dimanche 20 juin 2021

Le théorème de la surface des trous noirs de Hawking vérifié par les ondes gravitationnelles


Aujourd'hui, l'une des lois les plus célèbres concernant les trous noirs, le théorème de la surface qui a été écrit par Stephen Hawking en 1974, vient d'être  confirmée par les ondes gravitationnelles. Selon ce théorème, la surface des trous noirs ne peut pas diminuer au fil du temps, notamment lorsqu'ils produisent des ondes gravitationnelles. Une étude parue dans Physical Review Letters intitulée Testing the black-hole area law with GW150914.

Le théorème de la surface reflète une règle bien connue en physique, à savoir que le désordre, ou entropie, ne peut pas diminuer avec le temps. Au contraire, l'entropie augmente constamment. Or Stephen Hawking et Jacob Bekenstein avaient montré en 1973-1974 que l'entropie d'un trou noir était simplement proportionnelle à la surface de son horizon. Ils avaient montré que la quantité d'information (c'est à dire l'entropie) stockée dans un trou noir était égale à la surface du trou noir (la surface de son horizon), multipliée par la constante de Boltzmann et divisée par 4 fois la longueur de Planck au carré.
 
La surface de l'horizon d'un trou noir est proportionnelle à sa masse au carré : A = 4π (J²G²M²/c4). Le facteur de proportionnalité J dépend quant à lui de la rotation du trou noir. Il varie entre 1 (cas d'un trou noir en rotation maximale, à la vitesse de la lumière) et 2 dans le cas d'un trou noir sans rotation. Plus un trou noir gagne de la masse, plus sa surface augmente et donc plus son entropie augmente. Et lorsqu'il gagne de la rotation, sa surface diminue et son entropie devrait diminuer, ce qui doit être impossible selon les principes de la thermodynamique. Mais pour qu'un trou noir gagne de la rotation, cela implique nécessairement qu'il gagne simultanément de la masse car c'est bien un ajout de matière qui peut le faire tourner plus vite.  La loi de la surface de Hawking  dit simplement que l'augmentation de la surface du trou noir qui est due à la masse supplémentaire doit toujours être plus importante que la diminution de la surface qui est due à la rotation ajoutée par cette même matière. Globalement, la surface (et donc l'entropie) doit toujours augmenter, même lorsque la rotation est prise en compte.

Pour tester cette règle, Maximiliano Isi (MIT), et ses collaborateurs ont utilisé les premières ondes gravitationnelles qui ont été détectées par LIGO le 14 septembre 2015 produites par deux trous noirs qui ont spiralés l'un vers l'autre avant de fusionner en un seul trou noir plus grand. On se rappelle que ces deux trous noirs avaient des masses respectives de 29 et 36 masses solaires et ont créé un trou noir résultant de 62 masses solaires, soit une perte de masse de 3 masses solaires, qui s'est retrouvée sous la forme d'ondes gravitationnelles.  Intuitivement, en mettant de côté l'aspect rotation des trous noirs initiaux et du trou noir final, on voit tout de suite que malgré la perte de masse totale, la surface du trou noir résultant serait supérieure à la somme des surfaces des trous noirs initiaux, donc l'entropie aurait augmenté. En effet (M1+M2)² est toujours supérieur à (M1² + M2²), la différence étant égale à 2M1.M2 qui a une valeur bien supérieure aux quelques masses solaires qui se sont évaporées en ondes gravitationnelles, au carré.
En appliquant les valeurs numériques de masses de l'événement gravitationnel GW150914 et en négligeant la rotation , on a pour le système initial une surface A~ (29²+36²)=2137 et pour le trou noir résultant une surface A~ 62² = 3844 . Sans effet de rotation, le trou noir résultant aurait bien gagné en surface, et donc en entropie par rapport au couple initial, malgré la perte de 3 masses solaires dans la fusion.
Mais le théorème de Hawking fait intervenir toutes les caractéristiques des trous noirs et notamment la caractéristique importante qui est la rotation. Le gain éventuel de rotation lors de la fusion des deux trous noirs aurait-il pu produire une diminution de surface supérieure à l'augmentation équivalant à un gain de masse de √(2M1.M2) - 3 masses solaires ?
Maximiliano Isi et ses collaborateurs ont donc analysé le signal d'ondes gravitationnelles juste avant et juste après la fusion proprement dite. Les chercheurs ont divisé les données relatives aux ondes gravitationnelles en deux segments temporels, et ont calculé les surfaces relatives des trous noirs pour chaque période sans passer par l'évaluation de la masse de chacun. Ils calculent la valeur ∆A/A0 = (Af-A0)/A0 : la variation de la surface par rapport à la surface du système de trous noirs initiaux.
Les chercheurs déduisent la surface initiale A0 (somme des surfaces des 2 trous noirs) par le signal gravitationnel de coalescence en spirale, et la surface finale Af grâce au signal post-fusion, ce qu'on appelle le 'ringdown' des ondes gravitationnelles (ou signal de relaxation) et en utilisant deux méthodes : d'une part en utilisant le mode fondamental seul 3 ms après la fusion, et d'autre part avec le mode fondamental accompagné d'une harmonique, juste sur le pic d'ondes gravitationnelles. 
Les deux résultats sont cohérents entre eux, et tous les deux supérieurs à 0... et inférieurs à 3 : 0,60 (+0,82:−0,60) pour le premier et 0,52 (+0,71:−0,47) pour le second à 95% et 97% de probabilité. La surface totale de ces trous noirs, de rotation inconnue, a donc bien augmenté au cours de la fusion, de plus de 50%. La valeur ∆A/A0 devait nécessairement être inférieure à 3 du fait que Mf < M1+M2 (Af < 4A0).
Si on refait le calcul simplement à partir des masses connues des trous noirs en jeu en considérant qu'ils ne sont pas en rotation, ni avant ni après la fusion, on voit que la valeur ∆A/A0 serait égale à (3844-2137)/2137, ce qui fait 0,799. Le facteur de grandissement réel de la surface, mesuré par Maximiliano Isi et ses collaborateurs est donc un peu plus faible (entre 0,52 et 0,60) : la rotation des trous noirs de l'événement GW150914 a donc bien fait diminuer la surface du trou noir résultant mais juste un peu et pas suffisamment pour contrebalancer l'augmentation induite par les masses, et le théorème de la surface de Hawking est vérifié. 
C'est donc un nouveau test passé avec succès par la Relativité Générale, un de plus. Bien sûr, les physiciens ne sont pas forcément heureux de voir la théorie centenaire encore validée. Car une seule faille dans la physique des trous noirs mettrait sur la piste tant recherchée de la théorie unifiant Relativité Générale et Physique Quantique et qui doit diriger le comportement des trous noirs. 

On se souvient qu'un an après avoir écrit le théorème de la surface, Hawking introduisait lui-même un mécanisme violant ce théorème, avec la production d'un rayonnement au niveau de l'horizon des trous noirs qui aurait pour effet à très très très long terme de faire diminuer la masse des trous noirs et donc leur surface et leur entropie, ce qui correspond à une pure perte d'information. Aucune preuve expérimentale du rayonnement de Hawking n'a été observée sur des trous noirs à ce jour, ce phénomène ne pouvant d'ailleurs être potentiellement visible aujourd'hui que sur des trous noirs de masse microscopique.
Pour le moment, c'est donc le théorème de la surface qui tient la route observationnellement, jusqu'à preuve du contraire.

Source

Testing the black-hole area law with GW150914
Maximiliano Isi, Will M. Farr, Matthew Giesler, Mark A. Scheel, and Saul A. Teukolsky
A paraître dans Physical Review Letters

Illustrations

1) Vue d'artiste d'une fusion de trous noirs (SXS Lensing)

2) Signal typique d'un train d'ondes gravitationnelles (LIGO)

2) Résultat du calcul de Isi et ses collaborateurs pour ∆A/A (Isi et al.)

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