lundi 30 novembre 2015

Destruction d'une étoile par un trou noir supermassif observée "en direct"

Le déchirement gravitationnel d'une étoile par les effets de marée d'un trou noir supermassif conduit généralement à une brève éruption dite "thermique", appelée TDF en anglais (Tidal Disruption Flare). Aujourd'hui, une équipe présente pour la première fois l'observation d'un phénomène d'émission radio suivant un tel éclatement d'étoile auprès d'un trou noir supermassif, qu'ils interprètent par l'apparition d'un jet de matière au pôle du trou noir.



Vue d'artiste du phénomène de déchirement d'une étoile suivi par la
production d'un jet de plasma (Johns Hopkins University)
Malgré d'intenses recherches, une émission d'ondes radio qui suivrait tout juste l'apparition d'une explosion de type TDF n'avait encore jamais pu être observée. Celle que  Sjoert van Velzen, postdoc à l'Université Johns Hopkins et ses collaborateurs australiens, néerlandais, anglais et américains sont parvenus à mettre en évidence se trouve être variable et 10 fois moins intense que ce qu'étaient capables de détecter les instruments antérieurs. Ce type de jets de matière suivant la destruction d'une étoile par un trou noir supermassif pourrait ainsi être commun mais jusqu'ici passé inaperçu par manque de sensibilité.

C'est véritablement tout le processus de destruction d'une étoile par les forces de marées du trou noir que les chercheurs ont réussi à suivre, depuis l'apparition de l'éruption thermique signant l'écrasement de l'étoile jusqu'à son aplatissement dans le disque d'accrétion du trou noir et l'éjection consécutive de matière à une vitesse relativiste au niveau des pôles du trou noir, finissant par produire ces ondes radio caractéristiques. Sjort van Velzen précise "Ces événements sont extrêmement rares. C'est la première fois que nous voyons tout ce qui se passe depuis la destruction d'une étoile jusqu'à la projection d'un jet de matière, le tout sur plusieurs mois d'affilée".
C'est en décembre 2014 qu'une équipe de l'université de l'Ohio a signalé la présence d'une étoile en train de se faire déchirer par un "petit" trou noir supermassif de 1 million de masses solaires. Très vite, Van Velzen a contacté ses collègues britanniques pour suivre l'événement avec des radiotélescopes, puis ils ont pu ajouter des données dans de nombreuses autres longueurs d'ondes, du visible aux rayons X. La galaxie où se déroule l'action scrutée de près se situe à seulement 300 millions d'années-lumière.
A partir de ces riches observations, les astrophysiciens tirent la conclusion que des flots de débris stellaires peuvent produire un jet très rapidement, ce qui va leur permettre d'affiner encore d'avantage la physique sous-jacente à ces événements violents.

Pour la petite histoire, Sjoert van Velzen, seulement quelques mois avant cette découverte impromptue, terminait la rédaction de sa thèse en écrivant dans sa conclusion qu'il espérait pouvoir découvrir un tel événement dans les 4 années suivantes... Le temps semble s'être fortement accéléré pour lui, et il se retrouve publié aujourd'hui dans la prestigieuse revue Science... 


Source : 

A radio jet from the optical and X-ray bright stellar tidal disruption flare ASASSN-14li
S. van Velzen et al.
Science online (26 November 2015) 


samedi 28 novembre 2015

Géminides 2015 : belle pluie d'étoiles filantes à observer

On aime admirer les étoiles filantes ici sur Ça Se passe Là-Haut. Celles de l'été, les Perséides, et aussi celles de l'hiver, les Géminides. Certes, de très nombreux autres essaims viennent brûler dans l'atmosphère tout au long de l'année, mais ces deux là sont les plus emblématiques et les plus facilement observables par tout un chacun car sans besoin d'autre chose que ses yeux. Cette année, comme les Perséides, les Géminides seront idéalement visibles grâce à la quasi absence de Lune. Petits conseils d'observation.


Quand voir les Géminides ?
Les dates, tout d'abord : deux nuits seront particulièrement propices pour apercevoir de nombreuses Géminides : la nuit du 13 au 14 décembre et la suivante : du 14 au 15 décembre. Le nombre de météores prévu devrait être de l'ordre de 120 par heure, soit un toutes les 30 secondes, un taux tout à fait intéressant. Rappelons en outre que cette pluie des Géminides comporte généralement deux pics d'intensité avec la particularité que les météores apparaissant avant le premier pic sont moins brillants que ceux apparaissant après. Cela est dû à la structure complexe du nuage de poussières que la Terre va traverser et qui a été produit par la désagrégation d'un astéroïde dont le plus gros résidu existe toujours et est nommé 3200 Phaeton (voir plus bas). Le premier nuage traversé est constitué de particules plus fines que le second, expliquant la différence de luminosité qu'ils produisent en se consumant dans la haute atmosphère.
Le maximum d'activité est prévu le 14 décembre exactement aux environs de 18h TU (19h heures française). Les météores visibles la première nuit (du 13 au 14) devraient ainsi être un peu moins brillants que ceux visibles la seconde nuit (du 14 au 15), mais leur nombre devrait être similaire dans les 24 heures entourant le maximum.

Où regarder ?
Cette pluie d'étoiles filantes a été nommée pluie des Géminides car son radiant, le point d'où semblent provenir les météores sur la voûte céleste, se situe dans la constellation des Gémeaux (Gemini). Cette constellation est facilement reconnaissable grâce notamment à sa proximité de la constellation d'Orion. Elle forme deux hommes qui se donnent la main, les deux gémeaux de la mythologie, Castor et Pollux, dont les noms ont été donnés aux deux étoiles principales de la constellation et qui sont les étoiles figurant la tête de nos deux frères. Le radiant des Géminides, du 13 au 15 décembre, se trouve presque exactement à la position de Castor (la tête du jumeau le plus en haut dans le ciel).
Ciel le 14 décembre 2015 à 23h
C'est en direction de l'Est-Sud-Est qu'il faudra plutôt regarder. Evitez de regarder en direction du Nord où vous en apercevrez moins. Mais il ne faut pas se focaliser non plus sur le radiant. Observez toutes les constellations faciles à reconnaître qui se trouvent autour de celle des Gémeaux : Le Cocher, son hexagone caractéristique et son étoile très brillante (Capella) vers le zénith, Orion et ses trois étoiles alignées formant son baudrier vers le Sud, ou le Lion vers l'Est. 


Comment observer un maximum d'étoiles filantes, que ce soit le 13 décembre ou le 14 décembre ?
Comme vous l'avez compris, après les conditions météorologiques, l'ennemi numéro 2 est la lumière parasite, y compris la lumière de la Lune. Les météores peuvent parfois être très brillants, mais pour la plupart d'entre eux, ils sont tout de même assez faiblement lumineux. Il est donc indispensable de n'avoir aucune lumière artificielle à proximité de votre lieu d'observation, que ce soit des lumières d'habitations, de lampadaires, de voitures, etc... pour que votre œil puisse les distinguer. 
Vous devrez d'ailleurs laisser un peu de temps à vos yeux pour s'habituer à l'obscurité, environ 15 à 30 minutes, puis en réduisant au maximum le recours à une lampe (si nécessaire préférez une lampe rouge ou orange plutôt qu'un écran de téléphone blanc/bleuté, qui nécessitera une nouvelle acclimatation à l'obscurité plus longue).

Pour pouvoir attraper un maximum d'étoiles filantes, la position d'observation compte aussi : il est préférable d'avoir le champ de vue la plus vaste possible sur la voûte céleste. Pour cela, dans une zone dégagée (une plaine plutôt qu'un forêt), je vous recommande non pas seulement une bonne chaise longue, mais carrément de vous allonger au sol. En tous cas, ne restez pas debout ni assis en vous tordant le cou, c'est une mauvaise idée, habillez vous très très chaudement (les chaussures comptent aussi!) et allongez vous en position de repos avec pourquoi pas de quoi grignoter, un thermos de café et une petite radio (qui ne fait pas de lumière). 
N'hésitez pas à observer entre amis en jouant pourquoi pas à celui qui verra un maximum d'étoiles filantes ou de satellites.... Entre deux météores, vous pourrez observer tranquillement les constellations du ciel d'hiver, et par exemple Orion, où vous pourrez essayer de distinguer à l'oeil nu la grande nébuleuse, située légèrement en dessous des trois étoiles du baudrier. Vous verrez probablement passer des satellites, qu'il ne faut pas confondre avec des météores, les satellites ont un éclat constant et se déplacent à vitesse constante relativement lente durant plusieurs secondes, les météores, eux, sont très rapides et parfois très fugaces...

Si vous souhaitez prendre des photos, préférez l'objectif le plus petit (24 ou 35 mm), avec la plus grande ouverture possible (du genre f/2.8), avec un réglage sur ISO 800 ou plus. Utilisez un trépied et répétez de multiples poses de 30 s ou 1 minute, en espérant que la chance sera de votre côté et que vous capturerez un ou plusieurs bolides multicolores...

Une origine particulière

Les poussières qui sont à l'origine de la pluie des Géminides sont particulières. Elles arrivent dans l'atmosphère terrestre à une vitesse relativement faible : environ 30 km/s. Alors que la plupart des météores sont issus de poussières de comètes, comme les Perséides du mois d’août par exemple, les Géminides, elles, sont des résidus non pas d'une comète, mais d'un astéroïde, que l'on connait bien, qui s'appelle 3200 Phaeton. 
L'astéroïde 3200 Phaeton imagé par STEREO en 2012 à son point le plus proche du
Soleil, montrant une queue de poussières (NASA/STEREO)

Cet astéroïde a une taille de 5,1 km, et la Terre croise son orbite tous les ans à cette époque de l'année. 3200 Phaeton a une orbite allongée, il passe au plus près du Soleil tous les 1,4 an (à environ 20 millions de km du Soleil). Et en 2009, 2010 et 2012, on a pu observer que 3200 Phaeton se prenait presque pour une comète ! A sa plus faible distance du Soleil, on a pu le voir éjecter des quantités de poussières très importantes, laissant penser que la chaleur du Soleil le fracturait ou du moins produisait comme une sorte de dessèchement de sa surface, avec la production d'une petite queue de matière à la manière d'une comète.
Et 3200 Phaeton semble produire des petites éruptions périodiques également lorsqu'il est plus loin du Soleil dans son trajet orbital, ce qui fournit ces fameux petits grains de poussières que vous verrez brûler dans l'atmosphère très bientôt...

Très bon ciel à toutes et tous (et préparez votre longue liste de vœux) ! 

jeudi 26 novembre 2015

L'inclinaison de l'orbite de la Lune expliquée

L’orbite de la Lune est anormale. Elle est inclinée d’un angle de 5° par rapport au plan de rotation de la Terre. Les effets de marée entre les deux corps, qui tendent à réduire cet angle au cours du temps, indiquent que l’inclinaison de la Lune devait être de l’ordre de 10° lors de sa formation, au lieu de 1° au maximum d’après les modèles de formation classiques. Un long mystère qui vient de trouver une nouvelle explication.



Kaveh Pahlevan et son collaborateur Alessandro Morbidelli, tous deux travaillant à l’Observatoire de la Cote d’Azur du CNRS, proposent une solution qui a le mérite d’être simple : la Lune nouvellement formée pourrait avoir subi l’effet gravitationnel de gros corps passant à proximité d’elle mais sans impact. Ces objets, résidus de la formation des planètes internes du système solaire, pourraient en revanche s’être agglomérés à la Terre par la suite.  Le passage rapproché d’un ou plusieurs corps relativement massifs peut modifier la trajectoire lunaire et induire le changement d’inclinaison encore observé aujourd’hui.
Inclinaisons  relatives de la Terre et de la Lune par rapport au plan de l'orbite terrestre (plan de l'écliptique) (T. Lombry).
C’est en étudiant la composition chimique de la croûte terrestre en métaux précieux comme l’iridium, le platine ou l’or que les chercheurs ont trouvé des indices. Ces métaux sont ce qu’on appelle des sidérophiles : ils possèdent une forte affinité chimique avec le fer. Or la Terre s’est formée à haute température où la matière était liquide, y compris le fer. C’est pourquoi on retrouve aujourd’hui le fer en très grande majorité au centre de la Terre. Le fer a simplement « coulé » (ou migré) à cause de sa densité élevée, avec pour conséquence qu’il a emmené avec lui de grandes quantités de métaux sidérophiles comme l’or ou le platine, laissant les couches externes appauvries en ces métaux précieux.
Mais il se trouve qu’aujourd’hui, nous trouvons ces métaux dans la croûte terrestre avec une abondance non négligeable, ce qui veut dire qu’ils sont arrivés là plus tard dans l’histoire de la Terre, bien après que le fer ait migré au centre du globe pour en former le cœur. Cet ajout de masse postérieur est aujourd’hui estimé à environ 1% de la masse totale de la Terre. Si cet apport de matière extérieur s’était fait par une multitude de petits astéroïdes, la Lune en aurait reçu également, en proportion de sa surface, une quantité qui peut être évaluée à 1/20 de celle reçue par la Terre. Mais l’abondance des métaux sidérophiles est également connue pour le sol lunaire, et elle ne correspond pas à un tel apport qui serait obtenu par une pluie de petits astéroïdes.
Il apparaît alors face à ces observations que l’apport de masse extérieur sur la Terre aurait été plus probablement le fait non pas de petits astéroïdes, mais de quelques gros corps, de taille comparable à celle de la Lune elle-même.

Les auteurs de l’étude qui est publiée cette semaine dans Nature ont calculé grâce à des simulations numériques quels seraient les effets de la présence d’une telle population de gros corps sur l’orbite primordiale de la Lune. Ils ont simulé l’évolution temporelle de l’orbite lunaire en partant d’une orbite proche de la Terre et située dans son plan de rotation. Les effets de marée de la Terre produisent un éloignement progressif de la Lune et les effets gravitationnels des gros astéroïdes ou planétésimaux viennent perturber l’orbite de la Lune jusqu’à ce qu’ils disparaissent les uns après les autres en quelques dizaines de millions d’années.  
Les chercheurs font l’hypothèse importante dans leurs simulations que chaque objet qui finalement collisionne la Terre doit faire auparavant plusieurs milliers de passages proches, avec une portion de ces passages qui vient fortement perturber l’orbite lunaire. Les auteurs montrent comment de multiples passages cumulés, même s‘ils sont a priori de direction aléatoire au moment de leur passage au plus près, finissent par produire une variation mesurable de l’orbite. Dans ces calculs, le 1% d’apport de masse extérieur à la Terre doit être le fruit de 5 grands corps au maximum, qui participent tous à la perturbation de l’orbite lunaire.
Ce nouveau modèle est beaucoup plus élégant que les modèles antérieurs développés pour tenter d’expliquer l’inclinaison de l’orbite de la Lune, où on faisait intervenir des résonances gravitationnelles avec le Soleil ou encore des interactions entre la Lune et son disque précurseur, autant de modèles complexes qui imposaient des paramètres extrêmement ajustés pour atteindre la bonne inclinaison. La force de cette nouvelle proposition est qu’elle repose sur une contrainte indépendante liée à l’abondance en métaux précieux dans la croûte terrestre, qui mène à une image cohérente de ce qu’était l’environnement de la Terre il y a 4 milliards d’années.

Si ces gros corps perturbateurs d’orbite n’avaient pas existé, nous aurions certes eu le bonheur d’admirer des éclipses (solaires et lunaires) tous les mois, mais nos bijoux les plus précieux auraient eu une autre couleur. Choisissez votre regret.


Sources :
Collisionless encounters and the origin of the lunar inclination
Kaveh Pahlevan & Alessandro Morbidelli
Nature 527, 492–494 (26 November 2015)

The Moon's tilt for gold
Robin Canup
Nature 527, 455–456 (26 November 2015)

mercredi 25 novembre 2015

Quand un trou noir dévore une étoile à neutrons

Que se passe-t-il quand une étoile à neutrons en orbite autour d'un trou noir s'en approche un peu trop près ? Contrairement au cas d'une étoile "normale" qui serait déchirée par les forces de marée produites par le trou noir, l'étoile à neutron, objet très compact de quelques kilomètres de diamètre, ne serait pas disloquée, mais absorbée entièrement et soudainement. Mais le phénomène pourrait bien être quand même détectable...


Une étoile à neutrons est un objet fortement magnétisé. Elle possède un puissant champ magnétique qui a pour effet de faire spiraler la moindre particule chargée parvenant dans son voisinage. Et quand une étoile à neutrons se trouve être dans un système binaire en compagnie d'un trou noir, couple de résidus d'étoiles mortes, elles ne peuvent que perdre leur énergie gravitationnelle et se rapprocher l'une de l'autre inéluctablement. Lorsque le trou noir passe dans le champ magnétique de l'étoile à neutrons, ce champ se retrouve fortement ébranlé et de cette variation spatio-temporelle du champ magnétique né un fort courant électrique, mettant en mouvement le plasma entourant les deux astres moribonds. Ce phénomène a été appelé le phénomène de batterie d'un trou noir.
 Vue d'artiste d'un système binaire trou noir/étoile à neutrons (Dana Berry/NASA)
Le phénomène a lieu lorsque l'étoile à neutrons est toute proche du trou noir, juste avant qu'elle ne soit avalée complètement par le trou. Il dure donc un très court instant et les astrophysiciens ont montré qu'un tel processus pourrait être à l'origine d'un phénomène observé depuis quelques années et resté jusqu'à aujourd'hui bien mystérieux : les bouffées d'ondes radio rapides (FRB, Fast Radio Bursts). 
Dans une étude parue dans The Astrophysical Journal Letters, Chiara Mingarelli du California Institude of Technology et ses collaborateurs montrent que la luminosité électromagnétique dans les longueurs d'ondes radio d'un phénomène de batterie de trou noir serait bien plus importante que ce qu'on imaginait auparavant. Les astronomes estimaient en effet que le phénomène d'absorption d'une étoile à neutrons par un trou noir était principalement accompagné d'une émission gamma ou de rayons X.
Les astrophysiciens proposent un scénario qui ne permet certes pas d'expliquer la totalité des FRB, mais tout de même une bonne sous-population. Car la coalescence de couples d'étoiles à neutrons/trous noirs produit une luminosité et une échelle temporelle un peu trop faibles pour pouvoir expliquer tous les types de bouffées d'ondes radio rapides.

Les chercheurs développent un scénario dans lequel l'absorption de l'étoile à neutrons induit l'existence d'un double pic d'émission intense d'ondes radio par le phénomène  de batterie: le premier a lieu juste avant l'absorption et le second juste après, lorsque le champ magnétique de l'ex-étoile à neutrons est récupéré par le trou noir, créant alors une sorte d'onde de choc électromagnétique. Le plus intense des deux est le premier pic d'émission radio.
Non seulement l'équipe de Chiara Mingarelli offre grâce à ces résultats une solution partielle, mais très pertinente, au mystère des bouffées d'ondes radio rapides, mais ils donnent également un outil très intéressant à tous leurs collègues qui s'intéressent aux ondes gravitationnelles, dont les couples d'objets compacts comme les couples étoiles à neutron-trous noir sont potentiellement les plus gros émetteurs, notamment au moment ultime de l'absorption/fusion.

En effet, si une contrepartie radio existe à une source d'ondes gravitationnelles de ce type, elle peut amener à affiner considérablement l'interprétation du signal obtenu à partir des ondes gravitationnelles seules et le rendre beaucoup plus robuste. La bouffée d'ondes radio fournit également une information très utile sur l'intensité du champ magnétique présent dans le couple d'objets compacts.

Chiara Mingarelli estime qu'il est probable que près de 5000 FRB pourraient être découverts dans les cinq prochaines années, avec parmi eux une bonne proportion issue du phénomène de batterie de trou noir, et autant de cibles pour les détecteurs d'ondes gravitationnelles VIRGO et LIGO.


Source : 

Fast Radio Bursts and Radio Transients from Black hole Batteries
Chiara Mingarelli et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 814, Number 2 (23 november 2015)

dimanche 22 novembre 2015

Lisa Pathfinder, un éclaireur pour la détection des ondes gravitationnelles en orbite

La date du 2 décembre n'a certainement pas été choisie au hasard par l'ESA pour le lancement du satellite Lisa Pathfinder : le jour anniversaire du centenaire de la publication de la théorie de la Relativité Générale par Albert Einstein. Lisa Pathfinder va permettre de valider une méthode de mesure en orbite des ondes gravitationnelles, le dernier enfant d'Einstein encore non démontré expérimentalement.



Lisa Pathfinder (ESA)
Lisa Pathfinder est un satellite scientifique différent des autres. On pourrait d'ailleurs plutôt l’appeler un satellite technologique. Car son objectif n'est pas de produire des résultats scientifiques, il ne découvrira pas d'ondes gravitationnelles, mais il doit permettre de déterminer si la technique de l'interférométrie laser en orbite est faisable.
L'interférométrie laser est une technique qui est déjà développée sur Terre, notamment par les grands instruments de détection d'ondes gravitationnelles que sont LIGO aux Etats-Unis et VIRGO en Europe. Le principe de cette mesure repose sur l'observation d'une variation de distance entre deux grosses masses, qui est produite par le passage d'une onde gravitationnelle. Une telle variation, infime, peut être détectée quand deux faisceaux lasers voyageant à angle droit et qui sont censés parcourir la même distance, montrent une interférence optique une fois remélangés. La méthode interférométrique à le pouvoir de déceler des variations de distance de l'ordre du nanomètre voire de l'angström. 
Mais le problème majeur de ces grands instruments depuis leur mise en service au début des années 2000 est justement leur trop grande sensibilité au moindre mouvement parasite généré par autre chose que des ondes gravitationnelles, comme des vibrations du sol induites par une autoroute passant à plusieurs kilomètres ou encore la chute d'arbres dans une forêt voisine...

Pour pallier ces difficultés, l'agence spatiale européenne (ESA) a proposé de voir très grand : construire un interféromètre laser, mais cette fois-ci en orbite, à l'abri de toute perturbation gravitationnelle, avec des distances de faisceaux non plus de l'ordre du kilomètre, mais du million de kilomètres, rendant la sensibilité de l'instrument d'autant plus impressionnante.
Ce projet est appelé eLISA (evolved Laser Interfermometer Space Antenna) et pourrait voir le jour, si tout se passe comme prévu, vers 2034. Il s'agirait de trois satellites formant un triangle équilatéral, reliés entre eux par des faisceaux lasers à très grande distance (1 million de kilomètres).

Vue d'artiste de l'interféromètre eLISA (NASA)
Mais avant d'en arriver là, les scientifiques ont besoin de valider certains concepts de mesure. Des masses étalons doivent par exemple pouvoir être conservées sur des lignes d'espace-temps (des géodésiques) sans la moindre influence gravitationnelle extérieure. Lisa Pathfinder a été conçu dans cette optique, pour tester à échelle très réduite notamment la possibilité  de maintenir des masses en position extrêmement fixe, par rapport au reste du satellite.
Deux masses d'or et de platine de 1,96 kg chacune seront maintenues espacées de seulement 38 cm dans le satellite (au lieu de 1 million de kilomètres) et un interféromètre laser mesurera la distance qui sépare les deux masses.
Lisa Pathfinder sera envoyée pour rejoindre le point de Lagrange L1 (situé à 1,5 millions de kilomètres), point où l'effet gravitationnel de la Terre et du Soleil se compensent exactement. Une fois arrivée à sa position opérationnelle, les masses de métaux précieux seront libérées à l'intérieur du satellite et simplement contrôlées par un système de champ électrostatique. Les mouvement du satellite seront ajustés en temps réel pour suivre précisément le mouvement des masses.
Lisa Pathfinder devra être à même de déterminer tout ce qui pourrait fausser les mesures de distance avec les systèmes optiques et électrostatiques utilisés.

Les résultats de Lisa Pathfinder permettront d'avancer efficacement sur la conception du grand interféromètre eLISA dont le coût est déjà estimé à 1 milliard d'euros. Il s'agit de ne pas faire d'erreur et de tout valider avant sa construction. L'enjeu scientifique est également de taille car seuls des instruments comme eLISA pourraient permettre aux chercheurs de détecter à terme directement des ondes gravitationnelles de toutes sortes, permettant aux astrophysiciens de sonder pour la première fois l'intérieur des étoiles à neutrons, la physique des trous noirs mais aussi les ondes gravitationnelles primordiales produites dans les premiers instants de l'Univers. En somme le début d'une nouvelle astronomie, sans photons.

jeudi 19 novembre 2015

Découverte confirmée d'une planète naissante

Parmi les quelques 2000 planètes qui ont été découvertes et confirmées en tant que telles depuis 20 ans, aucune n’est une jeune planète en cours de formation. Mais c’est désormais chose faite, une planète très jeune encore en cours de formation vient d’être confirmée pour la première fois.



Ce qui rend difficile la découverte de planètes naissantes c’est que les systèmes stellaires en cause sont le plus souvent noyés par d’épais disques de poussières. L’équipe internationale qui a réussi l’exploit de mettre en évidence cette planète encore en train de grossir a utilisé une technique innovante fondée sur la détection d’une raie d’émission particulière de l’hydrogène, la raie Ha.
Schéma du système de LkCa 15 (Z.Zhu/Nature)
Quand une étoile se forme, un disque de gaz et de poussières se forme autour d’elle, que l’on appelle un disque circumstellaire.  Le processus d’accrétion du disque produit un transport de matière continu vers l’étoile. Les planètes se forment dans ce disque avec ce qu’il reste de matière non absorbée par l’étoile.
Les méthodes classiques de détection des exoplanètes comme la détection de transits ne sont pas applicables pour les très jeunes planètes situées autour de jeunes étoiles car ces étoiles sont très actives et leur luminosité est naturellement très variable. La faible perte d’éclat produite par le passage d’une planète devant l’étoile ne pourrait pas y être distinguée. La méthode employée est donc une méthode directe qui cherche, grâce à des télescopes de très grand diamètre, à observer directement la présence d’un corps à l’intérieur d’un disque circumstellaire.
Parmi ceux-ci, les disques qui montrent une large cavité « vide », sont plus particulièrement étudiés car de telles cavités sont estimées être produites par des planètes géantes. Ils sont appelés des disques transitoires. Le disque de l’étoile LkCa 15 fait partie de cette catégorie. LkCa 15 est une étoile de masse comparable à celle du soleil mais âgée de seulement 2 millions d’années. Son disque de poussières et de gaz possède une cavité de 50 unités astronomiques (1 U.A = distance Terre-Soleil).
En 2012, une protoplanète candidate a été observée à l’intérieur de la cavité du disque de LkCa 15, à une distance de 16 U.A de l’étoile. Elle a été nommée LkCa 15 b, mais sa véritable nature est restée incertaine, notamment du fait de sa lumière trop rouge pour une planète jeune. Depuis, plusieurs autres candidates planètes jeunes ont été observées dans des disques circumstellaires, avec toutes le même défaut de luminosité dans le rouge et l’infra-rouge. Ces points communs ont mené les astronomes à penser qu’il pouvait s’agir de planètes jeunes entourées elles aussi d’un disque de poussière et de gaz, à même d’expliquer cette émission dans le rouge.

Données obtenues avec le télescope LBT. La croix indique l'emplacement de l'étoile LKCa 15.
Le bleu indique l'émission H-alpha (Sallum et al.) 
Stephanie Sallum de l'Université de l'Arizona et ses collaborateurs se sont justement intéressés à cette lumière rouge émise par les disques cirumplanétaires, en utilisant l'un des télescopes optiques qui offrent actuellement la meilleure résolution, le Large Binocular Telescope, muni de deux miroirs de 8,4 m chacun, placés sur une unique monture, ce qui en fait un instrument unique. Le LBT est installé sur les hauteurs du Mont Graham en Arizona.
Les chercheurs  se sont intéressés plus précisément à une raie d’émission de l’hydrogène appelée la raie Ha. Cette raie est spécifique car elle est émise lorsque l’hydrogène se retrouve chauffé à 10 000 K. Un tel échauffement est possible quand un fort champ magnétique est produit par la toute jeune planète et vient forcer le matériau du disque circumplanétaire à suivre ses lignes de champ avant de s’accréter à la planète. Cette raie Ha a déjà été souvent observée dans des disques d’accrétion autour d’étoiles, mais c’est ici la première fois qu’elle a pu être observée directement autour non pas de l’étoile, mais de sa protoplanète.

Sallum et ses collègues apportent la preuve, grâce à leur observation de la raie Haque LkCa 15 b est bien une planète en cours de formation qui est entourée d’un disque d’accrétion. En plus, les astronomes ont découvert par la même occasion la présence de deux autres objets à l’intérieur de la cavité du disque de LkCa 15, mais qui n’émettent pas la fameuse raie de l’hydrogène et ne seraient donc pas entourés d’un disque d’accrétion.
La preuve apportée par l’équipe américano-australienne est intéressante car elle pose des questions. Comment une planète géante peut-elle se former à 16 U.A de son étoile en 2 millions d’année, et être encore  en train de grossir ? Par ailleurs, le champ magnétique nécessaire pour tronquer le disque circumplanétaire et produire l’échauffement observé doit être 20 fois plus intense que le champ magnétique actuel de Jupiter, ce qui implique que les mouvements internes de ces jeunes planètes géantes soient beaucoup plus importants que ceux des planètes géantes de notre système. Pourquoi les deux autres corps détectés ne seraient pas entourés eux aussi de disque de poussière en accrétion ?  

La nouvelle technique développée servira certainement à découvrir de nombreuses planètes jeunes dans le futur, et donc leur distribution dans l’espace et dans le temps. Des briques essentielles pour mieux comprendre la formation des systèmes planétaires et comment ils vieillissent.


Sources :
Growing planet brought to light
Zhaohuan Zhu
Nature 527, 310–311 (19 November 2015)

Accreting protoplanets in the LkCa 15 transition disk
S. Sallum et al.
Nature 527, 342–344 (19 November 2015)

mercredi 18 novembre 2015

Deux satellites en perdition utilisés pour tester la Relativité Générale

L’année dernière, deux satellites dédiés au système de GPS européen Galileo ont subi une erreur de la fusée Soyouz qui les a positionnés sur une mauvaise orbite. Mais aujourd’hui, plutôt que de les considérer perdus à jamais, des chercheurs vont les utiliser pour faire de la science de précision.


Ces deux satellites comme tous ceux de la flottille du programme Galileo contiennent une horloge atomique qui mesure le temps avec une très grande précision. Comme ils ont désormais une orbite elliptique au lieu d’être circulaire, ils ne peuvent pas être utilisés en l’état pour faire du positionnement global de précision. Mais leur horloge atomique fonctionne toujours et la communication avec la Terre aussi. Les chercheurs peuvent donc par exemple mesurer les données temporelles des horloges embarquées sur ces satellites.

Satellite du système Galileo (ESA)
C’est une belle aubaine pour les physiciens qui n’en demandaient pas tant pour pouvoir faire le test le plus précis à ce jour d’un effet de la théorie de la relativité générale d’Einstein : la dilatation du temps par l’action d’un champ gravitationnel. Les chercheurs  du Zentrum für angewandte Raumfahrttechnologie und Mikrogravitation (ZARM, Centre de technologies spatiales appliquées et de microgravité) de Brême en Allemagne et du département SYRTE (Sytèmes de Référence Temps Espace) de l’Observatoire de Paris ont proposé de mesurer comment varient les pulsations de ces deux horloges atomiques durant les orbites des satellites. D’après la relativité générale Einsteinienne, les « battements » des horloges doivent ralentir lorsque le champ gravitationnel est plus intense, c’est-à-dire quand le satellite se rapproche de la Terre, et inversement doivent accélérer lorsqu’il s’en éloigne. Les orbites elliptiques des deux satellites qui étaient considérés en perdition sont telles qu’une distance d’environ 8500 km sépare leur point le plus proche et celui le plus éloigné de la Terre, une distance suffisante pour produire une mesure très précise.

Pour effectuer cette mesure, il faut également connaître avec précision l’altitude de l’orbite du satellite étudié, à tout moment (ou au moins au moment de la récupération des données de l’horloge). Pour ce faire, les physiciens prévoient de mesurer cette altitude directement en pointant un faisceau laser depuis le sol pour détecter la lumière réfléchie sur les satellites.

Ce type d’expérience de mesure de temps en orbite n’est pas une première. Il y a près de 40 ans déjà, en 1976, la NASA avait lancé une horloge atomique à bord de la sonde Gravity Probe A jusqu’à 10 000 km en orbite pour comparer son « battement » à celui d’une horloge identique restée sur Terre. Mais le vol n’avait duré que deux jours. Les mesures sur les satellites Galileo devraient quant à elles durer un an et permettre d’améliorer sensiblement les résultats de 1976 avec une précision améliorée par un facteur 4, soit de l’ordre de 0,004%.

L’effet de dilatation temporelle du champ gravitationnel (ou de la courbure de l’espace-temps si l’on préfère) sera investigué avec encore plus de précision à partir de 2017, avec cette fois-ci un instrument dédié entièrement à cette mesure : ACES (Atomic Clock Ensemble in Space). Cette horloge atomique de haute précision conçue par l’Agence Spatiale Européenne sera installée dans la station spatiale internationale et devrait fournir une précision 20 fois meilleure que celle prévue avec les satellites Galileo.

Le temps sera alors venu d’essayer de remettre les satellites errants sur une orbite plus circulaire pour qu’ils puissent participer tant bien que mal au réseau de GPS Galileo.


Source :

Wayward satellites repurposed to test general relativity
Elizabeth Gibney
Nature News (12 November 2015)

lundi 16 novembre 2015

XENON1T : Inauguration du plus gros détecteur de Matière Noire du monde

C’est une expérience qui s’appelle XENON1T et elle met en œuvre le plus gros détecteur de matière noire jamais construit. XENON1T vient d’être inaugurée il y a quelques jours au laboratoire souterrain du Gran Sasso en Italie et entrera en fonction au printemps 2016 pour surpasser en quelques semaines toutes les autres expériences similaires fonctionnant depuis des années.


Vues d'ensemble du panneau de photomultiplicateurs de XENON1T
(XENON1T Collaboration) 
XENON1T est une collaboration scientifique internationale où l’on retrouve des européens, des américains et des asiatiques, avec une femme à sa tête, la physicienne italienne Elena Aprile travaillant à l’Université Columbia de New York.  XENON1T est la suite logique de l’expérience à succès XENON100, qui elle-même était l’extension de l’expérience XENON10.  Comme son nom l’indique, le détecteur développé par XENON1T est composé de xénon avec une masse de l’ordre de la tonne, plus exactement 3,3 tonnes de xénon, ce qui est considérable, 10 fois plus massif que le détecteur de l’expérience américaine LUX qui avait enfoncé tous ces concurrents en 2013 en termes de sensibilité pour la détection de toujours plus faibles et rares interactions de particules de matière noire.

Elena Aprile estime qu’il ne suffira que de deux semaines de comptage dans le laboratoire souterrain du Gran Sasso pour que XENON1T dépasse les résultats que LUX avait mis plusieurs longs mois à accumuler. Dans le domaine de la détection directe des particules de matière noire, étant donné la valeur supposée quasi constante du flux des particules furtives, pour augmenter la probabilité d’interaction dans un détecteur, les physiciens n’ont que deux choix : augmenter la durée du comptage des interactions, ou bien augmenter le nombre de noyaux d’atomes cibles pour ces interactions, c’est-à-dire la masse du détecteur. Et la masse peut être beaucoup plus facilement augmentée que le temps de mesure. C’est donc vers des détecteurs toujours plus gros que la recherche directe de la matière noire s’oriente. XENON10 faisait une dizaine de kilogrammes, XENON100 en faisait quelques centaines, XENON1T contient 3,3 tonnes de xénon liquide.

Schéma de l'installation de XENON1T (Purdue University)
Ce détecteur est exceptionnel à plus d’un titre. Il s’agit de ce qu’on appelle une chambre à projection temporelle au xénon diphasique. Une grosse cuve est remplie de xénon liquide, donc refroidi à une très basse température par un cryostat spécifique. Au-dessus du liquide surnage une phase gazeuse de xénon.  Les propriétés de gaz noble du xénon  sont idoines pour ce type de recherche, car le xénon produit de la lumière de scintillation lorsqu’un de ses noyaux d’atome ou de ses électrons subissent un recul après une collision. Et par ailleurs, lorsque des électrons y sont arrachés, ce qui arrive également dans ce type de collisions de particules, les électrons peuvent ensuite se mouvoir très librement dans le xénon, qui ne les recapture pas. Le fond de la cuve qui abrite le précieux liquide est couvert de 248 détecteurs de lumière extrêmement sensibles qu’on appelle des photomultiplicateurs. La partie supérieure de la cuve est également bardée de capteurs qui permettent de mesurer l’arrivée de très faibles courants électriques.
Car le principe de la détection de cette chambre à projection temporelle repose sur une double détection : quand une particule de matière noire (une WIMP, Weakly Interacting Massive Particle) vient collisionner le noyau d’un atome de xénon au sein du liquide, des photons de scintillation sont produits par l’ionisation consécutive en même temps que des électrons sont libérés. La lumière est très vite enregistrée par le réseau dense de photomultiplicateurs situés en dessous, pendant que les électrons remontent vers le haut, plus lentement, guidés par un petit champ électrique appliqué dans ce but. L’utilisation de cette double détection a deux objectifs très judicieux : elle permet d’une part de localiser en trois dimensions le lieu de l’interaction de la particule avec le noyau de xénon, et d’autre part de déterminer si la particule impliquée était bien une particule massive et neutre de type WIMP ou bien autre chose comme un électron. La localisation est obtenue tout d’abord en 2D en regardant quel photomultiplicateur a capté le ou les photons de scintillation. La troisième dimension est quant à elle obtenue en enregistrant le temps mis par les électrons d’ionisation produits dans l’interaction pour remonter jusqu’en haut de la cuve.
Montage du réservoir de xénon au Gran Sasso
(Hugo Contreras/Columbia University)
La discrimination sur la nature de la particule impliquée est obtenue simplement par le fait que par exemple une WIMP ou un neutron ne produiront pas la même quantité de lumière par rapport à la quantité d’ionisation, que ne le feront des électrons ou des rayons gamma. En mesurant le rapport des deux signaux enregistrés (scintillation et ionisation, S1 et S2 dans le jargon des physiciens des astroparticules), on peut alors déterminer presque à coup sûr quel type de particule en était à l’origine, ce qui permet d’éliminer de l’analyse nombre d’interactions parasites.
Car des interactions parasites, il y en beaucoup dans de tels détecteurs ultra-sensibles. Elles proviennent de la radioactivité naturelle qui existe partout. La recherche directe de la matière noire est une lutte permanente contre la moindre microtrace de radioactivité. C’est notamment pour cette raison que ces expériences doivent s’enterrer en profondeur dans des laboratoires souterrains comme celui du Gran Sasso, situé au beau milieu d’un tunnel routier sous 1400 mètres de roche. Le but est ici de réduire au maximum le flux de rayons cosmiques, des muons essentiellement, qui ont la fâcheuse tendance, soit à interagir directement dans le détecteur, soit à produire des particules secondaires très indésirables comme des neutrons.  Le flux de muons au Gran Sasso est divisé par un facteur d’environ 1 million par rapport au niveau de la mer.
XENON1T au Laboratoire souterrain du Gran Sasso
(XENON1T collaboration)

Mais il reste toujours une radioactivité naturelle provenant des parois rocheuses du laboratoire ainsi que des matériaux divers qui sont utilisés aux environs du détecteur, qui se manifeste par des rayons gamma et encore des neutrons.  Pour protéger le xénon liquide de ces composantes parasites, la cuve refroidie de XENON1T est enfermée dans une seconde cuve de grande dimension remplie d’eau. L’eau forme un blindage très efficace (simple, et peu onéreux) contre les rayons gamma et les neutrons en même temps.
Mais le xénon liquide lui-même peut être radioactif ! Et c’est un des problèmes principaux qu’ont dû gérer les physiciens depuis le début de l’utilisation de ce type de détecteur, et qui devient encore plus prégnant aujourd’hui avec de tels volumes.
Le xénon se trouve à l’état naturel dans l’air que nous respirons, sa récupération en grandes quantités se fait par liquéfaction de l’air puis par des méthodes de séparation chimique.  Mais lors de ces opérations, d’autres gaz rares se trouvent piégés avec le xénon et se retrouvent  ensuite sous forme de traces dans le volume de xénon liquide produit. Il s’agit du krypton et de l’argon.

La plupart des isotopes radioactifs du xénon, du krypton et de l’argon sont produits naturellement, par les rayons cosmiques (on parle de radioactivité cosmogénique), leur prévalence ne peut être réduite qu’en stockant le plus vite possible le gaz nouvellement liquéfié à grande profondeur, puis à essayer de purifier au maximum le gaz pour ne garder que le seul utile, le xénon. Mais on trouve également d’autres isotopes radioactifs résiduel dans le xénon liquide, qui ne sont pas naturels eux, mais fabriqués par l’homme : le xénon-136 et le krypton-85. Ces deux-là proviennent directement de la fission de l’uranium et du plutonium qui est exploitée dans les centrales nucléaires partout dans le monde ou utilisée dans les armes nucléaires au cours du vingtième siècle. D’infimes traces de ces éléments radioactifs se retrouvent dans l’atmosphère terrestre tout autour du globe (1 atome de krypton-85 pour 100 milliards d’atomes de krypton) et sont détectables dans un détecteur ultra-performant comme XENON1T, qui voit leurs rayonnements beta (des électrons) et gamma (des photons énergétiques).

Entrée du tunnel de l'A24 menant au laboratoire souterrain du Gran Sasso
Il y a enfin un autre gaz radioactif, venant de l’extérieur du détecteur mais s’insinuant partout dans le laboratoire souterrain, c’est le radon-222. Le radon est un sous-produit de la chaîne de radioactivité naturelle du l’uranium-thorium et on a beau le filtrer auprès des détecteurs les plus sensibles et savoir qu’il se désintègre assez vite, sa production naturelle ne s’arrêtera jamais, sauf à remplacer la montagne par de la glace pure…
Les physiciens de XENON1T savent gérer au mieux toutes ces sources de signal parasite, ces bruits de fond comme ils les appellent, et redoublent d’astuces et d’inventivité pour soit les minimiser ou soit, quand c’est impossible, les connaître le mieux possible pour en tenir compte dans l’analyse des données.

Pour XENON1T, en l’absence de signal positif d’interactions de WIMPs, l’expérience devrait pouvoir exclure des sections efficaces supérieures à 2 10-47 cm² pour des WIMPs de 50 GeV, ce qui veut dire que cette courbe d’exclusion englobera la totalité de la zone prédite théoriquement où on attend de voir des neutralinos dans  l’extension minimale supersymétrique contrainte du modèle standard. En d’autres termes, si la théorie est correcte, XENON1T doit voir des WIMPs. S’il ne les voit pas, il renverra les théoriciens des particules dans leurs pénates et à leurs tableaux noirs.
L’avance technologique de XENON1T devrait par contre être de courte durée car l’expérience historiquement concurrente LUX a récemment fusionné avec une autre collaboration (ZEPLIN) pour évoluer vers un détecteur appelé désormais LZ utilisant 7 tonnes de xénon liquide et devant être mis en route en 2019. Mais les physiciens de XENON1T ont déjà prévu une évolution à XENON1T (appelée XENONnT) qui comporterait deux fois plus de xénon que sa version initiale et pourrait être lancée avant LZ…
Et comme les physiciens des astroparticules sont prévoyants, ils planchent déjà sur un détecteur encore plus massif, prenant la suite de l’aventure XENON10,100, 1T et nT, avec cette fois une masse de 20 tonnes de xénon liquide. Cette évolution majeure porte le nom judicieux de DARWIN et pourrait voir le jour avant 2022.

jeudi 12 novembre 2015

Découverte du premier pulsar gamma situé dans une autre galaxie

Les chercheurs de la collaboration internationale Fermi-LAT viennent de trouver le premier pulsar à rayons gamma situé dans une autre galaxie que la nôtre. Il s'appelle PSR J0540-6919 et se trouve dans la galaxie naine voisine du Grand Nuage de Magellan. Il devient par la même occasion le pulsar gamma le plus intense jamais observé.



Ce pulsar se trouve sur le bord de la nébuleuse de la Tarentule, au sein du Grand Nuage de Magellan, à environ 163 000 années-lumière. La nébuleuse de la Tarentule est la plus grande et la plus active région de formation d'étoiles que nous connaissons dans notre voisinage proche. Elle est aussi assez complexe, et avait été identifiée depuis le début de la mission du télescope spatial Fermi comme une source intense de rayons gamma. Les astrophysiciens avaient initialement attribué ces émissions gamma à des interactions de particules accélérées par des ondes de chocs induites par des supernovas. Mais la découverte des pulsations provenant de ce pulsar PSR J0540-6919 indiquèrent qu'à lui seul il produisait la moitié du flux gamma détecté dans la Tarentule, l'autre moitié étant produite par un deuxième pulsar proche (PSR J0537-6910) et à des sources diffuses.
Localisation du pulsar PSR J0540-6919 dans la nébuleuse de la Tarentule
(NASA'/Goddard Space Flight Center et ESO/R. Fosbury (ST-ECF))
Des pulsations sont observées car les pulsars, des étoiles à neutron en rotation, produisent du rayonnement selon une direction polaire mais qui ne coïncide pas avec leur axe de rotation. A la manière du faisceau lumineux d'un phare, il suffit que la Terre se trouve dans le champ balayé par le "faisceau" pour que nous observions une pulsation périodique de rayonnements. La fréquence de la pulsation correspond simplement à la fréquence de la rotation de l'étoile à neutrons. Et les pulsars émettent principalement des ondes radio, mais certains accompagnent ces rayonnements par des photons d'énergie beaucoup plus élevée, des photons gamma. 

Le pulsar gamma qui détenait le record d'intensité gamma jusqu'à aujourd'hui était le célèbre pulsar du Crabe qui se trouve au centre de la nébuleuse éponyme, jeune résidu de la supernova apparue dans le ciel en 1054 et observée par les astronomes chinois durant deux ans. PSR J0540-6919 est 20 fois plus brillant que le pulsar du Crabe!

Le plus curieux c'est que le pulsar du Crabe et PSR J0540-6919 ont des intensités très similaires dans les autres longueurs d'ondes (radio, visible et rayons X) et sont souvent appelés les pulsars "jumeaux" tant ils ont des caractéristiques proches, à commencer par leur âge respectif (961 ans et 1140 ans). Leur différence en rayons gamma devrait donc permettre aux astrophysiciens de mieux cerner la physique extrême qui nourrit ces jeunes pulsars et leur magnétosphère d'où doivent provenir les rayons gamma. Ils ont au moins trouvé un joli objet d'étude qui pourrait vite devenir une nouvelle référence.


Source :

An extremely bright gamma-ray pulsar in the Large Magellanic Cloud
The Fermi LAT Collaboration
Science  Vol. 350 no. 6262 pp. 801-805 (13 November 2015)
http://dx.doi.org/10.1126/science.aac7400

mercredi 11 novembre 2015

Pluton : Nouveaux résultats scientifiques très riches

L'équipe de New Horizons a présenté cette semaine de nombreux résultats scientifiques sur le monde de Pluton lors de la 47ème réunion de la division Planétologie de l'American Astronomical Society qui se déroule en ce moment à National Harbor dans le Maryland.


C'est pas moins d'une cinquantaine d'études différentes qui sont présentées au sujet de Pluton lors de cette grande réunion annuelle consacrée aux sciences planétaires, allant de l'étude de l'atmosphère de Pluton, à sa géologie, en passant par ces petits et gros satellites. Et les résultats continuent à apporter des surprises aux scientifiques. Jim Green, directeur de la planétologie à la NASA s'est exprimé : "La mission New Horizons a prit tout ce que l'on croyait savoir sur Pluton et a tout retourné. C'est exactement pour cela que nous explorons, pour satisfaire notre curiosité et répondre à des questions profondes sur comment nous sommes arrivés là et qu'est ce qu'il y a au-delà du prochain horizon..."

Wright Mons et Piccard Mons, probables cryovolcans
(la couleur indique l'altitude)
(NASA/Johns Hopkins University/Southwest Research Institute)
Parmi les découvertes les plus étonnantes est celle de la présence très probable de cryovolcans, des volcans crachant de la glace, qui ont pu être actifs dans un passé récent. Les chercheurs ont réussi à mettre en évidence la nature de ces deux montagnes très particulières de Pluton, nommées Wright Mons et Piccard Mons, en construisant une carte en 3D à partir de la combinaison de multiples images de la surface de Pluton.
Ces deux cryovolcans "candidats" mesurent plusieurs dizaines de kilomètres de largeur et plusieurs kilomètres d'altitude. Tous les deux présentent un vaste cratère à leur sommet qui ne laisse que peu de doutes sur leur nature. Les volcans de Pluton, a contrario des volcans terrestres qui crachent de la roche en fusion, doivent émettre de la glace d'eau, de l'azote, de l'ammoniac ou du méthane.
Les chercheurs mettent l'accent sur le fait que pour le moment cette découverte n'est qu'une hypothèse forte. S'il s'agit bien de structures volcaniques, la dépression de leur sommet se serait formée par effondrement quand de la matière est expulsée. Ces volcans se situent non loin de la plaine Spoutnik d'apparence lisse sans impact et qui pourrait être le résultat de l'accumulation de matière fraîchement crachée par ces cryovolcans.
De tels cryovolcans n'ont jamais été observés aussi loin dans le système solaire et une telle activité remet en question la géologie de Pluton. 

Une autre découverte étonnante rapportée par les scientifiques qui exploitent les données de New Horizons est la très grande diversité d'âge de la surface de Pluton. En termes géologiques, on y trouve des terrains anciens, d'autres intermédiaires, et enfin des terrains très jeunes à l'image de cette vaste plaine Spoutnik en forme de cœur. L'âge d'une surface sur Pluton est évaluée en comptant le nombre de cratères. Plus le nombre de cratère est faible, plus la surface est jeune car elle n'a pas eu le temps de subir de nombreux impacts de petits astéroïdes. Les plus vieilles régions de Pluton, celles qui montrent le plus d'impacts, ont ainsi été estimées à environ 4 milliards d'années et datent donc de la naissance de la planète. La région Sputnik Planum, qui ne montre absolument aucun cratère, a l'opposé, n'aurait que 10 millions d'années.
Et les données, une cartographie précise de plus de mille cratères de toutes tailles, révèlent également la présence de terrains d'âge intermédiaire. Cela indique que Sputnik Planum ne serait pas produite par une activité géologique anormale récente, mais qu'au contraire, l'activité géologique de Pluton existerait depuis longtemps, voire depuis toujours.

Le nombre de cratères révèle l'âge des terrains de Pluton
(NASA/Johns Hopkins University/Southwest Research Institute)
Le comptage des cratères à la surface de Pluton et de Charon donne également d'autres informations, comme par exemple sur la structure de la ceinture de Kuiper. Le relativement faible nombre de petits cratères observés indique que la ceinture de Kuiper contiendrait très probablement plus de gros objets que ce que nos modèles prédisaient. Alors que l'on pensait que cette ceinture d'astéroides était constituée d'objets de l'ordre du kilomètre ou moins, un autre modèle impliquant des corps d'une dizaine de kilomètres s'étant formés directement pourrait maintenant être préféré au vu des observations. Si les objets de la ceinture de Kuiper naissent gros, la prochaine rencontre de la sonde New Horizons avec un tel objet (2014 MU69) de 40 km de large est plus qu'intéressante, car ce serait la visite d'un véritable vestige du système solaire.

Les premiers résultats de New Horizons concernent aussi les corps qui tournent autour de Pluton. La première étrangeté dans ce système, c'est que, alors que pour les autres planètes munies de satellites, ces derniers ont des rotations synchrones (montrant toujours la même face à leur planète comme par exemple la Lune), ce n'est pas le cas ici pour les petits satellites de Pluton. Hydra fait par exemple 89 tours sur elle-même pendant qu'elle fait une rotation autour de Pluton, un phénomène inédit (voir la vidéo ci-dessous). Les scientifiques ont observés que l'effet gravitationnel du gros Charon pouvait amener à des rotations chaotiques des petits satellites, avec des accélérations ou décélérations imprévisibles.

Pluton au centre, puis de la plus petite à la plus grande orbite : Charon, Styx, Nix, Kerberos, Hydra

En outre, la forme de certains petits satellites de Pluton est très étrange. Les images de New Horizons montre que deux d'entre eux et peut-être les quatre, pourraient être le résultat de la fusion de corps plus petits. Si ces indices sont confirmés par des analyses futures, notre vision de la formation du système de Pluton devra être révisée. 

Enfin, concernant l'atmosphère de Pluton, les résultats présentés par l'équipe scientifique de New Horizons révèlent que la haute atmosphère est beaucoup plus froide et donc plus compacte que ce que l'on imaginait. La conséquence en est que la perte d'atmosphère y est des milliers de fois plus faible que ce que l'on pensait. Il apparaît ainsi que l'atmosphère de Pluton s'échappe plutôt via le même mécanisme que celui à l'oeuvre dans le atmosphère de la Terre et de Mars plutôt que par les mécanismes observés sur les comètes.

Les données de New Horizons n'en ont pas encore fini de transiter depuis les confins du système solaire, chaque jour apporte ses nouveaux mégaoctets aux chercheurs. Les premiers résultats analysés du monde Plutonien montrent toute la richesse des planètes naines de notre système, et d'autres surprises ne sont pas exclues.


Source : 
John Hopkins University