Les publications d'études en préprints peuvent avoir un grand intérêt lorsqu'elles donnent des prédictions à court terme, notamment sur un temps inférieur à la durée du processus de publication dans une revue à comité de lecture. C'est le cas de ce travail de Mikhail Denissenya, Bruce Grossan et Eric Linder (Université de Berkeley) qui ont prédit le 19 mars dernier dans le préprint de leur article que le magnétar SGR 1935+2154 allait se réveiller en juin pour une période d'activité de 4 mois. Le magnétar est effectivement redevenu actif le 24 juin avec une nouvelle bouffée de rayons X et gamma suivie par d'autres... et le papier de Denissenya et al. Distinguishing time clustering of astrophysical bursts est paru dans Physical Review D le 6 juillet...
Les magnétars sont des étoiles à neutrons dotées de champs magnétiques parmi les plus puissants connus, capables d'émettre de brefs sursauts d'ondes radio, mais aussi de rayons X et de rayons gamma de basse énergie. En étudiant en détail la distribution temporelle des sursauts de rayons X de SGR 1935 +2154, magnétar qui s'est rendu célèbre pour avoir montré l'année dernière la production d'un sursaut de type FRB dans notre galaxie pour la première fois, Denissenya, Grossan et Linder ont découvert que ces sursaut n'étaient pas complétement aléatoires dans le temps. Ils sont aléatoires, mais uniquement durant certaines périodes de temps qui sont elles-mêmes espacées de durées bien définies. Ces fenêtres ont une durée de 4 mois et sont espacées par une période inactive qui dure 3 mois. Les chercheurs nomment ce phénomène un comportement fenêtré périodique (PWB : periodic windowed behaviour).
Dans leur article, qui a donc été soumis à Physical Review D le 19 mars, les trois chercheurs analysent 159 sursauts de rayons X détectés jusqu'en février 2021 par le réseau interplanétaire Third
Interplanetary Network (IPN3) qui inclut de nombreux télescopes et sondes munis de détecteurs de rayons X, et notamment la sonde Wind et son instrument Konus. Dans ces données dans lesquelles on peut distinguer à l'oeil la présence de périodes actives et inactives, il est est très difficile de quantifier une périodicité ou un taux de "clustering". Denissenya et ses collaborateurs appliquent un algorithme qu'ils ont développé spécifiquement pour la détection de motifs spéciaux dans des événements rares aléatoires. Le résultat de cette analyse donne un motif avec des plages d'activité du magnétar de 127,8 jours, suivies par une inactivité durant 102,8 jours, un motif qui se répète tous les 230,6 jours. La fraction du temps qui est active est donc de 55,4%. La probabilité que ce motif ne soit pas dû à une coïncidence est de 99,7%.
A partir de ce qui ressemblait à la dernière période active observable, Denissenya, Grossan et Linder annoncent donc que les deux prochaines périodes actives de SGR 1935+2154 auront lieu du 1er juin 2021 au 7 octobre 2021 puis du 18 janvier 2022 au 26 mai 2022. On imagine l'angoisse qui a dû étreindre les trois physiciens entre le 19 mars et début juin, espérant plus que tout qu'aucune éruption de rayons X n'apparaisse en provenance du magnétar, car elle falsifierait immédiatement leur modèle avant même que leur article ne soit publié dans Physical Review. Puis ils ont sans doute dû attendre fébrilement après le 1er juin, non seulement le retour des referees sur leur article, mais aussi l'apparition d'un nouveau sursaut. L'article a finalement été accepté pour publication le 11 juin et c'est le 24 juin, soit trois semaines après le début de la fenêtre d'activité prédite, que le premier nouveau sursaut de SGR1935+2154 a été observé, après l'interruption de trois mois prévue, confirmant brillamment la prédiction des chercheurs. L'article a été publié le 6 juillet par Physical Review D. Depuis, le premier sursaut X a été suivi de près d'une douzaine d'autres, dont un le jour de la publication de l'article.
L'absence de sursauts pendant plusieurs mois a donc été une source d'information précieuse dans cette recherche. Les chercheurs pensent maintenant que le comportement périodique fenêtré pourrait caractériser les émissions d'autres objets astronomiques. L'année dernière, des chercheurs avaient suggéré que les émissions de sursauts radio rapides (FRB) répétitives pouvaient elles aussi être regroupées selon un modèle périodique fenêtré (voir ici et là). Mais les données étaient très intermittentes, et les outils statistiques et informatiques permettant d'établir fermement une telle affirmation n'étaient pas encore bien développés. Mais comme on associe maintenant les FRB répétitifs avec les magnétars, le point commun entre les deux devient un indice fort d'une origine commune pour les différents types de sursauts de rayonnement.
Il existe plusieurs hypothèses qui pourraient expliquer une activité périodique par fenêtres. Comme on pense que les sursaut de rayons X et gamma des magnétars sont dus à des tremblements de la surface de l'étoile à neutrons induits par l'interaction du champ magnétique extrême avec la croûte, si la rotation est accompagnée d'une précession (une oscillation dans la rotation), la source d'émission pourrait ne pointer vers la Terre que dans une certaine fenêtre temporelle. Une autre hypothèse très différente fait intervenir l'existence d'un nuage dense en rotation autour du magnétar, mais qui aurait un trou laissant passer les émissions durant une fenêtre temporelle bien définie.
Cette belle découverte permet d'avancer dans la compréhension des magnétars et aussi de leur lien avec les sursauts rapides d'ondes radio. Le suivi de près du magnétar SGR1935+2154 va maintenant être crucial, puisqu'il est devenu un véritable laboratoire astrophysique.
Source
Distinguishing time clustering of astrophysical bursts
Mikhail Denissenya, Bruce Grossan, and Eric V. Linder
Phys. Rev. D 104, 023007 (6 July 2021)
Illustrations
1) Vue d'artiste d'une éruption de rayonnement X à la surface d'un magnétar (NASA Goddard Space Flight Center/Chris Smith, USRA/GESTAR)
2) Schéma du motif temporel d'activité du magnétar SGR1935+2154 (Mikhail Denissenya)
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