22/10/24

Nouvelles mesures du rayon de la plus grosse étoile à neutrons

Le 24 janvier 2024, étrangement, le journal The Astrophysical Journal recevait deux articles scientifiques aux titres quasi identiques, provenant de deux équipes différentes. Nul doute que l'éditeur scientifique à demandé à l'un et à l'autre premier auteur de participer au comité de lecture de l'article de son concurrent, avec l'idée derrière la tête de les publier ensemble dans le même numéro. Après les révisions demandées pour ces deux papiers, le premier a été finalement été accepté pour publication le 31 mai et le second le 7 juin. Et c'est donc le 18 octobre que tous les deux ont été publiés par le célèbre journal d'Astrophysique américain dans le même numéro.

Les équipes de Alexander Dittman (université du Maryland) d'un côté et de Tuomo Salmi (université d'Amsterdam) de l'autre ont exploité des observations de longue durée du pulsar PSR J0740+6620, connu pour sa masse très élevée (2,08 masses solaires) par le télescope spatial NICER, afin de déterminer précisément son rayon, mais avec des méthodes un peu différentes.

PSR J0740+6620 est l'étoile à neutrons avec la masse la plus élevée déterminée avec précision à ce jour, déduite d'observations radio (elle vaut 2,08 ± 0,07 M). Ce pulsar en rotation rapide (une période de rotation sur elle-même de 2,88 ms) se trouve à environ 4000 années-lumière. La mesure de son rayon est donc très importante pour contraindre les propriétés de la matière à haute densité des étoiles à neutrons. Trois étoiles à neutrons ont des masses élevées proches de la limite théorique, à environ 2 M : il y a PSR J1614-2230, avec une masse de 1,937 ± 0,014 M, PSR J0348+0432, avec M = 2,01 ± 0,04 M  et donc PSR J0740+6620, avec M = 2,08 ± 0,07 M (Cromartie et al. 2020 ; Fonseca et al. 2021 ). Les incertitudes citées désignent les régions crédibles à 68 %. Les observations de telles étoiles à neutrons massives peuvent exclure les équations d'état qui prédisent des masses maximales stables sensiblement plus faibles. De plus, les observations de l'événement d'ondes gravitationnelles GW170817 ont fourni des contraintes sur la déformabilité par marée des étoiles à neutrons, excluant les équations d'état qui indiqueraient que les étoiles à neutrons auraient des rayons relativement élevés à une masse donnée. 

Dans les intérieurs des étoiles à neutrons, l'équation d'état dépend de la densité et de la composition. On peut exprimer la pression sous la forme d'une loi de la forme P ∝ ρα où ρ est la densité. Une équation d'état "rigide" (ou "dure") est une équation dans laquelle la pression augmente beaucoup pour une augmentation donnée de la densité. Un tel matériau serait plus difficile à comprimer. À l'inverse, une équation d'état souple produit une augmentation de pression plus faible pour un changement de densité et est facile à comprimer. Si α est grand, on parle donc d'une une équation d'état dure. A l'inverse, une équation d'état "molle" (ou "douce") est définie pour α < 5/3.

Dans les étoiles à neutrons, la dureté de l'équation d'état contrôle la relation masse-rayon et leur masse maximale possible. Une équation d'état plus dure donne un rayon plus grand pour la même masse et une masse maximale possible de l'étoile à neutrons plus grande.

Précédemment, Miller et al. (l'équipe de Dittman) et Riley et al. (l'équipe de Salmi) avaient rapporté des mesures du rayon de PSR J0740+6620, déjà basées sur des observations de NICER (Neutron Star Interior Composition Explorer, qui esst installé sur l'ISS) qui avaient été accumulées jusqu'au 17 avril 2020, puis un ensemble de données accumulées ensuite jusqu'au 28 décembre 2021 avait été présenté par Salmi et al. quelques mois plus tard. 

NICER peut effectuer des mesures résolues en phase et en énergie des impulsions de rayons X thermiques produites par certaines étoiles à neutrons en rotation. Cette émission thermique est dominée par les régions de surface chauffées par le bombardement de particules chargées provenant d'un courant de retour magnétosphérique. Ces mesures sont utilisées pour contraindre la masse et le rayon de ces étoiles à neutrons en modélisant les impulsions de rayons X produites par les régions chaudes à la surface de l'étoile à neutrons en rotation rapide, y compris les effets relativistes.

L'ajout d'observations du télescope spatial XMM-Newton est particulièrement utile lors de l'analyse des données de NICER sur PSR J0740+6620, étant donné la faible luminosité de la source et le champ de vision encombré, car les données d'imagerie fournies par XMM-Newton contraignent le flux stellaire moyenné en phase et le fond non stellaire. 

Dittman et ses collaborateurs et Salmi et les siens ont ainsi produit chacun de leur côté une mise à jour de la mesure du rayon, obtenue en ajustant les modèles d'émission de rayons X de la surface de l'étoile à neutrons aux mêmes données de NICER accumulées cette fois jusqu'au 21 avril 2022, totalisant une exposition supplémentaire d'environ 1,1 Ms par rapport à l'ensemble de données analysées par Miller et al. et Riley et al. qui étaient basées sur 1,6 Ms d'exposition, ce qui fait presque deux fois plus de données.

En 2021, Miller et al. trouvaient pour PSR J0740+6620 un rayon de 13,71 km (+2,61/-1,50 km). Aujourd'hui, Alexander Dittman et ses collaborateurs trouvent 12,76 km (+1,02/-1,49 km), tandis que Tuomo Salmi et al. trouvent 12,49 km (+1,28/-0,88 km). L'étoile à neutron a donc un volume un peu  petit que ce qu'on pensait depuis 2021 : 29% de moins et est donc plus compacte. 

La limite inférieure du rayon est désormais également légèrement plus contrainte qu'auparavant ; un rayon  inférieur à 11,15 km est dorénavant exclu à 95 % de probabilité et un rayon inférieur à 10,96 km est exclu à 97,5% pour ce pulsar. Les deux équipes en concluent la même chose : l'équation d'état de la matière nucléaire ultra-dense est légèrement plus douce que ce que laissaient entendre les données précédemment disponibles. 

Aujourd'hui, NICER est toujours en train d'acquérir de nouveaux photons X qui ont voyagé pendant 4000 ans en provenance de PSR J0740+6620, mais aussi d'autres étoiles à neutrons laboratoires. La relation masse-rayon devrait donc pouvoir être affinée dans le futur en réduisant encore les incertitudes, ce qui réduira par là même les incertitudes qui existent toujours sur l'équation d'état des étoiles à neutrons.

Sources

A More Precise Measurement of the Radius of PSR J0740+6620 Using Updated NICER Data
Alexander J. Dittmann et al.
The Astrophysical Journal, Volume 974, Number 2 (18 october 2024)

The Radius of the High-mass Pulsar PSR J0740+6620 with 3.6 yr of NICER Data
Tuomo Salmi et al.
The Astrophysical Journal, Volume 974, Number 2 (18 october 2024)

Illustrations

1. Vue d'artiste d'une étoile à neutrons de type pulsar (ESA)
2. Le télescope NICER à bord de l'ISS (NASA)
3. Alexander Dittman
4. Tuomo Salmi



17/10/24

Des galaxies massives très déficientes en matière noire dans une simulation cosmologique


La découverte récente que la galaxie elliptique massive NGC 1277 possèderait moins de 5 % de matière noire par Sebastien Comeron et al. (2023) a questionné la possibilité qu'un tel objet puisse vraiment exister dans un univers régi par les lois physiques du modèle ΛCDM. Pour creuser cette question, Ana Contreras-Santos de l'Université de Madrid et ses collègues ont effectué une étude qu'ils viennent de publier dans Astronomy&Astrophysics. 

Les astrophysiciens, plutôt que de rechercher une autre galaxie ayant les mêmes caractéristiques que NGC 1277 (une galaxie massive de 160 milliards de masses solaires située dans l'amas de galaxies de Persée), qui s'apparenterait à chercher une aiguille dans une grosse botte de foin, ont préféré utiliser des simulations de l'univers. Il s'agit de la simulation du projet Three Hundred, dans laquelle une portion d'Univers ΛCDM est reproduit dans tous ses détails, où naissent et évoluent des galaxies au sein de 324 amas de galaxies de toutes tailles. Ils peuvent ainsi lancer de nombreuses simulations et chercher numériquement les quantités de matière noire présentes dans les galaxies simulées. On peut ensuite retracer l'histoire évolutive des galaxies pour déterminer les processus physiques qui seraient à l'origine de leur manque de matière noire si c'est le cas. 

Ana Contreras-Santos et ses collaborateurs ont effectivement trouvé dans les milliers de galaxies simulées deux galaxies elliptiques massives déficientes en matière noire qui sont tout à fait comparables à NGC 1277. Ces galaxies ont toutes deux une masse stellaire d'environ 100 milliards de masses solaires et qui correspond à 85% de leur masse totale. 

En observant comment ont évolué ces deux spécimens, les chercheurs montrent que les deux galaxies commencent leur vie avec des halos de matière noire beaucoup plus massifs, puis sont dépouillés par des effets de marée pour se retrouver réduits par un facteur 100. Ce dépouillement a lieu lors da chute de ces galaxies dans le puits gravitationnel de leur amas respectif, alors que la masse stellaire reste intacte grâce à sa concentration centrale beaucoup plus forte. Et Contreras-Santos et al. montrent ensuite par une analyse statistique que pour toutes les galaxies satellites massives des amas simulés, le rapport masse stellaire/masse totale final est fortement influencé par leur nombre d'orbites autour des amas de galaxies et leur distance aux péricentres. Les galaxies avec plus d'orbites et des péricentres plus proches sont plus déficientes en matière noire. 

L'image qui se dégage de cette étude est que le dépouillement de la matière noire d'une galaxie augmente proportionnellement à sa proximité avec le centre de l'amas et au temps qu'elle y passe.  Cela  signifie donc que le mécanisme qui dépouille les galaxies naines de faible masse peut également être efficace dans les elliptiques massives comme NGC 1277.

Ce que montrent surtout Contreras-Santos et ses collaborateurs, c'est que des galaxies elliptiques massives déficientes en matière noire peuvent se former dans les simulations cosmologiques sans nécessiter de physique particulière. Mais cependant, elles sont rares : les chercheurs estiment que ces systèmes représentent 0,5 % de la population des galaxies satellites de masse supérieure à 10 milliards de masses stellaires. 

Pour parvenir à ce chiffre, les chercheurs on défini les galaxies massives déficientes en matière noire comme celles dont le rapport masse stellaire / masse noire est supérieur à 1, ou encore M stellaire / M tot ≥ 0,5, avec un seuil en masse stellaire de  40 milliards M⊙. Avec ces critères, Contreras-Santos et son équipe trouvent 302 galaxies massives déficientes en matière noire dans l'ensemble de leur échantillon de 324 amas qui contiennent chacun environ 200 galaxies. ce qui représente donc environ 0,5% de la population totale de galaxies dans les amas. En définissant des contraintes supplémentaires pour sélectionner les objets les plus extrêmes dans leur échantillon, les chercheurs trouvent 9 galaxies avec M * / M tot ≥ 0,8 et M * > 75 milliards M ⊙ , chacune d'entre elles étant dans un hôte différent, ce qui souligne encore plus la nature très rare de ce type de galaxies. Et parmi ces 9, il y a les deux cas extrêmes très similaires à NGC 1277, de plus de 100 milliards de masses solaires dont la masse stellaire est supérieure à 85% de la masse totale.

De telles galaxies massives mais déficientes en matière noire peuvent donc bien exister et seraient simplement des sous-produits naturels de l'évolution typique des galaxies dans les amas, sans exigence spécifique d'un scénario de formation exotique.

Ana Contreras-Santos et ses collaborateurs ne peuvent pas affirmer que le mécanisme de dépouillement progressif qu'ils proposent soit responsable de la formation de NGC 1277, mais que, si certaines conditions dans son évolution ont été satisfaites, elle a pu naturellement évoluer en galaxie massive déficiente en matière noire sans avoir besoin d'aller au-delà du modèle standard de formation et d'évolution des galaxies. Les chercheurs montrent également pour la première fois que les propriétés finales de ces galaxies sont une conséquence de processus astrophysiques (le dépouillement par effet de marée), et non un artefact numérique, comme c'était le cas dans des travaux précédents qui traitaient du même problème...


Source

The Three Hundred: The existence of massive dark matter-deficient satellite galaxies in cosmological simulations

Ana Contreras-Santos et al.

A&A, 690, A109 (02 octobre 2024)

https://doi.org/10.1051/0004-6361/202451271


Illustrations

1. Graphe du ratio M stellaire/Mtot en fonction de la masse stellaire (en échelle logarithmique) dans la simulation 

2. Ana Contreras-Santos 

08/08/24

Découverte d'une nouvelle périodicité dans les sursauts radio de FRB 20121102A


Une équipe d’astrophysiciens a compilé 1145 sursauts radio du célèbre FRB répétitif FRB 20121102A à partir d'observations archivées, réalisées à l'aide de nombreux radiotélescopes. Ils découvrent l’existence d’une nouvelle périodicité dans les sursauts radio de ce FRB, une période de 4,605 jours, qui s’ajoute à la période de 157 jours qui avait été trouvée il y a quelques années. Cela permet d’imaginer la structure du système qui est à l’origine de ces sursauts radio : une étoile à neutron en couple avec une naine blanche, et qui possède une planète très rapprochée… L’étude est parue dans The Astrophysical Journal.

Plus de 700 sources de FRB (Fast Radio Burst) ont été identifiées à ce jour, dont 50 répétitives. Les galaxies hôtes de certains FRB ont été localisées et pour certains, la polarisation et l'énergie des sursauts ont été mesurées, et la distribution de l'énergie ainsi que la période d'activité ont été identifiées pour quelques sources répétitives (dans les études de Zhang en 2020 et Petroff et al. en 2022).

On pense aujourd'hui que les FRB proviennent d'une étoile à neutrons ou plus précisément d'un magnétar. Mais la découverte d'activités périodiques de sources répétitives suggère qu’elles ont probablement des progéniteurs dans des systèmes binaires, ou bien proviennent de précessions de magnétars éruptifs.

Pour FRB 20121102A, qui a été le premier FRB répétitif détecté, une période d’environ 160 jours a été trouvée à partir d'observations approfondies en 2018 et 2020.  FRB 20121102A est la source de FRB de loin la plus prolifique en sursauts radio, on en a déjà détecté plus de 1600, et ça continue tous les jours ou presque.  En octobre 2021, une analyse effectuée sur 1652 sursauts détectés avec le radiotélescope FAST (voir https://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2021/10/1652-sursauts-observes-sur-frb-20121102.html) montrait qu’il existait étrangement deux sous-populations de sursauts chez FRB 20121102A, qui se distinguent par leur énergie. Une bimodalité dans les sursauts laisse supposer l’existence de différents mécanismes ou sites d'émission des sursauts.

Jixuan Li (Sun Yat-Sen University, Zhuhai, Chine) et ses collaborateurs qui avaient trouvé cette bimodalité il y a 3 ans, ont donc cherché à en savoir plus en essayant d’identifier si il existerait une seconde périodicité spécifique en plus de la périodicité qui avait déjà été identifiée dans les signaux il y a quelques années. Les chercheurs chinois ont exploité les données archivées des radiotélescopes FAST, Arecibo, Green Bank Telescope, du télescope de Effelsberg, du télescope MeerKAT, du télescope Lovell, du Deep Space Network, du Very Large Array et enfin du radiotélescope de Westerbork, qui ont tous été utilisés à un moment ou à un autre pour capter des sursauts radio rapides en provenance de FRB 20121102A.

L’analyse détaillée de la distribution dans le temps des sursauts radio montre l’existence d’une première quasi-période de 157,1 jours (+4,8 /-5,2 jours) et d’une seconde quasi-période ("candidate" pour l'instant) de 4,605 jours (0,010/-0,003 jours)

La première période de 157,1 jours est cohérente avec les résultats des études précédentes, mais la seconde est une découverte. Les astrophysiciens chinois montrent que la périodicité de 4,605 jours est plus évidente dans les sursauts à haute énergie dont la fluence est supérieure à 1038 erg. Li et ses collaborateurs essayent donc de comprendre quelle peut être l’origine de cette nouvelle quasi période d’un peu moins de 5 jours dans les sursauts radio rapides de FRB 20121102A et comment elle peut s’inscrire dans la périodicité plus longue de plus de 150 jours.

Il faut se rappeler que les jeunes magnétars sont des étoiles à neutrons très actives. Leur rotation et leur champ magnétique puissant alimentent des flux de vent de particules, et des « ondes de souffle » peuvent également être lancées par ces magnétars, qui produisent des chocs quand elles interagissent avec la matière environnante. Les chocs accélèrent les particules, ce qui entraîne l'émission d’ondes radio. Ces chocs dans les flux magnétiques, c'est le scénario que Beloborodov a proposé en 2017 et 2020 pour expliquer l'origine des FRBs. Il existe aussi d’autres explications très pertinentes qui ont été proposées ces dernières années et qui font intervenir des tremblements de la croûte de l’étoile à neutrons. Dans le scénario magnétosphérique de Beloborodov, le champ magnétique de FRB 20121102A doit être de 1014 Gauss.

Avec des périodicités comprises entre une dizaine et une centaine de jours qui ont été trouvées dans des FRBs répétitifs, un consensus s'est établi sur le fait que la périodicité des sursauts est associée soit aux périodes orbitales de systèmes binaires, la compagne étant une étoile dégénérée ou une étoile massive, soit à la précession d'un magnétar. Et une origine possible par une étoile à neutrons à très longue période de rotation sur elle même ne peut toujours pas être exclue pour les FRBs ayant les périodes les plus courtes.

Pour FRB 20121102A, une orbite binaire très excentrique avec une séparation critique rc de 4,67 UA entre l’étoile à neutrons et l’étoile dégénérée (probablement une naine blanche) est supposée expliquer sa période de ∼160 jours et un cycle d'activité de 50% comme l’ont montré Du et al. en 2021.

Li et son équipe partent donc de cette image de binaire pour tenter d’expliquer la petite période de 4,605 jours qu’ils ont identifiée. Dans ce scénario, du plasma magnétisé résulte du flux d'accrétion de la naine blanche compagne et se propage entre la naine blanche et l'étoile à neutrons lorsqu'elles ont des séparations inférieures à la distance critique rc.

Pour Li et ses collaborateurs, une explication possible de la période de 4,605 jours est l'existence d'une planète proche de l'étoile à neutrons. Pour une étoile à neutrons de 1,4 masses solaires (masse typique), cette période de 4,605 jours implique une séparation orbitale de la planète de 0,061 UA seulement (6 fois plus proche de l'étoile que Mercure du Soleil). La planète résiderait donc dans la magnétosphère de l'étoile à neutrons et interagirait avec le vent de l'étoile à neutrons et l'afflux de matière lors de l'accrétion à partir de la naine blanche.

Ainsi, l'interaction entre la planète et le plasma magnétisé qui l'entoure devrait former une instabilité de type « aile d'Alfvén », qui donne lieu à des impulsions radio, contribuant aux variations quasi-périodiques des impulsions observées dans le FRB. Le phénomène de focalisation relativiste fait se concentrer les sursauts radio de haute intensité dans une gamme étroite de directions. Et lorsque la direction du rayonnement passe par la ligne de visée à chaque orbite de la planète, un nombre croissant de sursauts radio devrait être vu par l'observateur. Ce n'est que lorsque l'interaction binaire entre l’étoile à neutrons et la naine blanche est activée qu'il peut y avoir des flux d'accrétion autour de l'étoile à neutrons qui héberge la planète, de sorte que celle-ci peut interagir avec le plasma qui l'entoure et produire des sursauts.

Mais il existe aussi d'autres mécanismes possibles pour les sursauts radio rapides dans le même cadre géométrique, comme le décrivent Li et ses collaborateurs.

La première possibilité alternative est une reconnexion magnétique, comme celles observées dans l'environnement spatial du système solaire, qui convertit l'énergie stockée dans les champs magnétiques en énergie cinétique de particule. Ces particules à haute énergie peuvent ensuite produire une émission cohérente ou rayonner leur énergie par effet synchrotron. A une distance r<rc , l'étoile naine blanche fournit un flux d'accrétion dans lequel il y aurait suffisamment de particules chargées pour être accélérées dans la reconnexion donnant lieu à des sursauts radio détectables, selon les chercheurs.

La reconnexion magnétique se produit également entre le magnétar et la planète voisine si cette dernière est magnétisée. Cette reconnexion peut donc être modulée par l'orbite de la planète, c'est-à-dire maximisée lorsque le fort champ magnétique de la magnétosphère asymétrique de la planète fait face au magnétar en rotation.

La seconde alternative est l'induction unipolaire. L'interaction de marée entre une planète rocheuse et son étoile hôte (surtout une étoile à neutrons très proche) peut provoquer des intenses activités volcaniques sur la planète, qui produiront une induction unipolaire et fourniront du plasma autour de la planète à même de produire une émission radio par effet maser. Cependant, le plasma externe d'accrétion ou du vent de magnétar dans le système binaire contient généralement des particules de haute énergie, qui sont toujours cruciales pour les sursauts radio détectables. Dans ces différentes variantes, le point commun est la configuration géométrique impliquant une binaire avec une naine blanche et une étoile à neutrons (un magnétar) qui héberge une planète en orbite étroite.

Cette configuration permet d'expliquer en même temps la présence de deux quasi périodes dans les sursauts de FRB 20121102A et l’existence de deux sous-populations de sursauts, distinguées par leur énergie, qui avaient été trouvées par Li et al. en 2021. Car dans cette configuration impliquant une étoile compagne et une planète proche, les sursauts de FRB 20121102A peuvent être divisés en deux classes, résultant de processus différents. La plupart des sursauts, en particulier ceux de basse énergie et certains sursauts de haute énergie, proviendraient des ondes de chocs induits par les vents de magnétar interagissant avec le plasma environnant. Et simultanément, une fraction substantielle des sursauts à haute énergie serait causée par le choc ou l'interaction magnétique entre le magnétar et la planète en orbite autour de lui, qui produit des particules plus énergétiques par rapport au choc dans le plasma environnant, ce qui conduit à des sursauts radio plus lumineux.


Source 

A Candidate Period of 4.605 Days for FRB 20121102A and One Possible Implication of Its Origin

Jixuan Li et al.

The Astrophysical Journal  (25 June 2024 )

https://doi.org/10.3847/1538-4357/ad4294


Illustration

Exemples de sursaut radio rapides issus de la source FRB 20121102A


05/08/24

Les plus grosses étoiles ne font pas les plus gros trous noirs

Les plus grosses étoiles ne font pas les plus gros trous noirs quand elles explosent… c’est ce que vient de montrer une équipe d’astrophysiciens, qui publient leur étude dans Astronomy&Astrophysics.

Récemment, un trou noir de 33 M a été découvert dans notre galaxie par Gaia (Gaia BH3). La masse de Gaia BH3 est plus élevée que celle des trous noirs stellaires les plus massifs issus de la génération d’étoiles actuelles (étoiles de la Population I), qui est de 10 à 20 M. L'explication la plus logique de la masse élevée de Gaia BH3 est une faible métallicité (qu’on note Z) de l'étoile progénitrice. Une faible métallicité (abondance en éléments lourds) a également été invoquée pour expliquer la masse des premiers trous noirs détectés par ondes gravitationnelles.

Au cours des cinq dernières années, Jorick Vink (Armagh Observatory, Irlande du Nord) et ses collègues ont étudié systématiquement les ingrédients clés de l'évolution des étoiles massives, qui varient en raison des incertitudes liées au mélange entre le cœur et la surface de l'étoile et à la perte de masse produite par le vent stellaire de l'étoile en fin de vie. En effet, la perte de masse est particulièrement influente pour les étoiles les plus massives (les étoiles de plus de 100 M sont appelées étoiles "très massives"), ainsi que d'autres processus de mélange, y compris ce qu’on appelle la semi-convection ou le transfert d'énergie supplémentaire dans les couches super-adiabatiques.

Comme il y a beaucoup d'incertitudes dans les processus de mélange interne et la perte de masse du vent stellaire des étoiles massives, il n'est pas possible de prédire avec précision la masse stellaire finale au moment de la supernova ou la masse du trou noir résultant, pour une étoile de masse initiale donnée. Mais, en utilisant les contraintes observationnelles et théoriques disponibles, Vink et ses collaborateurs montrent qu'il est possible de compartimenter ces questions et de fournir une masse maximale réaliste de trou noir.

Les chercheurs avaient précédemment effectué l'analyse de la masse maximale de trou noir pour les étoiles à faible métallicité. Ils avaient montré qu’à faible Z (en dessous de ∼10% de la métallicité solaire Z), la masse maximale du trou noir est fixée par la physique de l'instabilité de paires lors de l’effondrement gravitationnel (quand les photons à l’intérieur de l’enveloppe stellaire sont suffisamment énergétiques pour produire des paires électron-positron qui déstabilise la pression de radiation interne), mais à fort Z, cet effet devrait être réduit et on s’attend plutôt à voir la masse maximale de trou noir final fixée par la perte de masse du vent stellaire juste avant l’effondrement et l’explosion de la supernova.

Dans leur étude, Vink et ses collaborateurs utilisent la connaissance globale du mélange intérieur de l’enveloppe stellaire, de la perte de masse par le vent stellaire, ainsi que de la physique associée à la luminosité des supergéantes rouges dans le cadre de ce qu'on appelle la limite de Humphreys-Davidson (théorisée en 1979), qui permet de tenir compte indirectement de la perte de masse éruptive, afin de déduire la masse maximale des trous noirs produits par des étoiles de métallicité solaire Z.

Grâce à leur nouvelle modélisation, les chercheurs trouvent que la masse de trou noir stellaire la plus élevée n'est pas obtenue pour les masses d’étoiles les plus élevées, comme on aurait pu s'y attendre, mais au contraire, la masse de trou noir maximale (qui vaut 30 M) est trouvée pour la gamme de masses stellaires comprises entre 35 et 45 M. Le modèle d’étoile à 35 M perd par exemple seulement 4 M⊙ pendant la combustion de H dans le noyau et 1 M supplémentaire pendant la combustion de l’hélium.

La raison de ce comportement apparemment contre-intuitif est que les astrophysiciens ont inclus une perte de masse qui s'installe au-dessus de la masse de transition de 80 à 100 M. Pour les étoiles les plus massives, les taux de perte de masse sont suffisamment élevés pour non seulement éliminer l'enveloppe d’hydrogène, mais aussi pour enlever de la masse au noyau stellaire. Les masses des trous noirs issus de ces étoiles de Wolf Rayet dépouillées sont de 10 à 15 M au maximum (à Z⊙ rappelons-le). Pour la gamme de masse inférieure à 50 M, la combustion de l'Hélium dans le cœur n'a pas lieu pendant la phase Wolf-Rayet, mais pendant la phase supergéante (bleue, jaune ou rouge). La durée de vie après la combustion de l'He ne représente que 1% de l'évolution stellaire, de sorte que cette perte de masse ne devient pertinente que si le taux de perte de masse après la combustion de l'Hélium du coeur est 100 fois plus puissant que pendant la séquence principale, ou 10 fois plus puissant que pendant les phases de combustion de l'Hélium du coeur.

L'analyse effectuée par Vink et ses collaborateurs implique qu'il serait très improbable de découvrir un trou noir stellaire de 70 M issu d’une étoile de métallicité solaire. Cela ne veut pas dire qu'un trou noir de 70 M ne pourrait pas exister dans la Voie Lactée, mais qu’il devrait dans ce cas s'être formé à une époque antérieure, quand la métallicité était encore inférieure à ∼10% de Z.

La masse totale perdue par les étoiles en fin de vie dans les vents stationnaires dépend à la fois du taux de perte de masse dépendant de la température et de la durée de l'évolution. Pour cette raison, les chercheurs ont considéré à la fois les effets de la perte de masse dans les vents ainsi que du mélange intérieur, mais ils concluent que la masse maximale de trou noir est fixée par la limite de Humphreys-Davidson.

En conclusion, les astrophysiciens mettent en garde sur le fait qu’ils ont utilisé des taux de perte de masse plus élevés pour les étoiles très massives, ce qui leur a permis de conclure que ces étoiles ne produisent pas la masse maximale de trou noir à la métallicité solaire. La raison pour laquelle on peut avoir confiance dans l'implémentation d'un taux de perte de masse élevé pour les étoiles très massives, selon eux, c’est que cette solution est la seule qui explique naturellement les températures effectives presque constantes de ces étoiles à différentes métallicités. Si les taux de perte de masse étaient plus faibles, ils devraient être ajustés pour chaque valeur de masse de ces étoiles très massives afin d'éviter soit une évolution vers le rouge résultant de taux de perte de masse trop faibles, soit une évolution vers le bleu induite par une perte de masse trop élevée.

Les auteurs soulignent également qu'il existe encore de nombreuses incertitudes concernant le mélange intérieur des étoiles massives et la perte de masse du vent stellaire, mais en utilisant des contraintes observationnelles et théoriques clés, ils ont montré qu'il est possible de fournir une masse maximale réaliste pour le trou noir résultant de leur explosion. Si on découvrait un jour un trou noir (à métallicité solaire) d'une masse nettement supérieure à 30 ou 40 M, il faudrait selon eux sérieusement reconsidérer les taux de perte de masse pour les étoiles très massives, car Vink et al. semblent avoir épuisé toutes les autres incertitudes physiques pertinentes dans la modélisation détaillée de l'évolution stellaire.


Source

The maximum black hole mass at solar metallicity

Jorick S. Vink, Gautham N. Sabhahit and Erin R. Higgins

Astronomy&Asrophysics Volume 688 (2 August 2024)

https://doi.org/10.1051/0004-6361/202450655


Illustration

1. Vue d'artiste d'un trou noir dans un système binaire (ESO/L. Calçada)

2. Jorick Vink

31/07/24

JADES-GS-z14-0 : la galaxie la plus lointaine jamais observée (jusqu'à aujourd'hui)


Elle est nommée JADES-GS-z14-0, c’est aujourd’hui la galaxie la plus lointaine jamais observée, son redshift vient d’être confirmé avec le télescope Webb, il vaut 14,3, ce qui correspond à une époque située 290 millions d’années après le Big Bang. La découverte est publiée dans Nature.

29/07/24

Découverte de 6 galaxies spirales apparemment sans matière noire

Un duo de chercheurs taïwanais vient de découvrir plusieurs grosses galaxies spirales qui apparaissent totalement dépourvues de matière noire, à partir de la mesure de leur rotation, qui se révèle bien trop faible. La matière noire ne serait donc pas uniformément présente dans les galaxies… Ils publient leur étude dans Scientific Reports.

La matière noire est considérée comme l'élément essentiel de la formation des galaxies. Les galaxies dépourvues de matière noire qui ont déjà été observées, ont connu des mécanismes de formation spécifiques, qui en fait des cas uniques. Dans les galaxies spirales, l’existence de courbes de rotation plates et une vitesse de rotation asymptotique élevée est une observation courante qui indique la nécessité d'une matière noire pour soutenir cette dynamique.

Cheng-Yu Chen et Chorng-Yuan Hwang (National Central University, Taoyuan) ont mesuré les vitesses de rotation de très nombreuses galaxies qu’ils ont tracées en fonction de leur luminosité. La luminosité est un indicateur direct de la masse baryonique d’une galaxie, via son nombre d’étoiles, auquel on peut ajouter la quantité de gaz que l’on en déduit. La vitesse de rotation donne quant à elle la valeur de la masse dynamique. Dans la très grande majorité des cas, ces deux valeurs de masse diffèrent énormément, et c’est pour cela qu’on introduit la matière noire pour recoller les morceaux. Mais Cheng-Yu et Chorng-Yuan ont trouvé 6 galaxies spirales massives (entre 31 milliards et 62 milliards de masses solaires) pour lesquelles la masse baryonique et la masse dynamique sont quasi égales ! Du jamais vu pour des grandes galaxies de ce type.

Ces six galaxies ont été observées dans le cadre du projet Mapping Nearby Galaxies at Apache Point Observatory (MaNGA). Un sous-ensemble de ces galaxies présentait une rotation nettement plus lente que les galaxies comprises dans la relation principale de Tully-Fischer. C’est parmi toutes les galaxies à rotation lente que Cheng-Yu et Chorng-Yuan ont sélectionné des galaxies qui étaient à la fois dominées par la rotation et à l'équilibre dans leurs courbes de rotation stellaire et de gaz, pour une étude plus approfondie.

Les faibles rapports masse dynamique/masse baryonique (1,09 en moyenne sur les 6 spécimens) indiquent que la cinématique de ces galaxies peut être supportée par leur seule masse baryonique. Les chercheurs taiwanais ont dérivé leurs courbes de rotation et leurs distributions de masse, étudié leurs environnements locaux et exploré les explications possibles de ces observations. Ces galaxies présentent des caractéristiques intrigantes, alignant leurs masses dynamiques remarquablement proches de leurs masses baryoniques, laissant penser qu’elles sont dépourvues de matière noire. Les astrophysiciens taïwanais ont exploré l’environnements entourant les six galaxies, pour savoir si il pouvait exister un phénomène lié au voisinage galactique, mais aucune de ces galaxies ne s'est avérée être une galaxie satellite dans leur environnement respectif et le nombre de galaxies dans leur voisinage varie de trois pour la plus esseulée à plus de cent galaxies pour la plus encombrée. Ces six galaxies ne présentent donc aucun effet environnemental perceptible.



Les six galaxies ont des masses baryoniques qui correspondent à la masse typique des galaxies spirales (comprises entre 10 milliards et 100 milliards de masses solaires). Aucune d'entre elles n'entre dans la catégorie des galaxies naines. Pour les chercheurs, cette distinction indique qu'elles ne se sont peut-être pas formées par les mêmes mécanismes que les galaxies satellites de NGC 1052, qui on le rappelle avaient été les premières galaxies sans matière noire à avoir été découvertes. Étant donné que ces six galaxies possèdent des masses typiques et ne démontrent pas de préférence environnementale, Cheng-Yu et Chorng-Yuan proposent que leur formation ne soit pas liée à des voies spécifiques. Ils suggèrent ainsi que les galaxies dépourvues de matière noire pourraient résulter de certains processus universels de formation des galaxies. Par ailleurs, comme ces galaxies présentent des accélérations inférieures à l'accélération caractéristique proposée par la phénoménologie de MOND, une alternative à la matière noire qui pouvait expliquer les courbes de rotation galactiques, leur absence de matière noire observable remet donc gravement en question l'applicabilité universelle de MOND.

Les vitesses de rotation dérivées de l’élargissement de la raie Ha ne retracent la dynamique d’une galaxie que jusqu'au bord du disque stellaire visible, ce qui contraint l’analyse présentée ici. Pour chercher une explication alternative possible de la rotation lente de ces galaxies, les chercheurs taïwanais évoquent le fait que leurs halos de matière noire pourraient être extrêmement étendus, ce qui pourrait alors résulter en un manque apparent de matière noire à l'intérieur des disques visibles. De futures études avec une cartographie du gaz ionisé sont maintenant essentielles pour tracer la dynamique de ces 6 galaxies au-delà du disque stellaire visible, afin d’avoir une image plus complète de la distribution de matière noire, si elle est là.

En attendant, la conclusion de Cheng-Yu Chen et Chorng-Yuan Hwang est que toutes les galaxies ne sont pas forcément associées à de la matière noire…

 

Source

 

Six spiral galaxies lacking dark matter

Cheng-Yu Chen & Chorng-Yuan Hwang

Scientific Reports volume 14 (27 july 2024)

https://doi.org/10.1038/s41598-024-68144-w



Illustrations


1. Les 6 galaxies spirales dépourvues de matière noire (Cheng-Yu Chen & Chorng-Yuan Hwang)

2. Les 6 courbes de rotation (vitesse en fonction du rayon) et distribution de la masse en fonction du rayon (Cheng-Yu Chen & Chorng-Yuan Hwang)

25/07/24

Découverte d'une source de rayons gamma très énergétiques au coeur de la nébuleuse de la Tarentule


La nébuleuse de la Tarentule, située dans le Grand Nuage de Magellan, est connue pour sa forte activité de formation d'étoiles. En son centre se trouve le jeune amas d'étoiles massives R136, qui fournit une grande partie de l'énergie qui fait briller la nébuleuse. La collaboration internationale H.E.S.S vient de découvrir que cet amas d’étoiles produit également une forte émission de rayons gamma très énergétiques. Ils publient leur découverte dans The Astrophysical Journal Letters.

Il a été récemment suggéré que les jeunes amas d'étoiles massives produisent efficacement des rayons cosmiques de très haute énergie, potentiellement au-delà des énergies de l’ordre du PeV. On sait depuis plusieurs décennies que des rayons cosmiques ayant des énergies extrêmement élevées nous atteignent sur Terre. Ces dernières années, des observations de rayons γ de plusieurs pétaélectron-volt (1015 eV) provenant de toute la Galaxie par les collaborations Tibet ASγ (2021) et LHAASO (2023) ont confirmé l'hypothèse selon laquelle ces rayons cosmiques sont produits dans la Voie Lactée. Malgré des décennies de recherches, leur origine précise n'est cependant toujours pas résolue. Alors que les fronts de chocs des jeunes restes de supernova ont longtemps été considérés comme les principaux sites d'accélération des noyaux atomiques formant ces rayons cosmiques galactiques, le potentiel des vents stellaires pour accélérer les rayons cosmiques a également été réalisé très tôt, au début des années 1980. Au cours des cinq dernières années, les jeunes amas d'étoiles massives ont été de plus en plus discutés comme étant des sources potentiellement prédominantes pour les rayons cosmiques galactiques les plus énergétiques (Aharonian et al. 2019 ; Morlino et al. 2021 ; Vieu & Reville 2023). Si les jeunes amas d'étoiles massives génèrent des rayons cosmiques hadroniques de haute énergie, on s'attend à ce qu'ils soient également des sources de rayons γ, qui sont créés principalement dans la désintégration des mésons pi neutres qui sont produits lorsque les noyaux atomiques interagissent avec le gaz ambiant. C'est ce que l'on appelle le « scénario hadronique » pour la génération d'émissions de rayons γ de haute énergie. L'hypothèse selon laquelle les jeunes amas d'étoiles massives sont des accélérateurs de rayons cosmiques efficaces peut donc être testée par des observations dans le domaine des rayons γ à très haute énergie (E > 0.1 TeV).

C’est ce qu’essayent de faire les chercheurs de la collaboration H.E.S.S avec leur télescope Cherenkov installé en Namibie. En 2022, ils avaient déjà pu associer la source de rayons très énergétique nommée HESS J1646-458 à Westerlund 1, qui est le jeune amas d'étoiles le plus massif de notre galaxie, révélant ainsi qu'il s'agit bien d'un puissant accélérateur de particules.

Mais cette première découverte dont nous nous étions fait l’écho ici ne constitue pas encore une preuve sans équivoque de l'accélération de rayons cosmiques hadroniques par l'amas, car la nature des particules émises reste ambiguë. En effet, pour le cas de Westerlund 1, Härer et al. ont démontré en 2023 que sa morphologie n'est pas compatible avec le scénario hadronique standard, et qu'un modèle expliquant l'émission de rayons γ comme étant due à la diffusion Compton inverse des électrons (le scénario leptonique) fournissait une explication plus naturelle des mesures de H.E.S.S. De plus, le site exact de l'accélération n'est toujours pas identifié, les propositions dans la littérature incluent des chocs se formant à l'interaction des vents d'étoiles massives à l'intérieur de l'amas, le choc de terminaison du vent collectif de l'amas, et des turbulences magnétiques à l'intérieur de la superbulle soufflée par le vent de l'amas. Une confirmation observationnelle définitive de l'une ou l'autre de ces propositions fait toujours défaut. Malheureusement, seule une poignée de jeunes amas d’étoiles massives dans la Voie Lactée a été détectée dans le domaine gamma à très haute énergie jusqu'à présent et l'association de l'émission de rayons γ avec l'amas d'étoiles n'est pas toujours certaine.



C’est dans ce cadre que les chercheurs de H.E.S.S se sont intéressés à l’amas de jeunes étoiles massives qui se trouve au cœur de la nébuleuse de la Tarentule, le dénommé R136, dans le Grand Nuage de Magellan (LMC). Le LMC est connu pour contenir de nombreux amas d'étoiles massives. En effet, il abrite 30 Dor C, une superbulle gonflée par l'association d'amas d'étoiles LH 90, qui est visible non seulement dans les domaines radio et optique mais aussi dans les rayons X non thermiques, ce qui indique déjà la présence d'électrons de haute énergie. Et 30 Dor C est aussi la seule superbulle confirmée qui a été détectée dans les rayons γ jusqu'à présent (par H.E.S.S. en 2015). L’amas d'étoiles R136 se trouve à proximité, au cœur de la nébuleuse de la Tarentule et de son amas ouvert central NGC 2070. R136 est exceptionnellement riche en étoiles massives, avec un âge estimé entre 1 et 2 Mégannées. Il  est donc relativement jeune, ce qui implique que seules quelques supernovas devraient s'être produites depuis sa naissance (bien que quelques étoiles massives plus anciennes aient également été trouvées dans NGC 2070).

Les astrophysiciens des particules (ou astroparticulistes) ont analysé les rayons gamma de très haute énergie provenant de cette zone restreinte du ciel en utilisant une modélisation multicomposante, basée sur la vraisemblance, de la distribution spatiale et spectrale des événements gamma détectés via les cascades de particules secondaires produites dans l’atmosphère. De plus, à partir de la même analyse, ils ont également fourni des résultats mis à jour sur le superbulle 30 Dor C située à proximité. Ils rapportent la détection d'une émission de rayons γ de très haute énergie dans la direction de R136. La luminosité γ au-dessus de 0,5 TeV des deux sources (30 Dor C et R136) est de 2 × 1035 erg s-1. Elle dépasse de plus d'un facteur 2 la luminosité de HESS J1646-458, qui est associée au jeune amas d'étoiles Westerlund 1. De plus, l'émission γ-ray de chaque source apparaît étendue avec une largeur de gaussienne d'environ 30 pc.

Pour 30 Dor C, une connexion entre l'émission de rayons γ et l'émission de rayons X non thermiques semble probable selon les chercheurs. De plus, l'extension de l'émission γ, mesurée pour la première fois, est comparable à la taille de la coquille de rayons X non thermiques autour de l'association d'amas d'étoiles LH 90, ce qui suggère une origine commune. Les chercheurs montrent que les besoins en énergie pointent vers une émission qui serait est alimentée par une supernova récente dans ce cas. Et l'absence de corrélation entre l'émission de rayons γ et la distribution du gaz moléculaire ne plaide pas en faveur d'une origine hadronique.

Et le cas de R136 est plus intéressant, puisqu’il s’agit de la découverte d’une toute nouvelle source de gamma très énergétiques. Elle est désormais étiquetée HESS J0538-691. Cette source est similaire en termes d'extension spatiale et de spectre en énergie à la source associée à 30 Dor C. Il n’existe pas d’estimation de l'intensité moyenne du champ magnétique dans les environs de l'amas R136 contrairement à 30 Dor C. Les chercheurs ont donc utilisé la même valeur adoptée pour 30 Dor C (15 μG). Compte tenu de sa masse totale (∼22000 × M) et de sa compacité, R136 devrait présenter un vent collectif et gonfler une superbulle, comme dans le cas de 30 Dor C. Mais aucune superbulle autour de R136 n'a encore pu être identifiée sans ambiguïté. L'absence d'une superbulle autour de R136 complique l'interprétation. Pour les chercheurs, l'absence de coquille sphérique peut être attribuée à l'inhomogénéité du milieu interstellaire autour de R136.

Etant donné que R136 est susceptible de présenter un fort vent collectif d'amas, une origine à la fois leptonique et hadronique de l'émission de rayons γ semble viable pour les chercheurs. La détection d'une émission de rayons γ dans la direction de R136 s'ajoute en tous cas à la liste croissante des amas de jeunes étoiles massives qui sont associés à une émission gamma de haute énergie. Bien qu'elle soit encore petite, la population montre une certaine variété, à la fois en termes d'émission de rayons γ et d’interprétation. L’analyse des chercheurs de H.E.S.S. fournit des informations cruciales pour mieux comprendre la capacité des amas d’étoiles à accélérer les particules des rayons cosmiques. Différentes interprétations du signal γ sont discutées dans l’article des chercheurs de HESS.

Dans les deux cas, 30 Dor C  et R136, l'émission de rayons γ s'étend bien au-delà de la localisation attendue du choc de terminaison du vent collectif de l'amas. Ceci peut indiquer un scénario différent de celui de Westerlund 1, où l'émission de rayons γ montrait une structure en anneau avec un rayon similaire à celui du choc de terminaison. Il faut noter que par rapport à Westerlund 1, R136 et 30 Dor C sont situés dans une région où la densité du milieu interstellaire est, en moyenne, plus importante d'un ordre de grandeur. Par conséquent, dans un scénario hadronique, il est concevable que les noyaux atomiques accélérés lors du choc de terminaison du vent, interagissant ensuite avec des nuages de gaz plus éloignés de l'amas, soient responsables de l'émission de rayons γ. Dans ce cas, on s'attendrait à ce que le centroïde de l'émission γ coïncide avec les positions des nuages de gaz les plus denses, mais  les données montrent que ce centroïde est en fait très proche de la position de l’amas d’étoiles lui-même, à la fois pour 30 Dor C et pour R136, ce qui défavorise quelque peu une origine hadronique de l'émission.

Les chercheurs examinent aussi la faisabilité des scénarios d'émission leptonique et hadronique en comparant la puissance des rayons cosmiques primaires qui est nécessaire pour soutenir l'émission de rayons γ avec la puissance fournie, par exemple, par le vent de l'amas, en notant que les grandes incertitudes associées à l'un ou l'autre de ces scénarios empêchent une discussion détaillée. Pour 30 Dor C, les astrophysiciens obtiennent dans le scénario leptonique un rapport entre ces deux puissances d’environ 10%, une valeur étonnamment élevée. Il semble donc difficile dans ce scénario d'expliquer entièrement l'émission de rayons γ comme résultant du vent collectif de l’amas. Les chercheurs penchent plus vers l’idée d’une supernova récente dans l'association LH 90 qui pourrait fournir l'énergie supplémentaire nécessaire pour expliquer le signal γ de 30 Dor C.  Pour R136, en revanche, avec son vent plus puissant, les chercheurs trouvent une efficacité moins exigeante, mais tout de même considérable, d’environ 1% dans le scénario leptonique.

Dans le scénario d’une origine hadronique de l'émission γ cette fois, les chercheurs calculent un rapport minimum entre la puissance requise en protons et la puissance fournie par le vent de l'amas de 0,7% pour 30 Dor C et de 0,2% pour R136. Ils supposent dans ce cas que l'émission de rayons γ provient des interactions des rayons cosmiques dans les nuages de gaz denses qui entourent les superbulles respectives. Les efficacités d'accélération trouvées sont considérablement plus faibles que celles généralement obtenues dans le cadre de l'accélération par choc diffusif qui sont de l’ordre de 10%. En termes de besoins énergétiques, le scénario hadronique semble donc viable, même pour des densités de gaz un peu plus faibles que celles supposées ici. Cependant, selon les chercheurs, un scénario hadronique pour 30 Dor C est déconseillé, car il nécessite des intensités de champ magnétique relativement importantes, ce qui est en désaccord avec l'estimation du champ magnétique qui a été faite par Kavanagh et al. en 2019 (15 μG) .

En conclusion, les chercheurs de la collaboration H.E.S.S notent que pour les deux sources, 30 Dor C  et R136, un scénario mixte leptonique-hadronique est toujours possible... On le voit, les amas de jeunes étoiles massives sont dans tous les cas des sites d’accélération de particules très efficaces, qu’il s’agisse d’électrons ou de noyaux atomiques, pouvant les porter jusqu’à des énergies 1000 fois plus élevées que ce qu’on fait de mieux avec notre LHC au CERN.

Vous pourrez désormais briller sur la plage ou ailleurs en racontant autour de vous comment la nébuleuse de la Tarentule est aussi un PeVatron grâce à ses jeunes étoiles massives et leurs vents de particules puissants.

 

Source

 

Very-high-energy γ-Ray Emission from Young Massive Star Clusters in the Large Magellanic Cloud

F. Aharonian et al. (HESS collaboration)

The Astrophysical Journal Letters, Volume 970, Number 1 (19 july 2024)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ad5e67



Illustrations


1. La nébuleuse de la Tarentule (ESO)

2. Image gamma de 30 Dor C  et R136 par HESS (HESS Collaboration)

3. Localisation de la source gamma associée à R136 (HESS Collaboration)

4. Le télescope Cherenkov HESS2 (Observatoire de Paris)

5. Localisation de la source gamma associée à 30 Dor C (HESS Collaboration)

16/07/24

Identification d'un trou noir d'au moins 8200 masses solaires au centre de Omega Centauri


L’amas d'étoiles Omega Centauri contiendrait bien un trou noir de masse intermédiaire selon une étude publiée dans Nature, grâce à un suivi minutieux de deux décennies d'images prises par le télescope spatial Hubble. Ce trou noir central aurait une masse minimale de 8200 masses solaires.  

25/06/24

Les gros trous noirs détectés par leurs ondes gravitationnelles ne sont pas des trous noirs primordiaux


Les détecteurs d'ondes gravitationnelles ont révélé une population de trous noirs massifs (plusieurs dizaines de masses solaires) qui ne ressemblent pas à ceux observés dans la Voie lactée et dont l'origine est débattue. Selon une explication possible, ces trous noirs pourraient s'être formés à partir de fluctuations de densité dans l'Univers primitif : des trous noirs primordiaux. Ils devraient alors constituer une majeure partie de la matière noire. Si de tels trous noirs existaient dans le halo de matière noire de la Voie Lactée, ils seraient à l'origine d'événements de microlentille gravitationnelle sur des échelles de temps de plusieurs années. Une équipe d’astrophysiciens vient de montrer ses résultats de recherche de microlentilles dans le Grand Nuage de Magellan sur une plage de 20 ans. Aucun événement de lentille à grande échelle de temps n’est observé, donc pas de trous noirs massifs…


23/06/24

Jean-Dominique Cassini n'a pas découvert la Grande Tache Rouge de Jupiter en 1665


La Grande Tache Rouge de Jupiter est le vortex connu le plus grand et le plus ancien de toutes les planètes du système solaire, mais sa durée de vie est débattue et son mécanisme de formation reste mal compris. On dit souvent que c'est Jean Dominique Cassini qui l'a découverte en 1665, mais aujourd'hui, des astronomes démontrent que ce qu'a observé Cassini à l'époque n'est pas la Grande Tache Rouge d'aujourd'hui, mais un autre anticyclone. Ils publient leur étude dans Geophysical Resarch Letters.

Ce qu'on appelle la Grande Tache Rouche de Jupiter, c'est un vortex anticyclonique géant qui comprend deux régions principales, observées aux longueurs d'onde optiques : un ovale rouge (la tache proprement dite) et une zone blanchâtre externe qui l'entoure, plus étendue le long de sa partie nord, et connue sous le nom de "Creux" ("Hollow"). Sa visibilité change en fonction du contraste avec les nuages ​​environnants et se manifeste parfois comme un seul ovale clair, couvrant les deux zones. Les mesures du vent à partir des mouvements des nuages ​​montrent que le bord du Hollow délimite la limite de la circulation associée au vortex.

La présence d'un ovale sombre à la latitude de la grande tache rouge, connu sous le nom de "Tache Permanente" qu'avait remarquée Jean Dominique Cassini en 1665 a par la suite été observé jusqu'en 1713, mais aucune autre mention n'y a été faite au delà par les astronomes jusqu'à la fin du 18ème siècle. Ce n'est qu'en 1831 que l'on retrouve des traces d'observations de ce qui ressemble à la Grande Tache Rouge actuelle.

Afin de clarifier la relation entre la Tache Permanente (TP) et la Grande Tache Rouge (GTR), Agustín Sánchez-Lavega (université du Pays Basque) et ses collaborateurs ont effectué une analyse approfondie de toutes les observations disponibles de la TP et de la GTR, jusqu'au XXe siècle. Ils ont étudié la mesure année par année de leur taille, de leur ellipticité, de leur surface et de leurs mouvements, ainsi que ceux de la zone du Hollow entourant la GTR, et ce depuis les premières observations disponibles et jusqu'en 2023. Cette étude étend et complète des résultats précédents sur le sujet par Beebe et Youngblood (1979), Rogers (1995) et Simon et al. (2018). 

Sánchez-Lavega et son équipe montrent à partir des observations historiques de l'évolution de la taille et des mouvements qu'il est peu probable que la TP corresponde à le GTR. La TP a été signalée pour la première fois par Cassini et d'autres astronomes en juillet-septembre 1665. Et il est possible que la TP ait été observée encore plus tôt par Bandtius, le 2 novembre 1632, qui rapportait la présence d'un ovale d'environ un septième de la taille du rayon de Jupiter. La TP a ensuite été observée par Cassini et d'autres en 1667, 1672, 1677, 1685-1687, 1690-1691, 1694, 1708, et a été signalée pour la dernière fois en 1713 par Maraldi. Cela indique que la durée de vie de la TP était d'au moins 81 ans. Dans toutes ces observations, aucune couleur n’est mentionnée. Mais une peinture de Jupiter en 1711 montre de manière intrigante la TP  avec une teinte rouge, rappelant la GTR actuelle.

Aucun rapport d'observation de la TP ni aucun signe de sa présence n'existent dans les observations de Jupiter entre 1713 et 1831, une période d'environ 118 ans. L'examen des dessins de Jupiter d'astronomes renommés de l'époque comme Messier en 1769, Herschel en 1778, Schroeder en 1785-1786, montre des ceintures et des taches isolées, mais en aucun cas une TP ou une tache similaire à sa latitude. Pour Sánchez-Lavega, il serait surprenant que, si elle existait encore, aucun des astronomes de l'époque n'ait signalé la TP. Compte tenu de la petite taille de la TP dans les dessins de 1672 à 1692, il est fort probable que ce manque d'observations sur une période aussi longue signifie que la TP avait en fait disparue. Les premiers dessins montrant la signature de la GTR actuelle, remontent quant à eux à 1831, et les dessins des années 1870-1871 la montraient comme un ovale clair bien défini entouré d'un anneau elliptique sombre. Cet ovale est devenu rougeâtre et entouré par le "Creux" entre 1872 et 1876. La première photographie disponible montrant une GTR proéminente a été obtenue en 1879. La GTR actuelle existe donc avec certitude depuis au moins 193 ans.

Les chercheurs ont ensuite mesuré la taille de la TP, de la GTR et du Creux, de 1665 à aujourd'hui. La longueur de la TP est 2 à 3 fois plus petite que celle de la GTR de 1879. La longueur de la GTR a diminué au fil du temps à un rythme moyen de -0,18°/an (207 km/an) (augmentant ces dernières années à -0,3°/an). La GTR a connu une augmentation transitoire de sa longueur de 1927 à 1939 à un rythme de +0,07°/an (80 km/an), lorsqu'elle a englouti les nuages ​​d'une importante perturbation tropicale qui s'est développée à l'époque. Le Hollow a suivi un taux de réduction moyen similaire de -0,20°/an (230 km/an). Malgré l'imprécision inhérente à la mesure des dessins du 17ème siècle, la TP semble également montrer une diminution similaire en longueur. Pour les chercheurs, l'extrapolation en fonction du temps par un ajustement polynomial de la diminution de la GTR suggère fortement que la TP n'est pas la  GTR. La TP aurait dû croître régulièrement entre 1713 et 1879 à un rythme de +0,14°/an (160 km/an) pour devenir la GTR. Cela est hautement improbable puisque aucun rapport d'observation de grande tache n'existe au cours de cette longue période et, de plus, aucune croissance continue et soutenue de la taille n'a jamais été signalée dans les vortex de Jupiter.

Dans le sens méridional, la GTR a progressivement diminué sa largeur depuis 1879 à un rythme moyen de -0,03°/an (36 km/an). A noter que cette réduction s'est accélérée depuis 2010 à -0,17°/an et actuellement, le GTR a à peu près la même largeur que le TP. En supposant que la GTR et le Hollow sont des ellipses à demi-axes (a, b), leur excentricité a diminué de 0,92 en 1879 à 0,6 en 2023, c'est-à-dire que les deux deviennent des ovales de forme plus arrondie. Leur aire A=πab a diminué approximativement linéairement et si cette réduction persiste, cela pourrait conduire à l'un des deux cas suivants : la disparition totale de la GTR (comme ce fut le cas de la TP), ou bien l'atteinte d'une taille stable à longue durée de vie. Les chercheurs notent également que l'excentricité et la superficie de la GTR actuelle sont similaires à celles de la TP. 


En ce qui concerne la vitesse, la dérive de vitesse zonale qui avait été observée sur  la TP variait d'environ -10 à -6 m/s alors que celle de la GTR est de -4 à -1 m/s. Cette différence de vitesse peut être due à un décalage de latitude de leurs centres de 1° maximum (par rapport au profil de vent zonal de fond), ou bien être intrinsèque et liée à leurs propriétés dynamiques, ou à une combinaison des deux. Cette vitesse différente est en tous cas un autre argument  indiquant que la TP n'est pas la GTR.

Guidés par ces observations historiques et les données récentes sur la GTR, Sánchez-Lavega et ses collaborateurs ont effectué des simulations numériques de différents mécanismes dynamiques qui auraient pu conduire à la genèse de la GTR. Ils explorent trois scénarios plausibles : une "super-tempête", la fusion de chaînes de vortex plus petits que la GTR, ou sa naissance sous la forme d'une cellule allongée (une proto-GTR) générée par une perturbation des vents zonaux cisaillés méridionalement.

Les résultats de ces simulations, indiquent que les mécanismes de super-tempête et de fusion, bien qu’ils génèrent un seul anticyclone, sont peu susceptibles d’avoir formé la GTR. Les deux phénomènes n’ont jamais été observés à la latitude de la grande tache rouge et, s’ils s’étaient produits, les astronomes de l’époque l’auraient signalé. La cellule allongée, à rotation lente, en revanche, rappelle les premières observations de la GTR au milieu du XIXe siècle, avec cet ovale très allongé. Le mécanisme STrD, qui est une perturbation atmosphérique courante à cette latitude de Jupiter, semble plus plausible pour avoir généré une proto-GTR, selon les chercheurs. Ils expliquent par ailleurs qu'un mécanisme similaire pourrait avoir été à l'origine de la formation des autres grands anticyclones de Jupiter situés entre deux jets plus au sud à 33°S. Enfin, la comparaison de la vitesse de rotation du précurseur de la GTR prédite par les modèles, avec les mesures récentes de la circulation de la GTR effectuées par les missions spatiales, indique que la GTR a augmenté sa vitesse de rotation à mesure qu'elle rétrécissait, acquérant cohérence et compacité, et formant le vortex actuel plus rond.

Il apparaît ainsi que la Grande Tache Rouge n'a pas plus de 360 ans, mais plus modestement environ 200 ans et est en fin de vie. L'étude de Sanchez-Lavega et ses collègues exclut que la GTR se soit formée par la fusion de vortex ou par une super tempête, mais indique qu'elle s'est très probablement formée à partir d'une perturbation d'écoulement entre les deux jets zonaux dans l'atmosphère de Jupiter, opposés entre sa zone nord et sa zone sud. Si tel est le cas, la grande tache aurait dû avoir une faible vitesse tangentielle à sa naissance, qui n'aurait cessé d'augmenter au fil du temps à mesure que sa taille diminuait. Elle finira par disparaître dans quelques décennies, comme la tache ovale qu'avait observé Jean Dominique Cassini sous Louis XIV.

Source

The Origin of Jupiter's Great Red Spot
Agustín Sánchez-Lavega et al.
Geophysical Research Letters (16 June 2024)

Illustrations

1. La Grande Tache Rouge imagée 
2. Dessins et photographies de la TP et de la GTR : a) Cassini le 19 Janvier 1672; b) S. Swabe le 10 Mai 1851; c) Photo par A. Common le 3 Septembre 1879: d) Photo de l'Observatoire Lick le 14 Octobre 1890.
3. Jupiter et sa grade tache imagée en infra-rouge par le télescope Webb (NASA)
4. Agustín Sánchez-Lavega