Il n'y a pas que les Américains, les Japonais, les Européens et les Chinois qui s'intéressent aux neutrinos, les Indiens aussi veulent tout savoir sur ces particules qui recèlent encore des mystères non résolus.
Pour étudier les neutrinos, il y a plusieurs possibilités : soit on essaye de détecter des neutrinos produits par le Soleil (des neutrinos solaires), ou bien des neutrinos produits par des réactions de rayons cosmiques dans l'atmosphère (des neutrinos atmosphériques), des neutrinos venant directement des confins de la galaxie ou d'autres galaxies (des neutrinos astrophysiques), ou enfin des neutrinos que l'on fabrique nous-même dans des réacteurs nucléaires et dans des accélérateurs de particules.
Vue schématique de l'implantation du laboratoire souterrain INO (INO collaboration) |
Les neutrinos les plus nombreux et les plus faciles à observer sont sans conteste les neutrinos solaires et atmosphériques. Ce sont ces derniers que les physiciens Indiens ont décidé d'étudier de près dans le but avoué d'avancer dans la compréhension des paramètres encore méconnus des neutrinos, et notamment cette question si importante qu'on appelle le problème de la hiérarchie des masses.
Les neutrinos existent sous la forme de trois saveurs distinctes, électronique, muonique et tauique, reliées aux leptons électron, muon et tau. Ces trois types de neutrinos ont tous une masse, très faible, et différente l'une de l'autre. Mais nous ne savons toujours pas aujourd'hui quelles sont les valeurs de ces masses et surtout quel neutrino est le plus léger et le plus lourd. C'est cette question fondamentale qui est appelée le problème de la hiérarchie des masses en physique des neutrinos. Ce que nous connaissons actuellement des masses des différents neutrinos, ce sont leurs écarts de masse au carré. Nous savons également assez bien comment un neutrino d'une certaine saveur oscille pour se transformer en un neutrino d'une autre saveur au cours de son mouvement dans le vide ou la matière.
Les neutrinos atmosphériques sont principalement constitués de neutrinos de type muonique. Il existe plusieurs familles de détecteurs permettant d'observer ce genre de neutrinos malgré leur très faible probabilité d'interaction (rappelons qu'un neutrino est capable de traverser la Terre de part en part sans interagir) : les détecteurs Cherenkov à eau (comme SuperKamiokande au Japon, Antarès en Méditerranée ou IceCube en Antarctique), les détecteurs à argon liquide, et les détecteurs à aimants. Dans ces trois cas, ce n'est pas le neutrino qui est directement détecté, mais une particule secondaire issue d'une réaction du neutrino incident dans le détecteur, un muon chargé en l’occurrence.
Protoype de chambre à plaque résistive utilisée dans le détecteur ICAL (INO) |
Les physiciens Indiens ont décidé de développer un détecteur du troisième type : un énorme aimant sous forme de plaques de fer magnétisées, intercalées par des plaques de détection. Pour cela, ils doivent construire un laboratoire souterrain exclusivement dédié (dans un premier temps) à ce détecteur. L'utilisation d'un laboratoire souterrain est ici cruciale pour protéger le détecteur de muons des milliards de muons provenant (comme les neutrinos recherchés) de la haute atmosphère et qui sont eux aussi assez pénétrants, mais heureusement bien moins que ne le sont les neutrinos, et forment de fait un signal parasite qu'il faut à tout prix éliminer.
Ce projet de laboratoire est appelé India-based Neutrino Observatory (INO) et est prévu d'être creusé sous une montagne du district de Theni dans l'état de Tamil Nadu, environ à 110 km de la ville de Madurai. C'est d'ailleurs à Madurai que seront installés les locaux opérationnels associés au laboratoire souterrain. INO bénéficiera ainsi d'une couverture rocheuse de 1200 m, soit un peu moins que le laboratoire souterrain français de Modane (1800 m de roche). INO sera accédé grâce à un tunnel spécialement creusé pour l'occasion, d'une longueur de 2,1 km, qui débouchera sur une cavité principale d'un volume très intéressant de 132 m x 26 m x 20 m, entourée de plusieurs cavités expérimentales plus petites qui pourront accueillir diverses petites expériences requérant elles-aussi un environnement à ultra-bas bruit de fond radioactif.
Le détecteur indien est nommé ICAL. C'est ce qu'on appelle dans le jargon un calorimètre. Il sera très imposant, composé de 50000 tonnes de plaques de fer magnétisées entrelacées avec des milliers de chambres à plaques résistives, toutes disposées horizontalement. Il sera à même de détecter des particules chargées et de produire leur trace. Le champ magnétique appliqué sur ce gigantesque aimant aura une valeur de 1,3 Tesla, considérable...
ICAL devrait ainsi permettre de déterminer à la fois la nature de la charge des muons détectés (positive ou négative, signant l'interaction d'un neutrino ou d'un antineutrino muonique), leur impulsion, et leur énergie, des données indispensables pour atteindre les paramètres cinématiques des neutrinos incidents, informations cruciales recherchées pour explorer le problème de la hiérarchie des masses des neutrinos.
Les membres de la collaboration INO lors d'une réunion en avril 2014 (INO Collaboration) |
A l'heure actuelle, le design du détecteur est en cours grâce au développement de prototypes et à de nombreuses simulations des interactions particules-matière et permettent d'évaluer quelles pourront être les performances du détecteur. La collaboration INO est déja forte d'une cinquantaine de physiciens et physiciennes indiens répartis sur une quinzaine d'instituts et universités.
Une durée de l'ordre de 15 ans de prise de données semble indispensable pour atteindre une sensibilité intéressante, à moins que les données de ICAL ne soient mises en commun avec d'autres expériences de détection de neutrinos, et pas forcément des neutrinos atmosphériques, mais pourquoi pas des neutrinos produits par l'homme, comme les neutrinos japonais issus d'accélérateur de l'expérience T2K, ou les neutrinos de réacteur français de l'expérience DoubleChooz ou chinois de Daya Bay.
La recherche sur les neutrinos ne connaît heureusement pas de frontières et l'arrivée d'un nouveau venu dans l'arène ne peut être qu'une bonne nouvelle.
Source :
Next-generation atmospheric neutrino experiments
A. Kouchner
Physics of the Dark Universe, 4, 60-74 (2014)
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