Le phénomène d’accrétion est au centre de nombreux phénomènes de forte luminosité. L’accrétion est ce qui se passe quand de la matière (principalement du gaz) tombe sur un objet ayant un fort potentiel gravitationnel. Cet objet peut être un trou noir ou une étoile plus ordinaire. Et dans ce processus, l’énergie de liaison gravitationnelle se retrouve transformée en énergie de rayonnement électromagnétique.
Comme la matière qui est attirée par l’objet massif possède toujours un moment angulaire (elle tourne autour de l’objet), sa chute se fait donc par une suite continue d’orbites quasi-circulaires de rayon décroissant : elle forme un disque autour de l’étoile ou du trou noir, un disque d’accrétion.
Situation du système MQ1 dans M83 (Soria et al). |
Le rayonnement total d’un disque d’accrétion va dépendre du taux avec lequel la matière chute vers l’étoile ainsi que la profondeur du puits gravitationnel produit par cette étoile ou ce trou noir. Les trous noirs sont bien sûr les objets qui ont les puits de potentiel les plus profonds et se retrouvent donc être les objets ayant les disques d’accrétion les plus brillants. Les trous noirs supermassifs produisent ainsi des quasars et les trous noirs de masse solaire produisent les binaires X les plus lumineuses.
C’est sur un trou noir de masse stellaire que ce sont penché des astrophysiciens australiens et américains cette semaine dans un article paru dans Science. R. Soria et ses collègues ont observé la binaire X nommée MQ1, qui se révèle être complètement hors norme. Le modèle classique décrivant un système binaire dit qu’il existe une limite de luminosité qui ne peut pas être dépassée. Sauf que MQ1 dépasse largement cette limite, à tel point qu’il paraît nécessaire de réviser le modèle d’accrétion.
MQ1 est ce qu’on appelle désormais un microquasar. Ce petit trou noir accompagné d’une étoile pour former un système binaire, est situé dans la galaxie M83. Il a la particularité comme la plupart des microquasars, de produire des jets de matière à l’image de ce que produisent les vrais quasars, ainsi que de puissants vents sphériques, apportant une grande quantité d’énergie mécanique dans le milieu gazeux environnant. Le prototype du microquasar est un système apparaissant au sein de notre galaxie, dénommé SS433, qui produit une très belle nébuleuse gazeuse aux formes allongées (la nébuleuse W50). La vitesse des jets de matière de SS433 a été mesurée à 0,27 fois la vitesse de la lumière, et son vent sphérique, beaucoup plus modeste est expulsé à 1500 km/s. C’est le vent qui produit la forme globalement arrondie de la nébuleuse, tandis que les jets sont responsables de l’allongement longitudinal.
La nébuleuse W50 (NRAO/AUI/NSF, K. Golap, M. Goss) |
MQ1 est très similaire à SS433. Sauf que sa luminosité dépasse la luminosité Eddington pour un trou noir de 10 masses solaires, qui vaut 1039
erg/s.
Une solution envisageable pour expliquer cette luminosité extravagante est de considérer que le taux de matière qui tombe vers le trou noir est énorme, les calculs montrent alors deux conséquences : on obtient bien une luminosité décuplée, mais également un vent sphérique qui emporte alors la quasi-totalité de la matière.
C’est comme si le flot de gaz qui tombe vers le trou noir était si important qu’il ne peut plus s’enrouler autour du trou, mais au contraire est expulsé tout autour. Et le calcul montre que pour qu’un tel phénomène apparaisse, la quantité de matière qui doit tomber vers le trou par unité de temps est gigantesque : 0,0001 masse solaire par an. Comme l’étoile compagnon semble ne faire qu’une masse de l’ordre d’une masse solaire, cela signifie qu’elle pourrait disparaître en 10000 ans seulement ! Et elle n’est donc pas absorbée par le trou noir, mais son gaz attiré rapidement vers le disque d’accrétion puis rejeté sphériquement pour former une grosse bulle gazeuse autour du trou.
Mais en fait, rien ne dit que le processus se poursuive jusqu’à la disparition complète de l’étoile compagne. En effet, une stabilisation du système doit apparaître lorsque la masse de l’étoile compagne devient inférieure à celle du trou noir : à partir de ce moment-là, tout transfert de masse supplémentaire doit alors produire un éloignement des deux objets pour assurer la conservation du moment angulaire du système, et en s’éloignant, la quantité de matière transférée de l’étoile compagne vers le trou noir s’amenuise, menant à un état relativement stable. Il semble que MQ1 soit récemment parvenu à cette stabilité, ce qui n’est pas encore le cas pour SS433.
Ces phénomènes d’hyperaccrétion sont peut-être impliqués dans la plupart des sources X ultralumineuses (ULX), car le rayonnement de ces systèmes se trouve orienté dans la direction privilégiée de l’axe du trou noir, parallèle aux jets de matière. Il n’est pas exclu que ce qu’on appelle par défaut des ULX ne soient rien d’autre que ces types d’objets vus par chance dans leur direction d’émission privilégiée, à la manière des quasars pour les trous noirs supermassifs.
Source :
Super-Eddington Mechanical Power of an Accreting Black Hole in M83
R. Soria et al.
Science Vol. 343 no. 6177 pp. 1330-1333 21 March 2014:
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