par Martin Pätzold du Rheinische Institut für Umweltforschung à l'Université de Cologne qui publie ces résultats dans la revue Nature. Ils démontrent que la comète n'est pas creuse, elle ne contient pas de cavités, mais plutôt une structure homogène de très faible densité.
Une étude précédente effectuée avec l'instrument radar CONSERT de Rosetta avait déjà montré que l'un des deux lobes de Chury apparaissait homogène sur une échelle de l'ordre de la dizaine de mètres. 
La méthode employée par Pätzold et son équipe vaut le coup d'être détaillée car c'est une belle prouesse. Afin de déterminer la présence ou l'absence de cavités dans le noyau de Chury, les chercheurs ont mesuré les variations du champ gravitationnel produit par la comète et qui agit sur la sonde Rosetta en lui induisant des variations d'accélération et donc de vitesse. Pour cette mesure, les chercheurs ont donc besoin de connaître avec une extrême précision comment bouge la sonde Rosetta autour de la comète.
Les différences de vitesse de la sonde peuvent être mesurées par l'effet Doppler apparaissant sur les ondes radio que la sonde envoie vers la Terre pour communiquer diverses données, cet effet qui décale les longueurs d'ondes en fonction de la vitesse de l'émetteur ou du récepteur. 

La station radio de New Norcia en Australie (ESA)
Les signaux radio de Rosetta (son instrument RSI) sont recueillis par l'antenne de 35 m de la station de New Norcia en Australie. C'est la première fois que cette méthode est utilisée sur une comète. Les variations de champ gravitationnel à mesurer étaient infimes et les chercheurs ont dû prendre en compte l'effet gravitationnel de nombreux corps du système solaire, même lointains, pour pouvoir isoler que la seule contribution de la comète elle-même. Parmi ces contributions parasites, on trouve bien sûr le Soleil et Jupiter, mais aussi toutes les autres planètes jusqu'aux planètes naines ainsi que les plus grands éléments de la ceinture d'astéroïdes.
Au delà de l'influence des corps du système solaire, d'autres effets comme la pression de radiation du vent solaire ou la pression provoquée par la queue de Chury sur Rosetta ont également dus être pris en considération. Cette dernière donnée ne pouvait être mesurée que in situ par la sonde elle-même, via son instrument dédié appelé ROSINA qui mesure les particules de gaz impactant la sonde. 
Pätzold et ses collaborateurs ont ainsi pu mesurer la masse totale de la comète Churyumov-Gerasimenko avec une très grande précision, ainsi que sa structure interne. Elle a une masse de 9,98 millions de tonnes, pour un volume de 18,7 km3. La densité moyenne de la comète vaut donc 0,533. 

Au départ de la mission, les chercheurs avaient calculé que Rosetta devait s'approcher à moins de 10 km de la surface de Chury pour pouvoir déterminer sa structure interne, ce qui représentait un vrai challenge surtout quand la comète serait active. Mais cette estimation avait été faite en imaginant un noyau cométaire quasi sphérique. La découverte, une fois Rosetta suffisamment rapprochée, que Chury était composée de deux lobes, facilita grandement la vie de cette belle expérience. En effet, de fortes variations de champ gravitationnel étaient déjà visibles dès une distance de 30 km, à cause de cette forme très particulière. Une fois Rosetta à 10 km de la comète, les données récoltées par l'équipe de Martin Pätzold étaient bien plus claires et nettes que ce qu'ils avait prévu depuis des années.

L'explication la plus probable à cette structure homogène mais de très faible densité est que cette porosité est une caractéristique intrinsèque au mélange glace/poussière. Des mesures antérieures sur d'autres comètes avaient montré que la poussière cométaire n'est pas sous forme solide compacte mais plutôt un agrégat "duveteux", qui lui donne une faible densité. Les instruments COSIMA et GIADA embarqués sur Rosetta ont d'ailleurs trouvé des grains de poussière provenant de Chury qui montrent ses mêmes caractéristiques.
Maintenant, les chercheurs allemands qui exploitent l'instrument RSI (Radio Science Experiment) à l'origine de ces mesures, espèrent pouvoir l'utiliser dans les tous derniers moments de Rosetta en Septembre prochain, lorsque celle-ci frôlera la surface de Chury à quelques mètres avant d'y être "déposée", pour explorer son intérieur avec encore plus de précision, durant un très court instant, le chant du Cygne pour Rosetta. 

Source : 

A homogeneous nucleus for comet 67P/Churyumov–Gerasimenko from its gravity field
M. Pätzold et al.
Nature 530, 63–65 (04 February 2016)