07/03/13

Mesure de Distance Très Précise du Grand Nuage de Magellan

Les mesures de distances, c'est un peu ce qui est le fondement de l'astronomie. Tout part de là.
Les mesures de distances sont notamment à la base de la mesure des paramètres cosmologiques cruciaux comme la constante de Hubble H0.

Il faut savoir que mesurer des distances lointaines n'est pas chose facile, ni des distances proches d'ailleurs. Et c'est d'autant plus délicat que la méthode utilisée par les astronomes est une méthode par échelons successifs : pour mesurer des distances lointaines, on doit connaitre avec précision le comportement d'objets particuliers en fonction de la distance, et donc connaitre cette distance avec le moins d'incertitude possible.

Deux types d'objets sont utilisés : les étoiles Céphéides et les Supernovae Ia. Tous deux offrent un comportement spécifique en fonction de leur distance : les Céphéides sont des étoiles qui ont une luminosité variable, dont la période dépend de la luminosité. En mesurant leur période de variation, on connait donc leur luminosité, et connaissant par ailleurs leur type spectroscopique, on connait leur production de lumière intrinsèque, et on en déduit alors leur distance.
Les Supernovae Ia, elles, sont des étoiles qui explosent et dont la production de lumière intrinsèque est toujours la même, ce qui fait que leur luminosité dans le ciel dépend directement de leur distance.

Le Grand Nuage de Magellan
Avec ces deux outils, la méthode utilisée par les astronomes est la suivante : Il faut tout d'abord connaitre avec précision la distance de Céphéides proches. Pour cela, les méthodes les plus basiques sont exploitées, comme par exemple des mesures de paralaxe, c'est à dire la mesure du mouvement angulaire apparent de l'étoile à 6 mois d'intervalle. La distance est déduite directement, par calculs géométriques.
On parvient alors à une sorte de calibrage des Céphéides, donnant la relation période/distance.

La deuxième étape consiste à chercher d'autres Céphéides plus lointaines, situées dans des galaxies proches, on mesure alors de cette manière la distance de la galaxie proche grâce à la relation période/distance trouvée précédemment.
La troisième étape consiste à chercher des galaxies proches munies de Céphéides mais aussi de Supernovae Ia. Car il faut faire le calibrage de ces SN Ia. Connaissant déjà la distance de la galaxie hôte par les Céphéides, on construit la relation luminosité/distance des SN Ia.

Une fois les Supernovae Ia "calibrées", on peut les utiliser comme "chandelles standards" pour mesurer des distances très lointaines, des galaxies très éloignées (lorsqu'elles ont la chance de voir en leur sein des étoiles exploser en SN de type Ia).
C'est ainsi que, ayant mesuré la distance d'une galaxie via une ou plusieurs Supernova, et connaissant par ailleurs son décalage vers le rouge (décalage spectral dû à la vitesse de récession), les astronomes déduisent la constante de Hubble Ho qui relie vitesse et distance.

Une fois la constante de Hubble déterminée, il ne suffit plus que de mesurer le décalage spectral de n'importe quel objet ultra-lointain (galaxie ou amas de galaxies ) pour en déduire sa distance.

On le voit, mesurer les distances cosmologiques repose sur une méthode qui peut s'avérer fragile, surtout si le premier échelon de mesure utilisé s'avère imprécis.
Pour remédier aux imprécisions et autres erreurs systématiques inérantes à ces différentes mesures, des astrophysiciens européens et américains viennent de faire une mesure toute nouvelle et très précise de la distance du Grand Nuage de Magellan (LMC en anglais), la deuxième galaxie la plus proche de la nôtre. Et pour mesurer cette distance avec une précision de 2.2% seulement, ils ont utilisé une nouvelle méthode.
Grâce à cette mesure directe de la distance du LMC, ils permettent de sauter le premier échelon de la méthode séquentielle et de pouvoir passer directement au calibrage des SN Ia.

Pour ce faire, les astrophysiciens ont utilisé 8 étoiles binaires à éclipse, observées durant 8 ans avec trois télescopes différents comme le 6.5 m de Las Campanas, le 3.6 m et le NTT de La Silla (tous dans l'hémisphère Sud, évidemment...). Ils ont utilisé les données du programme OGLE, programme dédié initialement à l'observation de lentilles gravitationnelles dans le LMC.
Une binaire à éclipse, c'est un système d'étoiles double, dans lequel une étoile tourne autour de l'autre en se trouvant exactement dans notre ligne de mire lors de son transit, produisant ainsi à chaque passage une éclipse et donc une forte baisse de luminosité du système.

Positions des 8 binaires à éclipses dans le Grand Nuage de Magellan utilisées dans cette étude (G. Pietrzynski et al.).
Pour mesurer la distance de tels objets, la méthode est subtile : s'agissant d'étoiles  vieilles (elles ont été selectionnées soigneusement), on connait précisément la relation qui existe entre luminosité de surface et couleur, ce qu'on appelle dans le jargon le SBCR (Surface Brightness Colour Relation). Or il existe un lien direct entre la distribution de couleur et le diamètre angulaire du système binaire.

Les astronomes ont donc mesuré la luminosité de surface de ces étoiles typiques et en déduisent la distance angulaire du système.

D'autre part, on peut obtenir la dimension linéaire du système binaire à partir d'une analyse spectroscopique et photométrique de la lumière. Et le tour est joué : possédant les dimensions angulaires et linéaires, la distance du système est déduite grâce à la géométrie (de manière similaire à une mesure de parallaxe).
 
Afin de réduire l'incertitude sur la mesure, l'équipe qui publie ses résultats dans le dernier numéro de Nature a répété la mesure sur 8 étoiles binaires à éclipse du LMC et calculé la moyenne obtenue.
Pour la petite histoire, ils obtiennent une valeur de 49,97 kpc +-2,2% (soit 162.902,2 années-lumières +-2,2%) ce qui est la valeur de distance du LMC la plus précise à ce jour.

A partir de cette valeur précise de distance du LMC et en déroulant les calculs de distance décrits ci-dessus à partir de cette valeur pour arriver à la constante de Hubble, les auteurs montrent que cette nouvelle précision implique une incertitude sur Ho pas plus grande que 3%.

Une belle prouesse qui peut encore être améliorée en raffinant la source principale d'erreur dans cette méthode, qui est le SBCR. Les auteurs de l'étude estiment même pouvoir atteindre à terme une précision de l'ordre de 1% sur la distance du LMC, ce qui est rien de moins que la précision attendue du satellite de haute performance Gaïa qui devrait fournir ces données astrométriques dans une dizaine d'années...

source :
An eclipsing-binary distance to the Large Magellanic Cloud accurate to two per cent
G. Pietrzynski et al.
Nature 495, 76–79 (07 March 2013)

3 commentaires :

Alain a dit…

Bonjour,

Ce blog en français, que je ne connaissais pas, je suis tombé dessus par hasard en faisant une recherche sur Internet, est très intéressant.

Pour en revenir au sujet, quelle est la valeur de H0 qu'ils ont déduite, et est-elle compatible avec les derniers résultats de Planck, qui donnait une valeur plus faible que celles estimées auparavant, vers 67 km/s/Mpc, si je me souviens bien ?

Alain a dit…

Je réponds ) moi-même, ils n'ont pas été jusqu'au calcul de H0, ils semblent se concentrer sur l'amélioration de la précision de leur mesure. On peut lire un preprint là :
http://www.eso.org/public/archives/releases/sciencepapers/eso1311/eso1311a.pdf

Dr Eric Simon a dit…

Merci pour vos remarques, votre question, et votre réponse! En effet, les auteurs de l'article de Nature que je mentionne ne calculent que le gain sur l'incertitude de H0 qui peut être obtenu grâce à la plus grande précision qu'ils obtiennent sur la distance des Céphéides du LMC.