17/05/24

Observation inédite d'une oscillation transitoire à 19,5 Hz dans le sursaut gamma (kilonova) GRB 211211A


Une équipe d’astrophysiciens à découvert la présence d’une oscillation de courte durée dans le signal gamma du sursaut GRB 211211A. Elle n’a duré que 0,2 s, 1,6 s après le début du sursaut, puis a disparu. Deux origines possibles en sont déduites pour ce GRB. L’étude est parue dans The Astrophysical Journal.

GRB 211211A est apparu le 11 décembre 21, détecté par plusieurs télescopes gamma, d’abord Swift, puis Fermi 17 millisecondes plus tard. On pense aujourd’hui qu'il existe deux catégories de sursauts gamma : ceux qui sont produits par un type particulier de supernova à effondrement de cœur, qui produisent le plus souvent des sursauts longs (d'une durée de plusieurs dizaines de secondes ou plus), et ceux qui sont produits par la fusion de deux étoiles à neutrons ou éventuellement d'une étoile à neutrons et d'un trou noir, et qui produisent le plus souvent des sursauts courts (d'une durée de quelques secondes ou plus courte). Mais un nombre croissant de GRB brouillent les frontières entre ces deux catégories. Par exemple, GRB 211211A a duré plus d'une minute, mais son spectre et surtout la présence apparente d'une kilonova après le sursaut suggèrent une fusion d’objets compacts plutôt qu'une supernova par effondrement de cœur, comme l’avaient montrées les études sur ce GRB en 2022 (Rastinejad et al., Troja et al. et Yang et al.).

La détection d'oscillations quasi-périodiques (QPO) dans la courbe de lumière des rayons gamma peut permettre de mieux comprendre la nature des GRB en général, et des sursauts anormaux tels que GRB 211211A en particulier. Par exemple, les QPOs avec des fréquences supérieures à 1000 Hz pourraient être liés aux oscillations d'une étoile à neutrons hypermassive ou d'un disque d'accrétion peu après la fusion. Des preuves de telles oscillations avaient été trouvées dans GRB 910711 et GRB 931101B par Chirenti et al. en 2023, et des fréquences similaires ont aussi été observées dans une éruption géante de magnétar par Castro-Tirado et al. en 2021.

Des oscillations à plus basse fréquence, de l'ordre de 10 à 100 Hz, sont également prévues dans plusieurs modèles. Par exemple, si une étoile à neutrons fusionne avec un trou noir de faible masse en rotation rapide, la précession de Lense-Thirring du disque d'accrétion résultant pourrait conduire à des oscillations du flux gamma dans cette gamme de fréquences puisque l’émission gamma est induite par le choc du jet produit par l’objet compact sur le gaz environnant.

Cecilia Chirenti et ses collaborateurs ont effectué une analyse temporelle des données de Fermi et Swift sur le GRB 211211A. En regardant de très près comment évolue le flux de photons gamma en fonction du temps, et aussi en fonction de leur énergie, les chercheurs trouvent une petite oscillation de flux, mais qui est extrêmement significative, avec une fréquence de 19,5 Hz. Cette évolution du signal est exactement la même dans les données enregistrées par Swift BAT (Burst Alert Telescope) et dans celles de Fermi GBM (Gamma ray Burst Monitor).

Les astrophysiciens notent qu'une autre oscillation de fréquence 22 Hz provenant cette fois du précurseur du GRB (avant le sursaut) avait été rapportée par Xiao et al. en 2022 et modélisée comme une réplique sismique d'une éruption de croûte résonante par Suvorov et al. (2022). Chirenti et ses collaborateurs observent également un petit excès de puissance à cette fréquence pendant le précurseur, mais pas avec une importance suffisante pour prétendre à une détection. L'oscillation de 19,5 Hz est en revanche très nette, elle commence 1,6 s après le début du sursaut, et se termine brusquement après seulement 0,2 s. Son amplitude fractionnelle est plus élevée à des énergies de photons plus élevées.

Il est notoirement difficile d'établir la présence d'un signal périodique dans des données qui sont dominées par un bruit rouge. Cela avait été expérimenté dans des recherches de trous noirs supermassifs binaires, où des preuves prometteuses de périodicité avaient été ensuite affaiblies avec des données supplémentaires. L'une des raisons de la difficulté, qui s'applique également aux données de GRB, est que le bruit rouge lui-même peut avoir une structure qui peut être confondue avec une périodicité. Dans l’approche utilisée par les auteurs, ils permettent au bruit rouge d'avoir une grande variété de formes, et les chercheurs montrent que même avec cette flexibilité, l’oscillation à la fréquence de 19,5 Hz se distingue aisément.

Ils ont repris la méthode de détection de QPO de Miller et al. (2019), qui avait été utilisée dans le contexte d'une recherche de QPO dans le signal de l'éruption géante du répéteur de rayons gamma mous SGR 1806-20, où il y a aussi un bruit rouge important. Chirenti et al. l’avaient d’ailleurs déjà utilisée en 2023 pour découvrir des QPOs de haute fréquence (kilohertz) dans les données de GRB 910711 et GRB 931101B. En bref, la méthode effectue une comparaison de modèle bayésien entre un modèle sans QPO (qui pourrait avoir un excès de bruit rouge, blanc ou bleu) et un modèle avec un ou plusieurs QPO lorentziens (qui peuvent également avoir un excès de bruit), en utilisant des données spectrales de puissance.

Il existe donc bien un signal de 19,5 Hz de fréquence de très courte durée qui est fortement perçu 2,66 s après le début du sursaut, et indépendamment, dans les données de Swift BAT et Fermi GBM, avec des caractéristiques similaires (par exemple, la fréquence et la largeur de la fréquence). Il est donc très peu probable que ce signal soit un artefact instrumental, selon les chercheurs.

Quelle peut être l’origine d’un tel signal quasi périodique dans ce GRB ? Cecilia Chirenti et ses collaborateurs évaluent toutes les pistes possibles, en commençant évidemment par examiner quelles sources peuvent produire des fréquences de l'ordre de 19,5 Hz.

La fréquence d’oscillation caractéristique d'un objet de densité moyenne ρ est √ρG. Comme 19,5 Hz est bien supérieur au maximum de 1 Hz qu'on obtient pour les naines blanches et les objets moins denses, ceux-ci sont exclus. Donc, le QPO de 19,5 Hz indique une origine d'étoile à neutrons ou de trou noir.

En considérant le cas d’un trou noir, on sait que la fréquence fondamentale d'un trou noir est de ∼104 Hz(M/M), multipliée par un facteur de l'ordre de l'unité qui dépend du paramètre de spin du trou noir et de l'harmonique du mode. Ainsi, un trou noir de 500 M aurait une fréquence proche du signal détecté. Le facteur de qualité observé de Q = π f/Δf ≳ 60 est assez élevé pour un ringdown de trou noir, mais serait possible si le paramètre de spin est supérieur à 0,99. Mais l'observation d'une kilonova provenant de ce GRB, qui suggère qu'une étoile à neutrons a été détruite, n'est pas compatible avec une interaction avec tel trou noir de masse élevée, car une étoile à neutrons entrerait dans l'horizon d’un trou noir de 500 masses solaires sans être déchirée. Pour les chercheurs, il semble donc que le signal provienne d'un mode d’oscillation ou d'une rotation d'une étoile à neutrons seule, ou bien d'un disque d'accrétion autour d'une étoile à neutrons ou d'un trou noir.


Les modes d’oscillation de type p des étoiles à neutrons, y compris le mode f fondamental, ont des fréquences beaucoup trop élevées (>1000 Hz) pour expliquer le signal observé. Les modes g des étoiles à neutrons ont une fréquence plus basse mais devraient être au moins de plusieurs centaines de Hz et sont donc également trop élevés, bien que la valeur exacte dépende de l'équation d'état des étoiles à neutrons (mal connue) et puisse être plus basse. Les fréquences pourraient aussi être plus basses pour une proto étoile à neutrons en raison de sa densité plus faible, mais cet état devrait évoluer rapidement en densité et il est donc difficile de comprendre comment il pourrait produire une fréquence de 19,5 Hz.

Cecilia Chirenti et ses collaborateurs cherchent ensuite quels sont les cas qui ont déjà produit des QPO avec des fréquences comparables au signal de 19,5 Hz. Il en existe dans deux cas d’éruptions géantes de répéteurs de rayons gamma mous (soft gamma ray repeaters) : SGR 1900 + 14 et SGR 1806-20. Mais il n'y a pas de consensus clair sur l'origine de ces QPO dans ces deux sources, les candidats évoqués sont les modes de torsion de la croûte d’une étoile à neutrons et les modes magnétohydrodynamiques dans son noyau.

Ici, dans le cas de GRB 211211A, on rappelle que l’oscillation apparaît 1,6 s après le début du sursaut. En aussi peu de temps, il n’est pas possible qu’une croûte dure se soit reformée, rendant donc l’hypothèse d’un effet de croûte difficile à imaginer. Les modes MHD du noyau de l’étoile à neutrons ne sont quant à eux pas aussi faciles à réfuter, bien qu’il soit difficile dans ce cas de comprendre pourquoi l’oscillation soit apparue et disparue aussi abruptement.

Les chercheurs évaluent donc ensuite la possibilité de la rotation d’une étoile à neutrons.  Une étoile à neutrons pourrait tourner à une fréquence compatible avec le signal. Le taux de rotation initial après la fusion des deux étoiles à neutrons initiales serait élevé, avec une fréquence aux alentours de ∼1500 Hz, ce qui signifie qu'elle devrait ralentir en l'espace de ∼1,6 s jusqu’à une fréquence de 19,5 Hz. Pour produire un ralentissement de la rotation d’une étoile à neutrons, on dispose soit du rayonnement dipolaire magnétique de type pulsar, soit de l'interaction d'un champ magnétique stellaire avec la matière retombant sur l’étoile à neutrons, ou bien le rayonnement gravitationnel d'une étoile asymétrique. Dans ce dernier cas, Chirenti et ses collaborateurs constatent que même pour une étoile d’asymétrie maximale, le rayonnement gravitationnel prendrait des dizaines de milliers de secondes pour ralentir l’étoile à neutrons jusqu'à 19,5 Hz, donc solution rejetée. Les mécanismes impliquant des champs magnétiques, eux, nécessitent tous les deux des intensités de champ de l’ordre de 1018 G pour produire l’effet escompté en seulement 1,6 s. C’est une valeur de champ magnétique 100 plus grande que les plus forts champs magnétiques jamais observés. Extrême hypothèse, mais théoriquement pas impossible pour les chercheurs. Cependant, l'argument le plus fort contre le scénario de la rotation d’une étoile à neutrons vient de l’énergie. Pour passer de 1500 Hz à 19,5 Hz, les chercheurs calculent que l’énergie émise lors du freinage serait de 9 1052 erg. Mais l’énergie totale isotrope de GRB 211211A a été mesurée en 2019 par Minaev et al. et elle vaut 1,16 1052 erg… Ainsi, si l'étoile tournait à 19,5 Hz, la fluence observée serait beaucoup plus importante que celle observée dans GRB 211211A.

Cecilia Chirenti et son équipe se tournent alors vers d’autres solutions possibles pour expliquer cette étonnante oscillation. Une autre possibilité serait selon les chercheurs l’existence d’une précession du résidu de fusion, s'il ne tourne pas autour de l'un de ses axes principaux. La précession est le phénomène de changement graduel d'orientation de l’axe de rotation d'un objet. Pour une étoile de forme oblate, la fréquence de précession est approximativement égale à la fréquence de rotation multipliée par la différence fractionnelle des moments d'inertie. Pour arriver à 19,5 Hz, cela impliquerait une déformation oblate de l'ordre de 1% à 2%, ce qui semble plausible pour une étoile à neutrons. Physiquement, si la direction du jet est modifiée par la précession, alors le flux observé pourrait être modulé à cette fréquence.


Et il existe une dernière possibilité, qui implique cette fois un disque d'accrétion. Il a en effet été suggéré que si un trou noir en rotation rapide détruit une étoile à neutrons, et si le disque d'accrétion résultant a un axe qui n'est pas aligné avec l'axe de rotation du trou noir, alors, à des taux d'accrétion élevés, la précession de Lense-Thirring qui est induite par la courbure de l’espace-temps du trou noir en rotation, pourrait conduire le disque d’accrétion à une précession qui aurait une fréquence de l'ordre de 10 à 100 Hz. La modulation qui est observée pourrait donc être due à la précession d'un jet qui serait aligné sur l'axe du disque. Si c'est le cas, cela suggère que le trou noir aurait une faible masse (car sinon l'étoile à neutrons n'aurait pas été détruite à l'extérieur de son horizon) et qui aurait un spin (rotation) suffisamment élevé pour produire une forte précession de Lense-Thirring.

Le défi le plus important pour tout modèle du signal de 19,5 Hz est d'expliquer comment il commence et se termine aussi brusquement. Dans l'idée du disque en précession, il faudrait un certain temps pour que le disque se bloque dans une rotation dite de « corps solide » ; avant cela, il n'y aurait pas de direction claire pour l'axe du disque et donc pas de fréquence définie. Une fois que le disque est en rotation solide, il se peut que l'alignement avec l'axe de rotation du trou noir et/ou la vidange rapide du disque dans le trou noir réduisent rapidement l'amplitude de la précession. Une autre considération pourrait être la profondeur optique : peut-être le système devait-il se débarrasser d'une certaine quantité de matière avant que le QPO puisse être observé. Une explication complète nécessitera certainement des simulations numériques convaincantes, qui dépassent le cadre de l’étude de Chirenti et al.

En conclusion, Cecilia Chirenti et ses collaborateurs indiquent le modèle qui leur semble le plus cohérent pour expliquer l’oscillation quasi périodique qu’ils ont trouvée dans GRB 211211A. Pour eux, c’est la précession qui semble la plus cohérente avec les caractéristiques observées. L’origine du signal modulé serait la précession de Lense-Thirring d'un disque d'accrétion résiduel après la dislocation d'une étoile à neutrons par un trou noir de faible masse et en rotation rapide. Cela impliquerait un trou noir avec une masse et un spin qui pourraient ne pas être représentés dans les échantillons actuels d'ondes gravitationnelles.

Mais les chercheurs gardent tout de même la porte ouverte pour l’autre modèle de précession, celui qui n’avait encore jamais été exploré jusqu’à aujourd’hui dans ce contexte : la précession du résidu de la fusion, qui dans ce cas ne se serait pas (encore) effondré en un trou noir au moment où le QPO est visible.

Des simulations numériques ciblées vont maintenant être nécessaires pour déterminer si la coalescence d’objets compacts peut effectivement produire le comportement qui est observé…

 

Source

Evidence of a Strong 19.5 Hz Flux Oscillation in Swift BAT and Fermi GBM Gamma-Ray Data from GRB 211211A

Cecilia Chirenti et al.

The Astrophysical Journal, Volume 967, Number 1 (15 may 2024)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/ad3bb7

 

Illustrations

1. La lumière rémanente de GRB 211211A (International GeminiObservatory/NOIRLab/NSF/AURA/M. Zamani; NASA/ESA)

2.  Le télescope Swift (NASA)

3. Le télescope Fermi (NASA)

4.Localisation de GRB 211211A  (NASA, ESA, Rastinejad et al. (2022), Troja et al. (2022)

5. Courbes de lumière enregistrées par Swift et Fermi (Chirenti et al.)

6. Distribution des fréquences d'oscillation mesurées dans le GRB et dans le progéniteur (Chirenti et al.)

7. Vue d'artiste d'une fusion de deux étoiles à neutrons formant un GRB et une kilonova (NASA, ESA, and D. Player (STScI))

8. Cecilia Chirenti





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