mercredi 26 février 2014

Matière Noire : Indices Coïncidents de Désintégrations de Neutrinos Stériles!

C’est presque incroyable. A peine vous ai-je parlé il y a quelques jours de l’offensive des neutrinos stériles parue récemment (voir ici), des chercheurs voulant imposer cette solution pour expliquer l’anomalie du nombre d’amas de galaxies (et du coup le problème de la matière noire), et bien deux équipes différentes viennent de publier à une semaine d’intervalle des résultats presque identiques de très forts indices de détection indirecte de ces fameux neutrinos stériles ! 



Reprenons sans trop nous emporter…  Les neutrinos stériles sont une voie tout à fait intéressante pour expliquer plusieurs choses. Comme ils sont massifs et n’interagissent que par gravitation, ce sont des candidats sérieux pour constituer la matière noire (en partie au moins). D’autre part, ils oscillent avec les saveurs des trois neutrinos actifs, ce qui permettrait d’avoir une très bonne explication aux anomalies observées en oscillométrie des neutrinos de réacteurs.
Analyse du signal d'Andromède montrant une raie à 3,52 keV
(Boyarsky et al.)
Comme je l’ai dit, leur caractère stérile fait qu’ils n’ont pas d’interaction avec les autres particules. Mais il se trouve qu’ils peuvent quand-même se désintégrer (ce que les trois neutrinos actifs ne font pas), et ils font ça tout seuls, au bout d’un certain temps. Et que produisent-ils lors de leur désintégration ? Et bien leur énergie de masse est convertie à part égale entre un neutrino « normal » (actif) et un photon.

Un photon… vous me voyez venir ? Puisque les neutrinos stériles ont une certaine masse bien définie (et qu’on aimerait bien connaitre), les photons qu’ils produisent ont tous la même énergie, qui est égale à la moitié de la masse du neutrino stérile.
Venons-en maintenant à ces deux résultats d’observations qui viennent d’être publiés sur arxiv le 10 février et le 17 février 2014. Les deux équipes d’astrophysiciens ont étudié chacune de leur côté des amas de galaxie (73 amas différents pour la première et plus spécifiquement l’amas de Persée et la galaxie d’Andromède pour la seconde).
Analyse du signal de l'amas de Persée montrant
une raie à 3,56 keV (Bulbul et al.)
C’est dans les amas qu’il est censé y avoir la plus forte densité de matière noire. Si cette matière noire est constituée de neutrinos stériles, ces derniers, pour certains d’entre eux au moins, doivent produire des photons ayant une énergie unique, égale à la moitié de la masse du neutrino, et qui doivent donc pouvoir être observés en provenance de ces amas de galaxies.

Esra Bulbul et ses collègues du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics et du Goddard Space Flight Center de la NASA (la première équipe) détectent dans tous les amas étudiés (sauf celui de Virgo) une raie monochromatique inconnue dans le spectre, située à 3,56 keV. Alexey Boyarsky de l’Université de Leiden et ses collègues suisses et ukrainiens, la seconde équipe, détectent eux-aussi une faible raie dans l'amas de Persée et dans la galaxie d'Andromède, mais plutôt à 3,52 keV

Nous sommes ici dans le domaine des rayons X. Bulbul et al. ont exploité les données des satellites XMM-Newton et Chandra et Boyarsky et al. uniquement XMM-Newton. Ces deux équipes de chercheurs ne recherchaient pas particulièrement des traces indirectes de matière noire, mais face à l’observation de cette raie monochromatique inconnue, ils ont cherché quelle pouvait bien être son origine, en considérant toutes les possibilités, et à bout de solutions possibles, il ne reste pour le moment que l’option de la désintégration d’un neutrino stérile de 7,1 keV… Les deux équipes arrivent à la même conclusion, indépendamment l'une de l'autre.
Qui plus est, l’équipe de Boyarsky a évalué comment évolue la raie mystérieuse en fonction de la distance du centre de la galaxie d’Andromède, ainsi que quand on regarde là où il n’y a pas d’amas visibles. Ils trouvent que l’intensité de la raie décroit quand on s’éloigne du centre galactique et n’existe pas quand on est hors champ, ce qui va tout à fait dans le sens de la répartition de la matière noire.

L’équipe de Bulbul, elle, a sommé les spectres X de 73 amas différents, puis, pour être sûre que la raie inconnue ne provenait pas d’un seul amas particulier, a divisé son échantillon en trois sous-échantillons, et observe toujours la même raie dans les trois nouveaux échantillons. Elle apparaît donc systématique...
Signal simulé montrant les performances attendues de Astro-H
sur l'amas de Persée dans la région spectrale d'intérêt.

Malgré la coïncidence troublante de ces deux publications, et leurs conclusions similaires, il faut cependant peut-être tempérer un peu cette nouvelle potentiellement très importante. Même s’il s’avère statistiquement très significatif, le signal observé est une raie très faible qui est située entre plusieurs raies d’émission, qui pourraient peut-être jouer des tours, ou bien elle pourrait provenir pourquoi pas d’un élément ou d’un processus non encore prédit par les modèles galactiques.

Le juge devrait maintenant être constitué de nouvelles mesures sur notre propre galaxie. On attend beaucoup notamment du futur télescope à rayons X japonais Astro-H qui devrait permettre de résoudre un tel signal en provenance du halo de la Voie Lactée à partir de 2015...
La matière noire est décidément un sujet en ébullition.






Références : 

DETECTION OF AN UNIDENTIFIED EMISSION LINE IN THE STACKED X-RAY SPECTRUM OF GALAXY CLUSTERS
Esra Bulbul et al.
arXiv:1402.2301v1 (10 février 2014) ,  soumis à Astrophysical Journal


An unidentified line in X-ray spectra of the Andromeda galaxy and Perseus galaxy cluster
A. Boyarsky et al.
arXiv:1402.4119v1 (17 février 2014)


lundi 24 février 2014

L'Offensive des Neutrinos Stériles

D’après le modèle standard de la cosmologie, l’Univers est composé de 5% de matière ordinaire, 27% de matière noire et 68% d’énergie noire. Après une période inflationnaire ultracourte il y a environ 13,8 milliards d’années, au cours de laquelle de microscopiques fluctuations d’énergie se sont retrouvées amplifiées, la matière noire s’est regroupée autour de ces zones de plus forte densité, puis c’est la matière ordinaire qui s’est ensuite accumulée autour de ces puits gravitationnels pour former galaxies et amas de galaxies.
Simulation de la distribution de matière noire en filaments
(Kavli Institute for Particle  Astrophysics and Cosmology)

C’est cette histoire modélisée que nous retraçons en étudiant le fond diffus cosmologique (CMB), ce tout premier rayonnement visible émis 300 000 ans après le temps zéro théorique. De nombreux scientifiques avaient espéré que les mesures du CMB du satellite Planck l’année dernière auraient permis de découvrir de nouvelles choses permettant de revoir ce modèle d’Univers. Et il n’en fut rien… Rien de nouveau, hormis quelques ajustements de valeurs numériques, ne se cachait dans les données de Planck.

Parmi ceux qui auraient aimé voir quelque chose de nouveau figuraient des spécialistes des neutrinos, qui auraient vraiment aimé voir des indications de l’existence d’un nouveau neutrino, un quatrième neutrino, qui serait un neutrino différent des trois autres, un neutrino stérile, ayant la caractéristique extraordinaire de n’interagir avec aucune autre particule, sauf par gravitation. Mais les résultats de Planck furent sans appel, il n’y aurait que trois neutrinos possibles pour permettre les observations…



Mais aujourd’hui, pas moins de trois équipes différentes dans trois articles indépendants, indiquent que les physiciens exploitant les données de Planck n’ont peut-être pas tout vu dans leurs données et qu’il pourrait bien exister réellement un neutrino stérile…
C’est Jan Hasenkam et Jasper Hamann, tous deux du CERN, qui ouvrirent le bal en octobre dernier dans un article paru dans le Journal of Cosmology and Astroparticle Physics, qu'ils intitulèrent "A new life for sterile neutrinos: resolving inconsistencies using hot dark matter"et ils furent suivis indépendamment par les américains Mark Wyman et ses collègues puis par les anglais Richard Battye et Adam Moss le 6 février dernier avec deux articles indépendants parus dans le même numéro de Physical Review Letters.
Carte du fond diffus cosmologique (Planck Collaboration)

Les trois articles partent de la même observation : avec les paramètres établis par les données de Planck, le modèle cosmologique standard prédit beaucoup plus d’amas de galaxies que nous n’en voyons effectivement. En effet, toutes les technologies permettant de compter les amas de galaxies donnent des résultats cohérents entre eux mais en profond désaccord avec les paramètres déduits des mesures de Planck.

Mais il se trouve que les amas devraient être beaucoup moins abondants dans un Univers qui contiendrait des neutrinos stériles ayant une masse d’environ un millionième de celle d’un électron (ce qui ferait environ 0,5 eV). Cela est dû au fait que dans le modèle standard, la matière noire est considérée être constituée de particules « froides », massives, se mouvant lentement et promptes à s’accumuler. En un mot, des WIMPs. Mais si à l’inverse, une partie de la matière noire est constituée de particules « chaudes », en mouvement rapide, comme des neutrinos, les agglomérations de masse auraient lieu moins rapidement et il se serait formé, au final, moins d’amas de galaxies.

Un neutrino stérile ajouterait également un surplus de rayonnement dans l’Univers primordial, ce qui "boosterait" légèrement la valeur de la constante de Hubble estimée par Planck, résolvant par là-même le petit souci de concordance entre la valeur de la constante de Hubble estimée localement et celle estimée via les oscillations acoustiques baryoniques du CMB par Planck.
En revanche, le nouveau neutrino stérile devrait avoir des propriétés particulières afin de ne pas ajouter trop de rayonnement pour rester en cohérence avec d’autres résultats déduits des données de Planck. Il devrait ainsi être hors de l’équilibre thermique vis-à-vis des autres particules dans l’Univers primordial par exemple, ce qui est possible en théorie, mais n’apparaît pas naturel.


Cette simulation représente les structures de masse d'une portion d'Univers large de 500 millions d'années-lumière. La matière noire est en noir (logique) et les amas de galaxie en jaune, à l'intersection des filaments de matière noire (SLAC National Accelerator Laboratory)

D’autres cosmologistes qui sont farouchement contre cette nouvelle interprétation disent que le déficit en amas galactiques pourrait n’être qu’une illusion. Comme les astrophysiciens comptent les amas de galaxies qui se trouvent dans une certaine plage de masse, et comme la masse des galaxies est évaluée à partir soit de leur émission X ou soit par effet de lentille gravitationnelle, une sous-estimation de ces masses est vite arrivée et induirait mécaniquement une sous-estimation du nombre d’amas comptés. Faire de la cosmologie à partir d’un décompte d’amas galactiques apparaît très difficile et des études encore non publiées tendraient à suggérer que les amas galactiques sont plus massifs que prévu…

La controverse pourrait dans tous les cas être bientôt levée car les équipes analysant les données de Planck devraient en effet publier cette année de nouveaux résultats basés sur plus de données, et d’autre part les calibrations des mesures de masse d’amas devraient être améliorées, sans compter les expériences d’oscillométrie des neutrinos qui sont toujours en activité et à l’affût de la moindre anomalie…


Références :

A new life for sterile neutrinos: resolving inconsistencies using hot dark matter
Jan Hamann and Jasper Hasenkampb
Journal of Cosmology and Astroparticle Physics 10  044 (October 2013)

Neutrinos Help Reconcile Planck Measurements with the Local Universe
Mark Wyman et al.
Phys. Rev. Lett. 112, 051302 (6 february 2014)

Evidence for Massive Neutrinos from Cosmic Microwave Background and Lensing Observations
Richard A. Battye and Adam Moss
Phys. Rev. Lett. 112, 051303 (6 february 2014) 

New Neutrino May Have Heated Baby Universe
Adrian Cho
Science Vol. 343 no. 6173 pp. 826-827  (21 February 2014)

dimanche 23 février 2014

Le Pulsar Vagabond Ultra-Rapide

Les explosions de supernovae se passent parfois bizarrement. Comme on le sait, le résidu d'une supernova est d'une part une étoile à neutron (le plus souvent sous forme d'un pulsar) ou un trou noir (selon la masse de l'étoile initiale) et d'autre part des résidus de l'enveloppe de l'étoile, comportant de très nombreux éléments chimiques.
On s'imagine souvent une explosion brutale de l'étoile, fixe, s'effondrant sur elle-même et l'étoile résidu restant en place. Mais cette image est fausse... 
IGR J11014-6103 en trois longueurs d'ondes (rayons X, radio et optique)
X-ray: NASA/CXC/ISDC/L.Pavan et al,
Radio: CSIRO/ATNF/ATCA
Optical: 2MASS/UMass/IPAC-Caltech/NASA/NSF
Il se trouve que les explosions de supernovae, pour certaines raisons, peuvent être très asymétriques. Le résultat d'une telle explosion asymétrique est qu'une énorme quantité de mouvement est transférée à l'étoile résiduelle (pulsar ou trou noir), ce qui induit que le pulsar (ou le trou noir) est littéralement propulsé à très grande vitesse dans le vide interstellaire, loin de là où l'explosion a eu lieu.

Une équipe d'astrophysiciens Suisses et Allemands, menée par Lucia Pavan de l'Université de Genève, vient de découvrir exactement un tel cas impliquant un pulsar. Il s'agit du pulsar nommé IGR J11014-6103, qui se trouve dans notre galaxie. Ce pulsar est extrêmement particulier : non seulement il se déplace à une vitesse folle, comprise entre 4 et 8 millions de km/h (on peut se rappeler par comparaison la vitesse de notre soleil qui est de 800 000 km/h), mais en plus, il émet un jet de particules, une sorte de queue d'une longueur démesurée, le jet le plus long jamais observé. IGR J11014-6103 se trouve  environ à 60 années-lumière du lieu de l'explosion de la supernova qui eut lieu il y a 15000 ans, là où se trouvent toujours les résidus gazeux, et qui est situé dans la constellation de la Carène. Ce pulsar et sa traînée hors du commun ont pu être étudiés grâce au télescope à rayons X Chandra X-Ray Observatory de la NASA. 

Avec une vitesse pareille, c'est le pulsar en mouvement le plus rapide connu, et son jet s'étend sur une distance 10 fois plus grande que la distance séparant le soleil de l'étoile la plus proche de nous.... 
Vue d'artiste du télescope à rayons X Chandra (NASA)
IGR J11014-6103 produit également une sorte de cocon de particules de haute énergie qui se disperse derrière lui comme la queue d'une comète. Cette structure, qu'on appelle une nébuleuse de vent de pulsar (pulsar wind nebula) est vue pour la première fois par Chandra comme étant perpendiculaire au jet du pulsar.
La direction du mouvement du pulsar, qui signe donc son origine dans les résidus de la supernova, peut être vue directement grâce à la forme et à la direction de la nébuleuse de vent de pulsar. Les astrophysiciens qui signent cette étude dans Astronomy and Astrophysics se demandent bien pour quelle raison le jet pointe dans la direction perpendiculaire, ce qui semble tout à fait anormal.

Normalement, l'axe de rotation et les jets d'un pulsar pointent dans la même direction, celle du mouvement, ce qui n'est pas le cas ici. Les astrophysiciens ne parviennent pas à trouver une solution et évoquent déjà l'existence d'une physique un peu exotique qui doit apparaître lors de certains effondrements d'étoiles.

Une possibilité impliquerait une vitesse de rotation extrêmement rapide du cœur de fer de l'étoile qui a explosé, à des vitesses presque inconcevables pour un tel objet.
Quoi qu'il en soit, il semble bien que les jets de matière soient un élément très important dans le phénomène de l'explosion de la supernova. 
Le phénomène de supernova étant relativement courant, il apparaît également que de tels mouvements rapides d'étoiles à neutrons ou de trous noirs doivent être eux aussi assez fréquents. Par chance, les pulsars peuvent être aisément détectables, les trous noirs eux le sont moins.
Heureusement, la probabilité qu'un tel astre ultra-rapide fonce à notre rencontre est plus qu'infime, mais il est bon d'avoir conscience de l'existence de tels objets extrêmes.

Référence :
The long helical jet of the Lighthouse nebula, IGR J11014-6103
L. Pavan et al.
A&A 562, A122 (2014)

communiqué NASA/Chandra : http://chandra.si.edu/press/14_releases/press_021814.html

jeudi 20 février 2014

Des Etoiles en Ebullition avant d'Exploser en Supernova

On sait que les supernovae sont ces explosions d'étoiles massives qui au cours de leur explosion, ensemencent le milieu interstellaire de tous les éléments chimiques que nous connaissons et dont sommes faits. Ce que l'on sait moins en revanche, c'est comment exactement ont lieu ces explosions, et particulièrement les supernovae dites de type II, dans lesquelles une étoile massive en fin de vie s'effondre sur elle-même.
            Cassiopeia A, image composite Chandra+NuStar :
Fer en rouge, Siliium en vert et titane radioactif en bleu
(NASA/JPL-Caltech/CXC/SAO)
De nouvelles observations en rayons X permettent aujourd'hui d'un peu mieux comprendre les phénomènes qui se passent tout juste avant l'explosion monstrueuse. C'est le télescope NuStar, qui détecte exclusivement des rayons X assez énergétiques, qu'ont utilisé des chercheurs américains pour étudier de près un résidu de supernova afin de retracer le film de l'explosion. Leurs observations se sont focalisées sur la détection d'un élément crucial qui apparaît au cours de la supernova : le titane-44.

Il s'agit d'un élément radioactif, si bien qu'il produit un signal aisément observable pour un télescope à rayons X. La cible a été une belle nébuleuse du nom de Cassiopeia A (Cas A), située à 11000 années-lumière et qui est le résidu d'une supernova apparue il y a 330 ans, explosion d'une étoile environ 20 fois plus massive que le soleil. Cas A brille dans de nombreuses longueurs d'ondes et peut être observée par de nombreux outils différents, et notamment en rayons X.
Des observations en rayons X avaient déjà été effectuées avec Chandra X-Ray Observatory, et avaient révélé des émissions de couches et de filaments de gaz enrichis en fer.

Ce qu'a réussi à voir l'équipe menée par Brian Grefenstette, c'est une distribution spatiale du titane-44 complètement asymétrique dans les couches profondes de Cas A, pointant vers un processus très différent des modèles en vigueur. Il aurait existé des sortes de mouvements de ballottement de la matière qui auraient induits des ondes de choc menant finalement à la destruction de l'étoile.
Ces mouvements désordonnés de matière, un peu à l'image de la production de bulles lors d'une ébullition se font en un temps très court, quelques centaines de millisecondes à peine...


Dans le cas de CasA, le titane-44 a été éjecté en bulles qui reflètent la structure asymétrique de l'"ébullition".
C'est grâce à sa radioactivité que le titane-44 a pu être cartographié précisément par NuStar, là où Chandra mesurait des rayons X dûs à des éléments chauffés par les ondes de choc. Cela permet notamment de voir plus en profondeur dans la coquille de gaz en expansion.

Une autre donnée a étonné les astrophysiciens américains : tous les modèles de supernova par effondrement de coeur disaient que le titane-44 était "co-produit" avec un autre isotope radioactif, le Ni-56, qui décroît en Co-56, puis donne enfin du fer-56, stable. Mais les mesures de NuStar indiquent qu'il n'en est rien ! Le Ti-44 ne se retrouve pas du tout au même endroit que le Fe-56... Le titane est au centre, et le fer dans les couches externes.
Il faut maintenant trouver un mécanisme de découplage dans la synthèse des noyaux de titane-44 et de fer-56, pour expliquer ces observations.

CasA imagé par Chandra (à gauche et au centre) et par NuStar (à droite)
(NASA/JPL-Caltech/CXC/SAO)
Ce qui est étonnant avec CasA, c'est que la supernova a explosé aux environs de 1680, une époque où l'astronomie et l'observation du ciel était déjà bien implantée. Or, il n'existe aucune mention dans les écrits de l'époque au sujet de l'apparition d'une "nouvelle étoile" dans la constellation de Cassiopée. Etrange ?..

Certains scientifiques relient cette absence d'observation à une possible explication de la décorrélation entre titane-44 et fer-56. La supernova aurait pu produire une étoile à neutron qui aurait pu subir très vite une transition vers un état plus exotique, suite à une seconde explosion, donnant naissance à une étoile de quarks. Cette seconde explosion, qu'on appelle une "quark nova" projetterait d'intenses flux de neutrons énergétiques qui auraient pu produire des réactions de spallation sur le Ni-56 situé au centre, le détruisant et augmentant de fait l'abondance relative en Titane-44. 

Cette hypothèse est bien sûr très spéculative, mais a le mérite d'exister, en attendant de nouvelles observations de résidus d'autres supernovae qui pourront nous en dire plus.


Référence :
B. Grefenstette et al. 
Nature 506, 339–342 (2014).


mercredi 19 février 2014

Première Mesure Directe de la Rotation d'une Galaxie

Le télescope spatial Hubble (HST) vient encore de permettre une première... C'est décidément un outil fabuleux. Une équipe vient, en utilisant le HST donc, de mesurer pour la première fois la vitesse de rotation d'une galaxie, en observant directement le mouvement de ses étoiles prises individuellement.
Vous vous en doutez quand même, si on parle d'étoiles individuelles d'une galaxie qui n'est pas la nôtre, cela veut dire qu'il s'agit d'une galaxie très proche tout de même. Il s'agit du Grand Nuage de Magellan (LMC), qui est effectivement la galaxie la plus proche de la nôtre (170000 années-lumières), et qui est visible dans le ciel austral avec une taille près de 20 fois plus grosse que la pleine Lune.



Roeland Van Der Marel du Space Telescope Science Institute de Baltimore, et Nitya Kallivayalil de l'Université deVirginie à Charlottesville ont exploité Hubble pour mesurer la vitesse moyenne de plusieurs centaines d'étoiles du LMC durant une période de sept ans. Il fallait bien une telle période pour observer de si petits mouvements.
Ils trouvent que les étoiles de la partie centrale du LMC font une rotation en 250 millions d'années, ce qui fait, par coïncidence, la même période que celle de notre bon vieux soleil dans notre galaxie à nous.
Mouvement des étoiles du LMC projetées dans les prochaines 7 millions d'années d'après les mesures de vitesse effectuées grâce à Hubble (NASA/ESA)
Des mouvements propres d'étoiles avaient déjà été mesurés depuis longtemps, mais il s'agissait toujours d'étoiles assez proches, toutes situées dans notre propre galaxie. La grande nouveauté ici, c'est que la précision atteinte par le télescope spatial a permis de faire ces mesures sur des étoiles d'une autre galaxie.

Dans le passé, la vitesse de rotation des galaxies a été évalué de manière indirecte, en regardant l'effet de la vitesse sur le spectre de la lumière émise par les étoiles au sein d'un galaxie, l'effet Doppler, qui décale vers le rouge la lumière d'un objet qui s'éloigne et le décale vers le bleu lorsqu'il se rapproche.
Et les astronomes du Space Telescope Science Institute ont également utilisé des mesures de décalage spectral pour les combiner à leurs mesures de vitesses propres, ce qui leur a permis pour la première fois d'obtenir une vue complète en 3 dimensions des mouvements d'étoiles dans une autre galaxie.

Les chercheurs, qui publient leur étude dans The Astrophysical Journal, montrent que l'on peut réellement voir une galaxie en rotation dans le ciel.
Nitya Kallivayalil précise :"L'étude des galaxies proches en mesurant les mouvements des étoiles nous permet de mieux comprendre la structure interne des disques galactiques. Connaître la vitesse de rotation d'une galaxie fournit une vision sur la manière dont la galaxie s'est formée et peut également permettre de calculer sa masse".
Le télescope spatial Hubble (NASA/ESA)

Roeland Van Der Marel, pour évoquer la précision phénoménale accessible grâce au télescope Hubble, qui est le seul instrument capable d'effectuer ces mesures, mentionne qu'avec sa résolution, il pourrait déterminer la vitesse à laquelle poussent les cheveux d'un homme situé sur la Lune...
Evidemment, comme les étoiles du LMC sont très lointaines, leur mouvement apparent, même durant 7 ans, reste très faible...

Le LMC s'avère être une galaxie très importante, parce qu'elle est très proche de nous; il est presque plus aisé d'étudier une galaxie comme le LMC que notre Voie Lactée, car nous baignons dans cette dernière. Il est préférable d'étudier une galaxie en étant à l'extérieur...
On peut aussi rappeler que le LMC est une galaxie qui est elle-même en rotation autour de notre galaxie. C'est d'ailleurs cette même équipe d'astronomes qui avait montré il y a quelques années que le LMC tournait autour de la Galaxie plus vite que ce qu'on pensait, menant à revisiter les interactions passées entre galaxies proches...

Et l'équipe de Roeland Van Der Marel ne compte pas s'arrêter en si bon chemin, car maîtrisant désormais une superbe technique, ils vont s'attaquer maintenant à la petite cousine du LMC : la petit nuage de Magellan, la deuxième galaxie la plus proche de nous...


Sources :

THIRD-EPOCH MAGELLANIC CLOUD PROPER MOTIONS. I. HUBBLE SPACE TELESCOPE/WFC3 DATA AND ORBIT IMPLICATIONS
Nitya Kallivayalil et al. 
ApJ 764 161 (2013 )

Third-epoch Magellanic Cloud Proper Motions. II. The Large Magellanic Cloud Rotation Field in Three Dimensions
Roeland P. van der Marel and Nitya Kallivayalil
ApJ 781 121 ( 2014)

Communiqué de presse NASA/Hubble :
http://www.nasa.gov/press/2014/february/hubble-watches-stars-clockwork-motion-in-nearby-galaxy/#.UwPibPl5OFU


samedi 15 février 2014

Jupiter : la Disparition de la Grande Tache Rouge

L'image que nous connaissons de Jupiter est le plus souvent cette grosse boule orangée montrant des bandes parallèles plus ou moins claires, et cette grosse tâche rouge dans son hémisphère Sud. Et il semble bien que cet aspect classique de Jupiter est en train de changer, et rapidement... Le Grande Tache Rouge ne sera bientôt plus qu'un petit cyclone anodin comme il en existe de nombreux sur Jupiter.
Jupiter vue par Voyager 2
en 1979 (NASA)
Car il faut déjà rappeler la nature de ce grain de beauté jovien qui nous est si familier. Il s'agit d'un phénomène climatique, une monstrueuse tempête qui sévit dans l'atmosphère de Jupiter depuis au moins 400 ans, nous la connaissons depuis que Cassini a observé la planète géante au 17ème siècle.

Il y a 130 ans, la grande tache rouge portait vraiment bien son nom, elle avait une forme très allongée de près de 40000 km de longueur.

Ne serait-ce que il y a 40 ans, la grande tache formait encore un gros disque sombre bien visible. Mais c'est de moins en moins le cas. Il n'est pas rare que l'on ait un peu de mal désormais à la distinguer au télescope d'amateur.
En 1979, elle s'étendait encore sur 25000 km (deux fois le diamètre de la Terre)  quand les sondes Voyager 1 puis 2 lui rendirent visite pour en faire des images somptueuses.
Damian Peach, un astrophotographe renommé, a mesuré précisément l'évolution de la grande tache rouge sur la décennie qui vient de s'écouler, et le résultat est instructif : 




Février 2003        : 18 420 km
Avril 2005             : 18 000 km 
Septembre 2010  :  17 624 km 
Janvier 2013         : 16 954 km 
Septembre 2013   : 15 894 km 
Décembre 2013    : 15 302 km 

Le rétrécissement de la grande tache ne fait qu'accélerer... En décembre 2013, elle ne faisait plus que 1,2 diamètres terrestres.
A gauche :  photo de Jupiter en 1879 extrait de "A History of Astronomy in the 19th Century” de Agnes Clerk.
A droite :  Jupiter le 10 Janvier 2014 (photo Damian Peach)
Ce qui est intéressant à noter et qui a pu être mesuré, c'est que la période de rotation de ce cyclone géant, au cours du rétrécissement, s'est accélérée. Alors qu'elle était de l'ordre de 6 jours il y a encore 30 ans, elle n'est plus que de 4 jours aujourd'hui. La tempête semble conserver son moment cinétique, à l'image du patineur qui tourne plus vite en rejoignant ses bras le long de son corps.
Il faut également se rappeler d'un fait étonnant : la Grande Tache Rouge semble avoir complètement disparue entre 1713 et 1830, période au cours de laquelle aucune observation de Jupiter n'y faisait mention, pour réapparaître en 1831 sous forme d'un disque pâle.
Il n'est cependant pas certain que cette tâche réapparue en 1831 (qui est celle que nous connaissons aujourd'hui), soit la même que celle qu'avait découvert Cassini en 1665...
La Grande Tâche Rouge vue par Voyager 2 en 1979 (NASA)
Si le rétrécissement se poursuit, ce qui est plus que probable, la grande tache perdra son adjectif qualificatif. Mais Jupiter a du ressort pour nous montrer sa beauté, car dans l'hémisphère opposé à celui de la grande tache, se trouve une autre tempête, qui, elle, semble avoir tendance à grossir... On l'appelle la "tache rouge junior", et elle fait déjà la moitié de la taille de sa grande sœur.

Rien ne dit que le spectacle ne va pas continuer sur Jupiter.

Jupiter imagée par Voyager 1 en 1979 (NASA)

mardi 11 février 2014

Etoiles de Planck, la fin des Trous Noirs ?

modélisation de l'effet d'un trou noir (Alain Riazuelo)
Carlo Rovelli est un physicien théoricien éminent. Professeur à l'Université de Aix-Marseille et directeur de recherche au CNRS (Centre de Physique Théorique de Luminy). Il a inventé à la fin des années 1980 avec Lee Smolin la gravité quantique à boucles, l'une des voies peut-être les plus prometteuses pour unifier gravitation et physique quantique. Il s'est également spécialisé dans l'étude de la nature du Temps et a proposé des idées très innovantes sur ce que peut être le Temps, si il existe (voir là)...
Aujourd'hui, accompagné d'une jeune chercheuse italienne elle-aussi, il vient de proposer une toute nouvelle idée sur les trous noirs, et leur fin... Et Carlo Rovelli et Francesca Vidotto démontrent que les trous noirs ne sont peut-être pas du tout ce que l'on pense. 
Voilà : il n'y a pas de singularité et il n'y en a jamais eu. Le puits gravitationnel qui s'est formé par l'effondrement de l'étoile massive concentre la masse mais la densité ne devient jamais infinie. Une densité maximale est atteinte et cette densité est la densité de Planck. En fait, quand l'étoile s'effondre, il arrive dans une durée très courte dans le temps propre de l'étoile (mais qui peut être très long pour un observateur extérieur) que la pression gravitationnelle quantique (c'est comme ça que Rovelli l'appelle) s'oppose à l'effondrement, ce qui produit un violent rebond. Comme je le disais, cela se déroulerait en un temps très court dans le temps propre de l'étoile, mais comme ce phénomène se passe dans un puits gravitationnel  très profond, au delà de l'horizon des événements, où le temps est donc extrêmement dilaté, pour les observateurs extérieurs que nous sommes, cette durée nous semble durer (sic) très longtemps, des millions ou milliards d'années...
Carlo Rovelli
Comme les effets de gravitation quantique sont gouvernés par la densité d'énergie et non la taille d'un objet, Rovelli précise que l' "étoile", qu'avec Francesca Vidotto ils appellent une étoile de Planck (Planck Star) peut tout a fait avoir une dimension plus grande que la longueur de Planck.

Qui plus est, comme les trous noirs s'évaporent par rayonnement Hawking, les théoriciens italiens montrent que l'étoile de Planck, qui contient toute l'information du trou noir, finit par perdre un tiers de sa masse par rayonnement Hawking, laissant un résidu macroscopique, avec un horizon qui disparaît alors. A ce point, la pression gravitationnelle quantique peut alors disloquer le résidu et l'information emmagasinée dans le trou noir s'échapper à l'infini.

Pour résumer, l'image que Rovelli et Vidotto donnent est celle d'une étoile qui s'effondre gravitationnellement jusqu'à atteindre très vite une taille qui lui donne la densité de Planck, et alors apparaît un rebond à cause de la répulsion gravitationnelle quantique produite par les propriétés quantiques de l'espace-temps.
Le rebond se fait en une durée très courte pour l'étoile, de l'ordre du temps mis par la lumière pour parcourir le rayon de l'étoile, mais du fait de l'énorme potentiel gravitationnel, le temps est très fortement dilaté et cette courte durée apparaît très longue pour l'observateur extérieur, comme un film vu en extrême ralenti.
Un trou noir ne serait ainsi rien d'autre que l'effondrement puis le rebond d'une étoile, le tout vu au ralenti. La durée de l'ensemble du processus (collapse plus rebond) est donnée par Rovelli et Vidotto comme étant proportionnelle à la masse du trou noir au cube.
Francesca Vidotto

La bonne nouvelle c'est qu'il existe des implications astrophysiques observationnelles à cette théorie, car au moment où l'étoile de Planck réapparaît à la fin de son rebond une fois l'horizon disparu, il se passe des choses... Rovelli et Vidotto montrent que l'étoile de Planck doit disparaître littéralement en émettant toute sa masse résiduelle en rayonnement gamma. Et ils font le calcul.
Partant du principe que l'Univers primordial a produit une grande quantité de trous noirs de toutes masses, ils calculent que les trous noirs/étoiles de Planck qui devraient arriver aujourd'hui au terme de leur vie "cachée" sous horizon, soit des objets âgés de 13,7 milliards d'années, doivent avoir une masse de 1000 milliards de kilogrammes. Ce faisant, cela fait une taille de l'ordre de 10^-14 cm. 

Le rayonnement produit par le phénomène de gravité quantique impliqué doit avoir une longueur d'onde du même ordre de grandeur que cette dimension. Transformant la longueur d'onde calculée en énergie (E=hc/lambda), cela donne une énergie de l'ordre du GeV, des énergies tout à fait détectables par nos télescopes gamma préférés, comme Fermi-LAT par exemple...

Les GRB qu'on observe si fréquemment et dont on a bien du mal à déterminer l'origine seraient-ils des signatures d'étoiles de Planck ? 


Planck Stars
Carlo Rovelli, Francesca Vidotto
arXiv:1401.6562v3
(February 3, 2014)




lundi 10 février 2014

JUNO à La Traque des Masses des Neutrinos

Schéma du détecteur JUNO
Après leur invention en 1930 puis leur découverte expérimentale en 1956, il fallut encore attendre 42 ans supplémentaires avant de prouver que les neutrinos avaient bel et bien une masse. C’est la mise en évidence d’une oscillation entre les saveurs de neutrinos qui permit de démontrer l’existence d’une masse, et qui plus est, une masse différente pour chaque type de neutrino.
Mais on ne connait toujours pas quelles sont ces masses des trois neutrinos (neutrinos électronique, muonique et tauique). Le paramètre que les physiciens arrivent à mesurer est la différence de masse qui existe entre chacune des trois saveurs (ce qu’on appelle le « delta m »), ce qui donne trois paramètres : delta12, delta13 et delta23. Trois autres paramètres (qu’on appelle les angles de mélange theta12, theta13 et theta 23) permettent de décrire comment oscillent les neutrinos d’une forme à l’autre.

On sait donc qu’il y a deux deltas plutôt petits et le troisième grand. Ce qui veut dire qu’il y a deux neutrinos légers de masses assez proche et le troisième plus lourd (c’est ce qu’on appelle la hiérarchie normale)… ou bien l’inverse : un léger et deux lourds (la hiérarchie dite inversée). Car, aujourd’hui, nous ne pouvons pas encore connaître la hiérarchie exacte des masses des trois neutrinos. C’est l’un des plus grands enjeux actuels des recherches sur ces particules étonnantes à plus d’un titre.


Emplacement de JUNO (IHEP)

Les physiciens chinois ont décidé de s’attaquer frontalement à ce problème, et, après avoir réussi à mesurer le troisième angle de mélange (theta13) avec une excellente précision en 2012 (voir là), ils prévoient de construire maintenant pour 300 millions de dollars un énorme détecteur de neutrinos appelé JUNO (Jiangmen Underground Neutrino Observatory). Jiangmen est situé dans la province du Guangdong dans le Sud-Ouest de la Chine, un laboratoire souterrain qui sera localisé environ à égale distance de deux centrales nucléaires et qui devrait entrer en service en 2019. JUNO va observer justement les flux de neutrinos produits par ces deux centrales, situées à une cinquantaine de kilomètres de là, ce qui laisse le temps aux neutrinos électroniques de se transformer (pour 70% d’entre eux) en neutrinos muoniques.

L’emplacement du détecteur de neutrinos JUNO a été idéalement choisi, la distance des réacteurs nucléaires étant optimale pour une mesure efficace, tout à fait complémentaire d’autres expériences du même type effectuées à plus courtes distances. La spécificité d’avoir deux sources de neutrinos via deux réacteurs nucléaires différents impose d’ailleurs une position très précise du détecteur : la différence de distance entre détecteur et réacteurs nucléaires ne doit pas dépasser 2 kms sous peine de totalement brouiller le signal d’oscillation observé. Le triangle reliant les deux réacteurs et JUNO doit être parfaitement isocèle.
La connaissance de la hiérarchie des masses des trois neutrinos est fondamentale, car elle doit permettre de savoir si les neutrinos acquièrent leur masse par le même mécanisme que les autres particules (à savoir le mécanisme de Higgs), ou bien s’il s’agit de tout autre chose. La réponse doit en fait dépendre de si le neutrino est sa propre antiparticule ou non (est-il un neutrino de Majorana ou un neutrino de Dirac ?), et la question n’est toujours pas tranchée. Mais elle peut l’être grâce à des expériences d’observation de phénomènes de décroissance radioactive très rares (radioactivité béta  où deux bêtas et aucun neutrino sont émis). Or ce type de décroissance radioactive n’apparaît avec un taux observable que si la hiérarchie des masses est de type « inversée »… Voilà tout l’enjeu.
Evolution du flux de neutrinos détectés en
fonctionde la distance réacteur-détecteur
(JUNO est repéré ici comme "Daya Bay II")  

JUNO sera une expérience internationale dirigée par les chinois. Le détecteur sera constitué d’une sphère de 38 mètres de diamètre, contenant 20 000 tonnes de scintillateur liquide. Le laboratoire souterrain sera  assez peu profond, « seulement » 700 m sous une colline. Les physiciens chinois attendent environ une soixantaine de neutrinos détectés par jour. En analysant la lumière produite dans le détecteur par les réactions secondaires créées suite à l’absorption des neutrinos, les physiciens estiment pouvoir déterminer le spectre en énergie de ces neutrinos et ainsi pouvoir enfin dévoiler la véritable hiérarchie des masses.

Ce qui fera une grande différence pour JUNO vis à vis des détecteurs précédents comme le japonais KamLAND, c’est la résolution en énergie atteignable. Cette dernière devrait pouvoir être divisée par deux pour arriver à 3% seulement. Malgré la taille impressionnante du détecteur, la mesure n’en sera pas pour autant aisée, les spécialistes estiment avoir besoin de 6 ans de mesure pour parvenir à leurs fins. Et JUNO pourrait permettre des découvertes encore plus importantes, comme par exemple la mise en évidence de l’existence d’un quatrième neutrino, ce qui ouvrirait de nouvelles voies révolutionnaires en physique et en astrophysique. De nombreuses expériences ont déjà montré des indices de ce type, et JUNO sera très bien placée pour confirmer ou infirmer ces résultats.
Spectre en énergie des positrons secondaires détectés,
en fonction de la hiérarchie des masses des neutrinos
(Technische Universität München)
Enfin, JUNO sera également utilisé pour faire de la géophysique et explorer les profondeurs de la Terre, grâce à la détection de géoneutrinos. Rappelons que les géoneutrinos sont des neutrinos qui sont émis lors des décroissances radioactives qui ont lieu dans le noyau et le manteau terrestre. La mesure de ces géoneutrinos est le seul moyen à notre disposition pour connaître la distribution de la chaleur interne de la Terre. Les trois expériences actuelles qui détectent des géoneutrinos en capturent au total 45 par an. JUNO, à lui seul, en attrapera 500 par an…

Modèle de conception du hall abritant le détecteur JUNO (IHEP).

Source :
China Builds Mammoth Detector To Probe Mysteries of Neutrino Mass
J. Qiu
Science vol 343 590-591 (7 february 2014)

Le Point le Plus Froid de l'Univers

Dans deux ans, la station spatiale internationale (ISS) abritera le point le plus froid de l'Univers. En effet, c'est en 2016 que sera installé sur l'ISS le Cold Atom Laboratory (CAL) de la NASA, dont l'objectif est de fournir les températures les plus proches du zéro absolu.

L'ISS (NASA)
Le zéro absolu est situé à zéro Kelvins (ce qui fait -273,15 degrés celsius). La température du vide de l'Univers est celle du fond diffus cosmologique qui est le rayonnement qui baigne tout. Et ce rayonnement se trouve avoir une température de 2,7 Kelvins. C'est très chaud par rapport à ce que pourra offrir le CAL. Tenez vous : la température du CAL pourra descendre à 100 picoKelvin : un dix milliardième de degrés au dessus du zéro absolu...

A ces températures extrêmes, les notions de liquide, solide ou gazeux n'ont plus de sens. La matière se comporte comme une masse quantique au comportement peu commun, ce qu'on appelle un condensat de Bose-Einstein. C'est principalement pour étudier ces condensats de Bose-Einstein que le CAL a été conçu. Mais il s'agira non seulement de condensats à ultra-faible température, mais également en micro-gravité. 
Car l'un des très gros avantages d'utiliser un tel instrument en apesanteur, c'est que c'est justement la gravité sur Terre qui empêche de construire des chambres à refroidissement extrêmes sans devoir apporter des quantités d'énergie considérables pour fabriquer des champs magnétiques complexes pour contrecarrer le mouvement des molécules du fait de leur poids, même minuscule...
Schéma du Cold Atom Lab. (NASA/JPL/Cal-Tech)

Cela sera beaucoup plus aisé à bord de l'ISS, et ce n'est que dans ces conditions que pourront être atteintes des températures de l'ordre de 100 pK. C'est à ces températures que les physiciens pensent pouvoir créer dans le condensat des ondes de matière de la taille d'un cheveu, un phénomène quantique qui pourrait être visible à l’œil nu...

Là où les physiciens pouvaient réaliser une observation à très basse température durant 1 secondes en labo terrestre, ils pourront la faire durer 20 secondes dans le CAL. Une équipe de physiciens qui exploitera le CAL veut déjà faire des expériences inédites, comme par exemple mélanger deux condensats de Bose-Einstein, et ils ne savent pas encore du tout ce qui va se passer, dans de telles conditions hyper froides et en microgravité...

Le but de ces recherches est bien sûr de mieux comprendre cet état extrême de la matière. L'étude des condensats de B-E a déjà apporté quelques innovations dans le domaine de l'optique et des lasers, et le CAL pourrait y adjoindre de nouvelles contributions, en plus de créer le point le plus froid de l'Univers connu...

jeudi 6 février 2014

L'origine de l'Univers et le Mur de Planck par Etienne Klein

"Comprendre l'origine de l'Univers, c'est quoi ? C'est comprendre comment l'absence de toute chose, disons le "néant", est devenu une première chose... Parce que si vous dites qu'à l'origine de l'Univers, il y avait ceci ou cela, soit cette chose que vous mettez à l'origine est elle-même l'effet d'une cause qui l'a précédée et dans ce cas là, elle n'est pas l'origine, soit elle a toujours été là et à ce moment là, c'est l'Univers qui n'a pas d'origine... Penser l'origine de l'Univers, c'est penser la transition entre le non-être et l'être. Penser l'origine de l'Univers, c'est penser l'absence d'Univers. (...)"  Etienne Klein

La suite à regarder là : 


mercredi 5 février 2014

Itokawa, un Astéroïde Cacahuète Etonnant

Vue schématique de Itokawa
(ESO/Japan Aerospace Exploration Agency)

Il s'appelle Itokawa. C'est un astéroïde qui s'est rendu célèbre en 2005 lorsqu'une sonde japonaise (Hayabusa) y atterrit pour la première fois. Itokawa est un astéroïde très curieux. Non seulement il possède une forme de cacahuète, mais des astronomes de l'ESO viennent de montrer qu'il semble être composé de deux parties très différentes.


Stephen Lowry, de l'Université de Kent, qui signe cette étude à paraître dans Astronomy and Astrophysics, précise que c'est la première fois que l'on parvient à connaître la composition interne d'un astéroïde. Et ce qui est observé est une très grande variabilité de densité un peu partout dans l'astéroïde, avec surtout deux grandes parties à la densité très différente (les deux parties de la cacahuète). 

Un côté a une densité plus forte que du béton (2,85) tandis que l'autre à une densité plus proche du sable (1,75). La première image qui vient en tête pour expliquer cette observation effectuée par le télescope NTT de l'ESO au Chili, est une collision entre deux petits corps qui se seraient entrelacés l'un à l'autre puis auraient fusionné...

Mais, au fait, comment arrive-t-on à mesurer la densité d'un tel objet uniquement en le regardant au télescope ? J'aime quand vous vous posez de bonnes questions! Comme vous le savez, la densité est la valeur du rapport de la masse par le volume. Mais ici, la méthode de mesure est très particulière, elle est la suivante : les astronomes ont regardé comment tournait la cacahuète géante et on mesuré sa vitesse de rotation. Se faisant, ils ont également observé en détails comment évoluait la luminosité à la surface du gros caillou pour évaluer l'effet de la lumière solaire sur la vitesse de rotation. 


Sur des objets très difformes, il est tout à fait possible que des différences de température qui sont produites par un éclairement différentiel induisent une variation de la vitesse de rotation. Cet effet thermique porte un nom que je ne résiste pas à mentionner ici, il s'agit de l'effet  Yarkovsky-O’Keefe-Radzievskii-Paddack (l'effet YORP)!
Et sur Itokawa, cet effet produit une accéleration de sa vitesse de rotation de l'ordre de 0,045 secondes par an... Et cette variation, bien que minuscule, n'est possible que si la densité de Itokawa montre deux valeurs très différentes.

La découverte que les astéorides peuvent avoir une telle structure interne va aider à la compréhension de la formation des astéroïdes binaires et également à imaginer des solutions efficaces contre les dangers que représentent ces corps errants.

Sources :
http://www.eso.org

The Internal Structure of Asteroid (25143) Itokawa as Revealed by Detection of YORP Spin-up,
Lowry et al., 
à paraître dans Astronomy & Astrophysics