Pour la première fois, des astronomes ont réussi à déterminer la forme en 3 dimensions d'un nuage de gaz interstellaire. Cette reconstruction fondée sur une méthode inédite, permet en outre de comprendre pourquoi ce nuage d'hydrogène moléculaire n'a pas produit d'étoiles jusqu'à aujourd'hui.
Aris Tritsis et Konstantinos Tassis (Université d'Heraklion, Crète), ont réanalysé des observations archivées de ce mince nuage qui apparaît comme un filament de gaz, situé à une distance comprise entre 490 et 650 années-lumière (entre 150 et 200 pc). Les deux astronomes montrent dans leur article que publie cette semaine le journal Science, que ce qui nous apparaît comme un filament longiligne de 26 années-lumière est en fait une feuille épaisse vue par la tranche, qui s'étend sur 20 années-lumière dans la profondeur.
Le nuage de la Mouche (du nom de la petite constellation australe où il se trouve) est parfois appelé la "nébuleuse du bidule sombre", à cause de sa forme particulière et de son absence de couleur. Il s'agit d'un nuage de gaz moléculaire, un mélange de dihydrogène et de poussière, où les étoiles se forment classiquement. Sa forme a longtemps posé question aux spécialistes : si il était vraiment de forme cylindrique, sa densité aurait due être suffisamment élevée pour que des étoiles y naissent. Or aucune étoile ne s'y est formée.
Dans le but de comprendre ce qui se passe avec la nébuleuse du bidule sombre, les astronomes grecs ont exploité un phénomène peu commun : l'observation dans l'infra-rouge lointain avec le télescope spatial Herschel de striations dans le gaz du nuage, qui apparaissent pour la plupart orthogonales à la direction du filament cylindrique tel qu'on le voit.
D'après les astrophysiciens, la formation de striations implique l'excitation d'ondes magnétoacoustiques rapides, des ondes de pression magnétiques (ou magnétohydrodynamiques) longitudinales, un peu similaires à des ondes acoustiques mais produites par le champ magnétique. Ces ondes compriment le gaz et forment des structures ordonnées, parallèles aux lignes de champ magnétique.
Ces ondes se propagent dans le nuage et rebondissent sur ses bords, laissant apparaître un nuage qui vibre entièrement sous l'effet des champs magnétiques. Et la fréquence des ondes qui est déduite des striations fournit une information clé sur la taille et la forme de l'objet dans lequel elles évoluent, dans tout son volume. C'est ainsi que les chercheurs trouvent qu'au lieu d'être un cylindre de gaz, le bidule sombre est un grand parallélépipède avec ses grandes faces presque carrées.
Et cette forme déterminée pour la première fois en 3D explique tout de suite pourquoi le nuage de la Mouche n'a pas produit d'étoiles et n'en produira pas avant 10 millions d'années d'après les chercheurs. Il n'est pas suffisamment dense.
Le nuage de la Mouche va maintenant servir de référence pour appliquer cette méthode inédite de sismologie magnétohydrodynamique à d'autres nuages de gaz du même type, à la recherche des mystère de la formation des étoiles par la géométrie de leur berceaux.
Source
Magnetic seismology of interstellar gas clouds: Unveiling a hidden dimension
Aris Tritsis, Konstantinos Tassis
Science Vol. 360, Issue 6389 (11 May 2018)
Illustrations
1) Le nuage moléculaire de la Mouche, semblant former un long filament sombre (Marco Lorenzi)
2) Forme réelle du nuage de la Mouche reconstruite en 3D grâce à l'observation des striations (les couleurs correspondent à la densité du gaz, les lignes noires sont les lignes de champ magnétique) (A. Tritsis)
1 commentaire :
que voilà une recherche bien carrée !
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