Les modèles de formation planétaire indiquent que la formation de planètes géantes est beaucoup plus difficile autour des étoiles de faible masse en raison de l'échelle des masses du disque protoplanétaire avec la masse stellaire. Mais pourtant, une équipe d'astrophysiciens vient de découvrir une planète de 53 masses terrestres en orbite autour d'une étoile de 0,2 masses solaires. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.
Cette planète est nommée TOI-6894 b, elle a la particularité de produire un transit très profond sur la lumière de son étoile (17%), ce qui en fait une des géantes exoplanétaires les plus accessibles pour les observations de caractérisation atmosphérique, qui sont essentielles pour interpréter pleinement l'histoire de la formation de ce système remarquable, et aussi pour l'étude de la chimie du méthane atmosphérique. Grâce à la caractérisation de la courbe de lumière lors des transits, les chercheurs déduisent la masse et le rayon de la planète. Sa masse exacte est de 53,4 ± 7,1 M⊕, ou si on préfère 0,168 ± 0,022 M J, pour un rayon de 0,855 ± 0,022 R J. TOI-6894 b orbite autour de son étoile hôte avec une période de 3,37 jours et son excentricité orbitale est de 0,029 ± 0,030.
Des exoplanètes géantes on en connaît, oui, mais des planètes géantes autour d'étoiles très petites, c'est une nouveauté. Les modèles de formation de planètes par accrétion du noyau prédisent que la capacité à former une planète géante est proportionnelle à la masse de l'étoile hôte. Ceci est principalement dû au fait que ces modèles imposent qu'une grande quantité de matière solide dans les disques protoplanétaires est nécessaire à la formation de planètes géantes et que les observations ont démontré que la masse de matière solide dans un disque protoplanétaire est proportionnelle à la masse de l'étoile. Par conséquent, on s'attend à ce que les étoiles moins massives que le Soleil forment moins de planètes géantes. En fait, plusieurs études récentes ont même prédit que les étoiles de très faible masse (M ≤ 0,3 M⊙ ) ne seraient pas capables de former des planètes géantes...
La découverte d'exoplanètes orbitant autour d'étoiles sensiblement moins massives que le Soleil et la détermination de leur fréquence d'apparition constituent donc des tests cruciaux de la formation de planètes géantes. Les études existantes ont montré que les planètes géantes doivent être très rares autour des étoiles naines M moyennes à tardives, mais n'ont pas permis de fournir de mesures fiables de leur taux d'apparition.
C'est pour tester les prédictions des théories de formation de planètes géantes que Edward M. Bryant (University College, Londres) et ses collaborateurs ont mené une étude utilisant les données photométriques du satellite TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) pour rechercher des planètes géantes transitant devant des étoiles hôtes de faible masse.
L'étoile TOI-6894, qui a une masse de seulement 0,207 masses solaires a été initialement observée par TESS du 18 février au 18 mars 2020 à une cadence de 30 min. Un signal de planète candidate en transit avec une période de 3,37 jours a été signalé par Nguyen et al. en 2022 et a ensuite été identifié indépendamment par la Bryant et al l'année suivante. Ensuite, une surveillance plus fine par TESS, tout d'abord à une cadence de 10 min du 6 novembre au 30 décembre 2021 et du 26 février au 26 mars 2022 puis à une cadence de 2 min du 11 novembre au 7 décembre 2023, a confirmé la présence du signal de transit et l'a révélé comme une planète candidate probable.
Bryant et ses collègues ont ensuite collecté un spectre proche infrarouge à moyenne résolution de l'étoile hôte en utilisant le spectromètre monté sur le télescope Magellan pour aider à la caractérisation stellaire et fournir une mesure de la métallicité. Des observations spectroscopiques à haute résolution obtenues en utilisant le spectrographe ESPRESSO au Very Large Telescope ont également été ajoutées et ont fourni la variation de la vitesse radiale stellaire à une période orbitale et une phase qui étaient cohérentes avec le signal de transit. Les chercheurs ont poursuivi avec d'autres observations spectroscopiques, cette fois avec le spectrographe SPIRou (Spectropolarimètre Infrarouge) du télescope Canada-France-Hawaï (CFHT), qui ont permis de corroborer ce signal. Ils confirment ainsi la nature planétaire pour le corps en transit. et ont pu déterminer que la gravité de surface du corps était de 5,73 ± 0,71 m s−2 , ce qui est cohérent avec un objet de masse planétaire.
Quant à l'étoile hôte, Bryant et ses collaborateurs montrent que TOI-6894 est une étoile naine M avec un rayon de 0,2276 ± 0,0057 R⊙ et une masse de 0,207 ± 0,011 M⊙ , ce qui est une masse très faible pour héberger une planète géante, en particulier dans le contexte de la population connue de planètes géantes. La basse température de l'étoile ( T eff = 3 007 ± 58 K) fait que la planète TOI-6894 b a une température d'équilibre relativement froide de seulement 417,9 ± 8,6 K, en supposant un albédo A = 0,1 et une redistribution efficace de la chaleur.
TOI-6894 b a une masse de 0,168 M J , soit un peu plus de la moitié de la masse de Saturne, et un rayon de 0,855 R J , soit un peu plus grand que celui de Saturne. L'analyse révèle donc que TOI-6894 b est une planète géante de faible densité.
Pour compléter la caractérisation de cette exoplanète hors-norme, Bryant et son équipe ont modélisé sa structure intérieure. Ils ont calculé la valeur de sa fraction massique métallique (la fraction de la masse totale de la planète qui n'est ni de l'hydrogène ni de l'hélium), elle vaut 0,23 ± 0,02. À partir de la métallicité stellaire mesurée de 0,142 ± 0,087, ils trouvent que la planète est enrichie en métaux par rapport à son étoile hôte, avec une fraction massique métallique un facteur 12 plus élevé. En termes de masse, cela donne une teneur massique en métaux pour TOI-6894 b de 12 ± 2 M⊕.
TOI-6894 b rejoint donc une population émergente de planètes géantes autour d'étoiles de faible masse découvertes grâce aux mesures de vitesse radiale, elles sont au nombre de 4 : LHS 3154 b, GJ 3512 b , GJ 3512 c, et TZ Ari b, et dont la présence pose de sérieux défis aux théories de formation actuelles. En particulier, le modèle d'accrétion du noyau, l'un des principaux mécanismes actuels de formation des planètes géantes, peine à former des planètes avec des masses supérieures à 30 M⊕ autour des étoiles de faible masse. La vision classique de la formation des planètes géantes par accrétion du noyau nécessite la formation d'un noyau massif, qui déclenche ensuite une phase d'accrétion de gaz incontrôlable. Les principaux obstacles à la formation de ces planètes sont la quantité limitée de matière solide dans le disque protoplanétaire avec laquelle former un noyau suffisamment massif. Car les étoiles de plus faible masse abritent en général des disques de plus faible masse, ainsi que les échelles de temps képlériennes plus longues autour de ces étoiles, ce qui inhibe la capacité de former un noyau suffisamment massif avant la dispersion du disque de gaz.
Mais, selon les chercheurs, il est possible que, avec une masse inférieure à celle de Saturne, TOI-6894 b n'ait pas eu besoin de subir une phase d'accrétion de gaz incontrôlable. Des études récentes ont en effet suggéré que les planètes de masse inférieure à celle de Saturne ont commencé leur formation par un processus d'accrétion du noyau, mais n'ont pas subi d'accrétion de gaz incontrôlable. Au lieu de cela, une phase intermédiaire d'accrétion d'éléments lourds peut se produire, accompagnée d'une accrétion régulière de gaz sur la protoplanète en formation. Un tel mécanisme pourrait fournir une voie plausible pour la formation de TOI-6894 b sans nécessiter de formation rapide du noyau ou de phase d'accrétion de gaz incontrôlable.
Une voie alternative pour la formation de planètes massives est la formation directe par condensation à partir d'un disque gravitationnellement instable. Ce mécanisme s'est avéré capable de former des planètes massives autour d'étoiles de faible masse, par exemple la planète GJ 3512b. Mais les simulations fournissent des conclusions divergentes sur la faisabilité de la formation d'une planète comme TOI-6894 b. En effet, un ensemble de simulations de formation de planètes autour d'étoiles de faible masse a produit seulement des planètes très massives avec des masses ≥ 2 MJ, indiquant que TOI-6894 b n'aurait pas pu se former par ce mécanisme. Et inversement, une autre série de simulations a démontré que ce mécanisme pouvait former des exoplanètes avec des masses dans la gamme de 0,1 à 0,3 MJ autour de protoétoiles de 0,2 M⊙, indiquant que ce mécanisme serait une voie de formation plausible pour TOI-6894 b. Les auteurs de la deuxième étude précisent en outre que les conditions initiales supposées pour les disques protoplanétaires étaient très différentes dans les deux séries de simulations... Donc, pour Bryant et ses collaborateurs, ce mécanisme reste une voie de formation plausible pour TOI-6894 b, même si des informations complémentaires sur la nature des disques protoplanétaires seront nécessaires avant de pouvoir interpréter pleinement sa formation par ce mécanisme.
Un obstacle potentiel à l'explication de la formation de TOI-6894 b par instabilité gravitationnelle provient de simulations de synthèse de planètes de 2017, qui n'ont formé aucune planète avec une masse de noyau supérieure à 5 M⊕ . C'est significativement inférieur à la teneur en masse métallique de 12 ± 2 M ⊕ de TOI-6894 b. Mais ces simulations n'ont pas pris en compte l'accrétion ultérieure de solides sur les fragments formés, et donc elles sous-estiment la teneur en masse métallique finale des planètes. Selon les astrophysiciens, il est également possible qu'une fraction substantielle des constituants métalliques de TOI-6894 b soit présente dans son atmosphère et ait été délivrée par la capture de planétésimaux par la protoplanète. Une telle dispersion de la teneur en métal dans TOI-6894 b réconcilierait la nature de la planète avec une formation potentielle par instabilité gravitationnelle.
Les chercheurs indiquent que la température d'équilibre de la planète en fait un objet intermédiaire entre les Jupiters chauds qui sont largement observés, et les géantes gazeuses froides de notre propre système solaire, à savoir Jupiter et Saturne. Sur la base de son irradiation stellaire, on s'attend à ce que l'atmosphère planétaire soit dominée par la chimie du méthane. Ce fait seul ferait de TOI-6894 b une découverte très précieuse, car peu de descriptions de tels exemples ont été publiées, mais ce qui la rend vraiment spéciale par rapport aux objets précédemment étudiés tels que WASP-80 b, c'est la combinaison de son étoile hôte particulièrement petite, de sa courte période orbitale et de sa faible densité planétaire pour sa température d'équilibre froide.
Les modèles atmosphériques avec et sans nuages révèlent que les caractéristiques spectroscopiques dans les spectres de transmission et d'émission pour TOI-6894 b ont des amplitudes attendues supérieures aux transits primaires de nombreuses planètes. La détection de caractéristiques spectrales, la détermination de la présence de nuages et la mesure de la métallicité atmosphérique sont possibles même avec des télescopes terrestres de taille moyenne ou à partir d'une seule observation de transit avec le télescope spatial Webb. TOI-6894 b sera donc très vite une exoplanète de référence dans l'étude des atmosphères dominées par le méthane.
Le système de TOI-6894 constitue donc maintenant une référence pour notre compréhension de la formation des planètes géantes et remet en question les théories actuelles, qui peinent à expliquer sa présence. Ce système se prête également très bien aux observations par spectroscopie de transmission, grâce auxquelles nous pourrons déterminer avec précision la composition atmosphérique et interne de TOI-6894 b.
TOI-6894 se révèle être un système exoplanétaire clé pour déterminer l'histoire de la formation des planètes géantes, et en particulier celles dont les étoiles hôtes sont de plus faible masse.
Source
A transiting giant planet in orbit around a 0.2-solar-mass host star
Edward M. Bryant et al.
Nature Astronomy (4 june 2025)
https://doi.org/10.1038/s41550-025-02552-4
Illustration
1. Positionnement de TOI-6894 b dans le graphe (masse et rayon de planète en fonction de la masse de l'étoile hôte le contexte des planètes en transit connues) (Bryant et al.)