Katherine
Freese est une astrophysicienne théoricienne pleine d'imagination, ce
qui est plutôt intéressant pour une théoricienne. Cette chercheuse de
l'Université du Michigan s'intéresse depuis de longues années à l'un des
problèmes actuels les plus importants en astrophysique et en cosmologie
: la matière noire (ou matière sombre).
Avec
son équipe et un collaborateur biologiste, elle vient de proposer un
concept de détecteur très innovant qui pourrait permettre de détecter
très efficacement une caractéristique cruciale des WIMPs, à savoir leur
direction, et avec une très grande précision.
Schéma du concept de détecteur de WIMPs à ADN (A. Drukier, K. Freese) |
En
effet, comme on le sait, le système solaire étant en rotation autour du
centre galactique et plongé dans un halo de matière noire sous forme de
WIMPs (hypothèse la plus couramment admise), et la Terre tournant
autour du Soleil, il résulte une modulation apparente du flux de WIMP.
C'est le signal qui est recherché par les expériences de détection
directe des WIMPs. Mais il s'avère qu'il est aujourd'hui impossible de
pouvoir mesurer la direction d'incidence des particules fantômatiques
que sont les WIMPs. Or c'est en observant leur direction d'origine qu'on
pourra être catégorique sur la nature galactique de la modulation
annuelle observée. L'enjeu est de taille.
Pour
connaître la direction des WIMPs qui font reculer les noyaux d'atomes
par collision élastique, il faut pouvoir mesurer la direction du noyau
qui recule, c'est aussi simple que ça. Mais les meilleurs détecteurs
actuels, qu'ils soient des semiconducteurs, des cristaux scintillateurs
ou bien des chambres d'ionisation à gaz, ne produisent des reculs de
noyaux qui ne sont que de quelques nanomètres alors que la résolution
spatiale de ces détecteurs n'est que de quelques micromètres, soit 1000
fois plus.
L'idée,
assez géniale, de Katherine Freese est d'utiliser la biologie. Et plus
exactement des systèmes biologiques que l'on maîtrise parfaitement
aujourd'hui : l'ADN, sa multiplication et son analyse automatisée.
Le
but est de parvenir à reconstruire la direction des WIMPs via la
direction des noyaux d'atomes qui sont impactés, avec une résolution
nanométrique. Quoi de mieux qu'un simple-brin d'ADN, parfaitement connu,
et dont on peut connaître avec une très grande précision le lieu de
cassure éventuelle ?
Flux de reculs moyenné dans le temps, en coordonnées galactiques (pour des WIMPs de 100 GeV, section efficace de 10-6 pb, modèle de halo standard avec une densité de 0.3 GeV/cm3; A. Green |
Voici
la méthode proposée : des milliers de simples-brins d'ADN sont produits
avec une suite de bases bien choisies (A, C, T, G, A, C, etc, par
exemple) et sont accrochés sur une feuille de métal de numéro atomique
élevé, de l'or dans l'idée publiée.
Les
WIMPs interagissent dans la feuille d'or et produisent des "noyaux de
recul", qui vont pouvoir s'échapper de la feuille et vont ensuite se
déplacer parmi les milliers de brins d'ADN situés en dessous. Lorsqu'un
noyau lourd d'or rencontre un brin d'ADN, il le coupe littéralement. On
obtient alors, lorsque de nombreux WIMPs vont faire de même, une série
de brins d'ADN qui se retrouvent coupés à différents endroits.
Grâce
aux techniques maintenant classiques de biologie moléculaire (la PCR,
polymerase chain reaction), on arrive à amplifier l'ADN par un facteur
de l'ordre du milliard. Une seule cassure de brin d'ADN devient tout à
fait visible. En traitant l'ensemble des brins qui étaient suspendus à
la feuille d'or, on peut obtenir une véritable trace indiquant la
direction prépondérante des noyaux d'or, et donc des WIMPs...
Non
seulement une résolution spatiale 1000 fois meilleure pourrait être
obtenue par rapport aux meilleurs détecteurs actuels, permettant de
mesurer la direction incidente, mais ce type de détecteur serait
également sensible aux WIMPs de très basse énergie, ce que n'offrent pas
tous les détecteurs classiques. De plus, il serait très peu sensible au
bruit de fond, ne nécessitant ainsi pas forcément d'être installé en
labo souterrain. Il ne nécessiterait pas non plus d'être refroidi à des
températures cryogéniques.
Qui
plus est, malgré une masse d'or nécessaire de l'ordre de 1 kg, ce type
de détecteur serait a priori moins cher que ce qui se fait de mieux
aujourd'hui et même plus polyvalent, l'or pouvant être remplacé par
d'autres métaux pour explorer la masse et la section efficace des WIMPs
par exemple...
Avec
tous ces avantages si alléchants, il ne reste plus qu'à prouver la
faisabilité expérimentale d'un tel dispositif, en espérant que cela
puisse aboutir avant que d'autres expériences plus colossales soient
arrivées au but plus rapidement...
biblio :
New Dark Matter Detectors using DNA for Nanometer Tracking
Andrzej Drukier, Katherine Freese et al.
Andrzej Drukier, Katherine Freese et al.
Arxiv 1206.6809 v1 (28 juin 2012)
Optimizing WIMP directional detectors
Anne Green et al.
Astroparticle Physics vol. 27, (mars 2007), p. 142-149
3 commentaires :
Concept imaginatif, en effet... Une quelconque indication de la façon dont on peut s'abstraire du bruit ? Car j'imagine que bien d'autre particules vont déchirer les ligaments d'ADN, comment donc reconnaître les WIMPs ?
Concept imaginatif, en effet... Une quelconque indication de la façon dont on peut s'abstraire du bruit ? Car j'imagine que bien d'autre particules vont déchirer les ligaments d'ADN, comment donc reconnaître les WIMPs ?
Merci, vous posez une bonne question. Je pense que dans le concept proposé, les cassures de brins d'ADN sont essentiellement produites par les noyaux lourds énergétiques qui proviennent de la plaque située à proximité. Ces noyaux (de l'or ici) sont projetés par leur collision avec les WIMPs.
Pour s'affranchir d'autres particules pouvant casser les brins, notamment provenant de la radioactivité naturelle (rayons gamma et neutrons), il peut suffire de positionner le système dans des blindages adéquats (plomb, cuivre ou tungstène contre les gamma et polyéthylène ou eau pour les neutrons), sachant que les WIMPs (s'ils existent) traversent allègrement ce genre de blindages...
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