Les astronomes ne manquent pas d’idées pour faire des observations intéressantes. La technique de l’occultation d’étoile est bien connue pour analyser l’atmosphère d’une planète par le spectre d’absorption de la lumière d’une étoile lointaine. Mais le 1er février 2016, une équipe a profité non pas d’une occultation d’étoile mais de trois étoiles parfaitement alignées, pour analyser avec la sonde Cassini l’atmosphère de Titan en profondeur et sur une large zone en latitude. Et ce n'était pas n’importe quelles étoiles : les trois étoiles de la ceinture d’Orion. Ils publient leurs résultats dans la revue de planétologie Icarus, un article qu'ils ont simplement intitulé Titan occultations of Orion’s belt observed with Cassini/UVIS.
C’est avec le spectromètre ultraviolet UVIS de Cassini que Roger Yelle (Université de l’Arizona) et ses collaborateurs ont fait ces observations uniques. Les étoiles 𝜁, 𝜖, et 𝛿 Orionis ont été occultées ensemble par l’atmosphère de Titan, ce qui a permis de déterminer les propriétés atmosphériques simultanément à trois latitudes différentes, éliminant ainsi toute incertitude associée aux possibles variations temporelles.
Les occultations UV contraignent la composition atmosphérique sur une large gamme d'altitude, s'étendant d’environ 350 km, où elles se superposent à des mesures antérieures obtenues dans l'infra-rouge, et jusqu’à plus de 1000 km, où elles se connectent aux mesures in situ (publiées en 2009). Et des occultations UV simultanées à trois latitudes permettent d'étudier plusieurs aspects de la circulation globale et de la distribution des espèces photochimiques sur Titan. Les gammes l’ultra-violets observés par Cassini avec son instrument UVIS sont d’une part l’ultra-violet lointain (FUV, Far UV), entre 191 nm et 111 nm de longueur d’onde et d’autre part l’ultra-violet extrême (EUV, Extreme UV), entre 118 nm et 87 nm.
Les occultations ont été mesurées seulement en sortie des étoiles du disque de Titan. Yelle et son équipe précisent que le signal est devenu apparent à des altitudes d’environ 350 km et l'atmosphère est devenue totalement transparente à des altitudes supérieures à environ 1400 km. Mais les mesures se sont poursuivies jusqu'à des altitudes supérieures à 4000 km, pour avoir obtenir un grand nombre de spectres non atténués de manière à évaluer les performances du spectromètre et aussi de mesurer avec précision les spectres stellaires servant de référence non atténuée.
𝛿, 𝜖, et 𝜁 Ori sont toutes les trois des étoiles chaudes avec des spectres de type O9.5, B0 et O9.5 respectivement, et sont donc d'excellentes sources dans les longueurs d'onde FUV et EUV. On sait que 𝜖 Ori est variable, mais sa période est de plusieurs jours, bien plus longue que la durée des observations de l'occultation. Les deux autres étoiles peuvent également être variables, mais sur des échelles de temps encore beaucoup plus longues. Il faut dire que les spectres dans la gamme EUV ont été enregistrés avec une cadence de 6,75 s, et seulement de 2,65 s pour les spectres FUV. Cela se traduit par un échantillonnage en altitude en EUV qui varie de 7,96 km à 8,47 km (ça varie légèrement en fonction de l’altitude considérée), mais comme les spectres sont ensuite moyennés 4 par 4, cet échantillonnage se ramène à un découpage en altitude compris entre 29,7 et 33,9 km. Pour les canaux FUV, les chercheurs font en sorte de travailler avec les mêmes découpages d’altitude : les spectres sont plus fréquents mais ils sont moyennés 10 par 10 pour améliorer le rapport signal/bruit, ce qui produit un découpage en altitude compris entre 26,5 km et 31,3 km.
Les spectres d’absorption EUV
mesurent les abondances en N2, CH4 et HCN. A partir de la
mesure de N2 , les chercheurs peuvent contraindre la structure de
l'atmosphère. Ils déterminent comme ça les fractions molaires des espèces
d'hydrocarbures et de nitriles. Ils peuvent ensuite faire une comparaison fine avec
les modèles photochimiques, ce qui mène à distinguer une différence entre les
variations latitudinales de composition et les variations latitudinales de
température.
Les spectres FUV ne montrent aucune
raie de l’azote N2, mais en revanche de nombreux autres composés hydrocarbonés
et azotés : CH4 , C2H2, C2H4,
C2H6, C4H2, C6H6,
HC3N, HCN ainsi que des aérosols. Le CH4 and le HCN sont visibles
dans les deux plages de longueur d’onde mais beaucoup moins clairement dans la zone
FUV.
Yelle et ces collaborateurs peuvent ensuite regarder comment évoluent les teneurs de ces différents composés au cours de l’occultation, c’est-à-dire pour différentes latitudes simultanément et pour des altitudes différentes au cours du temps par pas d’une trentaine de kilomètres.
𝜁 Ori a ainsi scanné des
latitudes comprises entre 14 et 26° (hémisphère nord), 𝜖 Ori
elle, la zone entre 27° et 36° et 𝛿,
celle entre 39° et 46°. En termes d’altitude, les trois étoiles permettent
de scruter la même plage : entre 400 km et 1400 km de la surface de Titan.
Dans ces mesures, pour chaque valeur d’altitude atmosphérique, trois latitudes
séparées d’environ 12° ont pu être observées simultanément.
Yelle et son équipe en tirent des informations
précieuses sur la structure de l’atmosphère du satellite de Saturne. Ils
déduisent l’existence de variations significatives en latitude pour C2H2,
C2H4, C4H2, les aérosols, et la
température : plus de 50% de variation entre ce qui est obtenu avec 𝜁
Ori et avec 𝜖 Ori (à une altitude entre 500 et 700 km). Ces
variations fournissent selon eux des indices sur les schémas de circulation atmosphérique
globale de Titan.
Les résultats de ces mesures ne
sont pas tous cohérents avec les modèles photochimiques théoriques : les
abondances en C2H2 et en C2H4 sont
surestimées par le modèle de plusieurs dizaines de pourcents par rapport à ce
qui est observé à une altitude correspondant à une pression supérieure à 10−5
hPa, l’abondance en C4H2 et C6H6
sont quant à elles sous-estimées par le modèle théorique par un facteur 2 à
toutes les altitudes pour le premier, et seulement pour les pressions
inférieures 10−5 hPa pour le second.
Yelle et ses collaborateurs ne trouvent
pas de signe de variations de la fraction molaire du méthane (CH4) :
elle est mesurée à une valeur proche de 1% aux altitudes inférieures à 950 km cohérente
avec des valeurs publiées en 2014 issues de mesures de Cassini (instrument
INMS), mais elle est inférieure aux mesures in situ de la sonde Huygens
(publiées en 2010).
Quant aux estimations de températures
déduites des trois occultations, elles apparaissent cohérentes jusqu’à une
altitude de 1100 km puis divergent à plus haute altitude, ce qui avait été déjà
précédemment observé par l’instrument INMS de Cassini. Le tracé du profil de température
montre des perturbations grosso modo périodiques, que les planétologues
estiment pouvant être dues à la présence de phénomènes de marées
atmosphériques...
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