01/10/12

Comment Mesurer la Rotation d’un Trou Noir Supermassif

Comme on le sait, de nombreuses galaxies qui montrent un noyau actif possèdent un trou noir supermassif en leur centre, qui est à l’origine de l’activité observée. De l’énergie gravitationnelle est convertie en rayonnement par le biais de l’accrétion de matière autour du trou noir, et de la production de jets de matière relativiste, dont nous avons parlé récemment. Ces jets sont estimés être produits par accélération magnétique, mais il n’est pas encore sûr que ces champs magnétiques soient entièrement produits par le disque d’accrétion ou par le trou noir lui-même.
M87 et son jet de matière (Hubble/NASA).

Aucune observation assez fine en terme de résolution angulaire n’a encore permis de déceler le lieu de formation des jets de matière. Qui plus est, de telles observations pourraient permettre de savoir si la formation de jet requière forcément un trou noir en rotation par exemple, ou si le sens de rotation du disque d’accrétion (par rapport à celui du trou noir supermassif (TNSM) a une importance dans le phénomène.

C’est dans le but d’explorer ces zones de formation de jets de matière sur un trou noir supermassif qu’une équipe d’astrophysiciens américaine a utilisé un outil très performant sur un trou noir supermassif, lui aussi très performant !

Ils ont utilisé le Event Horizon Telescope, formant un réseau de radiotélescopes (détection d’ondes radio de 1.3 mm de longueur d’onde), ce qu’on appelle de l’interférométrie à très longue base (Very Long Baseline Interferometry, ou VLBI).

Le trou noir supermassif très performant qu’ils ont observé durant trois jours est le célèbre trou noir central monstrueux situé au cœur de la galaxie M87. La masse de ce TNSM est connue : elle vaut, accrochez-vous, 6.2 milliards de masses solaires. Du coup on connait aussi le rayon de ce trou noir, ce qu’on appelle son rayon de Schwartzschild, d’après la relativité générale, et qui vaut la bagatelle de 19 milliards de kilomètres (rappelons- nous que la Terre est à 149 millions de kilomètres du soleil).

Ce trou noir est si gros et si près de nous (54.5 miilions d’années-lumière) que l’angle de vue sous lequel on pourrait le « voir » est de 7.3 microsecondes d’arc, ce qui devient à la portée d’un instrument comme le Event Horizon Telescope.

Le VLBI utilisé est formé par quatre radiotélescopes situés sur trois localisations différentes : le James Clerk Maxwell Telescope (JCMT) à Hawaï, le Arizona Radio Observatory's SubMillimeter Telescope (SMT), situé dans l’Arizona, et deux télescopes du Combined Array for Research in Millimeter-wave Astronomy (CARMA) en Californie. Les données collectées ont ensuite été rapatriées et corrélées  à l’Observatoire Haystack du MIT.
Carte des trois sites formant le Event Horizon Telescope.
Grâce à cette méthode, la taille de la zone d’origine du jet a pu être mesurée avec une résolution angulaire de 40 microsecondes d’arc, soit 5.5 (+- 0.4) fois le rayon du trou noir. Les incertitudes proviennent  principalement  de l’incertitude sur la distance de M87 et sur la masse du TNSM.

Dans le modèle utilisé de production de jet, le paramètre important du disque d’accrétion associé à l’empreinte du jet est l’orbite circulaire stable la plus proche (Innermost Stable Circular Orbit  ou ISCO).

L’ISCO est la limite à partir de laquelle la matière plonge rapidement vers l’horizon des événements, il marque un pic d’intensité et de vitesse de rotation dans le flot d’accrétion. C’est l’endroit où les particules de toutes sortes sont le plus efficacement accélérées et commencent à rayonner. Et c’est aussi ce que mesurent en ondes radio nos astrophysiciens.

En mesurant cette dimension, les astrophysiciens du MIT parviennent à en déduire des informations cruciales sur la rotation du trou noir de M87.

En effet, le diamètre minimum de l’ISCO dépend directement du sens de rotation du TN : il vaut 6 fois le rayon de Schwarzschild dans le cas d’un trou noir statique, 9 fois le rayon de Schwartzschild pour un sens rétrograde (disque d’accrétion tournant dans le sens contraire de celui du TN), et 1 fois le rayon pour un sens prograde (dans le même sens).
Schéma de la formation des jets par un disque d'accrétion de trou noir.

La dimension observée/mesurée indique ainsi une nouvelle image plus détaillée du trou noir supermassif de M87 : celle d’un trou noir en rotation lente, possédant un disque d’accrétion tournant dans le même sens que le trou.

Ce résultat semble cohérent avec les théories généralement acceptées indiquant que les axes de rotation des trous noirs et des disques d’accrétion doivent se retrouver finalement alignés par des effets de précession et des transferts graduels  de moment cinétique du disque d’accrétion.

Le but des astrophysiciens est maintenant d’aller toujours au plus près, avec des résolutions angulaires toujours plus petites, et pour cela, c’est vers des interféromètres toujours plus étendus qu’il faudra se tourner, assurément intercontinentaux.

Le trou noir de M87 observé ici est le plus gros et l’un des plus proches que l’on connaisse. Il semble bien qu’il devienne assez vite un vrai laboratoire de Relativité Générale.


Biblio :

Jet-Launching Structure Resolved Near the Supermassive Black Hole in M87
S. Doeleman et al.
Science 27 septembre 2012

2 commentaires :

Unknown a dit…

je me pose toujours la question de ce qu'on appelle la rotation d'un trou noir. En principe par conservation du moment cinétique, la singularité "ponctuelle" devrait tourner à une vitesse infinie. Est-ce que la "surface" du rayon de Schwartzchild "tourne" entrainée par la torsion de l'espace à l'intérieur ? ou cette rotation est elle égale à celle de l'astre au moment où il s'est effondré en dessous de ce rayon ?

à part ça, je m'étais amusé à calculer la densité "moyenne" d'un trou noir supermassif (le volume dans le rayon des Schwartzchild) et avais eu la surprise de voir qu'elle peut être plus faible que celle de l'eau : http://drgoulu.com/2008/06/20/la-densite-des-trous-noirs/

Dr Eric Simon a dit…

Merci pour ce lien avec des applications numériques sympas...

Pour répondre à la question de la rotation, déjà on peut dire qu'un point ne tourne pas (il tournerait autour de quoi ?). ce n'est donc pas la singularité qui tourne.

Ensuite, on peut considérer qu'un trou noir est autre chose que l'objet initial ou la zone délimitée par le rayon de Schwarzschild : c'est avant tout une solution exacte de l'équation d'Einstein, une métrique d'espace-temps.
Et un trou noir en rotation (avec ou sans charge électrique) est une solution de l'équation incluant un moment cinétique J en plus d'une masse M, c'est tout... (solution trouvée par Kerr et Newman).
C'est ce qui fait la différence avec un trou noir statique, qui est une solution (une métrique) n'incluant pas de moment cinétique.
Si on veut, on peut imaginer que c'est l'espace-temps local qui est en rotation.