Que voit-on dans nos télescopes ?
Sans évoquer la magnitude limite atteignable par un œil entraîné ou une certaine
durée de pose (astro)photographique, le fait que nous n’ayons accès qu’à l’Univers visible (je ne
fais pas de distinction entre longueurs d’ondes…) peut laisser perplexe au
moment où nous jetons nos pupilles dans nos oculaires…
Le prix Nobel de physique a mis
en valeur en 2011 l’observation d’une expansion accélérée de l’Univers, qui a
été l’origine d’un bouleversement dans nos conceptions cosmologiques il y a à
peine 15 ans.
Et pour cause, depuis 1980, nous
pensions que l’Univers visible représentait seulement 15% de tout son contenu, le restant étant une
matière noire non détectable. Et depuis 1998, nous pensons donc qu’il ne
représente plus que 4%... Oh, une broutille. Nous ignorons complètement la
nature de 96% de ce qui nous entoure et nous fait. Une broutille, disais-je.
Ce qui veut dire aussi que les
beautés que nous observons dans nos télescopes ne seraient en fait que les
ombres projetées sur la paroi de la caverne au fond de laquelle nous sommes
enchainés, pour reprendre l’image célèbre exposée par Platon dans La République.
Au-delà de la masse manquante et
de l’énergie du vide, qualifiées toutes les deux de l’adjectif
« noir », comme si l’inconnu était forcément noir, bien d’autres phénomènes inaccessibles nous le
resteront sans doute à jamais. Je pense là encore à des objets affublés de la
couleur noire : les trous. On ne parvient qu’à en calculer la masse par
des méthodes indirectes. Et la découverte en 2011 des deux trous noirs les plus
massifs avec près de 10 milliards de masses solaires chacun, et donc un rayon d’horizon
d’environ 200 unités astronomiques ouvre des questions presque existentielles.
Qu’y a-t-il au-delà de ce rayon
de Schwarzschild ou de Kerr ? Que ce passe-t-il au fond d’un trou
noir ? Que devient toute cette matière (la visible comme la noire dont les
trous noirs se repaissent aussi) ? –il est assez amusant de se dire qu’en
fait un trou noir n’est « fait » que de 15% de matière ordinaire,
mais surtout de 85% de matière … noire ! – Une singularité de
l’espace-temps est-elle quelque chose qui existe vraiment ? Cette question
même a-t-elle un sens ? Probablement pas puisque nous ne pouvons pas aller
vérifier…
L’essentiel des modèles
cosmologiques et physiques plus généralement étant construit avec les
mathématiques, la question qui vient ensuite est : Pourquoi les
mathématiques nous permettent-elles de si bien représenter ce qui se passe
autour de nous, même ce qui est invisible pour nos sens ou nos
détecteurs ? Inventons-nous les maths ou bien les découvrons-nous ?
Les maths préexistent-elles dans l’Univers, par exemple via sa géométrie ?
Ne pouvons-nous découvrir que ce
que nous inventons ?
Revient également à l’esprit la
question des infinis, depuis la singularité « initiale » jusqu’aux
singularités des trous noirs en passant par la topologie des modèles d’Univers
qu’offre la cosmologie. Infinis spatiaux et/ou temporels mêlés. Pourquoi
l’infini est-il si omniprésent à la fois dans les mathématiques que nous avons
inventées (ou découvertes ?) et dans ses applications physiques alors
qu’il est si peu imaginable par nos humbles cerveaux ? Curieusement il
semble que nous ayons plus de facilités à imaginer un infini temporel plutôt
qu’un infini spatial, pourquoi donc ?
Force est de constater que nous
ne savons encore rien, et nous ne saurons sans doute jamais rien, ni nous ni
nos descendants, sur la nature profonde de tout ce machin qu’on appelle
Univers, l’unité dans la diversité : des quarks qui forment des protons et des
neutrons, des leptons qui interagissent avec ces nucléons via des bosons divers
et variés, ces ensembles se concentrant par leur masse jusqu’à créer des
étoiles et des ensembles de centaines de milliards d’étoiles, baignées dans des
halos de particules furtives mais massives, ces galaxies si esthétiques que
nous admirons sous tous les angles de vue possibles...
Comment se résoudre à cette
frustration au moment de collimater son Newton ? Se dire qu’il y a dèjà
tant d’objet à admirer pour les amateurs que nous sommes. Se dire que notre
univers à nous, astrams, est l’Univers visible et parmi cet Univers visible, seulement
celui qui nous envoie des photons entre 400 et 800 nanomètres de longueur
d’onde. Un trou de serrure sur 4% de l’Univers…
Le champ le plus lointain observé par le télescope Hubble (NASA/ESA) |
Et se dire surtout que
l’astronomie est la science la plus ancienne mais sans doute une science encore
techniquement très jeune en plein essor. Songez qu’il y a moins de 100 ans il
n’existait qu’un seul télescope de plus de 2,5 m de diamètre et que les
galaxies n’ « existaient » pas, on ne savait pas non plus que
l’Univers était en expansion, encore moins en expansion accélérée, on ne
connaissait rien au cycle de vie des étoiles, on n’avait aucune idée de ce
qu’était un trou noir, ou encore un pulsar… il y a moins de 100 ans…
Pour résoudre cette frustration
intrinsèque à notre passion, peut-être que le plus simple est de se dire que
nous avons une chance inouïe. Nous avons la chance de vivre autour d’une seule
étoile, ou encore autour d’une étoile qui n’a pas de compagnon proche. Nous ne
vivons pas à la périphérie d’un amas globulaire par exemple, et c’est une
chance incroyable.
Car imaginez un instant si nous
avions une ou plusieurs étoiles très proches - donc très brillantes -dans notre
ciel en plus du soleil, qui par exemple seraient visibles toute la nuit (du
soleil principal). Que ce serait-il passé ?
Nous n’aurions jamais pu observer
visuellement les étoiles lointaines, le ciel « nocturne » étant
constamment d’une pâleur crépusculaire ; nous ne nous serions donc jamais
intéressés à ce qui se passe là-haut (hormis aux quelques étoiles trop
visibles); nous ignorerions totalement l’existence des nébuleuses, encore moins
des galaxies, et nous ne pourrions même pas imaginer leur existence, n’ayant
pas d’exemple à observer. Nous n’aurions jamais construit de modèles cosmologiques
tels que ceux qui sont les nôtres aujourd’hui. Nous aurions dans nos têtes un
Univers étrange dont les lois seraient fondées à partir de l’existence de seulement
quelques étoiles très brillantes.
Quel serait donc cet Univers ?
Savourons la chance qui est la nôtre en pensant aux civilisations lointaines
qui ont la malchance de subir un tel environnement et oublions notre
frustration en profitant pleinement de la nuit … noire !
1 commentaire :
Bonjour,
Bien d'accord sur le message d'enthousiasme.
Un peu plus mitigé sur le volet "frustration" ou "résignation".
En observant p. ex. une belle montagne ou un beau coucher de soleil sur la mer, me soucié-je de l'air qu'il y a entre mes yeux et ma cible? Non.
Je ne fais que de l'observation en visuel, sans autre prétention et certainement pas avec l'oeil du scientifique ;-).
Mais pour le simple curieux du ciel que je suis, 4%, ça restera encore bien trop pour le restant de mes jours :-D.
Tant à voir, si peu de temps ...
Merci pour votre beau plaidoyer.
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