Que s’est-il donc passé il y a
1237 ans ? C’était en 775 et quelque chose s’est passé quelque part
là-haut… Quelque chose de très énergétique.
Des chercheurs japonais ont fait
une découverte surprenante en étudiant des arbres. Les arbres permettent de
voir dans le passé grâce à leurs cernes, ces anneaux qui se succèdent à la
surface des troncs année après année.
Ce qu’ils ont pu voir sur des cèdres
millénaires, c’est que pour la cerne correspondant à l’année 775 et les
quelques suivantes, le taux de Carbone 14 était 20 fois plus important que la
normale !...
Quel rapport avec un phénomène
astrophysique, pensez-vous… Il faut évoquer là l’origine du carbone-14.
Le carbone-14 est un isotope du
carbone qui n’existe pas vraiment à l’état naturel, il n’est pas stable, il est
produit en continu et disparaît également en continu par radioactivité béta.
Par quoi est-il produit et comment ? Essentiellement à partir de l’atome
d’azote-14 qui compose à lui seul près de 78% de l’atmosphère : des
neutrons énergétiques issus de réactions de rayons cosmiques (rayons gamma) viennent
faire des réactions dites de spallation sur les atomes d’azote : le neutron
incident éjecte un proton du noyau d’azote et prend sa place : l’atome
d’azote-14 devient un atome de carbone-14.
Comme tous les atomes de carbone,
qu’il soit carbone-12 (normal) ou carbone-14 (radioactif), ils peuvent ensuite
être incorporés par les plantes et les animaux (qui mangent les plantes).
Le nombre d’atomes de carbone-14
sur terre dépend donc directement ou indirectement du flux de rayons cosmiques
impactant la haute atmosphère. Nous y voici…
Les cernes des arbres permettant
de faire une sorte de photo année après année de la quantité de carbone-14
présent, cela revient alors à suivre l’évolution du flux de rayons gamma nous
arrivant chaque année.
Pour expliquer l’origine de ce
phénomène mystérieux, les chercheurs japonais proposent deux hypothèses :
soit une très forte éruption solaire ou bien une grosse explosion de supernova
très proche de nous. Pour en arriver à ces deux hypothèses, nos chercheurs ont
étudié de très près les cernes juste voisines de celle de 775, et ils ont pu
déterminer avec certitude que l’événement à l’origine de cette brutale
augmentation de carbone-14 s’est déroulé sur moins d’un an. Un tel événement
aussi rapide ne pouvait être qu’un phénomène de ce type.
Ce qui a renforcé leur idée est
l’existence de traces d’un autre isotope, lui aussi d’origine cosmogénique, le
Be-10, présent en quantité un peu trop grandes dans les glaces de l’Antarctique
vers cette même époque (mais la datation y est plus délicate). Le phénomène
serait donc bien global à l’ensemble de la planète.
Variation du taux de Carbone-14 (Nature) |
Alors comment trancher entre
éruption solaire monstrueuse et supernova très proche ? Et bien il suffit
de chercher des traces, des résidus sur la base de phénomènes similaires
connus. Ils se sont penchés par exemple sur les supernovæ bien connues de 1006
et de 1054 (devenue depuis la nébuleuse du crabe) et ont montré qu’il n’y avait
pas la moindre augmentation de carbone-14 pour ces années-là… Puis ils ont
calculé l’énergie totale des rayons gamma qui auraient dû être émise par une
telle supernova si elle était à la même distance que SN 1006 (2 kpc).
Résultat : 3 × 1051 erg, soit 100 fois plus que ce que produit une supernova
normale. Donc cette hypothétique supernova devrait être beaucoup plus proche
que 2 kpc…
C’est alors que l’on cherche les
rémanents de supernova qui sont situés à de telles distances relativement
proches, et on en trouve aucun…
D’autre part, aucune mention
historique de quelque civilisation que ce soit ne fait état vers 775 de
l’apparition d’une telle étoile qui serait visible en plein jour.
Reste alors la piste de
l’éruption solaire, qui est aussi appelé Solar
Proton Event. Les physiciens ont simulé les interactions des protons
solaires en prenant en compte tous les effets de champs magnétiques possibles
et imaginable, pour calculer l’énergie totale des protons nécessaire pour la
production de cette fameuse augmentation de carbone-14. L’énergie estimée, à
l’arrivée sur Terre est de 8 × 1025 erg, ce qui implique une énergie au point de départ (sur le
Soleil) de 2 × 1035 erg, ce qui doit être comparé avec l’énergie d’un SPE classique qui n’est que de 1029 à 1032 erg, donc 2000 à 2 millions fois plus énergétique…
Ils en déduisent qu’il se
pourrait qu’un SPE soit à l’origine d’une augmentation de carbone-14 dans les
arbres simultanément avec une augmentation de Be-10 dans la glace, mais il
faudrait que le spectre en énergie soit beaucoup plus « dur » (à
haute énergie) que ce qui a jamais été observé. Mais comme le soleil n’est pas
susceptible de connaître des super-éruptions de par ses caractéristiques, et
qu’aucune trace de super éruption n’existe (extinction massive d’espèces,
aurores exceptionnelles, trou d’ozone non anthropique, …) cette hypothèse est
finalement très peu probable.
La conclusion que donnent les
chercheurs japonais est qu’ils ne savent pas. Ils peuvent juste dire qu’ils
sont certains qu’un événement extrêmement énergétique a eu lieu sur Terre en
775 mais sans en connaître l’origine.
Ils attendent maintenant de
l’aide de futures recherches à la fois historiques (des mentions dans des
manuscrits anciens), physiques (études des isotopes dans les glaces antarctiques) et bien sûr
astrophysiques avec la recherche de rémanents de supernova qui seraient encore
non détectés…
Source : Nature (3 juin 2012)
1 commentaire :
Jonathan Allen, un étudiant à Santa Cruz (Californie), s'est intéressé à cette question après la publication de l'article de Nature.
Il s'est penché sur les annales historiques du 8eme siècle. Et il a trouvé un texte de la chronique anglo-saxonne fait état d'un « crucifix rouge » qui serait apparu dans les cieux, « après le coucher du soleil ». L'hypothèse de l'explosion d'une supernova est donc relancée...
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