09/11/24

Les sursauts radio rapides préfèrent les galaxies massives


Les sursauts radio rapides (FRB) sont de brefs éclairs d’ondes radio suffisamment énergétiques pour être observés depuis la Terre même lorsqu’ils proviennent de galaxies lointaines. Bien que la source de ces sursauts soit encore mal cernée, la découverte d’un signal de type FRB émanant d’un magnétar de la Voie Lactée nous a fourni un indice clé en avril 2020. Mais ce FRB galactique était considérablement plus faible que les autres FRB connus, et un autres FRB confirmé provenant lui d’une vieille population d’étoiles a ajouté un autre facteur de confusion, car les magnétars sont des jeunes étoiles à neutrons et très énergétiques. Dans un article publié dans Nature cette semaine, Kritti Sharma (CalTech) et ses collaborateurs rapportent l'étude qu'ils ont effectuée sur les environnements des galaxies d’où proviennent les FRB, et leurs résultats suggèrent que ces sursauts radio pourraient provenir de magnétars créés de manière non conventionnelle...

Entre février 2022 et novembre 2023, Sharma et ses collaborateurs ont déterminé les galaxies hôtes de 26 FRB à l'aide d'un réseau d'antennes appelé le Deep Synoptic Array (DSA-110), situé en Californie.  Connaître la position précise des FRB dans le ciel est crucial pour identifier les galaxies hôtes dans lesquelles ils sont apparus. Bien que des milliers de FRB atteignent la Terre chaque jour (et que des centaines aient été détectés), découvrir un large échantillon de sursauts et mesurer leur position avec suffisamment de précision pour localiser leurs galaxies hôtes reste un défi. En utilisant le DSA-110, Sharma et ses collègues ont pu doubler le nombre de FRB qui ont pu être associés de manière fiable à leur galaxie hôte. Le réseau est actuellement l'un des instruments les plus efficaces pour localiser un grand nombre de FRB, atteignant en moyenne environ une association FRB-galaxie par mois. La localisation précise des galaxies hôtes des FRB est actuellement la seule méthode fiable pour mesurer avec précision les vastes distances parcourues par ces puissants flashs. La capacité à localiser précisément un grand nombre de sursauts est ainsi cruciale pour découvrir les origines de ces signaux cosmiques, ainsi que pour permettre l'utilisation des FRB comme sondes pour étudier les propriétés de l'Univers.

Après avoir ajouté 26 autres galaxies hôtes de FRB issues d'études précédentes, les auteurs ont ensuite sélectionné 30 galaxies de cet échantillon, après avoir exclu celles qui étaient trop éloignées pour une étude détaillée. Cet échantillon réduit confirme que les FRB proviennent généralement de régions où se trouvent de jeunes populations stellaires. 
Cependant, Sharma et al . ont également observé que ces sursauts sont plus susceptibles de provenir de galaxies massives, avec un grand nombre d'étoiles, bien que ces galaxies soient relativement rares dans l'Univers. Et ils montrent que les galaxies plus petites, qui sont beaucoup plus courantes, produisent, en moyenne, moins de sursauts radio que prévu sur la base de leur prévalence. 

Les observations des FRB suggèrent que leurs progéniteurs pourraient être des magnétars, de jeunes étoiles à neutrons provenant principalement de supernovas à effondrement de cœur. Sharma et al . ont calculé la probabilité de trouver un FRB dans une galaxie d'une masse stellaire donnée et ont découvert que la distribution divergeait de celle des supernovas à effondrement de cœur, en particulier à faible masse, sachant que la probabilité des supernovas est cohérente avec la distribution simulée des masses des galaxies pondérées par leur taux de formation d'étoiles.
Les auteurs concluent que la différence pourrait être le résultat de la formation de magnétars par des mécanismes autres que les supernovas à effondrement de cœur « standard », par exemple, après la fusion d'un système d'étoiles binaires.



Ce résultat peut s'expliquer par la métallicité des galaxies, qui correspond à l'abondance d'éléments plus lourds que l'hydrogène et l'hélium. Les galaxies massives ont généralement une métallicité plus élevée que leurs homologues plus petites. Cette préférence pour les galaxies massives aux environnements riches en éléments lourds distingue les FRB des autres phénomènes astronomiques transitoires, qui ont tendance à coexister avec de jeunes étoiles ou à se produire dans des environnements dominés par l'hydrogène et l'hélium. Les environnements riches en métaux peuvent favoriser la formation de progéniteurs de magnétars par fusion stellaire selon les chercheurs, car les étoiles à plus forte métallicité sont moins compactes et plus susceptibles de remplir leurs lobes de Roche, ce qui conduit à un transfert de masse instable. Bien que les étoiles massives n'aient pas d'intérieurs convectifs pour générer des champs magnétiques forts par dynamo, on pense que les restes de fusion ont les champs magnétiques internes requis pour donner naissance à des magnétars. L'occurrence préférentielle de FRB dans les galaxies massives formatrices d'étoiles suggère que c'est une supernova à effondrement de cœur du reste d'une fusion d'étoiles qui forme préférentiellement des magnétars. 

La découverte de Sharma et de ses collègues affaiblit donc le lien potentiel entre les FRB et d'autres types de phénomènes astronomiques transitoires. Et la formation de magnétars par des systèmes binaires pourrait également expliquer l’apparition occasionnelle de FRB dans des régions où les populations stellaires sont plus anciennes, car les systèmes d’étoiles binaires peuvent avoir une durée de vie considérablement plus longue que celle des magnétars isolés.

Certaines différences sont également apparentes dans les distributions des décalages spatiaux au sein des galaxies entre les FRB et les classes de transitoires qui tracent la formation des étoiles. Les décalages des FRB plus importants peuvent être révélateurs des longs retards temporels dans l'apparition des supernovas à effondrement de coeur impliquant des étoiles binaires en interaction (50 à 250 Mégannées contre 3 à 50 mégannées pour une étoile massive isolée), ce qui impliquerait que ces supernovas se produisent de manière substantiellement décalée spatialement par rapport aux sites de naissance des étoiles. Par exemple, si les mouvements stellaires typiques au site de naissance sont d'environ 10 km s-1 et que le temps de retard est de 75 Mégannées, alors le système aurait dérivé de 750 pc avant l'explosion. 
Alternativement, les décalages spatiaux des FRB peuvent également provenir de la contribution de canaux de formation autres que des supernovas à effondrement de coeur, tels que l'effondrement induit par l'accrétion ou l'effondrement induit par la fusion de naines blanches massives et de fusions d'étoiles à neutrons binaires. L'existence de ces canaux de formation de sources de FRB est également indiquée par FRB 20201120E, trouvé dans un amas globulaire. En conclusion, les décalages spatiaux plus importants des FRB peuvent être dus soit au scénario de formation retardée de magnétars par fusion stellaire, soit aux contributions de canaux de formation autres que supernovas de type II. 

Une analyse détaillée de la distribution des temps de retard des FRB par rapport à la formation de leurs progéniteurs stellaires pourrait permettre d'obtenir des informations plus approfondies sur les canaux de formation. On s'attend à ce que les canaux de type AIC/MIC (effondrement par accrétion ou pas fusion de naines blanches) aient des distributions de temps de retard étendues sur plusieurs plusieurs milliards d'années, alors que les supernovas de type II d'étoiles isolées se produisent sur des durées de vie stellaires d'environ 3 à 50 mégannées et que les supernovas de type II des restes de fusion stellaire devraient se produire dans les 50 à 250 mégannées suivant la naissance des composantes stellaires.
L'occurrence préférentielle des FRB dans les galaxies massives en formation d'étoiles est une contrainte qui s'applique à tout modèle de formation de sources de FRB. L'influence de la métallicité sur la formation des sources de FRB pourra aussi être corroborée de manière indépendante à l'aide d'études à venir. 

Étant donné que la formation d'étoiles dans l'Univers primitif se produit principalement dans des galaxies de faible masse et que les galaxies de même masse stellaire à des décalages vers le rouge plus élevés sont moins enrichies chimiquement, la préférence des FRB pour les environnements riches en métaux implique une suppression du canal de formation de source de FRB à des décalages vers le rouge élevés. Cependant, les scénarios proposés pour le FRB répétitif FRB 121102, qui se trouve dans une galaxie de formation d'étoiles naine à faible métallicité, pourraient devenir plus courants à des décalages vers le rouge élevés. Kritti Sharma et ses collaborateurs concluent que si la plupart des FRB sont émis par des magnétars tels que celui observé dans la Voie Lactée (SGR 1935-+2154), leurs résultats favorisent un scénario dans lequel les magnétars seraient généralement formés à partir de supernovas de type II, mais issues du résidu d'une fusion stellaire ayant eu lieu dans une binaire en interaction.

Source

Preferential occurrence of fast radio bursts in massive star-forming galaxies
Kritti Sharma et al.
Nature volume 635 (7 november 2024)
Illustrations

1. Distributions de l'occurrence des FRB et des supernovas à effondrement de coeur en fonction de la masse de la galaxie hôte mesurées par Sharma et al. (Nature)

2. Imagerie en optique/infrarouge des galaxies de l'échantillon étudié (Kritti Sharma et al.)

3. Kritti Sharma

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