jeudi 30 mai 2013

Plongée à l’Intérieur d’une Etoile à Neutrons

On se fait parfois des idées fausses sur certains objets astrophysiques. On pense souvent par exemple qu’une étoile à neutrons est une boule pleine de neutrons… Or la structure d’un tel objet est bien plus complexe qu’une grosse boule homogène...

Une étoile à neutrons ressemble un peu à un noyau atomique géant, qui ferait environ 20 kilomètres de diamètre pour une masse égale à deux fois celle du soleil. Il s’agit du résidu d’une étoile massive ayant explosé en supernova mais n’ayant pas eu assez de masse pour finir en trou noir.
 
Vue d'artiste d'une étoile à neutrons
Leur densité extrême associée à une pression, une température, un magnétisme et un champ gravitationnel également hors normes en fait des objets tout à fait fascinants à étudier. La structure de ces objets, aujourd’hui largement admise par les spécialistes, est représentée par une sphère comportant en surface une croûte d’environ 1 km d’épaisseur, constituée de noyaux d’atomes exotiques possédant un grand nombre de neutrons, et arrangés sous forme de réseau cristallin, le tout baignant dans une mer d’électrons. A la surface de cette croûte se trouvent exclusivement des noyaux de fer, puis, au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la croûte, ce sont tous les types de noyaux d’atomes plus lourds les uns que les autres que nous rencontrons, qui plus est, arborant de plus en plus de neutrons, donc des isotopes hautement radioactifs car instables.
A partir d’une certaine profondeur (quelques centaines de mètres), des neutrons s’échappent littéralement des noyaux et forment un liquide neutronique qui s’épanche dans le réseau de noyaux lourds riches en neutrons.
Un peu plus profondément, à la base de la croûte nucléaire, les noyaux fusionnent complètement pour former un pur fluide nucléaire constitué en très grande partie de neutrons, mais pas uniquement ! Il subsiste quelques protons et quelques électrons. On estime que ce fluide contient 1 proton pour 20 neutrons. La pression y est d’environ 200 000 milliards de fois celle de l’eau… 
Encore plus en profondeur, la pression augmente toujours, les énergies de Fermi des neutrons et des protons deviennent si élevées que des particules exotiques peuvent apparaître, comme des mésons et des hypérons.
Au niveau du cœur des étoiles à neutrons, on ne sait plus trop ce qui peut se passer, on estime probable que le fluide se décompose en quarks up et down et en gluons, les briques des neutrons et des protons.
 
Structure interne d'une étoile à neutron (crédit Coleman Miller)
De telles compositions de matière nucléaire extrêmes sont explorées – certes à une échelle plus restreinte -  auprès des grands accélérateurs de particules (voir ici), mais l’exploration de l’intérieur des étoiles à neutrons peut aussi être menée grâce à l’observation directe.
Les plus célèbres étoiles à neutrons sont celles qui émettent du rayonnement radio périodiquement en fonction de leur rotation, celles qu’on appelle des pulsars. En mesurant très précisément la période des signaux radio et donc la période de rotation de l’étoile à neutron, on peut en apprendre beaucoup sur ce qui se passe à l’intérieur.
On sait depuis de nombreuses années que la période des pulsars ralentit de manière continue. Ce ralentissement de la rotation est dû à la perte de moment cinétique emporté par les particules chargées qui sont arrachées par le fort champ magnétique de l’étoile.
C’est donc en observant attentivement comment évolue ce ralentissement que l’on parvient à modéliser le comportement des fluides nucléaires de l’étoile à neutron. Et il se trouve que la plupart des pulsars étudiés ainsi de près (quelques centaines) montrent de soudaines accélérations de rotation. 

Ces défauts rotationnels sont attribués à des couplages imparfaits entre liquides superfluides au sein de l’étoile : lorsqu’une étoile à neutrons tourne sur elle-même en quelques fractions de secondes, le superfluide interne a tendance à tourner plus vite. Le retour à la co-rotation normale produit les sauts de vitesse de rotation observés.
Aux températures monstrueuses existant à l’intérieur des étoiles à neutrons, de l’ordre de 100 millions de degrés, les neutrons peuvent se coupler en paires et former un liquide quantique superfluide, tout à fait similaire à ce que l’on connait en laboratoire à très basse température.
A proximité de la croûte nucléaire, les paires de neutrons ne possèdent pas de moment angulaire, elles se comportent exactement comme des paires d’électrons dans un matériau supraconducteur (paires de Cooper).
Mais à une pression plus élevée, bien en dessous de la croûte, une interaction répulsive neutron-neutron modifie ce comportement et les paires de neutrons montrent un moment angulaire non-nul, ils se comportent alors exactement comme de l’hélium-3 superfluide.

Carte des pulsars découverts par leur émission gamma par le télescope Fermi-LAT (NASA/DOE/Fermi-Lat Collaboration)
De leur côté, les protons aussi se comportent comme un fluide supraconducteur en s’associant par paires, à condition de ne pas subir un champ magnétique trop intense.
Ainsi, aux différentes profondeurs d’une étoile à neutrons coexistent différents fluides nucléaires aux propriétés supraconductrices ou superfluides, qui peuvent également s’interpénétrer et qui s’écoulent sans aucune viscosité.
L’explication actuellement retenue pour expliquer les brusques variations de rotation des pulsars est l’existence de vortex superfluides dans le liquide nucléaire, sortes de tourbillons qui peuvent migrer des pôles à l’équateur lorsque la rotation globale du fluide se ralentit. Mais certains vortex peuvent rester comme emprisonnés dans le réseau cristallin de la croûte, produisant une rotation du fluide cristallin plus rapide que le reste de l’étoile. Jusqu’à la rupture et au retour à la co-rotation par un rattrapage de vitesse de rotation.

Très récemment, une équipe américaine étudiant un pulsar à fort champ (un magnétar) a pu observer non pas une brusque accélération de la période de rotation de l’étoile comme ce qui est habituellement observé, mais au contraire un ralentissement…
 
Cette observation surprenante va permettre de remettre en question certains points du modèle de structure des étoiles à neutrons et pourquoi pas d’affiner les propriétés des différentes couches superfluides en présence.
Les étoiles à neutrons sont décidément bien plus étonnantes que ce qu’on pourrait penser et encore loin d’être entièrement comprises….

Référence :
An anti-glitch in a magnetar
Archibald, R. F. et al.
Nature 497, 591593 (30 may 2013).

1 commentaire :

Laurent a dit…

La description de l’intérieur d'une étoile à neutron est absolument fascinante. Le glitch quantique du superfluide me laisse sans voix.