On connaissait les planètes errantes, expulsées de leur système solaire et vagabondant dans le vide interstellaire..., on connaissait les étoiles fugitives, éjectées de leur galaxie à grande vitesse et subissant le même sort..., on connaissait les trous noirs supermassifs, errants eux aussi, projetés à grande vitesse lors de fusions de galaxies... et bien il faut désormais aussi compter sur des galaxies errantes, devenues désespérément seules, éjectées de leur amas de galaxies sans plus de politesse...
Vue d'artiste du phénomène d'ejection d'une galaxie elliptique compacte par une interaction gravitationnelle à trois corps (ESA/NASA/ Andrey Zolotov) |
C'est en 2013 que le premier spécimen de galaxie elliptique compacte complètement isolée fut observé. Alors que les astronomes pensaient jusque là que ce type de galaxies étaient des galaxies qui avaient dû être dépouillées de grandes quantités d'étoiles par de plus grosses galaxies, ce cas isolé posait question. Comment avait-elle pu être produite, se retrouvant seule comme ça ? Une équipe d'astronomes s'est donc fixé comme objectif de répondre à cette question. Ils ont pour cela exploré de grandes quantités de données préexistantes à la recherche de galaxies de ce type rare d'elliptiques compactes.
Ils ont exploité ce qu'on appelle l'Observatoire Virtuel, qui n'est autre qu'une gigantesque base de données astronomiques, et plus particulièrement des données optiques provenant du Sloan Digital Sky Survey (SDSS) et des données en ultra-violet provenant du télescope GALEX (GALaxy Evolution eXplorer).
Ils ont trouvé 195 nouvelles galaxies compactes elliptiques, venant s'ajouter aux 30 déjà connues. La plupart d'entre elles se trouvent situées au sein d'amas de galaxies, mais 11 parmi celles-ci sont totalement isolées, en dehors de tout amas, mais avec des propriétés tout à fait identiques à celles contenues dans des amas.
Les deux astronomes russes travaillant l'un aux Etats-unis et l'autre en France publient leur étude dans la revue Science et y concluent que ces petites galaxies étaient auparavant comme les autres au sein d'amas de galaxies, et qu'elles ont effectivement perdu une belle quantité d'étoiles récupérées par une galaxie plus grosse, comme pour les autres compactes elliptiques, mais qu'elles ont dû rencontrer une troisième galaxie à un moment de leur histoire, et cette rencontre a été fatale. L'interaction gravitationnelle à trois corps, dont deux de masse beaucoup plus importante que la troisième a eu pour effet d'éjecter littéralement la petite galaxie compacte.
Les astronomes ont produit un visuel pour expliquer le phénomène (voir l'image).
C'est exactement le même phénomène que ce qui se passe lors de l'éjection d'une planète en dehors d'un système planétaire ou de celle d'une étoile en dehors d'un système multiple.
Evidemment, ce qui est nouveau, c'est qu'il s'agit ici de toute une galaxie qui se retrouve propulsée dans le milieu intergalactique à grande vitesse, et se retrouve totalement isolée.
Les auteurs fondent leur proposition sur une estimation de la probabilité d'une rencontre à trois corps au sein d'un amas de galaxies et avec l'aide de simulations numériques. Sur la durée de vie d'une galaxie elliptique compacte, qui vaut 2 milliards d'années environ, une grosse galaxie autour de laquelle gravite la petite galaxie elliptique compacte, doit avoir subi en moyenne trois à quatre fusions avec des galaxies massives de plus de 10 milliards de masses solaires. En considérant que la galaxie compacte se trouve sur une orbite quasi-circulaire avec un rayon de 120 kpc (400 000 années-lumière), que la troisième galaxie peut provenir de n'importe quelle direction et qu'une interaction gravitationnelle à trois corps se produit à une distance minimale de 20 kpc, les astronomes obtiennent une probabilité d'occurrence du phénomène de 6 à 8% (pour 3 ou 4 fusions de galaxies).
Selon Igor Chilingarian et Ivan Zolotukhin, les galaxies elliptiques compactes qui sont observées isolées ont bel et bien une origine commune à celles qui sont observées au sein des amas, mais elles ont subi une éjection lors d'une interaction gravitationnelle entre grosses galaxies. Il apparaît que c'est une chance de survie pour ces galaxies, qui, si elles étaient restées au sein de l'environnement violent d'un amas de galaxies, auraient fini complètement dépouillées de leurs étoiles par les grosses galaxies environnantes en quelques milliards d'années.
Elles ont survécu mais sont maintenant bien seules, à la dérive pour toujours...
Sources :
Isolated compact elliptical galaxies: Stellar systems that ran away
Igor Chilingarian, Ivan Zolotukhin
Science Vol. 348 no. 6233 pp. 418-421 (24 April 2015)
Stripped and cast out, the universe's loneliest galaxies
Daniel Clery
Science News (23 April 2015)
5 commentaires :
Bonjour,
Tiens, si on pouvait disposer de données concernant les courbes de rotation de ces galaxies isolées, ce serait un bon test de l'idée présentée par Stéphane Le Corre dans son article "Dark matter, a new proof of the predictive power of general relativity", dont vous avez parlé il y a quelques semaines sur ce blog : si son explication tient, on ne devrait pas trouver d'"anomalie" dans ces courbes de rotation (elles devraient être à peu près conformes à ce que prédit la gravitation newtonienne) ; sinon ça sera plutôt un point en faveur de l'hypothèse de la matière noire.
Cordialement,
Yves
J’ai pensé exactement la même chose que vous. Ce serait un très bon test. Par contre ça n’invaliderait pas complètement la solution. Ca invaliderait l’origine par un seul cluster. Mais le k0 pourrait provenir encore de l’ensemble des clusters (comme dans un champ de spin qui génère un champ uniforme à très grande échelle) c’est le cas B Bis de mon étude ou bien il pourrait provenir d’une autre structure (cluster de cluster) ! Mais effectivement cela confirmerait que le calcul grossier (par proportionnalité) qui redonnait le bon k0 n’était qu’un pur hasard (cf. notre discussion sur mon article)! A l'inverse l'absence d'anomalie serait un nouvel indice du bien fondé de ma solution! ("nouvel" car les observations sur les mouvements plans des galaxies satellites en est un 1er)
Inversement, on pourrait aussi essayer de regarder si il y a des éléments systématiques dans l'environnement de galaxies montrant des courbes de rotation "atypiques". Il existe une galaxie atypique de ce genre, NGC 7793, elle montre une courbe de rotation qui décroit à longue distance... comme si elle avait très très peu de matière noire. C'est une galaxie spirale qui fait partie d'un groupe (le groupe du Sculpteur, qui a ceci de particulier qu'il est très allongé et faiblement lié), cette galaxie a été mesurée en 1990 (voir l'abstract avec pas mal de données : là : http://ned.ipac.caltech.edu/cgi-bin/ex_refcode?refcode=1990AJ....100..394C ).
Les données de NGC 7793 sont ici : http://ned.ipac.caltech.edu/cgi-bin/objsearch?objname=NGC+7793&extend=no&out_csys=Equatorial&out_equinox=J2000.0&obj_sort=RA+or+Longitude&of=pre_text&zv_breaker=30000.0&list_limit=5&img_stamp=YES#Attributes_0
NGC 7793 est aussi connu pour abriter un trou noir stellaire extrêmement vorace, qui défie les lois des trous noirs... (pour la culture).
Effectivement Eric et j'en parle d'ailleurs dans mon article au paragraphe "4.2 Experimental evidences". Cette observation s'explique bien avec la solution que je propose.
OK, ça fait déjà un moment que je me suis imprégné de vos articles et je ne me souvenais pas que NGC 7793 était mentionnée...
En revanche, dans votre article vous dites juste que c'est celle qui est la plus distante du groupe, mais il s'agit de la distance depuis chez nous. Il faudrait connaitre les distances des différentes galaxies du groupe entre elles, et si NGC 7793 se trouve bien en bord de cluster, ce qui n'est pas évident, même si elle se trouve être la plus éloignée.
Et ça serait utile de trouver d'autres cas ressemblant à celle-ci... J'ai l'impression qu'ils sont rares.
Sinon, se rabattre sur ces galaxies errantes... mais comme il s'agit de compactes elliptiques, c'est sans doute plus délicat de déterminer des courbes de rotation...
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