30/01/25

Des supernovas et des mutations génétiques


Une équipe d’astrophysiciens a calculé l’impact de la supernova qui a eu lieu à proximité de la Terre il y a 2,5 millions d’années et dont on observe toujours aujourd’hui les traces dans le spectre du rayonnement cosmique et dans les dépôts de fer radioactif dans la croûte terrestre. La dose de radiations a été suffisamment importante et sur une longue durée pour avoir un effet mutagène non négligeable sur les organismes vivants. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal Letters.

La Terre se trouve à l'intérieur d'une bulle vide de 300 pc de large qui a été creusée par une série d'explosions de supernovas qui se sont produites il y a plusieurs millions d'années, repoussant le gaz interstellaire et créant une structure en forme de bulle.

Les pics temporels de dépôts de 60Fe qui ont été trouvés dans la croûte terrestre des grands fonds marins ont été interprétés comme des empreintes laissées par les éjectas d’explosions de supernovas survenues il y a environ 2,5 et 5,5 millions d'années. Il est probable que le pic de 60Fe situé à environ 2-3 Mégannées dans le passé provienne d'une supernova survenue dans l'association Scorpius Centaurus (à une distance de 140 pc) ou bien dans l'association Tucana-Horologium (à une distance de 70 pc), alors que le pic datant de 5 à 6 Mégannées est plutôt attribué à l'entrée du système solaire dans la bulle.

On sait que la vie sur Terre évolue constamment sous l'effet d'une exposition continue aux rayonnements ionisants d'origine terrestre et cosmique. Alors que la radioactivité de la roche diminue lentement sur des échelles de temps d'un milliard d'années, les niveaux de rayonnement cosmique fluctuent au fur et à mesure que notre système solaire se déplace dans la Voie Lactée. L'activité des supernovas à proximité a le potentiel d'augmenter les niveaux de rayonnement à la surface de la Terre de plusieurs ordres de grandeur, ce qui devrait avoir un impact profond sur l'évolution de la vie. En particulier, on s'attend à ce que les niveaux de rayonnement augmentent lorsque notre système solaire passe à proximité d'associations OB. Les vents associés à ces usines stellaires devraient initialement gonfler des superbulles de plasma chaud, et peuvent être le lieu de naissance d'une grande partie des explosions par effondrement du cœur. Or, il se trouve que le système solaire est entré dans une telle superbulle, communément appelée la Bulle Locale, il y a environ 6 mégannées et réside actuellement près de son centre.

La présence de radioisotopes fraîchement synthétisés détectés près de la surface de la Terre accrédite l'idée que notre système solaire s'est infiltré dans une région très active en supernovas au sein de notre galaxie. La variation temporelle de la concentration de l’isotope radioactif  60Fe (demi-vie de 2,6 millions d’années) dans des sédiments et des régions de la croûte terrestre impose des contraintes strictes sur les positions et les âges des événements de type supernova les plus proches. Il faut se rappeler que la probabilité d'occurrence d'une supernova proche est accrue parce que le système solaire est entré récemment dans la Bulle Locale. On estime que quinze explosions de supernova ont dû avoir lieu pour gonfler la Bulle Locale au cours des 15 derniers millions d'années. La reconstruction de l'histoire de Bulle Locale nous apprend qu'au moins 9 supernovas ont explosé au cours des 6 derniers millions d'années. Cela donne environ une supernova tous les ≈ 660 000 ans à une distance inférieure à 150 pc (490 AL). Ce taux donne environ un événement tous les 50 ans dans notre Galaxie.

Caitlyn Nojiri (université de Californie) et ses collaborateurs ont combiné les résultats récents sur les propriétés de la Bulle Locale et la détection de 60Fe dans les sédiments marins profonds pour prédire le flux de rayons cosmiques attendu d'une supernova à effondrement du coeur proche de la Terre. Ils parviennent à montrer qu'une source locale unique de type PeVatron, provenant probablement des associations stellaires Scorpius-Centaurus ou Tucana-Horologium, a été responsable de la production de la majeure partie du pic de 60Fe fraîchement synthétisé il y a 2,5 mégannées. Ils calculent ensuite le flux de rayons cosmiques associé. Leur résultat est renforcé par des mesures récentes du spectre des rayons cosmiques, ainsi que de sa composition et de son anisotropie à grande échelle. Leur objectif final est de fournir une estimation robuste des variations temporelles des doses de rayonnement cosmique subies par les habitants de la Terre, en utilisant toutes les contraintes observationnelles disponibles.

Les chercheurs montrent que la supernova responsable de la synthèse des dépôts de 60Fe il y a environ 2 à 3 Mégannées peut expliquer de façon cohérente le spectre actuel des rayons cosmiques et leur anisotropie à grande échelle entre 100 TeV et 100 PeV. Le « genou » qui est observé dans le spectre pourrait selon eux être attribué entièrement à une seule source proche. La correspondance entre l'intensité et la forme du spectre des rayons cosmiques permet d'imposer des contraintes strictes sur le contenu énergétique des rayons cosmiques provenant de la supernova ainsi que sur le coefficient de diffusion des rayons cosmiques. En utilisant ces contraintes, Nojiri et ses coauteurs fournissent une estimation robuste de la variation temporelle des niveaux de rayonnements cosmiques ionisants sur Terre.

Pour arriver à leur résultat, les astrophysiciens ont ajusté la région du genou du spectre des rayons cosmiques, avec un spectre plus difficile à ajuster aux données que dans les études précédentes sur le même sujet (avec un indice spectral α = 1.6-1.7), et une énergie dans les rayons cosmiques N0 ≈ 1049 erg pour un coefficient de diffusion D0 = 1027 cm2 s-1 (ou bien N0 ≈ 1050 erg pour D0 = 1028 cm2 s-1, respectivement), ce qui est similaire à la luminosité γ dans les restes de supernovas, et un seuil de rigidité à 5 PV (pour capturer efficacement le genou).

Dans leur modèle, le « genou » dans le spectre des rayons cosmiques, qui est dû à une supernova proche, est donc une structure éphémère. Cette structure est essentielle pour imposer des contraintes strictes sur le contenu énergétique des rayons cosmiques du PeVatron ainsi que sur le coefficient de diffusion des rayons cosmiques. Les chercheurs peuvent même faire des prédictions : ils prévoient que l'anisotropie dans la gamme du PeV devrait être dans la direction de l'une des associations stellaires proches qui est responsable de l'hébergement de la supernova proche. Ils prévoient également que la direction et l'amplitude de l'anisotropie des rayons cosmiques ne devraient pas changer entre 100 TeV et 100 PeV, car c'est à cette énergie que commence la transition entre le galactique et l’extragalactique.

Ensuite, pour calculer les doses qui sont reçues sur Terre, les chercheurs prennent en compte que la forme spectrale varie avec le temps. Ils arrivent à des doses moyennes de 10 mGy an-1 pendant les 10 000 premières années après l'explosion d'une supernova dans Tucana-Horlogium et ≈ 2 mGy an-1 si elle était située dans Scorpius-Centaurus, en supposant que le coefficient de diffusion des rayons cosmiques est D0 = 1027 cm2 s-1. Pour D0 = 1028 cm2 s-1, on l’a vu, il faut un contenu énergétique plus important dans les rayons cosmiques pour décrire efficacement les observations, typiquement autour de 1050 erg. C’est plus en accord avec les modèles d'accélération des rayons cosmiques où environ 10% de l'énergie du choc est transférée dans l'énergie des particules accélérées formant le rayonnement cosmique. Dans ce cas, la dose moyenne calculée est d’environ 100 mGy an-1 pendant les 10 000 premières années après l'explosion d'une supernova dans Tuc-Hor et de 30 mGy an-1 si elle était située dans Sco-Cen.

Les effets biologiques de telles doses de rayonnement peuvent être important, d’autant plus que ces niveaux auraient persisté sur des milliers d’années et donc sur beaucoup de générations successives. L'étude des populations vivant au Kerala, en Inde, la zone la plus radioactive sur Terre, où le niveau de rayonnement naturel de fond varie jusqu’à 45 mGy par an, a montré qu’une dose moyenne de 5 mGy par an pourrait être la dose seuil pour l'induction de cassures double brin de l’ADN (V. Jain et al. 2016). Les cassures double-brin de l'ADN peuvent potentiellement entraîner des mutations et des sauts dans la diversification des espèces. En outre, Costa et al. ont montré en 2024 que le taux de diversification des virus dans le lac Tanganyika, en Afrique, s'est accéléré il y a 2 à 3 millions d'années… Curieuse coïncidence. Il serait intéressant de mieux comprendre ça peut être attribué à l'augmentation de la dose de rayonnement cosmique qui est calculée par Nojiri et ses collaborateurs.

Les chercheurs précisent en conclusion que la dose calculée induite par une supernova se produisant dans Tuc-Hor, dont les propriétés peuvent expliquer le pic de concentration de 60Fe il y a 2,5 Mégannées et décrire le spectre et la composition des rayons cosmiques dans la région du genou, n'induirait certainement pas une extinction de masse (en même temps, on s’en serait rendus compte en paléontologie…), mais elle pourrait entraîner une réelle diversification des espèces par le biais d'une augmentation du taux de mutation.

À titre de comparaison, ils calculent quelle serait la dose reçue pour une supernova se produisant à une distance de seulement 10 pc (32,6 AL), (en considérant le même taux que précédemment, ce qui donne un événement environ tous les 150 mégannées), et en supposant un coefficient de diffusion de 1027 cm2 s-1 et une énergie totale de 1049 erg dans les rayons cosmiques. Ils arrivent à une valeur moyenne d'environ 500 mGy an-1 (moyenne sur les 10 000 premières années).

Une supernova située à 200 pc (ce qui correspond à peu près à la distance de Bételgeuse) augmenterait la dose de rayonnement cosmique entre 1 mGy an-1 et 30 mGy an-1, en fonction du coefficient de diffusion local. Dans le premier cas, l’impact ne serait pas très important, mais dans le second cas (D0 = 1028 cm2 s-1), la dose reçue sur Terre aurait un effet bien plus important sur les animaux et les plantes. Et  Nojiri et al. précisent que la valeur de D0 qui a été utilisée dans les études antérieures est plutôt un peu supérieure à 1028 cm2 s-1 (M. Kachelrieß et al. 2018 ; N. de Séréville et al. 2024).

Pour les chercheurs, il est donc important de pouvoir mieux comprendre la structure de notre turbulence magnétique locale et de mieux contraindre la valeur du coefficient de diffusion local pour mieux estimer les flux de rayons cosmiques et donc les doses de rayonnement reçues sur Terre.

Pour les chercheurs, il est en tout cas certain que le rayonnement cosmique est un facteur environnemental clé dans l'évaluation de la viabilité et de l'évolution de la vie sur Terre, et la question cruciale concerne le seuil à partir duquel le rayonnement est un déclencheur favorable ou nuisible dans l'évolution des espèces. Le seuil exact ne peut être établi qu'avec une compréhension claire des effets biologiques du rayonnement cosmique, en particulier les muons qui dominent au niveau du sol, ce qui reste encore très peu exploré aujourd’hui.

 

Source

Life in the Bubble: How a Nearby Supernova Left Ephemeral Footprints on the Cosmic-Ray Spectrum and Indelible Imprints on Life

Caitlyn Nojiri et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 979, Number 1 (17 january 2025)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ada27a


Illustrations

1. Diagramme donnant la dose reçue sur Terre par an entre 10000 et 100000 ans après l'explosion de supernova en fonction de la distance de la supernova pour différentes valeurs des paramètres du modèle (Caitlyn Nojiri et al.)

2. Caitlyn Nojiri


24/01/25

Découverte d'une troisième radiogalaxie géante avec MeerKAT

Des astronomes viennent de publier la découverte d’une nouvelle radiogalaxie géante qui arbore des jets de plasma 32 fois plus grands que la taille de notre galaxie. Elle a été nommé « Inkathazo », qui signifie ‘problème’ en Xhosa et en Zulu, tant il est difficile de comprendre cet objet avec la physique dont on dispose. La découverte est publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.


3,3 millions d'années-lumière d'un bout à l'autre (1,29 Mpc), c’est la longueur de cette radiogalaxie que Kathleen Charlton (université de Cape Town) et ses collaborateurs ont mesurée avec des observations du radiotélescope MeerKAT.

Les radiogalaxies ne sont pas à proprement parler des galaxies. Certes, il y a bien une galaxie au centre de l’objet, mais ce qu’on dénomme « radiogalaxie », c’est l’ensemble de l’émission radio qui est associée à cette galaxie centrale. L’étendue qui peut être considérable est avant tout peuplée de plasma ionisé (électrons et protons), baignant dans un champ magnétique. Les radiogalaxies géantes (RGG) présentent des jets et des lobes de plasma synchrotron qui s'étendent sur plus de 700 kpc en longueur linéaire projetée. Leurs jets et lobes relativistes étendus peuvent jouer un rôle important dans l'évolution de leur galaxie hôte et de son environnement via la rétroaction des noyaux actifs de galaxie en mode jet. Dans ce mode de rétroaction, les jets de plasma des AGN se déplacent dans le milieu interstellaire, perturbant et chauffant le gaz environnant. On pense que cela empêche le refroidissement du gaz et stoppe l'accrétion sur le trou noir supermassif, stoppant ainsi sa croissance. Dans les RGG, en raison de la taille des jets, ce processus s'étend plus loin dans le milieu intergalactique et le milieu inter-amas. Ainsi, les RGGs pourraient être des sondes idéales de l'impact de l'activité des AGNs sur le milieu intergalactique et pourraient fournir des informations sur la nature de l'environnement lui-même.

Jusqu'à récemment, on pensait que les RGG étaient assez rares. Mais, une nouvelle génération de radiotélescopes, comme MeerKAT en Afrique du Sud, a renversé cette idée. La plupart des radiogalaxies géantes connues ont été découvertes à des latitudes boréales par des télescopes européens, tandis que le ciel austral restait relativement inexploré en ce qui concerne ces objets géants. Inkathazo est la troisième RGG repérée dans un petit coin de ciel, de la taille de cinq pleines lunes, que les radioastronomes appellent COSMOS. Les deux premières ont été observées avec MeerKAT en 2021. Le fait que les chercheurs ont dévoilé trois RGG en pointant MeerKAT sur une seule parcelle de ciel montre qu'il existe probablement une énorme quantité de RGG non découvertes dans le ciel austral.

Et Inkathazo  (alias MGTC J100022.85+031520.4 ou GRG3) ne présente pas les mêmes caractéristiques que beaucoup d'autres radiogalaxies géantes. Par exemple, les jets de plasma ont une forme inhabituelle : au lieu de s'étendre en ligne droite d'un bout à l'autre, l'un des jets est courbé. Inkathazo vit également au cœur d'un amas de galaxies, plutôt que dans un isolement relatif. Sa galaxie centrale est même la galaxie la plus brillante de l’amas. Normalement, cela devrait empêcher les jets de plasma d'atteindre des tailles aussi énormes.

Charlton et ses collaborateurs estiment que la découverte d'une galaxie géante dans l'environnement d'un amas soulève des questions sur le rôle des interactions environnementales dans la formation et l'évolution de ces galaxies géantes. Pour tenter de mieux comprendre cette énigme, les chercheurs ont tiré parti des capacités exceptionnelles de MeerKAT pour créer ce qu’on appelle des cartes d'âge spectral à la plus haute résolution jamais réalisées pour les RGG. Ces cartes permettent de suivre l'âge du plasma dans différentes parties de la radiogalaxie, ce qui donne des indices sur les processus physiques à l'œuvre.

Les chercheurs montrent que la distribution des âges au sein des RGGs permet d’illuster l'histoire de leur évolution. Les deux premières RGGs, qu’ils ont également observées, ont pu croître dans des environnements relativement isolés et présentent donc la distribution d'âge attendue, avec l'âge le plus jeune dans le noyau et le plus vieux dans les lobes. Mais GRG3 (Inkathazo), elle, montre plus de complexité, probablement parce qu'elle se trouve dans un environnement d'amas plus dense et qu'elle a plus d'interactions avec son environnement.


D'un point de vue dynamique, Inkathazo correspond à une galaxie avec une puissance de jet de 1036 W qui serait âgée de 950 Mégannées, alors que GRGs 1 et 2 correspondent à des galaxies âgées de 800 et 700 Mégannées avec des puissances de jet de 1038 W. Ces âges sont plusieurs fois plus grands que les estimations qui sont faites à partir des spectres, ce qui indique selon les chercheurs qu'il y a des processus qui ne sont pas pris en compte dans les estimations spectrales ou dynamiques de l'âge.

Cette étude démontre donc les diverses limitations des calculs de l'âge spectral et les divergences entre les âges spectraux et les âges dynamiques. Mais elle montre également que les âges relatifs déterminés par le vieillissement spectral sont utiles pour déterminer la dynamique et l'évolution des RGGs grâce à la distribution des âges des électrons dans l'ensemble d’une radiogalaxie.

Les résultats révèlent en outre des complexités intrigantes dans les jets d'Inkathazo, certains électrons semblant recevoir des « poussées » inattendues. Les chercheurs pensent que cela peut se produire lorsque les jets entrent en collision avec du gaz chaud dans les vides entre les galaxies d'un amas. Les résultats suggèrent que nous ne comprenons pas encore la majeure partie de la physique complexe des plasmas qui est en jeu dans ces galaxies extrêmes.

 

Source

A spatially resolved spectral analysis of giant radio galaxies with MeerKAT

Kathleen Charlton et al.

Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 537, Issue 1, February 2025,

https://doi.org/10.1093/mnras/stae2543

 

Illustration

1. La radiogalaxie Inkathazo  (alias MGTC J100022.85+031520.4) (Kathleen Charlton et al.)

2. Kathleen Charlton


19/01/25

L'amas de Coma renforce encore la tension de Hubble


Il y a quelques mois, la collaboration DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument) a mesuré une relation étroite entre la constante de Hubble-Lemaître (H0) et la distance à l'amas de galaxies de Coma, en utilisant la relation dite du plan fondamental (FP) sur l'échantillon le plus profond et le plus homogène de galaxies de type précoce. A partir de cette relation indépendante du modèle cosmologique, on peut déterminer une valeur de H0 si on mesure la distance de l'amas de Coma. Inversement, en considérant une certaine valeur de H0, on peut en déduire la distance de l'amas et la comparer avec des valeurs obtenues autrement, de quoi tester la tension existante sur la constante de Hubble-Lemaître. Une équipe d'astrophysiciens vient de faire ce test en mesurant pour la première fois la distance de l'amas de Coma grâce à 13 supernovas de type Ia, des chandelles standard. La distance qu'ils obtiennent mène à une valeur de H0 de 
76,5 ± 2,2 km s-1.Mpc-1, renforçant encore la tension sur le taux d'expansion actuel de l'Univers, et le besoin de réviser le modèle standard.

La « tension de Hubble » fait référence à l'écart qui est observé dans la valeur de la constante de Hubble-Lemaître, H0, entre plusieurs mesures de distance locale et de décalages vers le rouge (regroupées autour de H0 ~ 73 km s-1.Mpc-1) par rapport à la valeur déduite des mesures du fond diffus cosmologique et le modèle standard de la cosmologie ΛCDM (trouvée autour de H0 ~ 67,5 km s-1.Mpc-1). Comme il n'existe pas encore de théorie acceptée de nouvelle physique pour expliquer cet écart, on est toujours en train d'élaborer de nouvelles méthodes de mesures indépendantes pour mieux caractériser ce phénomène.

Il y a quelques mois, la collaboration Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI) (K. Said et al. 2024) a déterminé la relation du plan fondamental (FP) de l'échantillon le plus profond et le plus homogène de galaxies de type précoce dans l'amas de Coma (DESI Collaboration et al. 2024 ), ce qui permet de relier la distance et la valeur de H0. Ce qu'on appelle la relation FP, c'est une relation connue depuis 1987 pour les galaxies de type précoce entre leur dispersion de vitesse, leur luminosité de surface et leur rayon apparent, qui ajoute un paramètre et resserre la relation de Faber-Jackson de 1976 entre leur vitesse et leur luminosité. La mesure de la collaboration DESI consiste en des décalages vers le rouge et des distances FP non étalonnées pour 4191 galaxies de type précoce dans le flux de Hubble et 226 distances FP de ce type au sein de l'amas de Coma. DESI a mesuré le flux de Hubble pour des redshifts compris entre  0,023 et 0,1, et Coma ne leur sert que de lieu de référence, riche en galaxies de type précoce, où les distances FP non étalonnées peuvent être ensuite étalonnées à partir de la connaissance de la distance réelle de l'amas de Coma. Avec la distance de Coma qu'ils ont utilisée, les astrophysiciens de DESI trouvaient H0 = 76,05 ± 0,35 (statistique) ± 0,49 (FP systématique) ± 4,86 ​​(étalonnage FP) km.s-1.Mpc-1.

L'estimation de H0  à partir de la relation FP de DESI dépend bien sûr de la connaissance de la distance réelle de Coma. Les chercheurs de DESI l'ont estimée à partir d'une mesure de fluctuation de luminosité de surface d'une galaxie de Coma qui a été faite en 2021, à DComa  = 99,1 ± 5,8 Mpc. L'incertitude totale de la mesure de DESI sur Hest modeste à ±1,3 km.s-1.Mpc-1 (elle est dominée par la mesure de la relation FP sur 226 galaxies de Coma). L'incertitude dans l'estimation de Hpar DESI est vraiment dominée par la connaissance de la distance à Coma.

En voyant cela, Daniel Scolnic (Duke University) et ses collaborateurs, dont le nobélisé Adam Riess,  on cherché à améliorer cette incertitude en remesurant la distance à Coma avec cette fois un nouvel échantillon d'une douzaine de supernovas de type Ia dans l'amas et en exploitant d'autres mesures de distance du télescope spatial Hubble et du télescope spatial James Webb pour améliorer la contrainte sur H0.

Il faut dire que Coma a une longue histoire de mesures de distance à partir des objets qu'il contient. Une compilation historique des mesures de distance a été présentée en 2020 on y retrouve l'utilisation de diverses méthodes, qui donnent une moyenne pour la valeur de distance de Coma d'environ 95 Mpc. Le HST Key Project a par exemple étalonné la relation FP dans des amas proches (Virgo, Fornax et Leo I) et Coma, ce qui a donné une distance mesurée de 86 ± 8 Mpc. L'amas de Coma est trop éloigné pour utiliser directement des indicateurs de distance primaires (c'est-à-dire les Céphéides, les étoiles de la pointe de la branche des géantes rouges (TRGB), les Miras, les étoiles de la branche des géantes asymptotiques de la région J (JAGB), ou les étoiles supergéantes bleues). En revanche il est riche en galaxies de type précoce, qui sont des cibles idéales pour les méthodes basée sur la fluctuation de luminosité ou basées sur les galaxies comme la relation FP.

Et les supernovas Ia offrent un outil particulièrement efficace pour calibrer la distance de l'amas de Coma. Avec des taux canoniques d'une supernova par galaxie tous les 100 ans, on peut s'attendre à ce que de l'ordre d'une dizaine de supernovas dans Coma aient été découverts par diverses études au cours de la dernière décennie. L'effort le plus récent pour collecter des supernovas Ia dans Coma provient d'une étude de 1990 (M. Capaccioli et al. 1990 ), qui a rassemblé cinq supernovas Ia des années 1960 et 1970 remontant aux travaux de Fritz Zwicky en 1961. Malheureusement, la qualité de ces données selon les normes modernes est assez médiocre. Une mesure précise de la distance nécessite plusieurs supernovas Ia dont les courbes de lumière et les spectres respectent la qualité contemporaine des systèmes photométriques bien caractérisés. Jusqu'à la dernière décennie, Coma n'était pas continuellement recherchée pour des phénomènes transitoires, de sorte que de nombreuses supernovas Ia passées auraient été manquées. La compilation Pantheon+ de 2022 ne contient que deux supernovas Ia situées dans Coma. Par contre, des relevés récents comme l'Asteroid Terrestrial-impact Last Alert System (ATLAS) et le Zwicky Transient Facility (ZTF) ont couvert de grandes fractions du ciel incluant la zone de l'amas de Coma et il se trouve que les requêtes de leurs bases de données indiquent qu'ils ont trouvé plus de 10 supernovas Ia autour de Coma au cours des dernières années.

Scolnic et ses collaborateurs ont donc utilisé les courbes de lumière de ces supernovas pour mesurer une distance précise de Coma en se basant sur les étalonnages de la luminosité absolue des supernovas Ia. Daniel Scolnic et ses collaborateurs parviennent à mesurer la distance la plus précise de Coma à partir de 13 supernovas de type Ia dans l'amas. Leur étalonnage de la magnitude absolue des supernovas Ia avec l'échelle de distance déterminée avec le télescope Hubble leur donne une distance DComa = 98,5 ± 2,2 Mpc, la valeur de distance la plus précise à ce jour et une valeur très proche de celle obtenue par la collaboration DESI, et qui est tout à fait cohérente avec la valeur canonique comprise entre 95 et 100 Mpc. Et donc, en appliquant ensuite la relation FP de DESI, cette distance donne H0  = 76,5 ± 2,2 km s-1.Mpc-1

L'inversion de la relation FP en l'étalonnant sur la valeur de H0 de Planck+ΛCDM (67,4 km km s-1.Mpc-1) implique une distance beaucoup plus grande : DComa  = 111,8 ± 1,8 Mpc, ce qui est 4,6 σ au-delà de la  mesure directe. Indépendamment des supernovas, la relation FP du projet HST Key telle que calibrée par les Céphéides, la pointe de la branche des géantes rouges (avec le JWST) ou les fluctuations de luminosité de surface dans le proche infrarouge (avec le HST) donnent toutes une distance D Coma  < 100 Mpc...

Selon les chercheurs, à partir d'un large éventail d'estimations de distance compilées depuis 1990, il est difficile de voir comment l'amas de Coma pourrait être situé aussi loin que la prédiction issue de la valeur de Hde Planck+ΛCDM, supérieure à 110 Mpc. En étendant le diagramme de Hubble à Coma, qui est un endroit bien étudié dans notre voisinage dont la distance était en bon accord bien avant la tension de Hubble, DESI indique donc un conflit plus marqué entre notre connaissance des distances locales et ce que prédit le modèle cosmologique. Cette surtension est confirmée par cette nouvelle étude qui fournit une nouvelle valeur de distance indépendante. 

Alternativement, Scolnic et ses collaborateurs se sont amusés à combiner les mesures de distance locale non corrélées à Coma avec la mesure de DESI, et ils trouvent H0  = 76,9 ± 2,0 km s-1.Mpc-1 , soit 4,6 σ au delà de la valeur de Planck issue du CMB avec le modèle cosmologique standard. Cette nouvelle voie de mesure, le diagramme de Hubble par la distance de Coma et avec  DESI, offre ainsi un autre point de vue sur la tension de Hubble, observée ici à partir d'une gamme encore plus large d'indicateurs de distance locale, et indépendante des supernovas Ia mesurant le flux de Hubble. 

Il n'y a plus qu'à attendre encore un peu les futurs programmes qui affineront la distance de l'amas de  Coma et d'autres plus proches pour aider à éclairer cette nouvelle fenêtre locale sur la tension de Hubble. Scolnic et ses collaborateurs précisent en conclusion qu'il existe de bonnes perspectives d'amélioration de leur résultat à court terme. Les programmes JWST à venir ont par exemple ciblé Coma pour des mesures intensives au cours du cycle 3 (2025). De plus, un suivi spectroscopique et photométrique dédié des supernovas dans l'amas de Coma pourrait facilement améliorer le résultat actuel. Il est probable que d'ici quelques années, l'incertitude sur H0 via une échelle de distance basée sur Coma ne sera pas dominée par les incertitudes des mesures au sein de l'amas mais plutôt par l'étalonnage de ces mesures ailleurs dans cette nouvelle échelle de distance.

La tension de Hubble n'a jamais été aussi tendue. Combien de temps encore tiendra la théorie sous-jacente du modèle standard face aux observations ?


Source

The Hubble Tension in Our Own Backyard: DESI and the Nearness of the Coma Cluster

Daniel Scolnic et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 979, Number 1 (15 january 2025)

http://doi.org/10.3847/2041-8213/ada0bd


Illustration

1. Localisation des supernovas utilisées dans l'amas de Coma

2. Daniel Scolnic


16/01/25

Observations de la naissance d'étoiles massives dans le Grand Nuage de Magellan


Une équipe d'astronomes a fait une découverte sur la formation des jeunes étoiles dans le Grand Nuage de Magellan, en utilisant le télescope spatial Webb et le Grand Réseau Millimétrique/Submillimétrique ALMA. Leur étude, publiée dans 
The Astrophysical Journal, donne un nouvel aperçu des premiers stades de la formation d'étoiles massives en dehors de notre galaxie.

La formation d'étoiles massives joue un rôle essentiel en influençant la chimie et la structure du milieu interstellaire. La formation des étoiles se déroule dans des amas, les étoiles massives dominant la luminosité de l'ensemble. Aux premiers stades de leur formation, les vents à grande vitesse provenant des flux et des jets peuvent chauffer et comprimer le gaz environnant. Cela peut ensuite déclencher ou éteindre une nouvelle formation d'étoiles, en fonction de la distribution de densité du gaz comprimé. Et aux stades ultérieurs, le rayonnement ultraviolet de ces étoiles massives ionise le milieu interstellaire environnant. 

Il y a 6 à 7 milliards d’années, les superamas d’étoiles étaient le principal moyen de formation des étoiles, produisant des centaines de nouvelles étoiles par an dans notre galaxie. Ce type de formation d’étoiles est en déclin, et les superamas d’étoiles sont très rares dans notre Univers local. On ne connaît aujourd’hui que deux superamas d’étoiles dans la Voie Lactée et un dans le LMC, tous deux vieux de plusieurs millions d’années. Ochsendorf et al. ont étudié en 2017 les jeunes objets stellaires (ce qu'on appelle des YSO : Young Stellar Objects) dans le LMC en utilisant la photométrie avec les télescopes spatiaux Spitzer et Herschel et ils ont trouvé deux principales régions de formation d'étoiles : la première est 30 Doradus, l'hôte du superamas d'étoiles R136, et la seconde est N79, hôte du candidat superamas H72.97-69.39, qui serait âgé d'à peine 100 000 ans. On sait que 30 Doradus a connu quatre épisodes de formation d'étoiles au cours des 25 derniers millions d'années, tandis que N79 est en train d'intensifier son activité de formation d'étoiles et pourrait un jour rivaliser avec le taux de formation d'étoiles et la luminosité élevée de 30 Doradus.

Le LMC est une galaxie satellite de notre Voie Lactée, et est situé à près de 160 000 années-lumière de la Terre. Cette distance relativement proche et son orientation face en font un laboratoire idéal pour étudier la formation d’étoiles extragalactiques. Omnarayani Nayak et ses collaborateurs ont utilisé l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument) de Webb pour observer 11 YSO isolés dans la région N79 du LMC pour mieux comprendre l'effet des vents stellaires à grande vitesse, des chocs à faible vitesse des flux sortants, du rayonnement UV, du rayonnement retraité de la poussière et de la pression du gaz ionisé chaud sur le nuage moléculaire géant parental.

Comme l’abondance d’éléments lourds dans le LMC est deux fois moindre que celle de notre système solaire, il montre des conditions de formation d’étoiles similaires à celles qui existaient il y a 6 à 7 milliards d’années dans notre galaxie. Cela donne aux astrophysiciens un aperçu de la manière dont la formation d’étoiles aurait pu se dérouler dans l’univers jeune.

Nayak et ses collaborateurs observent une variété d'YSO à un stade précoce et tardif. Ils ont en particulier examiné en détail les caractéristiques spectrales de six YSO, à savoir les raies d'émission de l' H2 (hydrogène moléculaire), les raies d'émission d'hydrocarbures polyaromatiques (HAP), les raies d'absorption du silicate et celles de glace en phase solide et gazeuse. 

Les raies de H2 dans l'IR moyen proviennent soit du rayonnement UV des étoiles massives, soit de l'excitation collisionnelle due à des chocs chauffant le gaz moléculaire. Les mêmes photons UV entrent en collision avec les molécules de HAP, ce qui conduit à l'excitation de divers modes de flexion et d'étirement et décompose les molécules de HAP de grande taille en molécules plus petites. Les électrons éjectés des molécules de HAP peuvent alors chauffer davantage le gaz local. Une émission de H2 excédentaire par rapport aux raies d'émission de HAP a déjà été observée dans les noyaux galactiques actifs en 2010 et dans des galaxies ultralumineuses en 2006, et on pense qu'elle provient des chocs.

La présence de raies d'absorption de silicate et de glace avec peu ou pas de H2 et des raies d'émission à structure fine, indique des très jeunes protoétoiles intégrées dans leur nuage de gaz natal, où les photons UV de l'étoile centrale n'ont pas encore ionisé le gaz environnant. Les différentes raies d'émission et d'absorption identifiées dans un spectre indiquent en fait l'âge de la protoétoile centrale ainsi que la distribution granulométrique et l'ionisation des HAP, ainsi que l'origine des chocs. 

Les images de MIRI obtenues par Nayak et ses collègues montrent que les étoiles les plus massives se rassemblent près de l'amas stellaire H72.97-69.39, et que les moins massives se répartissent à la périphérie de N79, un processus qu'on appelle la ségrégation de masse. Et ce que l'on pensait jusqu'alors être une seule jeune étoile massive s'est révélé être un amas de cinq jeunes étoiles. L'une des cinq jeunes étoiles est plus de 500 000 fois plus lumineuse que le Soleil, et est entourée par plus de 1 550 jeunes étoiles.

ALMA a aussi apporté des contributions significatives à l’étude des YSO dans le LMC, en particulier dans la région N79. Les précédentes observations effectuée avec ALMA dans cette région ont notamment révélé la collision de deux filaments de poussière et de gaz de plusieurs parsecs. C'est pile au point de collision que se trouve le superamas d'étoiles H72.97-69.39, qui abrite la protoétoile la plus lumineuse identifiée par le télescope Webb. La collision de filaments de gaz moléculaire pourrait ainsi être le catalyseur nécessaire à la création d’un superamas d'étoiles, selon les chercheurs. Les observations d’ALMA fournissent un contexte crucial pour comprendre l’environnement à plus grande échelle dans lequel ces YSO se forment. Cette étude permet par exemple aux astronomes d’étudier la relation entre les structures de nuages ​​moléculaires à grande échelle et la naissance des protoétoiles et des amas.

Nayak et ses collaborateurs montrent que les masses respectives pour les amas d'étoiles qu'ils ont nommés E1, S1 et S2 sont respectivement de 18,3 ± 2,7, 25,4 ± 3,2 et 15,7 ± 4,5 M⊙. Selon eux, dans E1, c'est l'YSO Y2 qui est probablement la source dominante, Y4 est la source dominante dans S1 et Y9 est celle qui domine dans S2. 

Les YSO observés présentent une variété de raies d'émission de HAP. Mais l'YSO Y4, la source ionisante centrale du candidat amas H72.97-69.39, ne présente aucune caractéristique de HAP, probablement en raison du rayonnement intense et des forts vents stellaires qui détruisent les hydrocarbures polyaromatiques environnants.

Les six étoiles YSO présentent en tous cas toutes plusieurs raies d'émission de l'hydrogène moléculaire H2. Y2 présente 16 raies d'émission H2 , soit le plus grand nombre de raies d'émission parmi toutes les sources étudiées dans cette étude. Y3, l'YSO le plus jeune, présente cinq raies H2. Les raies d'absorption importantes qui sont observées dans le spectre de Y3 indiquent quant à elles que cette protoétoile est enveloppée de poussière et qu'elle n'a pas encore commencé à ioniser le gaz environnant. Pour Nayak et son équipe, les raies H2 observées dans les spectres de Y3 pourraient aussi être dues à la source dominante, Y2, qui excite le H2.

Une autre caractéristique remarquable sont les raies d'émission [Ne II], [Ne III ], [Ar II ], [Ar III ] et [Fe II]. Elles indiquent la présence de chocs à grande vitesse (> 70 km s-1) dans Y1, Y2, Y4, Y6 et Y9. Des chocs à faible vitesse sont également présents dans ces YSO, car Nayak et al. identifient de fortes raies d'émission H2 et [Cl II]. Alternativement, les raies d'émission [Ne II ] et [Ne III ] peuvent aussi provenir d'YSO de masse élevée à proximité photoexcitant le gaz avec des photons UV et X extrêmes.

Les raies d'émission H I sont souvent observées lors de l'accrétion protostellaire et sont généralement abondantes dans les régions H II. Les taux d'accrétion de masse de Y1, Y2, Y4 et Y9 varient entre 1,22 × 10-4  et 1,01 × 10-2 M⊙ an-1 . Des taux d'accrétion de 10-4 M ⊙ an-1 ont été mesurés pour des étoiles de faible masse dans la Voie lactée. Selon Nayak et ses collaborateurs, la raison de ces taux d'accrétion élevés pour les YSO de N79 pourrait être soit que la force gravitationnelle domine dans les YSO de masse élevée, conduisant à un taux plus élevé, ou soit que les chocs et les vents contribuent au flux HI mesuré, conduisant à ce que les calculs des taux d'accrétion de masse soient des limites supérieures.

Concernant les caractéristiques d'absorption en phase solide et gazeuse, elles sont observées dans les spectres de Y1, Y3, Y4, Y6 et Y9. Mais l'YSO Y2 n'a aucune caractéristique d'absorption. Les astrophysiciens donnent une explication possible des caractéristiques d'absorption en phase gazeuse de HCN et de CO2 dans Y6 et Y9 : des vents à grande vitesse chaufferaient le gaz environnant à 100 K ou plus, ce qui conduirait à une augmentation de leur abondance. Les chercheurs notent que Y3 et Y9 ont également la caractéristique du doublet du CO2, Y3 ayant les raies d'absorption les plus importantes. Cet YSO a a des raies d'absorption importantes, probablement parce qu'il a moins de 10 000 ans, d'après Nayak et ses coauteurs.

Les astrophysiciens ont donc désormais observé des étoiles géantes à différents stades d’évolution, depuis de très jeunes protoétoiles jusqu’à des objets plus évolués ionisant leur environnement. Ces données fournissent aujourd'hui des informations sur la chimie complexe qui se produit dans ces pépinières d’étoiles, notamment la présence de molécules organiques et de poussière, ce qui relie la formation des étoiles à l’histoire plus vaste de la répartition des éléments et des composés dans l’univers. 

Source

JWST Mid-infrared Spectroscopy Resolves Gas, Dust, and Ice in Young Stellar Objects in the Large Magellanic Cloud

Omnarayani Nayak et al.

The Astrophysical Journal, Volume 963, Number 2 (4 march 2024)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/ad18bc


Illustration

1. Vue d'artiste d'un superamas d'étoiles avec des YSO (NSF/AUI/NSF NRAO/S.Dagnello)

2. Omnarayani Nayak

10/01/25

Pluton a capturé Charon après un baiser


Des planétologues de l'université de l'Arizona viennent de trouver une explication pour la formation du couple Pluton-Charon : Pluton aurait capturé Charon après que les deux planètes naines sont entrées en collision « douce », ce nouveau processus est appelé par les auteurs « kiss-and-capture », ils publient leur étude dans Nature Geoscience.

Pluton et Charon constituent le plus grand système binaire de la population connue d'objets transneptuniens dans le système solaire externe. Leur axe orbital commun suggère une histoire évolutive liée et une origine collisionnelle. Mais leurs rayons, respectivement de 1200 km et 600 km, et la large orbite circulaire de Charon d'environ 16 rayons de Pluton nécessitent un mécanisme de formation qui place une grande fraction de masse en orbite, avec un moment angulaire suffisant pour entraîner l'expansion orbitale par effet de marée.

Pluton et Charon forment le système le plus étudié parmi les objets binaires trans-neptuniens, incluant Eris + Dysnomia, Varda + Ilmarë, et Orcus + Vanth. Le nombre de binaires de grande masse parmi les objets trans-neptuniens a conduit les planétologues à suggérer une histoire de formation commune. Mais, les plus massifs de ces couples sont trop massifs pour être expliqués par le processus de l’instabilité de flux, dans lequel des solides s’agrègent dans la nébuleuse protoplanétaire. L’instabilité de flux peut potentiellement expliquer la grande fraction de binaires plus petits parmi les Trans neptuniens, mais seulement jusqu’à un diamètre d’environ 100 km. Pour les corps plus grands, un autre mécanisme doit être imaginé.

Adeene Denton (University of Arizona, Tucson) et ses collaborateurs ont donc modélisé numériquement une capture collisionnelle de Charon par Pluton en utilisant des simulations qui incluent la résistance des matériaux, pour savoir si ce scénario était viable.

Pendant des dizaines d'années, les chercheurs en planétologie ont émis l'hypothèse que Charon, la lune de Pluton d'une taille inhabituelle, s'était formée selon un processus similaire à celui de la Lune autour de la Terre : une collision massive suivie de l'étirement et de la déformation de corps semblables à des fluides. Ce modèle a bien fonctionné pour le système Terre-Lune, où la chaleur intense et les masses importantes impliquées font que les corps en collision se comportent davantage comme des fluides. Mais, appliquée au système Pluton-Charon, plus petit et plus froid, cette approche a négligé un facteur crucial : l'intégrité structurelle de la roche et de la glace.

Lorsqu’ils ont pris en compte la résistance réelle de ces matériaux dans leurs simulations d’impact avancées, Denton et ses collaborateurs ont découvert quelque chose de tout à fait inattendu. Ils ont constaté qu'au lieu de s'étirer lors de la collision, Pluton et le proto-Charon sont restés temporairement collés l'un à l'autre, tournant comme un seul objet en forme de bonhomme de neige, avant de se séparer pour former le système binaire que nous observons aujourd'hui.

Une capture nécessite que la vitesse de collision vcoll n’excède pas la vitesse d’échappement mutuelle des deux corps. Pour le couple Pluton-Charon, cette vitesse est de l’ordre de 1 km.s-1. Pour les angles d’impact les plus courants, autour de 45°, les simulations sans prise en compte de la résistance des matériaux produisent des fusions à ces vitesses et ne produisent donc pas de lunes. Mais une collision plus rasante, entre 50 et 80° apparaît en effet capable de capturer un proto-Charon dans 30% des simulations.

C’est une conséquence directe de la déformation globale des corps en collision dans les simulations hydrodynamiques. Cette déformation augmente la section efficace de collision et produit des effets gravitationnels qui peuvent mener à la capture de Charon sur une grande orbite excentrique. Les chercheurs montrent par ailleurs qu’il existe certaines conditions, dans les simulations, pour que le baiser mène à une liaison éternelle : Charon doit être en contre-rotation rapide avant la collision, sinon, il se retrouve détruit et Pluton perd son compagnon à jamais.

La plupart des scénarios de collision planétaire sont généralement classés dans les catégories « collision brutale » ou « frôlement et fusion ». Ce que les chercheurs ont découvert est tout à fait différent : le scénario qu’ils ont nommé « kiss and capture », voit les corps entrer en collision, se coller brièvement l'un à l'autre, puis se séparer tout en restant liés gravitationnellement.

Ce qui est intéressant dans cette étude, c'est que les paramètres du modèle qui permettent de capturer Charon finissent par le placer sur la bonne orbite. On obtient deux choses correctes pour le prix d'une. L'étude suggère aussi que Pluton et Charon sont restés quasi intacts lors de leur collision, préservant une grande partie de leur composition d'origine, et cela remet en question les modèles précédents qui suggéraient une déformation et un mélange importants lors de l'impact.

En outre, le processus de collision, y compris la friction due aux marées lorsque les corps se sont séparés, a déposé une chaleur interne considérable dans les deux corps, ce qui pourrait fournir un mécanisme permettant à Pluton de développer un océan souterrain, sans nécessiter une formation dans le système solaire très précoce, faisant intervenir des éléments plus radioactif - une contrainte temporelle qui a questionné les planétologues depuis un moment.

Dans le scénario « kiss-and-capture », Charon est capturé relativement intact, et conserve donc son noyau et la majeure partie de son manteau, ce qui implique que Charon pourrait être aussi ancien que Pluton selon les chercheurs.

Bien que les simulations présentées dans cette étude ne permettent pas de résoudre numériquement la présence des quatre petites lunes de Pluton extérieures à Charon, de masses comprises entre 5 × 1015 et 1,7 × 1016 kg et de compositions glacées, Denton et ses collègues notent tout de même que le processus « kiss-and-capture » tend à produire des débris extérieurs abondants qui pourraient expliquer leur formation. Pour un impacteur de la masse de Charon, environ 5 × 1020 kg de débris principalement glacés sont produits, dont 1020 kg restent liés au système, ce qui correspond à des milliers de fois plus que la masse des petites lunes. Une analyse préliminaire suggère cependant qu'une grande partie de ce disque de débris sera accrétée sur Charon, ce qui augmente sa fraction de masse de glace.

 

Source

Capture of an ancient Charon around Pluto

Adeene Denton et al.

Nature Geoscience (6 january 2025)

https://doi.org/10.1038/s41561-024-01612-0


Illustrations

1. Simulation de la collision Pluton-Charon (Denton et al.)

2. Adeene Denton

03/01/25

Découverte d'un 8ème "cercle radio étrange"


Grâce au radiotélescope MeerKAT, des astronomes ont découvert un nouveau cercle radio étrange qui semble être associé à une galaxie elliptique connue sous le nom de J0219-0505. Cette découverte, qui pourrait aider à mieux comprendre la nature de ce mystérieux phénomène d'émission radio, est rapportée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters.

Ce qu'on nomme les "cercles radio étranges" (ORC : Odd Radio Circles) sont des mystérieux anneaux gigantesques visibles en ondes radio et dont l'origine reste encore inexpliquée. Ils sont généralement observés comme des cercles d'émission radio à spectre raide, sans aucune émission correspondante à d'autres longueurs d'onde. Jusqu'à présent, seules quelques structures de ce type ont été clairement définies comme des ORC. Ray Norris (CSIRO) et ses collaborateurs annoncent la détection d'un nouvel ORC, une découverte qui a été faite dans le cadre de l'étude MeerKAT International GHz Tiered Extragalactic Exploration (MIGHTEE). Norris est le découvreur des quatre premiers ORC en 2021.On en connaît aujourd'hui 7, 8 avec ce nouveau spécimen.

Le nouvel ORC, désigné ORC J0219–0505, a été identifié comme les précédents comme un anneau d'émission radio aux bords brillants entourant une source radio compacte au centre. Cet anneau semble être rempli d'une faible émission diffuse, avec des indices d'une certaine structure. De plus, les observations ont également détecté une faible émission diffuse s'étendant vers le sud-est de l'anneau. Norris et ses collaborateurs montrent qu'il existe bien une galaxie au centre, il s'agit d'une galaxie elliptique massive (WISEA J021912.43–050501.8), qui présente des caractéristiques étendues visibles sur les images optiques et infrarouges.
De telles caractéristiques étendues ne sont pas anodines, parce qu'elles sont caractéristiques d'une perturbation par une fusion ou une interaction entre galaxies. On peut donc penser, comme le font les auteurs de l'article que ORC J0219–0505 pourrait être une couche d'émission radio résultant d'électrons énergisés par un choc sphérique provenant d'une fusion de galaxies. 

Depuis 2021 et la découvert du premier ORC (voir ici, épisode 1134), de nombreuses explications physiques sur la nature des ORC ont été proposées, sans qu'aucune d'elle ne s'impose. On a notamment parlé d'un choc de terminaison directe résultant d'événements de sursauts stellaires (Norris et al., 2021), de fusions de trous noirs supermassifs binaires (Koribalski et al. 2021 ; Norris et al. 2022 ), de restes de supernova au sein du Groupe local (Filipović et al. 2022 ;Omar 2022 ;Sarbadhicary et al. 2023 ), de perturbations de marée d'étoiles par des trous noirs de masse intermédiaire ou supermassifs ( Omar 2022 ), ou encore d'émissions synchrotron provenant de chocs autour de galaxies massives (Yamasaki et al. 2024 ), ou bien de l'émission synchrotron de l'activité historique de flux galactiques (Coil et al. 2024 ), de bulles gonflées par jet de noyau galactique actif (Lin & Yang 2024 ). Et Dolag et al. ont même postulé en 2023 que les chocs internes résultant de la formation de halos galactiques de la taille d'un groupe pourraient expliquer la fréquence de détection et la morphologie des populations d'ORC.

Pour les ORC précédents, des halos avec une masse du halo de matière noire de 1000 à 10000 milliards de masses solaires et une masse stellaires de quelques centaines de milliards M⊙ avec un nombre de Mach de choc interne de 2,1−2,4 peuvent en effet expliquer les caractéristiques observées. Mais, un mécanisme d'accélération par choc direct des électrons des rayons cosmiques ne parvient pas à reproduire les luminosités observées de l'émission radio.
Pour ce nouveau petit ORC, il semblerait que ce soit différent. Les chercheurs ont mesuré le diamètre d'ORC J0219–0505 : le cercle fait 35 secondes d'arc, ce qui correspond à 371 600 années-lumière (en supposant le même décalage vers le rouge que la galaxie hôte de 0,196). Norris et son équipe notent que ORC J0219–0505 est beaucoup plus petit et plus faible que les ORC isolés qui ont été précédemment découverts. Les 7 ORC précédemment connus depuis la découvert du premier font tous un diamètre compris entre 300 et 500 kpc (entre 1 et 1,7 millions d'années-lumière),  ORC J0219–0505 et donc au moins 3 fois plus petit.

Et comme cette découverte a été faite dans une étude radio profonde mais relativement petite, cela indique qu'il doit exister une population d'ORC plus faible qui reste à dévoiler par MeerKAT ou d'autres radiotélescopes. Pour Norris et ses collaborateurs, cela suggère aussi que l'uniformité apparente des propriétés des premiers ORC est un effet de sélection. En particulier, la nouvelle découverte est cohérente avec le fait que les ORC ont une distribution de densité de flux similaire à celle de la population plus large de sources radio extragalactiques.

Le fait que l'émission optique/IR de la galaxie hôte soit étendue indique, selon Norris et al., une perturbation dans le passé, ce qui confirmerait naturellement le modèle de fusion de galaxies qui avait été proposé par Dolag et al. en 2023. Enfin, le léger décalage entre la galaxie hôte et le centre de l'anneau qui est observé est naturellement pris en compte par le modèle de Shabala et al. de 2024, qui peut être associé à une fusion galactique asymétrique dans le modèle de Dolag et al. C'est la meilleure hypothèse qui est retenue aujourd'hui par Ray Norris et son équipe.

Il est primordial de comprendre les caractéristiques morphologiques étendues visibles aux longueurs d'onde optiques, car elles peuvent être la clé pour vraiment comprendre le processus qui génère les ORC. Cela fera l'objet de travaux ultérieurs pour Norris et ses collaborateurs, qui exploreront également la polarisation et les propriétés spectrales de ce nouvel ORC.

Source

MeerKAT discovery of a MIGHTEE Odd Radio Circle 
Ray P Norris, et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Volume 537, Issue 1 (February 2025)


Illustration

1. ORC J0219–0505 imagé par MeerKAT en ondes radio (Norris et al.)
2. Ray Norris