jeudi 21 février 2019

Observation d'un jet de matière traversant le résidu de la fusion d'étoiles à neutrons


L’événement de fusion de deux étoiles à neutrons qui a été détecté à la fois par des ondes gravitationnelles et par une multitudes d'observations électromagnétiques le 17 août 2017 a-t-il laissé derrière lui une très grosse étoile à neutrons ou bien un trou noir de faible masse ? Aujourd'hui, des observations en ondes radio par de très nombreux radiotélescopes en interférométrie, effectuées 207 jours après le cataclysme montrent qu'un jet de matière structuré et très véloce est en train de s'échapper des résidus de la collision, signe évident de la présence d'un trou noir.




On se souvient de l'émoi qu'avait suscitée cette observation complètement inédite qui a permis de comprendre tellement de choses, à commencer par la nature des kilonovas et des GRB courtes, sans compter la création des plus lourds éléments de la table de Mendeleïev. La fusion des deux étoiles à neutrons a eu lieu à 130 millions d'années-lumière dans la galaxie NGC 4993, elle a été détectée par ses ondes gravitationnelles par les deux interféromètres américains LIGO et l'européen VIRGO. Quasi simultanément, l'événement localisé a pu être suivi et étudié tout d'abord en rayons gamma (la GRB) puis dans toutes les longueurs d'ondes, depuis les ondes radio jusqu'aux rayons X, fournissant des informations d'une richesse incroyable durant plusieurs semaines, montrant la présence de ce qui ressemblait à un cocon de matière où se serait "englué" un jet de plasma relativiste.
Mais les observations ne se sont pas arrêtées à l'été 2017, car tout n'était pas encore complètement compris. Les astrophysiciens avaient réussi à déterminer que le jet de rayonnement correspondant à la bouffée gamma observée (la GRB) s'était développé avec un angle incliné d'environ 30° par rapport à notre ligne de visée. Mais il fallait encore déterminer les caractéristiques et l'origine de ce jet et si il y avait bien un trou noir qui se serait finalement formé et qui pourrait être à l'origine des étonnantes observations qui ont suivies.

Plusieurs semaines après l'événement en effet, les astrophysiciens ont pu assister à une réaugmentation inattendue du flux de rayonnement radio et de rayonnement X alors que ceux-ci avaient déjà très fortement diminué, et ces nouvelles émissions électromagnétique ont ensuite duré plusieurs mois avant de décroître à nouveau. Les spécialistes ont d'abord expliqué ce phénomène par le fait que de la matière éjectée par la collision s'était retrouvée en contact avec du gaz du milieu interstellaire, produisant de nouvelles interactions. Cette matière éjectée pouvait être liée de près ou de loin au jet induit dans la fusion des deux étoiles à neutrons, comme l'avaient montré plusieurs simulations. 
C'est donc pour tester ce scénario qu'une vaste collaboration de 36 astrophysiciens a scruté le résidu de GW170817 avec un instrument à très haute résolution pour tenter de caractériser au mieux le jet de matière présumé 200 jours après le cataclysme. Ils ont utilisé ensemble pas moins de 32 radiotélescopes répartis sur 5 continents pour former un énorme radiotélescope virtuel (en mode interférométrique à très longue base) et atteindre une résolution spatiale suffisamment bonne pour imager directement la forme de la source radio produite par le bord du jet de matière.
Giancarlo Ghirlanda (Istituto Nazionale di Astrofisica–Osservatorio Astronomico di Brera) et ses collaborateurs publient leur étude dans Science aujourd'hui. Leurs résultats sont impressionnants : la taille de la source radio ne fait que 2,5 milliarcsecondes. Les chercheurs montrent ainsi que la fusion des deux étoiles à neutrons à produit deux jets de matière très structurés, qui ne produisent pas une émission radio de forme boursoufflée ressemblant à une interaction dans un cocon, mais au contraire, les jets semblent traverser littéralement l'éjecta de la collision et s'échappent rapidement dans le milieu interstellaire à une vitesse proche de la vitesse de la lumière. 
Or, les seuls jets de matière ou de plasma de ce type qui ont pu être observés l'ont été autour de trous noirs en train d'accréter de la matière. Ce ne serait donc pas l'événement de la collision des deux étoiles à neutrons qui aurait produit les jets observés mais le trou noir qui s'en est suivi quelques secondes après que l'étoile à neutrons résultante s'est elle-même effondrée car trop massive pour rester stable.

Le fait que les jets proviennent de l'activité accrétante du trou noir explique pourquoi l'émission radio et X s'est mise à réaugmenter de façon inattendue quelques semaines après le 17 août 2017 : le temps pour que suffisamment de matière forme un disque autour du trou noir.


C'est en fait probablement la meilleure preuve que nous ayons aujourd'hui pour affirmer que la fusion des deux étoiles à neutrons de GW170817 a finalement produit un trou noir, qui se trouve du coup être le plus petit trou noir que nous connaissons (2,5 masses solaires).
En outre, comme le taux d'apparition des GRB faiblement intense, comme le fut GRB 170817 A, peut être directement lié à la fonction de luminosité des jets structurés comme celui observé ici, et qu'ils ont une estimation du nombre de fusions d'étoiles à neutrons attendu (1540/an/Gpc3), Giancarlo Ghirlanda et ses collaborateurs peuvent estimer la fraction des fusions d'étoiles à neutrons qui doivent produire un jet de matière parvenant à traverser l'éjecta de la collision et devenant visible: 10%.

Alors que l'interféromètre gravitationnel LIGO va être très bientôt remis en route après une longue pause pour une amélioration qui doit lui faire augmenter sa sensibilité de 50%, passant à une distance maximale de détection de 173 Mpc pour les fusions d'étoiles à neutrons, la future amélioration (nommée ALIGO+) est d'ores et déjà planifiée et vient juste de trouver son financement. ALIGO+ devrait permettre de multiplier encore par deux la sensibilité de détection à l'horizon 2023, offrant la possibilité cette fois d'"écouter" les fusions d'étoiles à neutrons jusqu'à une distance de 325 Mpc (environ 1 milliard d'années-lumière). Les détections de fusions d'étoiles à neutrons deviendront alors quasi hebdomadaires...


Source

Compact radio emission indicates a structured jet was produced by a binary neutron star merger
G. Ghirlanda et al.
Science  (21 Feb 2019)


Illustrations

1) Vue d'artiste d'un jet de matière produit après la fusion de deux étoiles à neutrons (BEABUDAI DESIGN)

2) Carte des 32 radiotélescopes utilisés dans cette étude (PAUL BOVEN/JIVE )

3) Image de la source radio produite par le jet issu de GW170817 (G. Ghirlanda et al./Science)

4) Vue d'artiste de la production des jets par le trou noir formé accrétant de la matière du résidu de la collision/fusion (O.S. SALAFIA, G. GHIRLANDA, NASA/CXC/GSFC/B. WILLIAMS ET AL.)

1 commentaire :

APolitic a dit…

Encore une fois (de temps à autre juste pour piqûre de rappel) merci pour tous ces article !