23/07/25

Des étoiles "immortelles" dans le centre galactique grâce à la matière noire


Le diagramme de Herzprung Russell est une représentation graphique représentant toutes les étapes possibles de la vie des étoiles, en montrant la distribution de leur luminosité en fonction de leur masse qui forme notamment ce qu'on appelle la séquence principale. Une équipe d’astrophysiciens vient de calculer pour la première fois à quoi ressemblerait ce diagramme HR dans les cas où les étoiles baigneraient dans une forte concentration de matière noire qui influerait sur elles en leur apportant de l’énergie additionnelle. On obtient une nouvelle séquence principale avec des températures bien plus basses pour une luminosité équivalente, de quoi faire le lien avec les étoiles apparemment jeunes qui sont observées dans le centre galactique et dont la présence est mal comprise. Et ces étoiles pourraient être éternelles, la matière noire leur fournissant de l’énergie en continu… L’étude est publiée dans Physical Review D.

Au cours de leur vie, les étoiles évoluent le long de trajectoires bien établies au sein desquelles un équilibre entre la force gravitationnelle et la pression de la fusion nucléaire peut être maintenu. Leur spectre de corps noir établit également un lien direct entre leur luminosité, leur température et leur rayon. Ces relations sont visibles sur le diagramme de Hertzprung-Russell, qui représente les luminosités et les températures stellaires observables, traçant les différentes trajectoires que les étoiles empruntent au cours de leur vie en fonction de leur masse.

Cette image standard de l'évolution stellaire suppose que la fusion nucléaire est le seul processus capable de fournir un support de pression à l'étoile. Cependant, dans l'Univers jeune, ou dans les régions très proches du centre des galaxies, où la densité de particules de matière noire devrait être maximale, l'annihilation de ces particules/antiparticules peut constituer une source d'énergie supplémentaire considérable. Dans les cas extrêmes, l'annihilation de la matière noire peut faire reculer les étoiles le long des diagrammes HR vers des configurations protostellaires (ce qu’on appelle la trajectoire de Hayashi) produisant des étoiles qui ont des rayons extrêmement grands et des températures basses par rapport aux étoiles standard. Dans certains cas, l'annihilation de la matière noire peut aussi entraîner la dislocation totale des étoiles.

Isabelle John (université de Stockholm) et ses collaborateurs ont calculé pour la première fois l'évolution de la séquence principale sous l'influence d'une injection significative d'énergie issue de l’annihilation de la matière noire dans le cœur des étoiles. Ils ont construit un nouveau diagramme HR dans lequel apparaît une nouvelle séquence principale, dite séquence principale sombre. Plus précisément, ils y découvrent l’existence d’une nouvelle branche d'étoiles de masse plus élevée, qui se distinguent de la séquence principale standard d'un point de vue observationnel. La stabilité de ces étoiles est analogue à l'équilibre hydrostatique des étoiles standard : lorsque l'étoile se dilate, le taux de capture de matière noire peut diminuer, ce qui provoque une nouvelle contraction de l'étoile. Et l'accrétion continue de matière noire permet à ces étoiles de maintenir l'équilibre éternellement, selon les chercheurs, ce qui fait que la séquence principale sombre domine la population stellaire.

À ce jour, le nombre d'étoiles connues dans le parsec interne du centre galactique est limité, et un plus grand nombre d'étoiles est nécessaire pour détecter de manière robuste tout effet éventuel de la matière noire. John et ses collaborateurs estiment que ce sera possible avec les prochains télescopes de la classe des trente mètres, qui mesureront de nombreuses nouvelles étoiles près du centre galactique. D’après les astrophysiciens, les étoiles du centre de notre galaxie qui sont déjà connues sont en fait déjà très intéressantes car elles révèlent de nombreuses anomalies qui pourraient être résolues par la séquence principale sombre, selon John et ses collaborateurs.

Les modèles de formation stellaire suggèrent que les étoiles ne peuvent pas se former à moins de ∼0,1 pc du trou noir central. Et c’est justement là où se trouvent les étoiles de l'amas S, les étoiles les plus proches de Sgr A*. On pense aujourd’hui que ces étoiles doivent s'être formées ailleurs et avoir migré vers le centre galactique. Mai a contrario, les observations suggèrent que les étoiles de cette région sont jeunes ( ≲15 Mégannées), ce qui indique que ces étoiles pourraient s'être formées plus localement... La tension entre ces deux observations est connue sous le nom de « paradoxe de la jeunesse » : les étoiles du centre galactique sont aussi brillantes que des étoiles jeunes mais présentent des caractéristiques spectroscopiques d'étoiles plus évoluées. En outre, il existe aussi une « énigme de la vieillesse », qui décrit la rareté des étoiles vieilles et évoluées, malgré le fait que les modèles prédisent qu’on devrait détecter de nombreuses étoiles évoluées. Enfin, les observations indiquent que la fonction de masse initiale des étoiles près du centre galactique est étonnamment lourde au sommet (c’est-à-dire biaisée en faveur des étoiles à haute masse). Les observations indiquant que la distribution des naissances stellaires se situe entre dN/DM ~ 𝑀-1,7 et ~𝑀-0,45, alors que l'indice de Salpeter standard dN/DM (la distribution des masses initiales) est ~𝑀-2,35. Ces observations anormales sont propres aux étoiles du Centre Galactique, et ne sont pas bien expliquées par les modèles conventionnels d'évolution stellaire.

Or, le centre de la galaxie est exactement l'endroit où la densité de matière noire serait suffisamment élevée pour que l'annihilation de la matière noire remplace substantiellement la fusion nucléaire comme source d'énergie stellaire, ce qui permettrait aux étoiles de rester éternellement jeunes malgré leur âge avancé. 

Ca expliquerait le paradoxe de la jeunesse (parce que les étoiles ont eu suffisamment de temps pour migrer vers le centre galactique). Et ça expliquerait également l'énigme de la vieillesse (parce que les étoiles continuent à résider sur la séquence principale ou à proximité). L'effet est maximisé dans les étoiles de masse relativement élevée ( ≳5𝑀⊙), alors que les étoiles moins massives ont tendance à évoluer vers l'arrière le long de la bande de Hayashi dans le diagramme ou à être entièrement perturbées. Cela implique mécaniquement que la distribution stellaire devrait avoir une fonction de masse initiale très élevée. Et c'est ce qui est observé aujourd'hui...

John et ses collaborateurs, en prenant en compte l'effet de l'annihilation  de la matière noire à l'intérieur des étoiles, ont en fait simulé une population stellaire complète qui inclut, pour la première fois, les étoiles les plus massives, qui correspondent aux étoiles récemment détectées dans la partie la plus interne de la Galaxie.

Cette nouvelle séquence principale sombre présente donc trois caractéristiques qui la distinguent clairement de l'évolution stellaire standard de la séquence principale classique :

(1) une fonction de masse initiale lourde au sommet, produite par l'élimination efficace des étoiles de faible masse de la séquence principale vers des emplacements sur les bandes de Hayashi ou au-delà,

(2) une bande de Hayashi brillante et densément peuplée, produite par les étoiles de plus faible masse de la séquence principale qui atteignent des équilibres éternellement stables dans des configurations à grands rayons stellaires et à basses températures,

(3) une bande de Henyey brillante et densément peuplée aux masses plus élevées, peuplée d'étoiles pratiquement immortelles (avec une durée de vie typique  >10  Gigannées), des étoiles de grande masse avec des luminosités similaires mais des températures légèrement inférieures à leurs configurations de la séquence principale classique.

Donc les trois anomalies dans les observations stellaires du centre galactique peuvent être expliquées simultanément par l'évolution stellaire le long de la séquence principale sombre. La fonction de masse initiale très dense, le paradoxe de la jeunesse et l'énigme de la vieillesse. Elles peuvent être expliquées si les étoiles de masse relativement élevée sont alimentées indéfiniment par l'annihilation de la matière noire. 

Les prédictions de population stellaire auront des implications importantes pour les observations extrêmement difficiles des étoiles du centre galactique. Vérifier ou infirmer l'évolution de la séquence principale sombre nécessitera la détection de nouvelles étoiles pour un échantillonnage suffisant et une population suffisante de la séquence principale sombre. Cela sera possible grâce à de nouveaux télescopes, ceux de la classe des 30 mètres, ou grâce à des étoiles supplémentaires du groupe S entourant Sgr A*  mesurées avec le Very Large Telescope ou le télescope Keck. En détectant la séquence principale sombre, les futurs télescopes offriraient ainsi une nouvelle voie de découverte de la matière noire.


Source

Dark branches of immortal stars at the Galactic Center

Isabelle John et al.

Phys. Rev. D 112 (18 July, 2025)

https://doi.org/10.1103/PhysRevD.112.023028


Illustration

1. La séquence principale "sombre" (à droite) comparée à la séquence principale standard du diagramme de Herzsprung-Russell

2. Isabelle John

19/07/25

Observation d'un possible trou noir supermassif formé par effondrement direct de gaz


Avec des observations du télescope Webb, une équipe d'astrophysiciens a découvert un objet inhabituel situé à un redshift de z = 1,14,. Ils l'ont surnommé la galaxie (infini). Il s'agit de deux noyaux de galaxies séparés de 10 kpc, au milieu desquels se trouve un trou noir supermassif. L'analyse de ce qui a pu se passer dans ce système mène vers une formation du trou noir supermassif par l'effondrement direct du nuage de gaz compressé formé lors de la collision frontale de deux galaxies à disque. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal Letters.

La lumière proche infrarouge au repos de la galaxie ∞ est dominée par deux noyaux compacts avec des masses stellaires d'environ 100 milliards M. Les deux noyaux sont entourés d'un anneau ou d'une coquille proéminente, donnant à la galaxie l'apparence d'un huit ou d'un symbole ∞. La morphologie ressemble à celle du système nommé II Hz 4, où la collision frontale de deux galaxies à disques parallèles a conduit à la formation d'anneaux collisionnels autour de leurs deux renflements. La spectroscopie avec le télescope Keck, les données radio du Very Large Array et les données X du télescope spatial Chandra montrent que la galaxie ∞ abrite un trou noir supermassif qui est en accrétion active avec une luminosité radio et X de type quasar.

Mais ce qui est remarquable, c'est que ce trou noir supermassif ne soit associé à aucun des deux noyaux galactiques, mais se situe exactement entre eux en termes de position et de vitesse radiale. De plus, à partir de l'émission excédentaire dans le filtre NIRCAM F150W de Webb, Pieter Van Dokum (Yale university) et ses collaborateurs déduisent que le trou noir est intégré dans une distribution étendue de gaz émetteur Hα , avec une largeur équivalente au référentiel au repos comprise entre 400 Å et 2 000 Å. Le gaz couvre toute la largeur du système et a probablement été choqué et comprimé au site de collision, dans un équivalent à l'échelle galactique de ce qui s'est produit dans l'amas du Boulet. 

Après avoir testé différentes hypothèses pour expliquer cet étonnant arrangement, comme la présence d'une éventuelle troisième galaxie, ou bien un trou noir supermassif qui se serait échappé de sa galaxie d'origine, Van Dokkum et ses collaborateurs en arrivent à la conclusion que le trou noir s'est formé in situ, là où il est encore observé. Ce serait en fait plutôt une conséquence de la morphologie inhabituelle du système et expliquerait également sa position et sa vitesse radiale.

Dans ce scénario, le gaz ionisé entre les noyaux galactiques est choqué et comprimé par la récente collision entre les deux galaxies. Selon les chercheurs, il est possible que le trou noir se soit formé suite à l'effondrement gravitationnel incontrôlable d'un nuage ou d'un filament au sein de ce gaz. Ce scénario relie le trou noir au nuage de gaz dans lequel il est enfoui et explique pourquoi sa vitesse radiale se situe exactement entre celles du gaz dans les deux anneaux galactiques.

Cette idée est qualitativement similaire aux modèles de formation de « graines lourdes » qui ont longtemps été proposés pour l'origine des trous noirs supermassifs au centre des galaxies. Alors que le modèle dominant pour l'origine des trous noirs supermassifs reste celui fondé sur une évolution à partir de trous noirs stellaires d'environ 1000 M⊙ issus de la première génération d'étoiles (population III) , l'effondrement direct de nuages de gaz prégalactiques d'environ 10 000 à 100 000 M⊙ est une alternative importante aujourd'hui. Les simulations montrent en effet que l'absence de métaux dans ces premiers objets baryoniques, combinée aux champs de rayonnement externes et à la dynamique violente des gaz associée à la formation du halo, peut créer des conditions propices à la formation de trous noirs supermassifs. Et récemment, ces modèles ont reçu une attention renouvelée, car les premiers résultats du télescope Webb indiquent que de nombreuses galaxies ont des masses de trous noirs relativement élevées pour leur masse stellaire.

Van Dokkum et ses collaborateurs précisent néanmoins que la similitude avec les modèles d'ensemencement des premiers trous noirs supermassifs n'est que superficielle, car le gaz de la galaxie est riche en métaux et ne se trouve pas au centre du halo. Mais ils rappellent aussi  que des études à haute résolution des conséquences de fusions riches en gaz ont montré que des trous noirs peuvent se former dans les régions centrales du résidu, même si le gaz est riche en métaux (L. Mayer et al. 2010 , 2015 ). Dans ce canal de formation, c'est la turbulence et la pression thermique, plutôt que l'absence de métaux, qui empêchent la fragmentation et la formation d'étoiles. Le gaz de la galaxie est actuellement réparti sur une région d'environ 10 kpc (distance projetée), mais il est concevable que des conditions extrêmes similaires aient été atteintes localement au moment de la collision des deux galaxies progénitrices, selon les chercheurs.

Il faut préciser également que, dans ce scénario, les deux noyaux galactiques ont toujours leurs propres  trous noirs supermassifs. Les dispersions de vitesse stellaire des noyaux galactiques sont d'environ ∼300 km s-1 sur la base de leurs tailles d'environ 1 kpc et de leurs masses d'environ ∼100 milliards de M⊙ . La relation M trou noir – σ implique des masses de trous noirs d'environ ∼1 milliard M⊙ pour des dispersions dans cette gamme. Ils n'ont en revanche pas été détectés par leur activité radio ou X.

Comme nous l'avons dit, la morphologie inhabituelle de la galaxie ∞ peut être expliquée par une collision frontale de deux galaxies à disque, conduisant à la formation d'anneaux de collision autour des deux bulbes survivants. Dans ce contexte, on peut utiliser les propriétés observées de la galaxie pour déterminer sa géométrie 3D approximative. En supposant que les anneaux sont intrinsèquement ronds, leur rapport d'axe observé de b / a  ≈ 0,77 implique un angle par rapport au plan du ciel de ≈40°. La distance physique entre les deux noyaux est alors de ≈15 kpc. 

Les astrophysiciens utilisent alors la géométrie déprojetée pour estimer Δ t , le temps écoulé depuis la collision. La différence de vitesse radiale déprojetée entre les côtés SE et NO du système est d'environ 260 km s-1, et pour une séparation déprojetée de 15 kpc, ils obtiennent Δ t  ∼ 50 Mégannées. Cet intervalle de temps est cohérent avec les échelles de temps typiques pour la formation d'anneaux de collision dans les simulations. 

Dans le contexte du modèle d'effondrement direct, le temps écoulé donne une estimation approximative de la masse initiale du trou noir supermassif. Pour une efficacité radiative standard de η  ≈ 0,1, un trou noir qui accrète au taux d'Eddington augmente sa masse d'un facteur d'environ 3 sur 50 Mégannées. Pour une masse actuelle de 1 million de M⊙, cela donne une masse initiale d'environ 300 000 M ⊙. 

L'hypothèse selon laquelle des trous noirs peuvent se former tardivement dans des galaxies en interaction n'est pas nouvelle ; par exemple, K. Schawinski et al. ont suggéré en 2011 que la présence de plusieurs AGN dans une galaxie agglomérée à z = 1,35 pourrait être due à une formation in situ et à un ensemencement tardif. Le trou noir actif de la galaxie se distingue de deux manières importantes : il constitue peut-être l'exemple le plus clair à ce jour d'un trou noir supermassif situé en dehors d'un noyau de galaxie, et le mécanisme spécifique proposé pour sa formation peut être testé par des simulations et des observations complémentaires.

La collision frontale de galaxies peut être simulée avec de fortes contraintes observationnelles sur les conditions post-collision (telles que la position des noyaux, la morphologie des anneaux, la localisation et la morphologie du gaz, et les vitesses radiales observées). Il se pourrait qu'une analyse approfondie des conditions physiques dans les nuages en collision démontre que les trous noirs supermassifs ne peuvent pas se former dans ce scénario. Dans ce cas, nous observerions probablement la réinflammation d'un trou noir supermassif errant ou éjecté lors de son passage à travers le gaz dans les régions centrales de la galaxie . Mais s'il s'avère possible de former des trous noirs supermassifs dans ce type de collision galactique, nous en apprendrons beaucoup sur le processus grâce à cet objet singulier. Par exemple, il se pourrait que l'effondrement soit hiérarchique, avec des fusions d'étoiles massives conduisant à la formation de trous noirs de masse intermédiaire et de multiples trous noirs de masse intermédiaire fusionnant pour former le trou noir que nous détectons actuellement. 

D'autres tests proviendront bien sûr d'observations. La spectroscopie exploité dans cette étude est limitée dans sa résolution spatiale et ne couvre pas les principales raies d'émission optique Hα , [N II ] et [S II ]. Ces raies sont inaccessibles depuis le sol en raison de l'absorption de H2O dans notre atmosphère, mais elles peuvent être observées avec le télescope Webb. Avec NIRSPEC, la présence du gaz émettant des raies entre les noyaux pourrait être confirmée, les vitesses radiales des noyaux pourraient être mesurées directement et la transition prédite entre la photoionisation près du trou noir et l'ionisation par choc plus loin pourrait aussi être observée. De plus, tout décalage de vitesse radiale entre le trou noir et le gaz environnant pourrait être mesuré avec précision. La preuve la plus convaincante d'un effondrement gravitationnel incontrôlable au sein de ce gaz serait l'observation de l'absence de décalage : cela serait difficile à concilier avec un trou noir errant ou éjecté qui possède une vitesse non négligeable, et c'est une prédiction du modèle de formation in situ.

Si le scénario proposé est confirmé, la galaxie fournit une démonstration empirique que la formation de trous noirs supermassifs par effondrement direct peut se produire dans les bonnes circonstances – quelque chose qui n'a jusqu'à présent été vu que dans des simulations et par des observations indirectes...


Source

The ∞ Galaxy: A Candidate Direct-collapse Supermassive Black Hole between Two Massive, Ringed Nuclei

Pieter van Dokkum, et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 988, Number 1 (15 july 2025)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/addcfe


Illustrations

1. Schéma du scénario proposé pour la formation du trou noir supermassif au centre du système (Van Dokkum et al.)

2. La galaxie imagée avec Webb (Van Dokkum et al.)


04/07/25

Découverte d'une explosion de naine blanche en dessous de la limite de Chandrasekhar


Les supernovas de type Ia jouent un rôle fondamental en tant que "chandelles standard" pour étudier l’accélération apparente de l’expansion de l’Univers et pour mesurer son taux actuel. Le principe de chandelle standard repose en grande partie sur le fait que les supernovas de type Ia, l’explosion thermonucléaire d’une étoile naine blanche, survient toujours lorsque la naine blanche atteint la masse critique de Chandrasekhar (1,4 masses solaires) par apport de masse externe. Mais une nouvelle observation d’un jeune résidu de supernova indique que l’explosion a eu lieu bien en dessous de 1,4 masses solaires… Et si les supernovas de types Ia n’étaient pas les chandelles standard que l’on croit ? L’étude est parue dans Nature Astronomy.

Malgré leur importance capitale, la compréhension complète des systèmes progéniteurs des supernovas Ia et de leur mécanisme de déclenchement reste un problème fondamental encore aujourd’hui. Dans une naine blanche composée de carbone et d'oxygène et approchant la masse de Chandrasekhar, l'augmentation de la densité centrale déclenche inévitablement une combustion nucléaire. La masse d'explosion presque constante que fournit le modèle d'explosion à la masse de Chandrasekhar était une explication de l'homogénéité attribuée aux supernovas de type Ia. Mais des données d'observation de plus en plus nombreuses remettent en question la notion d'homogénéité des supernovas de type Ia, et une masse fixe semble même problématique pour reproduire la relation largeur spectrale-luminosité, qui est vitale pour calibrer les supernovas de type Ia en tant qu'indicateurs de distance cosmologique.

En fait, il apparaît que la relation largeur-luminosité s'explique plus naturellement par une masse variable des naines blanches et qui serait inférieure à la limite de Chandrasekhar. En outre, la capacité de faire croître les naines blanches jusqu'à la masse de Chandrasekhar limite les paramètres du système binaire progéniteur à une gamme étroite, de sorte que le taux de supernovas de type Ia qui est observé aujourd’hui est difficile à concilier avec le nombre attendu de systèmes compatibles avec le scénario d'explosion à la masse de Chandrasekhar. Il faut donc envisager d'autres scénarios impliquant des explosions d'étoiles naines blanches carbone-oxygène bien en deçà de la limite de Chandrasekhar.

La collision frontale de deux naines blanches peut sembler prometteuse pour produire des explosions de supernovas de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar, mais ce scénario n'est pas privilégié par les astrophysiciens car les taux d'occurrence prévus sont trop faibles. Le scénario actuellement le plus prometteur pour l'explosion d’une naine blanche de masse inférieure à 1,4 masses solaire, c’est celui dit de la « double détonation ». Dans ce scénario, une naine blanche carbone-oxygène recueille de la matière riche en hélium provenant d'une compagne (d'une étoile à hélium ou d'une autre naine blanche riche en hélium, ou de la fine couche d'hélium préexistante au sommet d'une naine blanche carbone-oxygène lors d'événements de fusion). Dans cette couche d'hélium, une détonation thermonucléaire est déclenchée soit par un chauffage par compression lorsque la couche d'hélium devient suffisamment massive, soit par des instabilités dynamiques. Cette première détonation se propage ensuite à travers la fine couche d'hélium et provoque une onde de choc dans le noyau carbone-oxygène, où elle se concentre sphériquement dans un petit volume. La compression et l'échauffement du cœur de carbone-oxygène déclenchent une seconde détonation dans le cœur et font exploser complètement la naine blanche de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar.

Bien que de nombreuses simulations indiquent que le mécanisme de double détonation est possible, elles n'ont pas encore permis de déterminer les échelles spatiales sur lesquelles la détonation primaire de l'hélium doit apparaître. Même si elles sont incapables de déterminer les détails de l'allumage des détonations nécessaires, ces simulations fournissent tout de même des informations essentielles sur la structure, la morphologie et les spectres précoces d'une supernova de type Ia à double détonation.

En termes de nucléosynthèse par double détonation, les explosions dans le noyau de carbone-oxygène et dans la couche externe riche en hélium donnent des produits qualitativement différents. En effet, le type de combustible (carbone-oxygène ou hélium) et les densités (densité plus élevée dans le cœur et plus faible dans la couche externe) diffèrent considérablement, d'environ deux ordres de grandeur. Dans le cœur, la densité du combustible est le paramètre clé qui détermine l'issue de la combustion nucléaire explosive. Pour les densités supérieures à 7 × 106 g cm-3, la combustion est presque complète et les éléments du groupe du fer, en particulier le noyau radioactif 56Ni, dominent les rendements de la nucléosynthèse. Aux densités « intermédiaires », plus éloignées du centre du noyau, l'échelle de temps de la fusion nucléaire devient de plus en plus longue et l'expansion rapide de la supernova conduit à un gel des réactions nucléaires avant que la combustion en éléments du groupe du fer ne soit achevée. En conséquence, la synthèse d'éléments de masse intermédiaire domine dans ces régions, les éléments intermédiaires les plus lourds comme le calcium étant relativement plus abondants à l'intérieur et les éléments les plus légers comme le silicium ou le soufre devenant relativement plus abondants à mesure que la densité du combustible diminue vers l'extérieur. Finalement, la densité devient trop faible (3 × 106 g cm-3) pour que l'oxygène puisse brûler et seul le carbone continue à brûler pour donner des éléments légers comme l'oxygène, le néon et le magnésium. Une structure en couches se forme dans le résidu.

À des densités encore plus faibles, la composition du combustible change rapidement, là où commence la couche d'hélium. Il faut rappeler qu'en raison de sa barrière de Coulomb plus faible, l'hélium 4 est plus réactif et que des détonations dans l'hélium sont possibles jusqu'à des densités beaucoup plus faibles. Comme dans le cas du noyau carbone-oxygène, les détonations à enveloppe d'hélium produisent une progression en couches radiales de la masse atomique des produits de combustion, les éléments les plus lourds comme le chrome, le fer ou le nickel étant synthétisés de préférence dans les parties internes et plus denses de l'enveloppe d'hélium ; les éléments plus légers comme l'hélium non brûlé, le carbone ou l'oxygène se trouvent dans les parties externes et moins denses de l'enveloppe d'hélium, et les éléments de masse intermédiaire comme le silicium ou le soufre se trouvent entre les deux.

Compte tenu de ces modélisations des signatures nucléosynthétiques du noyau de CO et de la coquille d'He, les modèles de double détonation prévoient notamment  que le calcium soit concentré dans deux couches distinctes : une couche interne provenant de la région du noyau, correspondant à la combustion incomplète de la détonation de CO (à des densités de combustible de l'ordre de quelques 106 g cm-3), et une couche externe correspondant à la détonation de l'He (à des densités de combustible de l'ordre de quelques 106 g cm-3). Cette couche externe doit avoir une vitesse plus élevée dans l'éjecta de l'explosion en expansion, correspondant à la base de la coquille de He. Les modèles d'explosion de Collins et al. prédisent une telle morphologie de double coquille de Calcium, avec des éléments de masse intermédiaire plus légers que Ca, tels que S ou Si, situés entre les deux coquilles.

Alors que les simulations numériques ne peuvent à elles seules confirmer que le mécanisme de double détonation existe dans la nature, une observation confirmée de la structure à deux coquilles révélatrice fournirait une preuve directe de son fonctionnement dans les supernovas de type Ia.

À ce jour, la supernova SN 2018byg est largement reconnue comme l'un des cas les plus convaincants liant le mécanisme de double détonation à une explosion de supernova de type Ia et est mieux expliquée par un modèle qui incorpore une couche d'hélium plutôt massive.

En raison de la petite taille angulaire aux premiers instants de la supernova, la structure unique de l'« empreinte » du Ca (la morphologie à double coquille) reste spatialement non résolue aux époques proches du pic de luminosité (15 à 20 jours après l'explosion), c'est pourquoi toute déduction d'une structure d'éjecta à double coquille à partir d'observations à ces phases dépend fortement de l'interprétation des caractéristiques spectrales.

Heureusement, ces caractéristiques changent avec le temps, car la supernova se dilate continuellement. Priyam Das (University of New South Wales,  Australie) et ses collaborateurs se sont intéressés à un jeune résidu de supoernova de type Ia situé dans le Grand Nuage de Magellan qui est nommé SNR 0509-67. Ils ont réussi l'exploit de prendre un instantané spatialement résolu d'une double coquille de calcium présente dans le résidu de supernova, grâce à l'instrument MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer) du Very Large Telescope. Il leur aura fallu une pose totale de 29 h 15 min sur 39 nuits réparties entre novembre 2019 et février 2021. 

La morphologie à double coquille qu'ils ont observée est constituée de calcium hautement ionisé [Ca XV] et ils ont également isolé une coquille unique de soufre ionisé [S XII], qui est observée dans l'éjecta à chocs inversés. L'analyse des chercheurs révèle que la coquille externe de calcium provient de la détonation de l'hélium à la base de l'enveloppe externe, tandis que la coquille interne est associée à la détonation du noyau carbone-oxygène. Cette distribution morphologique d'éléments intermédiaires correspond qualitativement à la signature prédite de la double détonation d'une naine blanche de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar par les simulations d'explosions hydrodynamiques. Comme les observations de Das et ses collaborateurs révèlent deux pics distincts et spatialement séparés dans la luminosité de surface de [Ca XV], cela fournit des preuves substantielles que des explosions de naines blanches de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar par le mécanisme de double détonation peuvent bel et bien se produire dans la nature. 

Cette preuve implique que certaines supernovas Ia de type 1991T s'expliquent de manière plausible par des doubles détonations de naines blanches de masse inférieure à celle de Chandrasekhar. Les chercheurs précisent que le modèle d'explosion à double détonation de masse la plus élevée prédite par Gronow et al. en 2021 a produit 0,84 M⊙ de 56Ni, ce qui se situe dans la plage prédite pour les supernovas Ia de type 1991T. Par ailleurs, des observations récentes de SN 2022joj et SN 2020eyj suggèrent la possibilité d'un événement de type 1991T à partir de la double détonation d'une naine blanche CO. Et d'autres analyses d'observations de SN 2020eyj qui montre des preuves de matière circumstellaire riche en hélium, ont également pointé l'année dernière vers le mécanisme de double détonation.

Malgré les capacités de simulation tridimensionnelle limitées et le fait qu'à ce jour, aucun modèle d'explosion ne puisse expliquer de manière adéquate les supernovas Ia de type 1991T, les récentes simulations de transfert radiatif qui intègrent la physique de l'équilibre thermodynamique non local sont plus prometteuses. Il a notamment été rapporté récemment que les éléments lourds dans des états d'ionisation plus élevés devaient réduire les effets d'absorption, ce qui permettrait à une plus large gamme de masses de couches d'He de mieux concorder avec les spectres des supernovas Ia observées.

De récentes simulations multidimensionnelles de double détonation montrent aussi que, dans le scénario de la fusion de naines blanches, en plus de la naine blanche primaire subissant une double détonation, la naine blanche compagne peut elle aussi également subir une double détonation  lorsqu'elle est impactée par les éjectas de la naine blanche primaire en explosion. Cela résulte donc en une « quadruple détonation » dans le système. Une telle double double détonation pourrait également conduire à la structure à double coquille observée du calcium selon les chercheurs.

Bien qu'ils ne soient actuellement pas en mesure de différencier de manière concluante les différentes variantes de doubles détonations, Das et ses collaborateurs avec leur découverte peuvent dire avec assurance qu’une certaine forme de double détonation conduit bien à des supernovas de type Ia, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur l'idée de les utiliser comme des chandelles standard...


Source

Calcium in a supernova remnant as a fingerprint of a sub-Chandrasekhar-mass explosion

Priyam Das, et al.

Nature Astronomy (2 juillet 2025)

https://doi.org/10.1038/s41550-025-02589-5


Illustrations

1. Image du résidu SNR 0509-67 obtenue avec le VLT (ESO)

2. Priyam Das

29/06/25

Découverte d'un mini halo radio dans un amas de galaxie distant de 10 milliards d'années-lumière

Une équipe d'astrophysiciens a découvert un halo radio situé à 10 milliards d'années-lumière, il révèle que les amas de galaxies de l'univers primordial étaient déjà imprégnés de particules de haute énergie. Cette découverte suggère une activité ancienne de trous noirs ou bien des collisions de particules cosmiques énergétiques. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

Ces vastes nuages de particules énergétiques sont appelés des « mini halos ». Ils entourent généralement des amas de galaxies. Celui que Julie Hlavacek-Larrondo (université de Montréal) et ses collaborateurs internationaux ont découvert est le plus éloigné jamais observé : 10 milliards d'années-lumière, doublant le précédent record.

Cette découverte démontre que des amas de galaxies, parmi les plus grandes structures de l’univers, ont été immergés dans des particules de haute énergie pendant la majeure partie de leur existence. Un tel mini-halo est constitué de particules chargées et hautement énergétiques dans le vide entre les galaxies d'un amas, qui émettent ensemble des ondes radio qui peuvent être détectées depuis la Terre. Les résultats montrent que même dans l'univers primitif, les amas de galaxies étaient déjà façonnés par des processus énergétiques.

Les chercheurs ont analysé les données du radiotélescope Low Frequency Array (LOFAR), un vaste réseau de plus de 100 000 petites antennes couvrant huit pays européens, dans la bande de fréquences entre 120 et 168 MHz.

En étudiant l'amas de galaxies nommé SpARCS 1049+5640, qui est l'amas de galaxies à cœur froid le plus éloigné identifié à ce jour (z=1,7), ils ont détecté un signal radio faible et étendu et ont déterminé qu'il ne provenait pas de galaxies individuelles, mais d'une vaste région remplie de particules de haute énergie et de champs magnétiques. La zone s'étend sur plus d'un million d'années-lumière et les chercheurs montrent que l'émission radio diffuse coïncide spatialement avec l'émission X du milieu chaud intra-amas. Il possède une puissance radio de 49,8 1024 W.Hz-1, présentant des similitudes frappantes avec les minihalos radio à faible décalage vers le rouge. Cette découverte double le record de décalage vers le rouge des minihalos précédemment connus. Selon Hlavacek-Larrondo et ses collaborateurs, cette découverte remet en question les modèles de pertes par processus Compton inverse et indique la présence de champs magnétiques intenses, d'une turbulence accrue dans les amas à fort décalage vers le rouge, ou bien de processus hadroniques actifs nécessitant un rapport énergie des rayons cosmiques / énergie thermique de 0,07 sur une distance de 200 kpc. 

Cela implique en outre que les champs magnétiques sont efficacement amplifiés jusqu'à 10 µG dans un volume de 1 Mpc3 pendant l'époque de formation des amas avant z=2. 

Selon Hlavacek-Larrondo et ses collaborateurs, il y a deux explications probables derrière la formation de ce mini-halo.

La première met en scène des trous noirs supermassifs au cœur des galaxies de l'amas, qui sont capables d'éjecter des flux de particules de haute énergie dans le milieu intergalactique. Mais cette hypothèse se heurte à la question de savoir comment ces particules pourraient s'éloigner du trou noir pour créer un nuage de particules aussi gigantesque, tout en conservant une telle quantité d'énergie.

La deuxième explication fait intervenir des collisions de particules cosmiques. Il s'agit de collisions de particules chargées au sein du plasma chaud de l'amas de galaxies à des vitesses proches de celles de la lumière, interagissant entre elles pour former des particules hautement énergétiques qui émettent au final des ondes radio par effet Synchrotron dans les champs magnétiques.

Étant donné la nature de cet amas (sa masse élevée pour son décalage vers le rouge, ses caractéristiques de noyau froid prononcé et le fait que le noyau froid soit déplacé par rapport à la BCG (la galaxie la plus brillante de l'amas), il n'est peut-être pas surprenant de détecter une telle structure dans ce système, pour les astrophysiciens qui ont fait cette découverte. Ils ajoutent dans la conclusion de leur article  que leurs résultats suggèrent que de telles structures pourraient s'être formées très tôt dans la vie des amas de galaxies. Et donc, cela implique que des particules relativistes et des champs magnétiques puissants étaient déjà présents dès z∼1.7 (c'est-à-dire quand l'Univers n'était âgé que de 3,8 Gigannées), et que des processus de réaccélération ou des mécanismes hadroniques étaient actifs à l'époque de la formation des amas. 

Par conséquent, les amas de galaxies, y compris leurs progéniteurs (les proto-amas), pourraient avoir été immergés dans des particules relativistes pendant la majeure partie de leur existence. Cet environnement pourrait influencer les galaxies qui y résident, et potentiellement façonner leur évolution. Cette étude apporte ainsi de nouvelles perspectives sur l'évolution des structures à grande échelle et le rôle de l'émission radio diffuse au cours du temps cosmique.

L'avènement d'installations de nouvelle génération, notamment les relevés à haute sensibilité et haute résolution du SKA et du ngVLA, fera sans aucun doute progresser ce domaine, permettant l'exploration de ces phénomènes avec une précision sans précédent.


Source

Discovery of Diffuse Radio Emission in a Massive z = 1.709 Cool Core Cluster: A Candidate Radio Mini-Halo

Julie Hlavacek-Larrondo et al.

à paraître dans The Astrophysical Journal Letters


Illustrations

1. L'amas SpARCS 1049+5640 et son mini halo imagés dans différentes longueurs d'ondes (visible, rayons X et radio) (HLavacek-Larrondo et al.)

2. Julie Hlavacek-Larrondo 


22/06/25

Détection directe en rayons X d'un filament de gaz intergalactique chaud (WHIM)


Des astronomes ont découvert un immense filament de gaz chaud reliant quatre amas de galaxies au sein du superamas de Shapley. Dix fois plus massif que notre galaxie, ce filament apparaît contenir une partie de la matière baryonique « manquante » de l'Univers, confirmant les prédictions des simulations cosmologiques qui allaient dans ce sens. Ils publient leur découverte dans Astronomy&Astrophysics.

On rappelle que, aujourd'hui, plus d'un tiers de la matière normale de l'Univers local manque à l'appel. Elle n'a pas encore été observée, mais elle est nécessaire au bon fonctionnement du modèle cosmologique. Le modèle standard suggère que cette matière insaisissable pourrait exister sous forme de longs filaments de gaz chaud, reliant les groupes d'amas qu'on appelle le WHIM (Warm <hot Intergalactic Medium). Ce dernier présente une faible luminosité de surface et une émission de rayons X mous, ce qui le rend difficile à détecter. Jusqu'à présent, l'émission X du WHIM n'a ​​été détectée que dans un très petit nombre de filaments individuels, tandis que c'est dans un nombre encore plus restreint de filaments, que le WHIM a pu être analysé par spectroscopie.

Konstantinos Migkas (Université de Leiden) et  ses collaborateurs ont utilisé les télescopes spatiaux à rayons X XMM-Newton de l'ESA et Suzaku de la JAXA pour caractériser un tel filament de gaz chaud qui relie deux paires d'amas de galaxies entre eux : A3530/32 et A3528-N/S. Ils ont utilisé XMM-Newton pour rendre compte de manière robuste des sources ponctuelles dans le filament, que Suzaku ne parvient pas à détecter en raison de sa faible résolution angulaire, et pour caractériser complètement les amas voisins et leur contamination du signal dans la région du filament (par exemple des trous noirs supermassifs en arrière plan ou en avant plan). 

Migkas et ses collaborateurs ont ainsi produit l'imagerie directe et la détection spectroscopique de l'émission thermique étendue du WHIM de ce filament unique. Leur analyse confirme l'existence d'une émission de rayons X supplémentaire de 21±3 % dans tout le filament par rapport au fond du ciel à un niveau statistique de 6,1 σ . Les chercheurs parviennent à contraindre la température du gaz du filament, la densité électronique et la surdensité baryonique à respectivement  kT ≈ 0,8−1,1 keV (soit plus de 10 millions de K), ne ≈10-5 électrons.cm-3 et δb ≈ 30−40, respectivement, ce qui est en accord avec les simulations cosmologiques, et ce pour  pour la première fois pour un filament unique. Indépendamment de l'analyse des rayons X, les astrophysiciens identifient également une surdensité de galaxies dans tout le filament grâce à la base de données de vitesse du superamas de Shapley et peuvent limiter la longueur 3D du filament à 7,2 Mpc, avec un angle de 53° avec le plan du ciel. Il s'agit de la première détection spectroscopique en rayons X d'une émission du WHIM "pur" provenant d'un filament individuel et intact, sans contamination significative provenant de sources ponctuelles non résolues.

La détection de l'émission du WHIM des filaments cosmiques est essentielle pour résoudre le problème des baryons manquants et mieux comprendre la structure à grande échelle. Mais très peu d'études ont rapporté une détection par rayons X de l'émission provenant de filaments individuels, et encore moins d'études ont analysé l'émission WHIM spectralement. Dans cette étude, les chercheurs ont détecté sans ambiguïté un filament cosmique de 7,2 Mpc de long par imagerie et analyse spectroscopique. Ce filament avait été récemment découvert grâce à sa surdensité optique de galaxies par Aghanim et al. (2024).

Les quatre amas ont des masses intermédiaires d'environ 200 000 milliards de masses solaires. La masse totale de gaz du filament est d'environ 12 000 milliards  M⊙ . Les résultats de Migkas et al. concordent bien avec les propriétés thermodynamiques des filaments telles que prédites par les simulations cosmologiques de la structure à grande échelle. Mais des études antérieures avaient rapporté un δb environ 5 fois plus élevé pour d'autres filaments. Les chercheurs précisent que cette différence peut provenir du fait que leur méthodologie détaillée permet d'éliminer efficacement la contamination de l'émission de type AGN, ce qui a permis de retracer l'émission WHIM provenant uniquement du filament vierge, alors que les études précédentes auraient pu être davantage affectées par l'émission résiduelle des halos et des sources ponctuelles. Et cela pourrait les avoir conduits à surestimer la densité du gaz filamentaire.

En conclusion, Migkas et ses collaborateurs avertissent que, lorsque seules les données Suzaku sont utilisées (sans résoudre toutes les autres sources dans l'ensemble du filament), les propriétés du gaz sont significativement affectées et cela biaise les résultats finaux. C'est grâce à l'ajout des données X profondes de haute qualité, comme celles de XMM-Newton qu'ils ont pu caractériser le WHIM de manière robuste.

Les "baryons manquants" ne sont désormais plus manquants. 


Source

Detection of pure warm-hot intergalactic medium emission from a 7.2 Mpc long filament in the Shapley supercluster using X-ray spectroscopy

K. Migkas et al.

A&A, 698, A270 (19 June 2025)

Illustrations

1. Le filament de gaz chaud détecté entre les quatre amas de galaxies (Migkas et al.)
2. Konstantinos Migkas


15/06/25

Découverte d'une planète géante en orbite autour d'une étoile naine via son transit


Les modèles de formation planétaire indiquent que la formation de planètes géantes est beaucoup plus difficile autour des étoiles de faible masse en raison de l'échelle des masses du disque protoplanétaire avec la masse stellaire. Mais pourtant, une équipe d'astrophysiciens vient de découvrir une planète de 53 masses terrestres en orbite autour d'une étoile de 0,2 masses solaires. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

Cette planète est nommée TOI-6894 b, elle a la particularité de produire un transit très profond sur la lumière de son étoile (17%), ce qui en fait une des géantes exoplanétaires les plus accessibles pour les observations de caractérisation atmosphérique, qui sont essentielles pour interpréter pleinement l'histoire de la formation de ce système remarquable, et aussi pour l'étude de la chimie du méthane atmosphérique. Grâce à la caractérisation de la courbe de lumière lors des transits, les chercheurs déduisent la masse et le rayon de la planète. Sa masse exacte est de 53,4 ± 7,1  M⊕, ou si on préfère 0,168 ± 0,022  M J, pour un rayon de 0,855 ± 0,022  R J.  TOI-6894 b orbite autour de son étoile hôte avec une période de 3,37 jours et son excentricité orbitale est de 0,029 ± 0,030.

Des exoplanètes géantes on en connaît, oui, mais des planètes géantes autour d'étoiles très petites, c'est une nouveauté. Les modèles de formation de planètes par accrétion du noyau prédisent que la capacité à former une planète géante est proportionnelle à la masse de l'étoile hôte. Ceci est principalement dû au fait que ces modèles imposent qu'une grande quantité de matière solide dans les disques protoplanétaires est nécessaire à la formation de planètes géantes et que les observations ont démontré que la masse de matière solide dans un disque protoplanétaire est proportionnelle à la masse de l'étoile. Par conséquent, on s'attend à ce que les étoiles moins massives que le Soleil forment moins de planètes géantes. En fait, plusieurs études récentes ont même prédit que les étoiles de très faible masse (M ≤ 0,3  M⊙ ) ne seraient pas capables de former des planètes géantes... 

La découverte d'exoplanètes orbitant autour d'étoiles sensiblement moins massives que le Soleil et la détermination de leur fréquence d'apparition constituent donc des tests cruciaux de la formation de planètes géantes. Les études existantes ont montré que les planètes géantes doivent être très rares autour des étoiles naines M moyennes à tardives, mais n'ont pas permis de fournir de mesures fiables de leur taux d'apparition.

C'est pour tester les prédictions des théories de formation de planètes géantes que Edward M. Bryant (University College, Londres) et ses collaborateurs  ont mené une étude utilisant les données photométriques du satellite TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) pour rechercher des planètes géantes transitant devant des étoiles hôtes de faible masse. 

L'étoile TOI-6894, qui a une masse de seulement 0,207 masses solaires  a été initialement observée par TESS du 18 février au 18 mars 2020 à une cadence de 30 min. Un signal de planète candidate en transit avec une période de 3,37 jours a été signalé par Nguyen et al. en 2022 et a ensuite été identifié indépendamment par la Bryant et al l'année suivante. Ensuite, une surveillance plus fine par TESS, tout d'abord à une cadence de 10 min du 6 novembre au 30 décembre 2021 et du 26 février au 26 mars 2022 puis à une cadence de 2 min du 11 novembre au 7 décembre 2023, a confirmé la présence du signal de transit et l'a révélé comme une planète candidate probable. 

Bryant et ses collègues ont ensuite collecté un spectre proche infrarouge à moyenne résolution de l'étoile hôte en utilisant le spectromètre monté sur le télescope Magellan pour aider à la caractérisation stellaire et fournir une mesure de la métallicité. Des observations spectroscopiques à haute résolution obtenues en utilisant le spectrographe ESPRESSO au Very Large Telescope ont également été ajoutées et ont fourni la variation de la vitesse radiale stellaire à une période orbitale et une phase qui étaient cohérentes avec le signal de transit. Les chercheurs ont poursuivi avec d'autres observations spectroscopiques, cette fois  avec le spectrographe SPIRou (Spectropolarimètre Infrarouge) du télescope Canada-France-Hawaï (CFHT), qui ont permis de corroborer ce signal. Ils confirment ainsi  la nature planétaire pour le corps en transit. et ont pu déterminer que la gravité de surface du corps était de 5,73 ± 0,71 m s−2 , ce qui est cohérent avec un objet de masse planétaire.

Quant à l'étoile hôte, Bryant et ses collaborateurs montrent que TOI-6894 est une étoile naine M avec un rayon de 0,2276 ± 0,0057  R⊙ et une masse de 0,207 ± 0,011  M⊙ , ce qui est une masse très faible pour héberger une planète géante, en particulier dans le contexte de la population connue de planètes géantes. La basse température de l'étoile ( T eff  = 3 007 ± 58 K) fait que la planète TOI-6894 b a une température d'équilibre relativement froide de seulement 417,9 ± 8,6 K, en supposant un albédo A  = 0,1 et une redistribution efficace de la chaleur. 

TOI-6894 b a une masse de 0,168 M J , soit un peu plus de la moitié de la masse de Saturne, et un rayon de 0,855 R J , soit un peu plus grand que celui de Saturne. L'analyse révèle donc que TOI-6894 b est une planète géante de faible densité. 

Pour compléter la caractérisation de cette exoplanète hors-norme, Bryant et son équipe ont modélisé sa structure intérieure. Ils ont calculé la valeur de sa fraction massique métallique (la fraction de la masse totale de la planète qui n'est ni de l'hydrogène ni de l'hélium), elle vaut 0,23 ± 0,02. À partir de la métallicité stellaire mesurée de 0,142 ± 0,087, ils trouvent que la planète est enrichie en métaux par rapport à son étoile hôte, avec une fraction massique métallique un facteur 12 plus élevé. En termes de masse, cela donne une teneur massique en métaux pour TOI-6894 b de 12 ± 2  M⊕.

TOI-6894 b rejoint donc une population émergente de planètes géantes autour d'étoiles de faible masse découvertes grâce aux mesures de vitesse radiale, elles sont au nombre de 4 : LHS 3154 b, GJ 3512 b , GJ 3512 c, et TZ Ari b, et dont la présence pose de sérieux défis aux théories de formation actuelles. En particulier, le modèle d'accrétion du noyau, l'un des principaux mécanismes actuels de formation des planètes géantes, peine à former des planètes avec des masses supérieures à 30 M⊕ autour des étoiles de faible masse. La vision classique de la formation des planètes géantes par accrétion du noyau nécessite la formation d'un noyau massif, qui déclenche ensuite une phase d'accrétion de gaz incontrôlable. Les principaux obstacles à la formation de ces planètes sont la quantité limitée de matière solide dans le disque protoplanétaire avec laquelle former un noyau suffisamment massif. Car les étoiles de plus faible masse abritent en général des disques de plus faible masse, ainsi que les échelles de temps képlériennes plus longues autour de ces étoiles, ce qui inhibe la capacité de former un noyau suffisamment massif avant la dispersion du disque de gaz.

Mais, selon les chercheurs, il est possible que, avec une masse inférieure à celle de Saturne, TOI-6894 b n'ait pas eu besoin de subir une phase d'accrétion de gaz incontrôlable. Des études récentes ont en effet suggéré que les planètes de masse inférieure à celle de Saturne ont commencé leur formation par un processus d'accrétion du noyau, mais n'ont pas subi d'accrétion de gaz incontrôlable. Au lieu de cela, une phase intermédiaire d'accrétion d'éléments lourds peut se produire, accompagnée d'une accrétion régulière de gaz sur la protoplanète en formation. Un tel mécanisme pourrait fournir une voie plausible pour la formation de TOI-6894 b sans nécessiter de formation rapide du noyau ou de phase d'accrétion de gaz incontrôlable.

Une voie alternative pour la formation de planètes massives est la formation directe par condensation à partir d'un disque gravitationnellement instable. Ce mécanisme s'est avéré capable de former des planètes massives autour d'étoiles de faible masse, par exemple la planète GJ 3512b. Mais les simulations fournissent des conclusions divergentes sur la faisabilité de la formation d'une planète comme TOI-6894 b. En effet, un ensemble de simulations de formation de planètes autour d'étoiles de faible masse a produit seulement des planètes très massives avec des masses ≥ 2  MJ, indiquant que TOI-6894 b n'aurait pas pu se former par ce mécanisme. Et inversement, une autre série de simulations a démontré que ce mécanisme pouvait former des exoplanètes avec des masses dans la gamme de 0,1 à 0,3  MJ autour de protoétoiles de 0,2 M⊙, indiquant que ce mécanisme serait une voie de formation plausible pour TOI-6894 b. Les auteurs de la deuxième étude précisent en outre que les conditions initiales supposées pour les disques protoplanétaires étaient très différentes dans les deux séries de simulations... Donc, pour Bryant et ses collaborateurs, ce mécanisme reste une voie de formation plausible pour TOI-6894 b, même si des informations complémentaires sur la nature des disques protoplanétaires seront nécessaires avant de pouvoir interpréter pleinement sa formation par ce mécanisme.

Un obstacle potentiel à l'explication de la formation de TOI-6894 b par instabilité gravitationnelle provient de simulations de synthèse de planètes de 2017, qui n'ont formé aucune planète avec une masse de noyau supérieure à 5  M⊕ . C'est significativement inférieur à la teneur en masse métallique de 12 ± 2  M ⊕ de TOI-6894 b. Mais ces simulations n'ont pas pris en compte l'accrétion ultérieure de solides sur les fragments formés, et donc elles sous-estiment la teneur en masse métallique finale des planètes. Selon les astrophysiciens, il est également possible qu'une fraction substantielle des constituants métalliques de TOI-6894 b soit présente dans son atmosphère et ait été délivrée par la capture de planétésimaux par la protoplanète. Une telle dispersion de la teneur en métal dans TOI-6894 b réconcilierait la nature de la planète avec une formation potentielle par instabilité gravitationnelle. 

Les chercheurs indiquent que la température d'équilibre de la planète en fait un objet intermédiaire entre les Jupiters chauds qui sont largement observés, et les géantes gazeuses froides de notre propre système solaire, à savoir Jupiter et Saturne. Sur la base de son irradiation stellaire, on s'attend à ce que l'atmosphère planétaire soit dominée par la chimie du méthane. Ce fait seul ferait de TOI-6894 b une découverte très précieuse, car peu de descriptions de tels exemples ont été publiées, mais ce qui la rend vraiment spéciale par rapport aux objets précédemment étudiés tels que WASP-80 b, c'est la combinaison de son étoile hôte particulièrement petite, de sa courte période orbitale et de sa faible densité planétaire pour sa température d'équilibre froide. 

Les modèles atmosphériques avec et sans nuages ​​révèlent que les caractéristiques spectroscopiques dans les spectres de transmission et d'émission pour TOI-6894 b ont des amplitudes attendues supérieures aux transits primaires de nombreuses planètes. La détection de caractéristiques spectrales, la détermination de la présence de nuages ​​et la mesure de la métallicité atmosphérique sont possibles même avec des télescopes terrestres de taille moyenne ou à partir d'une seule observation de transit avec le télescope spatial Webb. TOI-6894 b sera donc très vite une exoplanète de référence dans l'étude des atmosphères dominées par le méthane.

Le système de TOI-6894 constitue donc maintenant une référence pour notre compréhension de la formation des planètes géantes et remet en question les théories actuelles, qui peinent à expliquer sa présence. Ce système se prête également très bien aux observations par spectroscopie de transmission, grâce auxquelles nous pourrons déterminer avec précision la composition atmosphérique et interne de TOI-6894 b. 

TOI-6894 se révèle être un système exoplanétaire clé pour déterminer l'histoire de la formation des planètes géantes, et en particulier celles dont les étoiles hôtes sont de plus faible masse.


Source

A transiting giant planet in orbit around a 0.2-solar-mass host star

Edward M. Bryant et al.

Nature Astronomy (4 june 2025)

https://doi.org/10.1038/s41550-025-02552-4


Illustration

1. Positionnement de TOI-6894 b dans le graphe (masse et rayon de planète en fonction de la masse de l'étoile hôte le contexte des planètes en transit connues) (Bryant et al.)

2. Edward Bryant

12/06/25

Le regroupement anormal des galaxies naines diffuses pointe vers la nature de la matière noire


Il est bien établi aujourd’hui que les galaxies les plus massives et les plus compactes ont tendance à se regrouper davantage spatialement que celles qui sont moins compactes. Ces résultats peuvent être compris en termes de formation des galaxies dans des halos de matière noire froide. Mais une équipe de chercheurs chinois vient de découvrir un comportement tout à fait inattendu et qui va dans le sens inverse concernant les galaxies naines. Moins les galaxies naines sont compactes, plus elles ont tendance à se regrouper ! Ils publient leur étude dans Nature.

Ziwen Zhang et ses collaborateurs ont mis en évidence un regroupement à grande échelle inattendu pour les galaxies naines isolées, diffuses et bleues, qui s’avère comparable à celui observé pour les groupes de galaxies massives, mais beaucoup plus fort que celui attendu en fonction de la masse de leur halo.

Leur analyse indique que le fort regroupement de ces galaxies diffuses pourrait être cohérent avec les simulations incluant la cosmologie standard ΛCDM mais seulement si plus de naines diffuses se seraient formées dans des halos de faible masse et d'âges plus élevés. Or, ce schéma n'est pas du tout reproduit par les modèles existants d'évolution des galaxies dans un cadre ΛCDM.

Les chercheurs chinois ont sélectionné leurs galaxies naines dans le catalogue de galaxies du Sloan Digital Sky Survey (SDSS) Data Release 7 (DR7). Ils n’ont pris en compte que les galaxies naines isolées, définies comme les centres des groupes de galaxies, afin d'éviter les complications liées aux galaxies satellites dans l'interprétation de leurs résultats. Ils ont également exclu les naines de couleur rouge et d'indice de Sérsic élevé, afin de pouvoir se concentrer sur les galaxies de « type tardif », dont on pensait jusqu'à présent qu'elles se formaient tardivement et qu'elles n'étaient que faiblement regroupées spatialement. Les naines ont été divisées en quatre échantillons en fonction de leur densité de masse surfacique (Σ*). Ils ont ensuite calculé les fonctions de corrélation croisée à deux points projetées (2PCCF), et en ont dérivé le biais relatif, qui est défini comme étant le rapport de la 2PCCF d'un échantillon avec celui des naines compactes (les galaxies naines qui ont les plus hautes valeurs de Σ*). Le biais relatif en fonction de Σ* montre clairement que le biais augmente avec la diminution de la densité de surface, contrairement à ce que l'on pense généralement. Pour les naines de plus faible Σ* (les naines diffuses), qu’on appelle aussi des galaxies ultradiffuses (UDG), le biais relatif est de 2.31, et indique une dépendance à Σ* à un niveau d'environ 7σ. Pour le deuxième échantillon avec Σ* le plus bas, le biais relatif est de 1.49, ce qui démontre que le déclin avec Σ* se voit sur toute la gamme de densité de surface couverte par l’échantillon. En d'autres termes : plus les galaxies ont une densité de surface Σ* faible, plus elles sont regroupées spatialement.

Zhang et ses collaborateurs rappellent que dans le paradigme actuel de la matière noire froide (CDM), plusieurs mécanismes ont été proposés pour la formation des naines diffuses. Les processus environnementaux tels que le chauffage par les marées, l'interaction entre galaxies et l'abaissement de la pression sont capables de rendre les galaxies naines plus diffuses. Mais ces mécanismes sont principalement efficaces dans les environnements de groupes et d'amas, bien que certaines simulations suggèrent que les environnements filamentaires pourraient également dépouiller les galaxies naines de leur gaz. Ces mécanismes devraient éliminer le gaz des galaxies naines et y étouffer la formation d'étoiles, produisant ainsi des naines rouges et pauvres en gaz observées dans les amas et les groupes de galaxies. Ils ne devraient pas être efficaces pour la formation des naines diffuses concernées ici, car ces naines résident dans des halos de faible masse, ont des couleurs bleues et possèdent des disques de gaz étendus.

Il a également été proposé que les naines diffuses soient produites dans des halos de spin élevé selon le modèle de formation des disques. Mais ce scénario ne peut pas expliquer le fort regroupement à grande échelle des naines diffuses. Alternativement, de multiples épisodes de rétroaction de supernovas peuvent déclencher des oscillations du potentiel gravitationnel, qui conduisent alors à l'expansion dans les parties internes des halos et à la formation de naines diffuses bleues. Un tel processus pourrait expliquer les résultats observés si son effet est plus fort dans les halos plus anciens. Mais, malheureusement, les simulations existantes suggèrent que l'effet est indépendant de l'âge et de la concentration des halos.

Zhang et ses collaborateurs n’en restent pas là. Ils montrent que ce phénomène de regroupement de galaxies naines diffuses pourrait être expliqué par l'hypothèse d'une matière noire qui peut interagir avec elle-même, ce qu’on appelle la matière noire de type SIDM (self interacting dark matter) : une matière noire qui n’interagit que très peu ou pas avec la matière baryonique ordinaire, mais qui pourrait interagir avec les autres particules de matière noire. Il faut se rappeler que modèle de la matière noire SIDM a également été proposé comme une solution prometteuse aux problèmes à petite échelle qui sont rencontrés par la matière noire de type CDM.

Les halos de SIDM devraient avoir la même histoire de formation et les mêmes regroupements à grande échelle que leurs homologues CDM, de sorte que le biais d'assemblage devrait également être le même, et avoir des densités centrales considérablement réduites en raison des collisions ultérieures des particules de matière noire. Comme la probabilité de collision entre les particules de matière noire augmente avec la densité et l'âge du halo, les halos plus anciens devraient posséder des noyaux plus grands et des densités centrales plus faibles. Ainsi, si les galaxies naines avec des Σ* plus faibles sont associées à des halos SIDM avec des noyaux plus grands (densités centrales plus faibles), une anticorrélation entre Σ* et le biais relatif est attendue. Ainsi, pour Zhang et al., le modèle SIDM combiné au biais d'assemblage fournit une explication plausible de la relation biais-Σ* qui est observée.

Si la matière noire auto-interagissante conduit à la formation de naines diffuses, l'auto-interaction doit être suffisamment forte pour produire des noyaux perceptibles, fournissant ainsi des prédictions testables. Zhang et ses collaborateurs ont utilisé un échantillon de halos et assigné à chacun des halos une galaxie avec son Σ*. Ils ont ensuite supposé une section efficace d'interaction, σm, et adopté le modèle isotherme de Jeans pour prédire le profil (rayon du noyau, rc, et densité centrale, ρ0 ) du halo SIDM. Le résultat met en évidence la similarité entre les noyaux des halos SIDM et les galaxies naines, en termes de distribution des tailles et du biais à grande échelle sur la taille, indiquant que les noyaux des halos SIDM sont des proxies viables des propriétés structurelles des galaxies naines. La relation prédite est presque une loi de puissance, on a Σ* ∝ 1/ rc2 pour une masse de halo donnée, ce qui implique que,  si la masse stellaire M* dans un halo ne dépend que de la masse totale du halo, on aurait R50 ∝ rc , où R50 est le rayon englobant 50% de la lumière de la galaxie, ce qu’on peut appeler la « taille » de la galaxie. En paramétrant la relation et en itérant le modèle de Jeans jusqu'à convergence et en ajustant le facteur de normalisation, les chercheurs chinois ont trouvé que la Σ* prédite peut effectivement  reproduire la relation biais relatif-Σ* qui est observée.

Les résultats de Zhang et al. sont clairement en défaveur d'une grande section efficace d'interaction pour la matière noire SIDM, puisque sinon cela conduirait à l'effondrement du noyau du halo et inverserait la tendance du biais avec Σ*. Les relations d'échelle prédites, Σ* ∝ 1/ rc2 et R50 ∝ rc, indiquent que les composantes stellaires des naines diffuses devraient suivre de près la dynamique induite par la matière noire. Une telle condition peut être créée par un processus qui peut mélanger les étoiles et le gaz de formation d'étoiles avec la matière noire.

Il est clair que maintenant ces hypothèses doivent être testées par exemple à l'aide de simulations hydrodynamiques qui peuvent modéliser correctement non seulement la dynamique de la composante SIDM mais aussi les processus de formation des galaxies.

A défaut de savoir exactement ce qu'est la matière noire, il se pourrait bien que l'on commence à la cerner un peu mieux... 

 

Source

Unexpected clustering pattern in dwarf galaxies challenges formation models

Ziwen Zhang et al.

Nature volume 642, pages47–52 (5 June 2025)

https://doi.org/10.1038/s41586-025-08965-5


Illustration

Le biais relatif observé des galaxies naines (à gauche) ; et le biais relatif prédit par la simulation sous l'hypothèse du modèle de matière noire auto-interagissant (SIDM) (la courbe noire) comparé aux résultats d'observation (la courbe orange) (à droite). (Zhang et al.)