dimanche 12 mai 2024

Découverte de lobes radio émanant de la galaxie du Sombrero (M104)


Une équipe d'astrophysiciens chinois vient de découvrir l'existence de lobes radio sortant de la belle galaxie du Sombrero 
(alias M104 ou NGC 4594) sur une longueur jusqu'à 30000 années-lumière. Une belle découverte obtenue avec le Very Large Array, et publiée dans The Astrophysical Journal.

La galaxie du Sombrero se trouve à une distance de 9,5 Mpc (31 millions d'A.L), c'est la galaxie à disque la plus massive située à une distance inférieure à 30 Mpc. M104 a une masse stellaire de 200 milliards de masses solaires et une vitesse de rotation inhabituellement élevée 𝑣 ∼ 379 km. s−1, ce qui permet de déduire une masse totale de son halo 𝑀h  ∼ 10 000 milliards de masses solaires. Comme les astronomes amateurs le savent bien, M104 vue quasi par la tranche et est isolée dans son champ, sans compagnes massives à proximité.  La formation d'étoiles de la galaxie du Sombrero est assez inactive, avec un taux de 0,4 M par an.
En revanche, et c'est ce qui a intrigué les astrophysiciens depuis de nombreuses années, son émission de rayons X est inhabituellement élevée par rapport aux galaxies à disques de même masse ou même taux de formation stellaire. On sait en outre que la galaxie du Sombrero accueille un trou noir supermassif qui a une masse d'environ 1 milliard de masses solaires qui montre une luminosité d'accrétion (un rapport d'Eddington) très faible de 10-5

Les observations existantes à multi-longueurs d'onde ont révélé un noyau compact produisant une émission de rayons X et radio ainsi que des jets bipolaires de dimension caractéristique sub-parsec et parsec, mais il n'existait aucune preuve antérieure de structures à grande échelle liées à ces jets. Dans un noyau galactique actif, les jets collimatés et les structures à grande échelle associées transportent une quantité importante d’énergie vers l’extérieur du trou noir supermassif en accrétion dans le noyau galactique. Cette énergie est injectée dans le milieu interstellaire ou le milieu circumgalactique sous forme d'énergie mécanique, thermique, magnétique, et de rayons cosmiques. Et une bulle de rayons X entourant un jet radio est une preuve observationnelle directe de l’interaction entre le jet et le gaz environnant. La plupart des bulles de rayons X sont détectées dans des amas de galaxies massifs où la densité du gaz est élevée. 

Yang Yang (Observatoire de la Montagne Pourpre, académie des sciences chinoise) et ses collaborateurs ont observé le cœur de la galaxie du Sombrero avec le réseau de radiotélescopes américain VLA, dans un programme d'étude appelé CHANG-ES (Continuum Halos in Near Galaxies – Expanded Very Large Array Survey). La cartographie du flux d'ondes radio a permis aux astrophysiciens chinois de découvrir l'existence de lobes de part et d'autre du plan du disque de M104, qui s'étendent jusqu'à 10 kpc en dessous et au dessus du disque. Ils ont aussi examiné l'équilibre qui devait exister entre la pression magnétique à l'intérieur des lobes et la pression thermique du gaz chaud ambiant. Aux rayons de 1 à 10 kpc, la pression magnétique à l'intérieur des lobes et la pression thermique des gaz chauds ambiants apparaissent généralement en équilibre. Cela implique selon Yang et ses collaborateurs que les jets pourraient se propager dans au moins jusqu'à 10 kpc également.

Les chercheurs estiment que le feedback du jet du noyau galactique actif, qui serait responsable des lobes radio à grande échelle, pourrait expliquer la luminosité inhabituellement élevée en rayons X qui est observée sur cette galaxie à disque isolée. Parce que son rayonnement X est par exemple environ 100 fois plus brillant que celui de la galaxie NGC 3115 qui est une galaxie très similaire : massive à disque isolée, avec taux de formation stellaire similaire. L'efficacité du rayonnement X, notée 𝜂 (définie comme la fraction de l'énergie des supernovas injectée qui est libérée sous forme de rayonnement X) de M104 ne peut pas du tout être expliquée par sa seule activité de formation stellaire ou par l'environnement à grande échelle autour de la galaxie.

Les chercheurs chinois rappellent toutefois qu'il convient de faire attention au fait qu’une injection accrue d’énergie par le jet d'un AGN n’entraîne pas nécessairement une augmentation de l’émission de rayons X. Les simulations hydrodynamiques indiquent que les jets d'AGN chauffent le gaz diffus ambiant, le redistribuent sur de plus grandes distances et ont ainsi tendance à réduire la densité du gaz et la luminosité des rayons X à long terme. Mais, au début d'un regain d'activité d'un AGN à jet, le choc induit par le jet peut aussi balayer le gaz chaud ambiant, ce qui augmente considérablement la densité du gaz dans le choc en aval et donc augmenterait ainsi potentiellement la luminosité totale en rayons X. Selon Yang et ses collaborateurs, cet effet pourrait être plus fort dans des galaxies telles la galaxie du Sombrero que dans des amas de galaxies plus massifs.

Les chercheurs chinois ont estimé la quantité d'énergie mécanique et le temps nécessaires pour souffler des jets à l'échelle de 10 kpc dans un milieu chaud, dans l'hypothèse d'un équilibre entre les pressions magnétiques et thermiques du gaz chaud à 10 kpc. Ils ont supposé une forme cylindrique du lobe radio et ont calculé l'injection d'énergie totale (en supposant que tout provient des jets) qui est nécessaire pour équilibrer la pression thermique du gaz chaud.

En supposant que les jets se propagent à 400 km.s-1, et que la température du milieu est de 0,6 keV,  le délai pour former un lobe à l'échelle de 10 kpc serait de 18 Mégannées. Cette échelle de temps dynamique est nettement plus courte que l’échelle de temps de refroidissement synchrotron des électrons du rayonnement cosmique. Par conséquent, Yang et ses collaborateurs peuvent négliger la perte radiative des électrons, sans importance énergétique pour la formation des lobes radio, pour calculer la puissance moyenne requise du jet. Ils trouvent une énergie totale de 1055 erg (1048 Joules) et une puissance de 2,7 1040 erg.s-1 (2,7 1033 Watts).

Je pense pouvoir dire que le trou noir de la galaxie du Sombrero n'est pas en train de faire la sieste...


Source

CHANG-ES. XXX. 10 kpc Radio Lobes in The Sombrero Galaxy
Yang Yang et al.
The Astrophysical Journal (10 may 2024)


Illustrations

1. La galaxie du Sombreo imagée par le télescope Hubble (NASA/ESA and The Hubble Heritage Team (STScI/AURA) )
2. Cartographie radio de M104 révélant la présence de lobes (Yang et al.)
3. Yang Yang

Aucun commentaire :