lundi 14 octobre 2019

Une grande masse sombre se trouve au centre de l'amas globulaire M62


Une masse invisible imposante, mais détectable par ses effets gravitationnels sur des pulsars, est observée au centre de l'amas globulaire M62. Gros trou noir de plusieurs milliers de masses solaires ou milliers de petits trous noirs stellaires ? Les astrophysiciens n'arrivent pas à choisir. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.




Les amas globulaires comme M62 contiennent des dizaines ou centaines de milliers d'étoiles, et parmi celles-ci une population non négligeable de résidus de supernovas : pulsars ou trous noirs. Les pulsars sont très intéressants car leur pulsation radio est directement liée à leur rotation intrinsèque et lorsque ces pulsars sont perturbés gravitationnellement, leur rotation s'en ressent et donc aussi leur pulsation radio. Les pulsars peuvent ainsi être de véritables sondes de mesure du champ gravitationnel qui les entoure via la mesure de leur accélération. C'est la technique qu'ont utilisée Federico Abbate (Università degli Studi Milano-Bicocca) et ses collègues italiens pour déterminer s'il existait une masse invisible au centre de l'amas globulaire M62. Ils ont pu exploiter cette mesure grâce à la nouvelle distance de M62 beaucoup plus précise qui a été obtenue par le satellite-télescope européen Gaia. 
M62 contient six pulsars millisecondes connus, qui sont tous dans des systèmes binaires (en orbite autour d'une étoile), et parmi eux, trois qui se trouvent très près du centre de l'amas, à seulement environ 0,3 années-lumière.

En étudiant de près comment la pulsation de ces pulsars évolue au cours du temps, les chercheurs italiens retracent les accélérations subies par ces étoiles à neutrons, et trouvent qu'elles ne peuvent être expliquées que s'il existe une masse de 3900 masses solaires (en fait comprise entre 1200 et 6000 masses solaires), située au centre de M62. Une masse pas négligeable du tout car correspondant à une fraction comprise entre 0,2% et 1% de la masse totale de l'amas globulaire (l'amas M62 fait 600 000 masses solaires).
La densité de masse centrale qui est calculée par Abbate et ses collaborateurs à partir de l'accélération des pulsars vaut  310 000 ± 20 000  M☉.pc−3, qui est deux fois plus élevée que les estimations issues de simulations à N corps effectuées l'année dernière. Il y a donc bien un excès de masse au centre de M62. Quant au rapport masse/luminosité de la zone la plus centrale, il apparaît 6 fois plus élevé que la valeur solaire. La présence de quelque chose de très massif et très peu lumineux ne fait donc aucun doute.
La première hypothèse qui vient est un gros trou noir de plusieurs milliers de masses solaires, un "trou noir de masse intermédiaire", mais les chercheurs ne peuvent pas encore en être sûrs. Il pourrait aussi s'agir d'une population très dense de trous noirs de masse plus faible, voire de naines blanches ou d'étoiles à neutrons, bref, des résidus de supernovas.
Abbate et ses collègues expliquent qu'un tel système très compact de résidus denses aurait pu se former dans les premières phases de vie d'un amas globulaire et aurait pu survivre depuis, surtout si l'amas possède un long temps de relaxation, comme c'est le cas pour M62, qui a un temps de relaxation estimé à 1 milliard d'années. 
La présence d'un trou noir de masse intermédiaire avait déjà été proposée en 2012 (2000 masses solaires) à partir d'observations de M62 dans le visible (Lutzgendorf et al, dans Astronomy & Astrophysics), mais ces résultats avaient ensuite été disputées en 2017 (Baumgardt et al. dans MNRAS). L'année dernière, des données d'observation de signes d'accrétion avaient donné une limite supérieure pour la masse d'un trou noir intermédiaire dans M62 : 1130 masses solaires très exactement... 
Mais d'un autre côté, une étude parue il y a quelques mois dans The Astrophysical Journal (C. Ye et al.) a montré que la présence d'un grand nombre de petits trous noirs au centre des amas (souvent assemblés en couples), devait "chasser" les pulsars millisecondes en dehors de la zone la plus centrale, ce qui est incompatible avec ce qui est observé dans M62...
Il ne reste donc plus aux astrophysiciens en quête de découvertes, pléonasme, qu'à poursuivre les observations de M62 pour tirer le fin mot de l'histoire...


Source

Evidence of Nonluminous Matter in the Center of M62
Federico Abbate et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 884, Number 1 (7 october 2019)
https://doi.org/10.3847/2041-8213/ab46c3


Illustration

La région centrale de l'amas globulaire M62 (NASA, ESA, STScI, and S. Anderson (University of Washington) and J. Chaname (Pontificia Universidad Católica de Chile)

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