Depuis la publication de leurs premiers résultats en 2013, les chercheurs exploitant le détecteur orbital AMS-02 ont toujours détecté un excès de positrons (ou antiélectrons) dans le rayonnement cosmique. Aujourd'hui, ils publient leur tout nouveaux résultats avec 5 ans de données en plus, notamment dans la partie haute du spectre en énergie des positrons, et on observe une nouveauté : le flux de positrons commence à décliner, faisant désormais apparaître très nettement deux populations distinctes de positrons : une population à basse énergie, qui peut être expliquée, et la seconde à haute énergie qui est aujourd'hui inexplicable...
Le détecteur de particules et d'antiparticules du rayonnement cosmique AMS-02 est fixé sur l'ISS depuis 2011. Depuis près de 8 ans maintenant, il a accumulé la détection des centaines de millions d'électrons, de positrons, de protons, d'antiprotons, de particules alpha, et de noyaux légers dont il mesure l'énergie avec une grande précision. Les positrons les plus énergétiques détectés par AMS-02 atteignent environ 1 TeV (1000 GeV), soit environ 1000 fois la masse d'un proton. Le nombre total de positrons détectés depuis la mise en service de l'Alpha Magnetic Spectrometer (voulu et imaginé par le prix Nobel 1976 Samuel Ting) s'élève à 1,9 millions. Les plus énergétiques sont les plus rares. La construction du spectre en énergie, qui donne le flux de particules en fonction de leur énergie, se fait donc au fur et à mesure des détections et est une véritable école de patience. Il y a 5 ans, aucun positron de plus de 500 GeV n'avait encore été détecté, la distribution spectrale montrait alors une forme et une évolution curieuses avec un excès de détections inexpliquées par rapport aux modèles des sources de rayons cosmiques qui étaient connus.
Aujourd'hui, l'étude publiée dans Physical Review Letters montre que le nombre de détections à haute énergie s'est multiplié et pour la première fois, des positrons de plus de 500 GeV ont été détectés. Mais alors que l'on pouvait penser que le flux de positrons pouvait continuer à augmenter en fonction de leur énergie, les flux obtenus au delà de 500 GeV sont plus faibles que ceux existant à une énergie de 300 GeV où semble apparaître un maximum (à 284 GeV très exactement).
Cette distribution du spectre en énergie des positrons qui commence donc vraiment à prendre forme, et qui s'affinera encore dans les années qui viennent, est ajustée par les physiciens de la vaste collaboration AMS-02 par deux bosses se chevauchant partiellement dans le milieu du spectre, et qui correspondent donc à deux termes-source différents pour ces positrons. La première bosse, correspondant aux positrons de basse énergie est bien expliquée par un processus de collisions de protons énergétiques dans le milieu interstellaire. Mais la deuxième bosse est encore mystérieuse, ne correspondant à rien de connu. Cette dernière semble en outre montrer une coupure en énergie située à environ 810 GeV (entre 630 et 1120 GeV pour être exact, avec donc encore une grosse barre d'erreur). Cette brutale chute du flux à cette énergie particulière pourrait être une indication de l'origine de ces positrons sous la forme d'une particule de matière noire d'environ 810 GeV qui se désintégrerait où qui s'annihilerait avec son antiparticule en produisant finalement des positrons.
Mais les physiciens des astroparticules sont encore loin de pouvoir clamer la découverte indirecte d'une nouvelle particule très massive. La population de positrons à haute énergie qui est détectée par AMS-02 pourrait aussi être produite par une source astrophysique encore inconnue, les physiciens en conviennent.
Mais il y a un indice très intéressant concernant ces positrons de haute énergie détectés par AMS-02. En effet, le détecteur, outre leur énergie, mesure aussi la direction d'arrivée des particules, or deux analyses fines de la direction d'arrivée des positrons de plus de 16 GeV (le début de la seconde bosse), ont été effectuées dans deux thèses conduites au sein de la collaboration AMS à Madrid et à Karlsruhe et concluent toutes les deux à une quasi parfaite isotropie : les positrons énergétiques viennent de toutes les directions de manière équiprobable, un comportement difficile à concilier avec une source astrophysique située dans notre galaxie...
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Source
Towards Understanding the Origin of Cosmic-Ray Positrons
M. Aguilar et al. (AMS Collaboration)
Physical Review Letters 122, 041102 (29 January 2019)
Illustrations
1) Le spectre en énergie des positrons détectés par AMS-02 (flux multiplié par l'énergie au cube en fonction de l'énergie), montrant l'existence de deux bosses se chevauchant partiellement (AMS Collaboration)
2) Le détecteur AMS-02 arrimé à la station spatiale internationale (NASA)
7 commentaires :
Bonjour Eric, et merci encore pour cette nouvelle info et surtout du rythme très soutenu de vos publications actuelles.
Cet article ne serait-il pas le seul ou presque de ces derniers temps allant dans le sens d'une possible détection directe de MN ? et donc le seul qui conforterait (un peu) le lambda CDM au milieu d'une foule d'observations plutôt contradictoires ? De plus, si j'ai suffisamment bien compris votre article -et sa conclusion sur l'anisotropie des détections-, il est quand même bien optimiste et prometteur pour la matière noire !
Voilà qui est de plus en plus palpitant !
N'allons pas trop vite. La matière noire est une des causes possibles de cet excès de positrons à haute énergie. D'autres explications plus "classiques" pourraient être trouvées dans le futur...
Et dans ce cas, on parle pas de détection directe mais de detection indirecte (la detection d'un produit secondaire). La detection directe vise à détecter la particule elle-meme
"les positrons énergétiques viennent de toutes les directions de manière équiprobable, un comportement difficile à concilier avec une source astrophysique située dans notre galaxie" . Voilà qui ne peut laisser d'humeur isotrope !
Le 17/12/16 mon blog préféré (ça se passe la-haut, bien sûr!) rapportait les derniers résultats d'AMS 02 ; outre la courbe de flux de positrons, il était question : d'un possible excès d'anti-protons, débattu car fraction p-/p+ petite et incertitudes sur la production par l'ISM ; d'une anomalie pour He et Li ; de rares particules compatibles avec un noyau d'anti Hélium 3. A-t-on avancé sur ces questions ?
Ah oui très juste, c'est de l'indirect. Les cuves à xénon restent silencieuses (si on peut dire)...
Oui, Pascal, il y a eu du nouveau. La mise à jour des résultats a été annoncée au mois de mai 2018 au CERN dans un séminaire, qui a été enregistré et qui est disponible en ligne. Vous pouvez regarder tout ça ici : https://cds.cern.ch/record/2320166
Merci ! Beaucoup de questions et de résultats inexpliqués. Il va sans doute falloir attendre 2024 pour clarifier les choses, y compris pour la courbe des positrons à haute énergie...
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