Cette étude porte sur les supernovas de type Ia. Déclenchées par des naines blanches binaires, ces supernovas se caractérisent par la présence de silicium dans leurs raies spectrales. Leurs courbes de luminosité, qui décrivent leur évolution au fil du temps, sont principalement dues à la désintégration radioactive du nickel-56 en cobalt-56 puis en fer-56. Le taux de désintégration radioactive étant constant pour chaque élément, les courbes de lumière des supernovas de type Ia peuvent servir de chandelles standard. Quel que soit le lieu d'observation, la comparaison de la luminosité observée avec la luminosité réelle permet de déterminer la distance de ces supernovas. Connaissant la distance et le redshift, on peut alors déterminer avec précision le taux d'expansion de l'univers et son évolution en fonction du temps cosmique, si cette expansion ralentit, est constante ou bien accélère.
On sait depuis longtemps que la méthode des chandelles standard n'est pas exacte. Même si elle repose sur la désintégration radioactive, le rapport entre la luminosité maximale et la demi-largeur de la courbe de lumière présente des variations statistiques. Aujourd'hui, Junhyuk Son (université de Séoul) et ses collaborateurs révèlent l'existence d''une forte corrélation entre la luminosité maximale d'une supernova de type Ia et l'âge de sa galaxie hôte, avec des implications considérables sur l'histoire de l'expansion cosmique si on utilise ces supernovas, comme c'est le cas aujourd'hui.
Ce que les chercheurs montrent, c'est que plus la galaxie est jeune, plus la supernova qui y a explosé a de chances d'être de faible luminosité. On peut déterminer l'âge d'une galaxie en observant le spectre complet de sa lumière, en exploitant le fait que les étoiles bleues brillantes meurent jeunes, et de petites naines rouges subsistent. Les nouvelles étoiles qui se forment contiennent aussi une plus grande quantité d'éléments lourds. Ainsi, la présence ou l'absence de certaines raies spectrales dans une galaxie nous renseigne avec précision sur son âge. Cette méthode est valable aussi bien pour les galaxies lointaines que pour les galaxies proches.
Lorsqu'on représente graphiquement la luminosité maximale des supernovas de type Ia en fonction de l'âge de leurs galaxies hôtes, la corrélation est évidente. Cela avait été montré par la même équipe en mars dernier dans un premier article dont celui-ci est la suite. Cette corrélation est statistiquement significative à 5σ, ce qui est très fort.
A partir de cette corrélation, Son et ses collaborateurs ont testé le modèle ΛCDM, et surtout sa partie Λ, la constante cosmologique sensée être responsable de l'accélération de l'expansion. Au lieu de considérer les variations de luminosité des supernovas comme une fluctuation statistique, les astrophysiciens coréens ont intégré cette corrélation luminosité-âge à leur analyse. Les auteurs précisent que l'Univers primordial comptait beaucoup plus de jeunes galaxies que l'Univers d'âge moyen, et ce biais s'accentue donc avec la distance. Le résultat, une fois tous ces éléments combinés, est frappant : le modèle ΛCDM est contredit avec une signifiance statistique supérieure à 9σ !
D'après ces résultats, l'expansion cosmique ne s'accélère pas. L'Univers continue de s'étendre, mais à un rythme qui ralentit. Et ce ralentissement durerait déjà depuis environ un milliard d'années.
Le modèle cosmologique (w0waCDM) récemment proposé par le projet DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument) à partir de l'observation des oscillations acoustiques baryoniques (BAO), est issu d'une analyse combinée utilisant uniquement les données BAO et celles du fond diffus cosmologique (CMB). Ce résultat est trouve conforté par un test indépendant de l'évolution cosmologique, utilisant uniquement les supernovas provenant de jeunes galaxies hôtes contemporaines sur toute la gamme de décalages vers le rouge. C'est lorsque les trois sondes cosmologiques (supernovas, BAO et CMB) sont combinées, que les chercheurs observent une tension à 9σ par rapport au modèle ΛCDM, bien plus forte que celle que trouvait DESI.
Les mesures de DESI combinées aux données du fond diffus cosmologique (CMB) des collaborations Planck et ACT présentent une écart par rapport au modèle ΛCDM à "seulement" 3.1σ. Ce résultat privilégie plutôt une équation d'état de l'énergie sombre qui serait variable dans le temps. La paramétrisation qui, fournit le cadre le plus simple pour décrire l'énergie sombre dynamique est w(a) = w0 + wa(1-a), où w0 représente la valeur actuelle de l'équation d'état de l'énergie sombre, tandis que wa quantifie sa variation par rapport au facteur d'échelle cosmologique a.
Un résultat important de l'analyse DESI BAO est que les paramètres cosmologiques obtenus indiquent des valeurs w0=-0,42 wa=-1,75 et Ωm = 0,353 (la densité de matière), des valeurs qui favorisent non seulement une expansion ralentie pour l'univers futur, mais suggèrent également un signe d'expansion ralentie même actuellement, et non pas en expansion accélérée, avec un paramètre de décélération q0 = 0,042 ±0,02. Ce n'est que lorsque les données des supernovas de type Ia sont ajoutées aux mesures BAO et CMB que l'univers actuel demeure en expansion accélérée, comme cela est largement admis, même si l'univers futur connaîtrait une transition vers une expansion ralentie.
Mais, ce résultat a été obtenu sans intégrer l'effet de biais lié à l'âge des progénitrices de supernovas dans l'ensemble de données. Quand on introduit le biais d'âge dans les données des supernovas, les valeurs des paramètres du modèle cosmologique s'en trouvent drastiquement modifiés. Au lieu de trouver un paramètre de décélération q0 négatif (donc une accélération), on trouve une valeur positive dans l'univers actuel, donc une décélération. Plus précisément, en combinant CMB+BAO+DES5Y :
- w0=-0,337
- wa=-1,902
- Ωm = 0,363
- q0 = 0,178
Lorsque la correction du biais d'âge des progéniteurs est appliquée aux données des supernovas, non seulement l'univers futur passe à un état d'expansion décélérée, mais l'univers actuel se dirige déjà vers un état plus proche de la décélération que de l'accélération. Ce qui est très intéressant, c'est que ce résultat est cohérent avec la prédiction obtenue en combinant uniquement les données DESI BAO et CMB. Et conjuguée au résultat DESI BAO, qui suggère que l'énergie sombre pourrait ne plus être une constante cosmologique, l'analyse de Son et al. soulève la possibilité que l'univers actuel ne soit plus en expansion accélérée, une perspective fondamentalement nouvelle qui remet en question les piliers centraux de la théorie actuelle de l'univers.
Cette analyse de Son et son équipe diffère fondamentalement des études précédentes qui n'ont intégré les effets de l'âge des progéniteurs qu'indirectement, par le biais d'indicateurs d'âge. Par exemple, Rigault et al. (2020) et Nicolas et al. (2021), utilisant le décalage de magnitude des supernovas avec le taux de formation stellaire spécifique local, n'avaient considéré que l'évolution en fonction du décalage vers le rouge des proportions relatives de progéniteurs « jeunes » et « vieux », sans tenir compte de l'évolution de l'âge absolu des progéniteurs « vieux » en fonction du décalage vers le rouge. Or, l'âge moyen des progéniteurs « vieux » diminue sensiblement, de 10 à 3 Gigannées entre un redshift de 0 et un redshift de 1. Cet effet systématique n'avait pas été pris en compte dans leurs analyses, ce qui a conduit à une sous-estimation significative de l'impact total du biais d'âge des progéniteurs.
La correction du biais d'âge dépendant du décalage vers le rouge appliquée dans cette étude est en bon accord avec l'évolution directement observée de l'âge moyen de la population stellaire des galaxies. Par conséquent, en moyenne, cette approche rend compte de manière appropriée de la variation systématique du biais d'âge avec le décalage vers le rouge. Afin de fournir une analyse cosmologique plus directe, affranchie de la correction du biais d'âge des progéniteurs, Son et ses collaborateurs ont effectué également un test cosmologique « sans évolution », où seules les supernovas issues de galaxies jeunes et contemporaines sont utilisées sur toute la gamme de décalages vers le rouge. Cette approche, qui avait été suggérée par plusieurs études antérieures, fournit des contraintes cosmologiques intrinsèquement exemptes de l'influence du biais d'âge des progéniteurs. L'âge moyen de la population stellaire des galaxies hôtes de supernovas est ici estimé à environ 3,1 milliards d'années.
Le résultat de ces données homogènes reste largement plus cohérentes avec le modèle w0waCDM préféré par l'analyse combinée DESI BAO et CMB qu'avec le modèle ΛCDM.
Et vous devinez quoi ? Le biais lié à l'âge des étoiles progénitrices des supernovas pourrait également contribuer à atténuer la tension de Hubble Lemaitre. Il pourrait exister un biais provenant d'une disparité de population entre les galaxies hôtes de l'échantillon de supernovas d'étalonnage et celles de l'échantillon du flux de Hubble (mesures du redshift). Actuellement, les galaxies d'étalonnage du deuxième échelon de l'échelle des distances (supernovas) sont toutes des galaxies de type tardif avec des populations stellaires relativement jeunes, tandis que les galaxies hôtes de l'échantillon du flux de Hubble (troisième échelon) englobent généralement tous les types morphologiques et possèdent, en moyenne, des populations stellaires relativement plus âgées.
En 2022, Adam Riess (prix Nobel 2011 pour la découverte d'une accélération de l'expansion par des observations de supernovas) et al. ont fait le choix d'utiliser uniquement des galaxies spirales pour l'échantillon du flux de Hubble afin de minimiser cette potentielle disparité de population. Mais la simple sélection des galaxies basée sur une classification morphologique ne garantit pas suffisamment que les supernovas Ia du troisième niveau soient identiques à celles du deuxième niveau en termes d'âge de leur étoile progénitrice. Rigault et al. (2015) avaient démontré que la plupart des supernovas Ia du deuxième barreau de l'échelle proviennent d'environnements de formation stellaire locale (des bras spiraux), tandis que, selon Aramyan et al. (2016), seulement deux tiers des galaxies spirales hébergent des supernovas Ia sur leurs bras spiraux. Par conséquent, si la conclusion de Rigault et al. reste valable pour l'échantillon élargi de 37 galaxies de calibration de type tardif utilisé par Riess et al. en 2022, on peut s'attendre à un certain décalage entre les populations de supernovas Ia des deuxième et troisième barreaux de l'échelle des distance.... De plus, la précision de la classification morphologique n'est pas totale et est estimée à 90% et par conséquent, tous les échantillons de flux de Hubble de Riess et al. ne seraient pas exclusivement composés de galaxies spirales. Au total, seulement 60% des supernovas présentes dans l'échantillon du flux de Hubble de Riess et al. pourraient provenir de populations relativement jeunes, tandis que 90% des supernovas présentes dans l'échantillon d'étalonnage pourrait provenir de telles populations.
Le cas extrême du biais d'âge dans la tension de Hubble est attendu entre l'échantillon d'étalonnage (composé principalement de galaxies de type tardif) et les galaxies de l'amas de Coma, qui comprend majoritairement des galaxies de type précoce. Selon Son et ses collaborateurs, si cette possibilité est confirmée par des mesures directes de l'âge des populations stellaires dans les galaxies, une différence de 2 à 3 milliards d'années dans l'âge moyen entre les supernovas du deuxième et troisième barreau pourrait réduire significativement l'écart mesuré de H0 (de 3 à 4,5 %), ce qui reviendrait à augmenter la valeur de la constante de Hubble-Lemaitre (entre 2,2 et 3,3 km s⁻¹ Mpc⁻¹) tout en accroissant son erreur systématique. Aujourd'hui, la tension de Hubble (l'écart entre les deux types de mesures) est de l'ordre de 6 km s⁻¹ Mpc⁻¹ entre la valeur obtenue via le CMB et celle obtenue via les supernovas.
Si ces résultats des chercheurs sud-coréens sont confirmés, cela signifie que le modèle standard ΛCDM qui est né il y a 27 ans est simplement à jeter, et c'est une révolution scientifique de même ampleur que celle que nous avons vécue en 1998, rien de moins. L'univers n'est sans doute pas ce que l'on croyait depuis la fin du siècle dernier...
Source
Strong progenitor age bias in supernova cosmology – II. Alignment with DESI BAO and signs of a non-accelerating universe Open Access
Junhyuk Son et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 544 (6 November 2025)
https://doi.org/10.1093/mnras/staf1685
Illustrations
1. Évolution du paramètre de décélération de l'univers (Son et al.)
2. Comparaison des relations luminosités-redshift selon les modèles cosmologiques, avant et après correction du biais d'âge (Son et al.)
3. L'équipe de l'université Yonsei autrice de l'article, Junhyuk Son est au centre (Yonsei University)









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